Arsene
- « En mélangeant un garçon rouge d'excitation avec une fille bleue de peur, vous obtenez du violé » Régis Hauser.
Languedoc Mars 1459
Les maigres jambes avalent avec hâte le chemin. Ses bottes résonant avec force sur les pavés suintants d'humidité. La respiration est saccadée, le torse féminin se soulève avec rapidité en de grandes et douloureuses inspirations. L'air filtrant jusqu'à ses poumons se fait aigre. Le souffle de vie se fait poison. Les traits du minois aux éphélides se contractent fermement, la douleur et la peur s'installant comme sensations régnantes. En fières conquérantes, elles grimpent sur le trône et prennent le contrôle de la trogne juvénile.
Un aboiement de chien furieux se fait entendre. Déchirant de son grondement, le voile rassurant et ouaté de la nuit. Perçant de son hurlement la bulle de tranquillité que le crépuscule impose. Un molosse talonne la jeune fille, parcourant à grandes foulées la distance les séparant. La bave à la gueule et les yeux brillants d'une haine non-maîtrisée, la bête fonce et charge.
L'esprit perverti par une peur grandissante et ambiante reste focalisé sur la fuite. Vaine et misérable tentative. Les jeux sont déjà faits et Corleone n'a pas la main victorieuse. Le petit corps s'affale sous l'impulsion et sans un bruit contre la chaussée crasseuse. Le crâne à la chevelure fournie et rousse heurte violemment le sol. Étourdissant les pensées et paralysant temporairement sa carcasse. Le carcan de chair se fait prison et cercueil. Une première morsure superficielle vient entamer la peau vierge de trace. Le souffle de la roussette se raréfie tandis que l'âme se débat contre l'enveloppe corporelle. Les paupières papillonnent, les mirettes se font lourdes et les idées s'engourdissent.
Une deuxième morsure s'abat sur la hanche droite et jeune. Les crocs percent et déforment la chair pourtant arrondie de la jeune fille. Serait-ce déjà la fin ? Déjà ? Égoïstement, elle ne s'est pas imaginé un final aussi minable.
L'angoisse et la douleur s'insinuent, traversant l'épiderme pour remonter en sueurs froides le long de sa colonne vertébrale. Les larmes traîtresses brûlent ses iris vertes et s'échappent en bouillonnement douloureux traçant des sillons sur ses joues bordées de tâches de rousseur. Faiblement et les chairs sur le point de pâmer, elle cherche à repousser le chien. Bourreau de ses peurs et angoisses futures.
Un sifflement s'élève dans la ruelle sordide. L'esprit cotonneux émet quelques soubresauts de conscience et les sinoples discernent difficilement la silhouette de son sauveur. Ce n'est qu'une fois son visage à quelques centimètres du sien et ses mains sur ses formes naissantes qu'elle visualise. Cet homme. Celui que sa verve agaçante et vulgaire avait aguiché. Celui qui avait louché plus que nécessaire sur son apparence en évolution et qui se promettait gironde. Celui qui la voulait tout entière.
Les mains masculines s'acharnent à défaire et à retirer les tissus gênants. La dernière barrière s'écroule, dévoilant le corps laiteux et blessé. L'air environnant arrache un frisson à cette peau mise à nue. Et son nouveau tortionnaire s'enhardit, encouragé par une réaction physique plus que psychique. Il soulève la carcasse sur le point de s'évanouir et la cale brutalement contre un pan de mur frais. L'esprit terrassé réagit enfin à son contact et le corps s'agite finalement. Manifestant à grands cris et coups son désaccord. Une main, impérieuse s'accroche à son menton, maintenant fermement ses lèvres charnues scellées tandis que sa jumelle agrippe vigoureusement une cuisse d'albâtre. Imprimant la jointure de ses doigts et les marques de ses ongles sur la peau si douce et juvénile.
« Tu sera à jamais à moi. »
L'enfant fut faite femme dans la douleur et dans ce coin de ruelle. En découlera une profonde aversion pour la plupart des contacts physiques prolongés et pour les situations qu'elle ne contrôle pas. La brindille se sentant faible et frêle dès que le fil conducteur lui échappe des mains.
Sitôt la tâche accomplie, il délaisse la poupée de chiffon à même le sol. Marionnette épuisée et à peine consciente s'effondre contre les pavés, face contre terre. Elle appuie sur sa hanche meurtrie, cherchant à contenir le flux diffus de sang. Les yeux s'humidifient une nouvelle fois, le cur, au bord des lèvres, manque de sortir de sa gaine d'os dans un sanglot aussi douloureux que bruyant. Souillée, investie, viciée et spectatrice inutile.
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