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[RP] Mains Rouges

Hugo_




J'ai changé cent fois de nom, (I have changed names a hundred times)
j'ai perdu femme et enfants (I have lost wife and children)
mais j'ai tant d'amis; (But I have so many friends)
j'ai la France entière. (I have all of France)

The partisan, Leonard Cohen, Interprètes Sixteen horsepower/Bertrand Cantat





J’ai marché, longtemps.
J’ai erré, souvent.
J’ai porté à mes mains le fatras insondable du devoir et je m’en suis acquitté, sans faillir, me nourrissant de la satisfaction des choses bien faites.
Chaque soir je les ai lavées, détachant au baquet d’eau, le sang de mes obligations, pour Vous les présenter, propres, nettes, recevant l’absolution de Votre sourire en guise de récompense.
Mes pas m’ont mené loin sans jamais trouver chez mes commanditaires cette étincelle fugace qui brillait à Votre contentement.
J’ai eu soif, j’ai eu faim, malgré la nuit qui glissait sur moi, malgré la richesse que vous m’aviez laissé au fil de vos enseignements, m’assurant le toit et le repas à défaut de votre protection, et c’est aux troncs noueux des arbres que je me refugie encore, sauvage civilisé par Votre patience.
Vous êtes mort Mon Seigneur et vos enfants n’ont pas su me convaincre de leur prêter la main que vous aviez forgée. Chien domestiqué quand vous me considériez racé, sorti de l’enchevêtrement des bois pour d’autres densités, vous m’avez préparé à tout, sauf à l’immensité des choix une fois que vous ne les feriez plus pour moi…

Le monde que vous m’avez laissé m’indiffère, Maitre.
Vénal, ordurier, bruyant, il manque de convictions, de vérités, me donne la sensation de patauger dedans sans la volonté d’en changer la couleur.

Je m’ennuie, Maitre.



Les sabots du cheval piétinèrent le sol meuble, imprimant au sol l’empreinte ronde de leurs fers dans leur élégante hésitation, sans faire chanceler la silhouette fluette sur le dos équin, corps encore jeune dont les gestes suivaient ceux de la bête dans la perception commune de ce monde alentours. Leur marche les menaient au hasard des contrats qu’il allait chercher, tantôt silencieux le longs des chemins de campagne, tantôt anonymes dans le flot mugissant des villes, silhouettes étouffées par le commun de leurs tracés quand l’un pouvait galoper une nuit entière sans en crever à l’aube, l’écume au mors, et l’autre vous emporter aux limbes en quelques secondes.


J’ai vendu ces mains que Vous aviez éduquées, tant de fois que je ne m’en souviens plus.
J’ai fait vivre ce savoir que Vous aviez protégé, et rien, pas même ces enfants semblant dormir dans leurs couches quand mon ombre à leurs fronts sages assurait pourtant que leurs souffles ne rompaient plus la quiétude de leur chambre héritières, n’a su me satisfaire.
Là aussi je me suis ennuyé.
Tuer des enfants n’a rien d’exaltant. J’ai déjà oublié leurs noms.



Avisant l’heure en embrassant la ville du regard, il posa finalement pied à terre, accordant à la monture une halte méritée, nouant la bride à la proximité d’un abreuvoir, pour se détacher enfin de cette moitié animale et retrouver silhouette humaine. A dix sept ans, Hugo aurait pu en paraitre moins, liane souple masquée par des vêtements sobres, froissés par la route, mince, une ductilité entretenue par la rigueur de l’exercice essaimant à ses gestes une grâce qui tenait de l’inné, de l’acquis, d’un savoir distillé par la chasse, les leçons, et l’envie de satisfaire. A ce jour, il ne restait plus rien que sa rigueur pour rythmer le quotidien désormais solitaire du garçon, étranger à ce monde où la vie fourmillait de toutes parts, enfant de tous et d’aucun.
Plusieurs mois s’étaient écoulés depuis son départ du territoire seigneurial dans lequel il avait été couvé, préciosité inattendue par l’ambition dévorante d’un homme désormais mort, louant ses services dans d’obscures guildes dont les noms ne se donnaient qu’à la faveur d’un passe droit. Intronisé dans cet au-delà par l’imagination fertile d’un homme avide, il n’avait eu aucun mal à soumettre sa candidature à quelques contrats orphelins, et avait brillé, sans commune mesure par son efficacité, car la mort, avait il apprit, ne se dispensait pas aveuglement. Chacune d’elle était sujet à un message précis, délivrant le propos dans les derniers instants de lucidité, et toutes demandaient l’effort de l’orchestration. Poison, carnage, amputation, étouffement, égorgement… autant de billets laissés à l’attention des vivants qu’il fallait savoir lire du double langage des vies dissolues qui se menaient derrière la façade proprette des maisons huppées.


