Vasco.
Tout avait commencé par le remplacement du maire de Péronne un soir du mois de Mars. Il s'en était suivi une liste impressionnante de procès lancée par la procure artésienne contre les présumés pilleurs de mairie... et ceux qui n'y étaient pour rien. Un réputé avocat, une ex-procureur et sa fille avaient même été inculpés. Tout peu ferrés dans les affaires de justice, le sicilien avait appliqué le principe du bon sens pour répondre à la justice artésienne puisque la comtesse des lieux, croisées en taverne, n'avait pas semblé ouverte à une discussion sur le sujet. Sa méthode? Une lettre! Envoyée directement à la comtesse, au juge et au procureur...et placardée dans les rues de Péronne.
Citation:
A sa Grandeur Zazaroyaume, comtesse d'Artois
A son Honneur Lowan., juge d'Artois
A Maître Himura, procureur d'Artois
de Velasco Visconti, fier chevaucheur de la Méditerranée
Je me permets ce soir de prendre la plume pour porter à votre attention les faits que j'ai pu observer pendant mon court séjour sur vos terres, faits qui me préoccupent au plus haut point. L'avenir de l'Artois me parait bien sombre si des mesures radicales ne sont pas rapidement prises pour pallier aux manques évident qui gangrènent les institutions artésiennes. Ces lacunes sont d'autant plus cruciales dans un comté indépendant comme le vôtre, avec pour voisin, un royaume de France dont vous venez à peine de vous dissocier dans la douleur.
Permettez un instant que j'évoque vos textes de lois. Savez-vous nombre de comtés et duchés ont adopté un simple coutumier? Avez-vous seulement mesuré le mal que votre De Legibus et Consuetudinis Artesiae apporte à l'Artois? Sa complexité le rend difficilement maitrisable et adaptable à un monde en mouvement. Tout le monde a pu le constater, les deux procureurs qui ont été nommés durant la révolte péronnaise ne maitrisaient pas les lois qu'ils sont censés appliquer. Ils ne sont pas capable de les utiliser à bon escient dans un acte d'accusation. Un système juridique basé sur un ensemble de lois écrites complexes ne peut être qu'archaïque. Je le pense mais je ne suis pas le seul. Demandez l'avis d'éminent juristes même si vous ne reconnaissez pas ces institutions. Votre système juridique est empli de failles dans lesquelles des avocats, qu'ils soient expérimentés ou pas, s'engouffrent avec plaisir, montrant tantôt les incohérences de vos lois, tantôt les erreurs de votre procureur. Vos textes de lois desservent même la sécurité de vos terres. Je remets fortement en doute l'applicabilité de certaines lois. Il ne s'agit pas de décréter : c'est ainsi et pas autrement. Encore faut-il que cela soit applicable et utilisable par vos forces de sécurité et votre appareil juridique. Je ne vous citerai qu'un seul exemple : l'interdiction de voyager groupe armé. Comment voulez-vous que des personnes aient connaissance de cette interdiction quand ils arrivent de l'étranger? Et si vous me dites que vous tolérez dans certains cas les lances alors que vous êtes intransigeant dans d'autres cas, vous vous fourvoyez sur le chemin de l'arbitraire, un chemin qui est à l'opposé de celui que devrait prendre toute justice qui se respecte. En agissant ainsi, vous créeriez des précédents qui feraient jurisprudence et que des avocats zélés pourraient utiliser pour disculper leurs clients. Aujourd'hui, l'Artois joue contre l'Artois. Il est facile de mener une justice partiale envers des étrangers. Mais quand on pousse cette porte, on trace la voie à toutes les dérives et bientôt ce sera des artésiens qui se comporteront de manière partiale contre d'autres artésiens, pour des raisons politiques, pour des raisons économiques ou géographiques. En tolérant une justice conduite de manière arbitraire, vous menez l'Artois directement vers un dictature, une terre où la justice n'a plus son mot à dire, une terre où seule la loi du plus fort aura droit de citer. Celui qui gagnera les élections pourra régner en despote absolu, il pourra faire taire l'opposition en l'envoyant devant les tribunaux, en la faisant condamner sans preuve.
Preuves et préjudice. Deux notions essentielles en droit et totalement absent des procès lancés ces derniers jours par la procure artésienne. Pour accuser quelqu'un, le procureur doit avoir enquêté, avoir amassé des preuves suffisantes contre l'accusé. Pour ouvrir un procès, il faut qu'il y ait eu préjudice. Dans de nombreux cas, les preuves sont inexistantes ou non présentées afin que la défense puisse bâtir un argumentaire efficace. Les actes d'accusation sont volontaires floues. Les accusés ne savent pas de quoi on les accuse rééllement. Ainsi, il est bien plus difficile pour eux de se défendre. Enfin, souvent, le préjudice subit par un habitant, par une ville ou par le comté n'est même pas avancé. Pour qu'il y ait plainte, il faut qu'il y ait un préjudice, n'est-ce pas? Pour qu'il y ait procès, il faut qu'il y ait une plainte? Dites-moi donc comment la présence d'une orpheline de neuf ans dans un groupe armé peut être préjudiciable à l'Artois? Car voyez-vous, ces derniers jours, l'Artois a paniqué. Sa justice s'est emballéd, accusant tout et n'importe qui de n'importe quoi. Regardez donc la liste des procès en cours. Regardez donc la qualité des actes d'accusation. Tout ceci n'a aucun sens. On accuse des enfants, on accuse des procureurs, des juges, des avocats. On accuse et sans doute on ne sait même pas qui on accuse réellement. L'Artois se commet dans une parodie de justice au lieu de chercher les véritables responsables de la perte de Péronne.
