[Le jour où tout homme réalise qu'il vieillit]
Bordel! Voila certainement le mot que prononce Ysa le plus dans la journée.
Bordel! Voila qu'aujourd'hui, il était particulièrement approprié.
La petite Cassandre, la fille de Lucie, la plus grande de la fratrie, même de la sienne à lui, cette petite gamine qu'il a élevé une longue partie de sa vie, qu'il revoit encore jouer près de la forge, ou courser les poules dans la cour...cette gamine là, se baptise dans peu de temps. Peu de temps, c'est à dire le temps de faire descendre son vieux cul de la montagne dans laquelle il hiberne hiver comme été, et de débouler dans l'église appropriée.
Il jette un coup d’œil à sa femme. Toujours blonde, toujours grosse, prête une nouvelle fois à pondre le dernier né de la lignée...ou la dernière, allez savoir. Il allait falloir partir à un moment ou un autre sous peine, vu la lenteur avec laquelle ils risquent de se déplacer, d'arriver le jour du mariage de Cassandre et non le jour du baptême... ce serait fâcheux. Fallait bien que ce jour arrive. Le baptême, c'est quelque part l'acte d'entrée dans la vie adulte. C'est parfois la première cérémonie qu'on organise pour soit, après la pastorale, ou on invite les gens qu'on apprécie, voire qu'on aime. Oui, le baptême, c'est un rite aristotélicien marquant le passage à l'age de raison.
[les jours ou ysa se rend compte qu'il se fait vieux]
Descendre la montagne, dans un attelage composé de deux chevaux d'excellente constitution, du montagnard, trapu, l'encolure puissante et le crin à ce point rêche qu'on dirait de la paille planté directement dans le cuir de la bête, c'est quand même un sport. Mais que voulez vous, difficile de faire monter sa blonde enceinte jusqu'au yeux. C'est dangereux pour la mère et le petit, une mauvaise chute est vite arrivé, et c'est aussi dangereux pour le canasson obligé de supporter le poids.
Par contre, descendre la montagne par attelage, c'est un coup à crever le type qui se trouve en compagnie de tout ce petit monde, en l’occurrence, Ysa. D'accord, depuis qu'il est dans cette sorte de retraite programmée, il profite du temps, de lire, de regarder grandir ses enfants, et grossir sa femme ce qu'il apprécie par dessus tout...mais y'a quand même des limites ou l’endurance psychologique d'un homme bascule dans le vide...Lever les yeux toutes les deux minutes pour se rendre compte que le soleil lui même arrive a se faire a ce point chier qu'il donne l’impression de revenir sur sa course naturelle...le temps lui même est suspendue...ou plutôt, le temps lui même s'est pendu au bout d'une corde, sur une des aiguilles de la grande horloge céleste dont il à la charge...
Il à l'impression que tout se ressemble, particulièrement arrivé dans les vallées, une fois les hauts sommets et les grands plateaux laissés derrière eux. Sa femme, inflexible, reste tranquille et avec le sourire. Léger évidemment ce sourire, Sun ne sourit jamais à pleine dents. Mais l'état de grossesse dans lequel elle semble irrémédiablement enfoncé la rend particulièrement heureuse. En tous temps et en toutes occasions, elle a le bonheur facile dans ces moments là. Et c'est donc une blonde qui contraste avec le brun que traînent les deux bourrins qui, même eux, semblent avoir du mal a tenir une allure aussi peu vive. Par moment, Ysa note dans les yeux des chevaux une pointe d’anxiété. Certainement que les animaux angoissent de devoir traîner la patte a ce point. M'enfin bon...même si c'est pas facile à voir, ça avance. Doucement, mais surement.
[Le jour ou certains prennent 10 ans dans la gueule en quelques secondes]
En fait, c'est seulement arrivé devant la petite église ou le baptême à lieu que Ysa compris pourquoi le temps avait été finalement clément avec lui. en fait, le temps a essayé de temporiser. Il a essayer de lui faire gagner quelques jours avant de lui mettre plusieurs années dans la vue. Parce que c'est sur le parvis de cette petite église de campagne, bucolique à souhait, qu'il réalise vraiment que ça y'est. La petite va passer à l'age adulte.
Sun à son bras, dans une robe gris perle magnifique à taille haute, coincée entre le ventre parfaitement arrondi et la poitrine non moins très ronde, il entre dans l'église, cherchant du regard la grande. Un dernier coup d’œil à sa femme...l'air de rien, c'est une première pour lui...le baptême d'une personne qu'il considère comme sa fille...fallait qu'il se prépare a encaisser le choc, parce qu'il y en avait une tripotée à suivre...