Rabattant d’une main la capuche de son manteau sur ses épaules, il perdit un regard curieux vers l’église dressant ses oriflammes dans un ciel de printemps, les prunelles éclaircies courant le long de la façade pour rejoindre un nuage dont l’ombre nervurait la place centrale et resta, contemplatif, à l’aube du parvis, sans ressentir autour de lui, le mouvement de foule qu’il ne gênait même pas de son immobilisme, ombre délicate, presque translucide.


Vos ambitions me manquent.


Judas
    J'ai gravité longtemps dans l'antichambre des grands, sans jamais pour autant franchir le seuil fatidique qui mènerait au succès par la porte de la sueur. J'ai exploité souvent le labeur des autres, sans jamais ne faire suinter de mon propre front que des idées létales, des machinations biaisées, créées pour me faire des ponts menant au succès. Vos créations pourtant, quoi qu'on en dise. Jouant de mes facilités à ne pas m'émouvoir et à détourner le sens premier du pouvoir, j'ai parfois dû écraser les autres, lorsque déçu de leur attachement trop peu prolixe ils ne me ramenaient qu'à ma lassitude. Opportuniste, je me suis alors tourné vers vous, chaque fois que le fil dont mes ambitions était cousues se rompait. Une boucle qui se boucle. Une bouche qui se tâche de rouge. Précurseur du jetable, j'ai consommé plus que de raison. Plus que de passion. J'en ai changé, de tout et de rien, plus de rien que de tout d'ailleurs.


Le pain est coupé, soigneusement. Judas y met toute sa patience, tranchant dans le précieux nourrissant de l'office. Depuis qu'il a pris ses quartiers à l'église, horrifiant trop de monde, il semble s'être racheté une conduite. Le seigneur donne de son temps pour faire vivre l'édifice, veille à ce que les cierges ne s'éteignent pas dans le courant d'air de l'entrée, prépare les indispensables de la messe. Sous la bénédiction de l'archevêque Fitz, qui l'a baptisé, qui l'a marié, voilà qu'il l'a fait sacristain. Ironie du sort, Judas surveille les paroissiens là où plus jeune il dévoyait des enfants de choeur. Consciencieux, il dispose le pain dans une panière tressée.

    J'ai brandit trop souvent votre nom. La considération est une notion que j'ai distillée, au plus offrant. Dites-moi combien vous m'aimez, je vous dirais jusqu'à quand vous coûtez, de tout temps fit un peu mon crédo. Je vous ai sanctifié, à tort et sans raison, vous brandissant comme mon plus solide bouclier lorsque je sentais comme sable entre mes doigts ma réputation m'échapper. Je me suis résolu à vous honorer, sans m'imaginer vous aimer. Sans me questionner. Il est des sujets qui nous font trop nous enliser dans les méandres de nos âmes, il n'est pas bon trop fouiller, sauf dans le coeur des femmes. Quoi que de femme, j'ai hérité de la pire et de la moins aimée. Je l'ai battue pour la lisser, et puis j'ai regretté. Vous m'avez fait payer. Quoi? Quoi donc? L'oisiveté? Les autres? Le vice d'argent, de jeu ou la torture morale que je lui rendais?


Le vin est versé dans le calice, non loin. Les traits de Judas n'ont pas vraiment changés, à trente six ans presque passés. Toujours cette froideur méthodique, et pourtant ses gestes voilés de douceurs. Les gants pour masquer la réalité. L'iris plus souvent rieur que par le passé, d'ailleurs. Mais la bouche avare. Obstinée à trouver que le sourire est une tare. D'une main gauche critiquée, le Von Frayner essuie les rebords de l'objet, décidé à y déloger la moindre goutte mal placée. Le mouchoir brodé est finalement posé à plat pour couvrir la coupe pleine. Judas observe le halo de lumière parvenant du parvis.

