Andom
[Pau - Castèth - Sommet de la plus haute tour]
Ils arrivent.
Entouré de gardes munis de torches, dont sa fidèle Yvresse, accompagné aussi de quelques conseillers et notamment de son capitaine, le jeune vicomte avait décidé d'assister à l'arrivée des armées royales. Depuis plusieurs heures, déjà, de nombreux sentiments le dominaient tour à tour ; la hâte que tout cela soit définitivement tranché, comme par une immense ordalie qui s'appellerait bataille et qui trancherait le différent qui l'opposait au roi Jean ; le remord de voir tomber bientôt tant de braves gens pour un conflit qui n'aurait pas eu lieu si cela n'avait dépendu que de lui ; l'anxiété que peut-être tout cela n'aurait servi à rien ; l'optimisme sur les résultats de la bataille à venir ; l'espoir qu'elle ne durerait pas trop longtemps, étant donné les premières conséquences du conflit pour les paysans et les artisans de son domaine.
Ils arrivent.
À l'est, la route de Tarbes était probablement foulée par le roi de Paris et ses troupes. Un léger sourire sur le visage blême du vicomte ; il paraîtrait qu'à Tarbes, ils avaient simulé une feinte piété, pour s'attirer les bonnes grâces des Tarbais. Bien qu'aucun chrisme ne soit encore apparu dans le ciel, César était persuadé néanmoins que Dieu et ses saints, jamais, ne pourraient soutenir le bras d'un tel roi, si soumis aux tentations des acolytes du Sans-Nom qui sans cesse persifflaient à ses oreilles. Et ce souverain, si piètre déjà aux yeux du vicomte, s'avançaient désormais vers Pau à la tête d'une cohorte hétéroclite. Parmi ses troupes, paraîtrait-il, se trouverait Armenos. Si celui-ci devait être fait captif, qu'en faire ? Clémence en vertu des nombreux services innombrables rendus aux siens, ou punition exemplaire par sentiment de trahison ? Un choix difficile à faire, encore et toujours, comme d'habitude depuis deux semaines qu'il était vicomte.
À l'ouest, les Dragons de Novi. Les traîtres, les rebelles, les révoltés, les mutins. Qu'espéraient-ils ? Aucune idée. César aurait aimé recevoir de leur part une réponses à ses missives. Qu'ils refusent de participer à une négociation, grand bien leur fasse, mais qu'au moins ils répondent, ne serait-ce qu'un "Va te faire voir, félon !", aurait plu au jeune vicomte. Que le roi de Paris perde ou gagne, n'était-il pas nécessaire de préparer, d'avance, la réconciliation future entre Béarnais ? Comment peut-on être si insouciant et refuser d'avance toute entente, au risque de voir le Béarn se déchirer pendant une longue éternité ? Andom jeta un bref regard à son capitaine, qui lui conseillerait sans doute d'être inflexible les concernant, puis vers Yvresse qui pensait probablement la même chose. Partout, de toutes parts, on le poussait à sévir sévèrement, et pourtant jamais il n'avait abandonné sa volonté première de réconciliations. Enfin, soit ; le sort des armes tranchera.
Ils arrivent.
En cas de défaite, la hache du bourreau de Jean devait probablement déjà être affûtée. Mourir sur une estrade en place publique n'était pas la fin qu'il avait imaginé pour sa dynastie, mais probablement une bien meilleure mort que celle des siens, car attendue et annoncée. Son aïeul, mort en Bretagne, à Rieux, la tête fracassée contre une pierre en tombant de son âne. Son père, assassiné d'un coup de poignard dans son sommeil à Sauveterre, à l'orient du Languedoc, avant de traverser le Rhône pour se rendre en Provence. Parmi ses oncles et cousins, il connaissait aussi le sort de certains : Perturabo, mort dans l'agonie suivant les combats contre Nilas, à La Flèche, en Anjou ; Versatyl, mort de faim et de torture dans les prisons de Provence ; Gaebius, mort brûlé vif en Aragon ; etc, etc, etc. N'y avait-il donc pas un seul des siens, depuis 1450, qui soit mort de paisible façon ?
En cas de victoire, et bien... il éviterait la hache. Il finirait ce qu'il restait à faire. Sa volonté ne faiblirait pas. Mais une fois tout cela fini... comment poursuivre ses espoirs, ses volontés ? Comment renouer avec un destin qui semblait brisé ? Et d'ailleurs, comment penser à sa volonté propre lorsque le sort de tant de gens était en jeu ? Puis, surtout, rien ne l'assurait de pas subir tout de même le sort des siens ; un poignard dans la nuit, un aliment non surveillé, un barbier vendu, et voilà qu'il s'éteindrait. Il serait remplacé facilement, certes, mais tout de même...
Ils arrivent.
Ah, non.
Ils sont là.
" Regardez, capitaine. Des mouvements, à l'ouest. Les Dracones sont là, donc. Je ne vois rien à l'est. Soit.
Allez inspecter les défenses une dernière fois, je vous prie. Je vous rejoins bientôt.
Pour l'heure, qu'on me laisse. Partez. Tous. Je veux être seul un instant. "
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César de Louvelle & Pazzi