Je continuerai par le côté liberticide de vos textes de lois. Regardez donc la quantité de lois tant comtales que municipales. Des interdictions, des interdictions et encore des interdictions? Artois, terre de liberté? Vraiment? Pouvez-vous me dire à quoi sert d'imposer une grille de salaire comme à Calais? Sans compter que je ne comprends même pas ce que vous entendez par "caractérisque" et pourtant je ne m'estime pas plus stupide que n'importe quel quidam. Comprenez donc que vos lois ne vous protègent pas du tout contre les brigands et autre pilleurs. Elles sont totalement inutiles puisque ces personnes ne respectent que peu de lois. Par contre, elles briment et indisposent les gens honnêtes. N'importe qui faisant une erreur est passible de justice, de règlements de compte. Est-ce là l'image que vous voulez donner de l'Artois au reste du monde? L'Artois qui défie son grand voisin le Royaume de France mais qui n'est pas capable d'instaurer sur ses terres une justice équitable pour tous?
Permettez ensuite que j'évoque les compétences des personnes qui acceptent des responsabilités juridiques. Il est évident que les deux procureurs que vous avez nommés ne maitrisent ni la fonction qu'ils ont accepté, ni les lois du comté. Je les comprends parfaitement et je compatis pour eux: Lois, complexe, floues, basées sur des définitions fausses, comme par exemple celle de la trahison. Estimez-vous normal qu'un procureur ne sache même pas ce que le mot trahison veut dire? « Trahison . Action de trahir son pays, sa patrie, une cause. Manquement à la parole donnée, à un engagement, à un devoir de solidarité. Atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, commise par un citoyen de cette nation ou un militaire au service de celle-ci. Cette atteinte constitue le fait d'espionnage si l'auteur est étranger. » Regardez les actes d'accusation pour trahison et dites-moi en quoi les faits reprochés qu'il nous faut deviner derrière les actes d'accusation sont de la trahison?
La justice n'a jamais aidé à protéger des terres contre les pilleurs et les brigands. Ce rôle là est dévolu à la maréchaussée et à l'armée. Votre justice est chancelante. Pour s'en convaincre, il suffit de regarder la liste des procès en cours et l'on comprend rapidement qu'il y a un problème. Quand on assiste aux procès, on mesure l'ampleur du travail qui vous attend. Je suis déçu de voir que suite à une discussion avec vous comtesse, vous refusez de voir la réalité des choses. En rédigeant cette lettre, je ne cherche rien de plus pour moi ou ceux qui m'accompagnent. Je suis déçu de voir comment votre comté est gérée et si je pouvais participer à un sursaut salvateur pour l'Artois, alors cela serait déjà ça. Je crains malheureusement qu'aujourd'hui les autorités comtales ne savent pas ce que le mot gouvernance veut dire, qu'ils n'ont pas conscience des lacunes importantes qui minent les institutions artésiennes et qui mettent son avenir en danger. je regrette que vous soyez dans un esprit de confrontation aveugle alors que ma démarche est constructive. J'espère que vous arriverez, une fois la situation revenue au calme, à analyser sereinement les faits que je viens d'évoquer.
Respectueusement,
Fait à Péronne, le 11 Mars 1462
A son grand étonnement, il avait reçu une réponse.
Citation:
- A messire Velasco Visconti, fier chevaucheur de la Méditerrannée,
De Camille de Kermorial, juriste d'Artois,
Salutations,
On vient de porter à ma connaissance la copie d'une lettre que vous avez adressée à notre Comtesse il y a de cela quelques jours. J'ai lu cette missive. Je dois avouer avoir été interpellé par votre volonté sous-jacente d'aider mon pays. C'est pourquoi j'estime nécessaire de vous adresser cette lettre.
Je suis en partie d'accord avec vos différents constats relativement à notre situation actuelle.
En ce qui concerne le de Legibus et Consuetudinis Artesiae, un travail a été commencé en vue d'alléger ce texte et de le rendre plus simplement abordable. Comme vous le dites, et d'autres juristes que moi abonderont dans votre sens : ce texte est exécrable, mal rédigé et pollué d'ajouts et de tournures superflues ou sales qui font qu'il ne peut être pris au sérieux. Ce qui le rend difficilement assimilable et compréhensible par des magistrats novices qui sans doute prennent leurs charges à la légère, ce qui serait un autre problème.
Je m'interroge sur la manière de limiter les dégâts. Mais une refonte totale du dLCA ne me semble point être un mauvais début.
Concernant les interdictions, j'ai déjà été confronté à l'exaspération d'honnêtes voyageurs et l'image que renvoie mon pays me pose un sérieux problème. J'ai l'idée de relever toutes les interdictions stupides qui sont établies et d'en discuter les fondements. Mais le manque d'écoute auquel vous avez été confronté vous-même lors de votre discussion avec la Comtesse ne facilite point ce travail puisque d'autres individus arborent cette attitude défensive.
Dans le cas où vous penseriez à des solutions salutaires qui ont déjà fait leurs preuves ailleurs, ayez l'obligeance de m'en faire part et je les étudierai. Car c'est se fourvoyer que de penser que l'Artois n'a pas besoin d'aide et se voiler la face que de dire que notre posture est enviable.
Cordialement,
Camille
Faict à Bertincourt, le 15 de mars 1462.
La lettre avait capté l'attention du Visconti comme l'appelait Agnesina. Telle lettre ne pouvait rester sans réponse même s'il ne vivait pas en Artois.
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