    Je n'ai pas ployé genou, mais j'ai consenti à me tourner vers vous. Blessé, atteint de vos fléaux, de vos sentences. Etait-il question de sauver mon âme ou juste mon corps, quand pris de fièvre vous m'avez tourné vers l'écho vide des bénitiers? Tenir l'office, fournir le pain et le vin pour abreuver vos paroissiens, petits moutons en repentance dans leur laine naïve. Pardonnez moi mon Dieu, ma volonté est une guerrière chétive. Chez vous le temps semble n'avoir aucune emprise sur rien. Tout est figé lorsque le dernier serf a quitté son banc. Je me sens vieux et con. Je m'ennuie, Seigneur.


L'homme contourne une rangée de prie dieu, s'engageant dans l'allée jusqu'à la porte restée ouvert où quasi personne n'entre à cette heure ci. Les gens sont occupés. Judas poursuit sa procession panière de pain et calice plein en main. Il observe au passage les icônes sans âge que le curé a laissé en partant, comme un ultime gage de son mauvais goût sur les murs. Peut-être les vendra-t-il , les temps sont durs. Le soleil de l'extérieur vient agresser ses yeux, lui donnant à penser qu'il détient la raison pour laquelle les vieux sacristains perdent la vue . Un léger soupir vient ébranler sa rigidité lorsqu'il se fige sur le parvis. Il aperçoit l'agitation qu'il manque à l'intérieur, les gens qui se font transparents à vaquer à leurs occupations. Le jeune homme semble lui renvoyer son reflet, en plus jeune, et en moins désabusé. Là bas, tout aussi figé que lui. Ses yeux noirs s'attardent un bref instant sur lui, attirés par son indécent mutisme qui pourrait sembler insignifiant. La main baguée se resserre sur le pied du calice. Reprenant le fil de ce pourquoi il était sorti, finalement, le Von Frayner tend la panière d'un geste ample. Et jette le pain aux pigeons.

Le contenant est décoiffé pour être vidé avec soif, tandis que la silhouette pivote pour regagner ses pénates. Son ombre et sa morne solitude. Repentance? Hantant les églises ou non, Judas n'a jamais rien eu d'un curé.

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Hugo_




Un rouge gorge ombra le ciel de sa silhouette, arrondissant son vol dans le chant d’une note aiguë, verdure boisée dans l’immensité bleue, jardin au creux de la ville, emportant dans une courbe gracieuse les yeux nuageux du jeune homme, suspendant ses prunelles aux pennes jusqu’à ce qu’il se pose sur l’un des contreforts du bâtiment. Lambeau de vie dans la grisaille citadine, il enfouit sa tête sous son aile dans l’optique d’un nettoyage, l’étirant jusqu’à dévoiler les délicates successions de ses courtes rémiges avant de sautiller, habile ménestrel, sur une aspérité plus marquée à la pierre.

J’ai quitté la forêt mais je la porte en moi.
Je sens encore sur mon visage l’ombre dentelée du feuillage, à ma bouche le gout frais de la mousse, à ma peau la chaleur puante des gueules canines et j’entends Votre voix couvrant les aboiements.
Frère des bêtes, fils des arbres, j’ai vécu animal avant que la main d’un Maitre ne se pose sur moi.
Sous l’égide de Votre savoir, j’ai pris forme d’homme.
Vous m’avez tout appris, sans jamais me mener à l’oubli.



La silhouette de l’édifice brouilla les lignes stables de son immobilisme, accouchant sur le parvis d’une silhouette qu’il n’avait pas deviné dans le ventre obscur, statue fugitive, distante dont les mains pleines firent bruire les cieux de quelques battements d’ailes et saturèrent l’air d’une attente inaudible au monde des humains. Juchés dans les hauteurs des maisons et commerces alentours, les oiseaux gras des villes figèrent leurs yeux ronds sur l’icône nouvelle, attirant dans les filins de cette brusque attention, celle d’Hugo.


Je crois en l’écorce du chêne où poussent les étoiles, au chant de l’air avant que ne vienne l’orage, au crissement de la neige pour vous alerter de sa tessiture, au silence improbable qui règne avant que ne se rompe le fil des tisserandes…
La nature prévient, punit, mais ne ment pas.
Vous m’avez dit que mes Dieux n’appartenaient qu’à moi, que la foi des hommes ne tenait qu’à la peur, et que la seule peur qu’il fût admis d’avoir était celle de la déception.
Je ne Vous ai jamais déçu. Je n’ai jamais failli.
Mes Dieux ne m’ont pas récompensé.



