Hugo_
J'ai changé cent fois de nom, (I have changed names a hundred times)
j'ai perdu femme et enfants (I have lost wife and children)
mais j'ai tant d'amis; (But I have so many friends)
j'ai la France entière. (I have all of France)
The partisan, Leonard Cohen, Interprètes Sixteen horsepower/Bertrand Cantat
Jai marché, longtemps.
Jai erré, souvent.
Jai porté à mes mains le fatras insondable du devoir et je men suis acquitté, sans faillir, me nourrissant de la satisfaction des choses bien faites.
Chaque soir je les ai lavées, détachant au baquet deau, le sang de mes obligations, pour Vous les présenter, propres, nettes, recevant labsolution de Votre sourire en guise de récompense.
Mes pas mont mené loin sans jamais trouver chez mes commanditaires cette étincelle fugace qui brillait à Votre contentement.
Jai eu soif, jai eu faim, malgré la nuit qui glissait sur moi, malgré la richesse que vous maviez laissé au fil de vos enseignements, massurant le toit et le repas à défaut de votre protection, et cest aux troncs noueux des arbres que je me refugie encore, sauvage civilisé par Votre patience.
Vous êtes mort Mon Seigneur et vos enfants nont pas su me convaincre de leur prêter la main que vous aviez forgée. Chien domestiqué quand vous me considériez racé, sorti de lenchevêtrement des bois pour dautres densités, vous mavez préparé à tout, sauf à limmensité des choix une fois que vous ne les feriez plus pour moi
Le monde que vous mavez laissé mindiffère, Maitre.
Vénal, ordurier, bruyant, il manque de convictions, de vérités, me donne la sensation de patauger dedans sans la volonté den changer la couleur.
Je mennuie, Maitre.
Les sabots du cheval piétinèrent le sol meuble, imprimant au sol lempreinte ronde de leurs fers dans leur élégante hésitation, sans faire chanceler la silhouette fluette sur le dos équin, corps encore jeune dont les gestes suivaient ceux de la bête dans la perception commune de ce monde alentours. Leur marche les menaient au hasard des contrats quil allait chercher, tantôt silencieux le longs des chemins de campagne, tantôt anonymes dans le flot mugissant des villes, silhouettes étouffées par le commun de leurs tracés quand lun pouvait galoper une nuit entière sans en crever à laube, lécume au mors, et lautre vous emporter aux limbes en quelques secondes.
Jai vendu ces mains que Vous aviez éduquées, tant de fois que je ne men souviens plus.
Jai fait vivre ce savoir que Vous aviez protégé, et rien, pas même ces enfants semblant dormir dans leurs couches quand mon ombre à leurs fronts sages assurait pourtant que leurs souffles ne rompaient plus la quiétude de leur chambre héritières, na su me satisfaire.
Là aussi je me suis ennuyé.
Tuer des enfants na rien dexaltant. Jai déjà oublié leurs noms.
Avisant lheure en embrassant la ville du regard, il posa finalement pied à terre, accordant à la monture une halte méritée, nouant la bride à la proximité dun abreuvoir, pour se détacher enfin de cette moitié animale et retrouver silhouette humaine. A dix sept ans, Hugo aurait pu en paraitre moins, liane souple masquée par des vêtements sobres, froissés par la route, mince, une ductilité entretenue par la rigueur de lexercice essaimant à ses gestes une grâce qui tenait de linné, de lacquis, dun savoir distillé par la chasse, les leçons, et lenvie de satisfaire. A ce jour, il ne restait plus rien que sa rigueur pour rythmer le quotidien désormais solitaire du garçon, étranger à ce monde où la vie fourmillait de toutes parts, enfant de tous et daucun.
Plusieurs mois sétaient écoulés depuis son départ du territoire seigneurial dans lequel il avait été couvé, préciosité inattendue par lambition dévorante dun homme désormais mort, louant ses services dans dobscures guildes dont les noms ne se donnaient quà la faveur dun passe droit. Intronisé dans cet au-delà par limagination fertile dun homme avide, il navait eu aucun mal à soumettre sa candidature à quelques contrats orphelins, et avait brillé, sans commune mesure par son efficacité, car la mort, avait il apprit, ne se dispensait pas aveuglement. Chacune delle était sujet à un message précis, délivrant le propos dans les derniers instants de lucidité, et toutes demandaient leffort de lorchestration. Poison, carnage, amputation, étouffement, égorgement autant de billets laissés à lattention des vivants quil fallait savoir lire du double langage des vies dissolues qui se menaient derrière la façade proprette des maisons huppées.
Rabattant dune main la capuche de son manteau sur ses épaules, il perdit un regard curieux vers léglise dressant ses oriflammes dans un ciel de printemps, les prunelles éclaircies courant le long de la façade pour rejoindre un nuage dont lombre nervurait la place centrale et resta, contemplatif, à laube du parvis, sans ressentir autour de lui, le mouvement de foule quil ne gênait même pas de son immobilisme, ombre délicate, presque translucide.
Vos ambitions me manquent.