La statue déchira l’espace d’un mouvement, et, volatile, le jeune homme en suivit les pas, détaillant dans la lente valse de son ennui immobile, les couleurs de cette vision neuve, machine avant l’heure dont l’application à la tache avait déformé une perception déjà sauvageonne des autres.
Homme d’âge mur, sec, silhouette haute, bien portant quoique pale, peut être convalescent, force potentielle, mains gantées… Le détail entrava brièvement l’énumération d’un intérêt sommaire… Visage austère, fermé, et eut-il été ouvert qu’Hugo n’en aurait eu aucun intérêt, lui dont la compréhension des autres se heurtaient fatalement au gouffre des subtilités. Il percevait la joie, la colère, la peur, tout ce que l’âme possédait de plus extrême mais restait insensible aux variations les plus élémentaires, indifférent aux demis teintes, spectateur qui n’aurait été capable de ne percevoir que les couleurs primaires sans jamais s’émouvoir du résultat de ses mélanges. L’humanité était une palette sans fin de déclinaisons délicates incapable de satisfaire les appétits originels qui sommeillaient en lui et qui déroulait inlassablement dans une cacophonie monotone la litanie de son quotidien.

Le pain jeté sur le parvis enticha la curiosité d’Hugo en froissant l’ozone des bruissements d’ailes et extirpés de leur ronde observation, les pigeons s’agglutinèrent sur les pierres où avait été émiettée la pitance


Qui nourrit l’animal s’en impose la responsabilité, m’avez-Vous dit.
Vous m’avez nourri.
Que sont devenues vos responsabilités ?
Je m’alimente, sans but, dans les râles d’agonie, dans les perles de sang, dans le sursaut des nerfs qui me troublent une seconde, un instant, avant que je ne me rappelle que ce n’est pas pour Vous que j’ai levé la main.

J’ai faim, Maitre, et rien n'a de gout.



Trônant sur le parvis duveteux, l’homme porta une coupe à sa bouche en en vida le contenu sous les têtes pivotantes des pigeons dont aucun ne s’inquiéta pourtant du geste, à la façon des fidèles devant un Dieu autistique dont ils connaissent les rituels jusqu’à ne plus craindre l’ombre passant sur eux.
Le rouge gorge sautilla et descendit de son perchoir pour venir s’égarer près d’une miette oubliée par ses larges cousins, les globes noirs rivés sur le butin à venir, déconcentré un instant par les cris de deux enfants longeant dans leur course le parvis où la foule aérienne était rassemblée avant de saisir l’opportunité de s’en emparer d’un saut, seconde qui suffit à l’homme pour tourner le dos à ses ouailles et à Hugo pour lui emboiter le pas sans même réfléchir.


Judas
Les mains s'emparent de la lourde cape d'hiver, Judas se fait la réflexion en la nouant autour de son cou qu'il est temps d'en changer pour une étoffe plus printanière... Dans le silence de l'église, il ne peut que laisser son esprit s'embrumer de mille et mille pensées disparates, parler seul n'aiderait pas à lui conserver le peu de raison qu'il lui restait. Alors Judas pense. Réfléchit. Se questionne. Tout y passe, de la peau de Mheil à la gorge de Chimera.

Les mains continuent, absentes, leur oeuvre. Les cheveux finissent par s'étaler par dessus le tissus, et les yeux se tourner vers la silhouette dérangeant le paysage figé des lieux. Une présence troublant la quiétude des rangées, quoi que tout à fait discrète. Le seigneur finit par l'observer dans une posture courbée, tout occupé à ajuster son pardessus de velours. Que veut-il celui-ci? Une absolution? Des renseignements sur le mariage sans doute, pour s'encanailler avec la bénédiction de l'autre en haut. Ou peut-être était-ce simplement un fidèle hagard, comme on en voit peu, avec assez d'écu pour venir tuer le temps ici en journée. Il est presque midi.


Tu ne t'es pas signé.

Le jeune ne semble ni noble, ni assez vieux pour qu'il use de trop de manières. Il se redresse, allant à sa rencontre, avec cette cape qui confirme cette impression de sur le départ. Une fois le pain et le vin terminé Judas n'est plus sacristain, il redevient seigneur lorsque le soleil est au plus haut, une fois que l'office a été mené, que l'édifice a été rangé et que ses litanies ont été dites. Sans être paternelle ni fraternelle, sans animosité, la remarque vient appuyer la précédente, signifiant l'importance de l'acte. Sur le départ ou pas. A la hauteur du jeune homme, l'ainé prend le temps d'imprimer ses traits et de noter ses attitudes tout en désignant d'un mouvement de menton le bénitier sur sa droite. Tu entends...?


Tu ne t'es pas signé.

C'est ainsi que se rencontrent deux âmes qui s'empoussièrent, complémentaires qui s'ignorent. Car ce que l'un possède, l'autre le désire. Et Judas d'ordinaire plus pressé de prendre congé au moment où il l'a décidé s'attarde sur ces traits qui ne racontent rien. Une histoire à réécrire peut-être. Un être vierge. Une apparition sans habitudes qui bouscule sa monotonie cléricale. Le regard de Judas est dur, ses traits plissés d'austérité, pourtant la moindre parcelle de sa personne est suspendue à la réaction de son visiteur. Comme si tout en dépendait.

Des traits harmonieux, un ensemble criant au tendron, Judas avisa un garçon qui s'il avait fait meilleur mariage plus tôt aurait pu être le sien. Et sa fascination pour les jeunes hommes n'avait jamais faibli, sans aucune volonté de la lier à de quelconques fantasmes déviants. Chaque enfant capable de marcher , de parler et d'avoir de l'éloquence pouvait se prédestiner à être façonné par quelqu'un. Quelqu'un avide d'élever, avide de représenter, quelqu'un désireux de se prolonger... Chaque jeune homme présenté à Judas recevait cette aura, tant que son fils était trop jeune pour être moulé à son image et à ses désirs. Lui qui n'avait toujours eu qu'une tripotée de jeunes filles sous sa coupe n'avait pas renoncé à l'idée de s'approprier enfin un Garçon. Il décida alors de lui accorder une minute avant de rentrer chez lui. Une simple minute. Pour ce ressentiment qu'il ne s'expliquait pas vraiment.

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Hugo_



Les bottes souples franchirent les quelques mètres, éventrant le cercle d’oiseaux une seconde à peine avant qu’il ne se reforme, posant la main sur le battant de la porte ouverte pour découvrir l’étrange fraicheur dans laquelle sommeillait le sacré avec l’indolence de son importance, le soleil dardant un rayon chaud à sa nuque dégagée, l’odeur si caractéristique des églises dormantes immergeant le nez dans l’union de la poussière aux parfums lourds de l’encens et de la pierre aux essences des bois, étrange union de la main de l’homme et de l’austérité du divin.

Tu ne t’es pas signé.

La constatation n’amena aucun remous sur le visage juvénile, figé dans cette entrée trop vaste pour lui, étrangement concerné par cette sensation de vide qu’empestaient les bancs désertés et le silence lourd qui propageait les mots avec d’autant plus de force qu’ils étaient rois en ce domaine mutique.
La bête se sentait inexplicablement à demeure, goutant aux intonations sans prêter la moindre attention aux mots, envahi par le picotement frais de l’air embaumé.

Vous étiez vide Vous aussi avant de me rencontrer.
Où était ce moi ?


Les pas de Von Frayner l’amenèrent à hauteur, le mouvement sommant naturellement le jeune homme à délaisser le morne spectacle pour découvrir son interlocuteur.
Enfant que la mort de son maitre avait précipité dans l’esseulement de la course, Hugo s’était découvert sans identité, livré à un horizon trop immense pour l’apathie maladive qui courait dans ses veines, dépassé par un état de fait contre lequel il ne savait pas lutter, coquille n’attendant que la source pour se remplir enfin. On le pensait rêveur quand il était indifférence, servile quand il était passionné, attendrissant quand il était immature, obéissance quand il était Camarde …
Limier errant, voilà dans le fond, tout ce qu’il était.


Vous ne me laissiez pas entrer aux églises, l’outrage eut été trop grand.
On ne lave pas les Mains Rouges dans le confort d’un bénitier.
Aujourd’hui que Vous n’êtes plus là, je découvre l’Injure…



Tu ne t'es pas signé.

Je ne viens pas voir Dieu, répondit-il enfin d’une voix basse, innocent jusque dans l’offense, s’expliquant pour la première fois depuis le début de son voyage solitaire.

L’attention s’ancra au regard du sacristain, s’émouvant imperceptiblement de la fusion froide des prunelles sombres, de l’austérité maitresse prononcée à chaque traits du visage, quand, Déité magnanime, il avait dispensé à ses fidèles la prospérité de l’abondance à même le parvis.
Dieu de courroux et de paix, l’imagerie séduisit le jeune homme qui délaissa l’impassibilité de son visage lorsqu’un frémissement de l’âme engourdit la pointe de sa langue d’une senteur sylvestre, troublé comme l’est tout dogue devant le chasseur auquel il fait face au hasard du sentier, préparé toute sa vie au cinglant de l’ordre et à la caresse de la récompense, curieux, l’attention ne tenant désormais qu’à quelques mots pour retrouver le fil d’une vie semée aux vents inconstants de l’abandon.

Les nourrissez-vous souvent ?, demanda-t-il les yeux luisant d’une idée fixe dont l’importance avait quelque chose d’enfantin jusque dans la gravité de l’éclat, dualité cohabitant depuis toujours à chaque pas, à chaque mort, l’esprit encore embué de ces miettes de pain célébrées par les ailes duveteuses des volatiles et dont le bruissement duveteux s’était désormais tu dans son dos pour ne laisser qu’au loin, le trille aigu du rouge gorge monter aux cieux.


Judas
Tu n'es pas venu le voir mais tu entres chez lui. Entrerais tu chez moi sans frapper? Sans me saluer? Signe-toi petit.

Petit. Parce que sans connaitre le passé du jeune homme, Judas en faisait table rase pour ne garder que l'essentiel. Sa jeunesse. Insolente, fertile et séduisante. La main s'était posée sur son épaule, à la façon d'une intonation qui ne suffit plus et dont le geste vient transcender la consistance. Petit, parce que son enveloppe d'homme, sa virilité naissante ne suffisait pas à faire de lui un être proprement aboutit. Les pages vierges appelaient encore à tant de correspondances...

    Ho tu es petit face à lui, jeune inconnu. Si petit. Une brindille qui s'agite au vent sans imaginer qu'il ne manquera pas de te briser dès que tu exagèrera la courbure... Dieu nous corrige toujours, jusqu'au bout du voyage. Jusqu'à la dernière lettre.


La réflexion le ramena à sa propre condition de seigneur aisé et reconnu ayant abusé de ses largesses, qui d'un souffle divin avait été de longs jours durant terrassé par le vertige, oscillant sur un filin entre vie et mort et dansant sur un couperet brûlant. Le regret d'avoir battu l'infante et d'avoir exacerbé sa violence en l'étendant sur tous les autres, Dieu l'avait insufflé, contre le gré du Von Frayner, mais avec un désolant et incompressible absolu.


    Allez signe-toi, et ne me dis pas que tu ne sais pas comment l'on fait. Il n'y a rien d'impossible à se laver de ses péchés dans l'eau d'un bénitier. Au contraire, l'ablution est plus sincère, l'abandon plus pérenne. Sortir blanc de ses folies permet d'y replonger avec l'assurance que jamais, jamais une tâche ne subsistera. Dieu est miséricordieux. Savoir lui demander pardon dispense de ne pas savoir le faire auprès d'autrui .


Le seigneur ganté avait su faire bon usage de cette maxime. De tous temps, de souvenir, Judas n'avait pas su exprimer le regret et énoncer le pardon ailleurs qu'ici, reclus dans la confidence d'une prière. Les prunelles corbeau quittèrent le visage bien lisse de son visiteur pour ajuster une fibule en argent retenant deux pans de sa cape, vestige de la déveine d'un Duc Renard à sa clavicule. La question le surprit. Elle si secondaire. Elle si subsidiaire. Il le targua de manichéisme et de naïveté sublimant encore un peu sa jeunesse. L'enfant qui observe sa demeure brûler ne s'obnubile que de la sauvagerie du feu, de l'intense rouge des flammes et la voracité du foyer. L'orange incandescent, le jaune hypnotisant, le nuancier du tableau. La perte n'est pas sa notion première. L'essentiel du tendron est ailleurs. Dans sa passion pour l'inutile. Dans son innocence. Levant le menton vers l'apparition, Courceriers eut un fin et presque inaudible rire de renard duquel ne naquit pas l'ombre d'un sourire.


Je les nourris tous les jours où les fidèles sont moins méritants.


Ainsi, il s'affirmait détenteur d'un jugement divin, sans l'hésitation ni la pudeur qu'un intermédiaire se devait de revêtir.


Bien nourris, ils viendront embaumer un civet.


Il apprenait aussi que bonté d'âme et désintéressement n'étaient pas habitudes Judéennes. Jamais.

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