Tout en écoutant la jeune fille, Linon circulait dans la pièce, faisait chauffer de l'eau et sortait des tasses. Elle prépara deux tisanes qu'elle déposa sur le bureau qu'elle s'était attribué et indiqua une chaise à la jeune fille, alors qu'elle s'asseyait en face d'elle.
Hum... je vois.. vous semblez fort fatiguée damoiselle. Buvez donc un peu, ça vous remontera et...
Linon se pencha sur le côté, cherchant quelque chose dans le panier posé près du bureau et déposa entre les deux femmes une bouteille.
... goûtez cela, c'est encore plus revigorant. C'est de la Slivovica, spécialité de Raguse d'où était originaire mon défunt époux. C'est à base de prune je crois... Il m'en reste des caisses, n'hésitez pas.
Et pour montrer l'exemple, Linon versa une larme de Slivo dans sa tasse fumante avant d'y goûter. Un sourire étira ses lèvres
Eh bien voilà... ! L'eau chaude n'est acceptable qu'ainsi à mon sens. Essayez donc, damoiselle.
Elle s'octroya encore une gorgée avant de reposer la tasse et de croiser les doigts sur le bureau.
Donc, vous avez été diffamée publiquement, si je comprends bien, et vous souhaitez porter plainte. L'atteinte à l'honneur est une chose fort désagréable et finalement de perception très personnelle. Voyons, que dit le codex sur ce sujet...
L'avocate se pencha à nouveau et remonta sur le bureau le lourd codex qu'elle devait soulever à deux mains. Elle entreprit de le feuilleter, avança de quelques pages puis revint en arrière, pour finalement s'arrêter sur une page.
Ah, voilà ! Chapitre IV du livre IV...
Citation:Article 4.4.6. : Diffamation - Toute personne qui, s'adressant à un tiers, a accusé une personne ou jeté sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l'honneur, ou de tout autre fait propre à porter atteinte à sa considération, celui qui a propagé une telle accusation ou un tel soupçon est passible de l'amende.
Article 4.4.7. : La personne inculpée n'encoure aucune peine si elle prouve que les allégations qu'elle a articulées ou proposées sont conformes à la vérité ou qu'il avait des raisons sérieuses de les tenir de bonne foi pour vraies.
Article 4.4.8. : Si l'auteur reconnaît la fausseté de ses allégations et se rétracte, le juge peut atténuer la peine ou exempter le délinquant de toute peine.
Alors, si vous portiez plainte et que le procureur acceptait de poursuivre, la personne qui vous a diffamée pourrait être inculpée et probablement condamnée, si l'article 4.4.7 ne pouvait vous être opposé, et s'il ne se rétractait pas devant le juge, puisque l'article suivant prévoit que celui-ci pourrait l'exempter de peine ou au moins la diminuer.
Cependant, vous me dites qu'il s'est trompé de personne, donc s'il arrive à le démontrer ou à en convaincre le juge, ce qui est envisageable s'il était de bonne foi, il est probable que le juge applique ce dernier article.
Ce genre de jugement vous donnerait-il satisfaction? Imaginez la chose... une peine symbolique, ou pas de peine du tout, annoncée au fond d'un tribunal bondé. Seuls vos proches probablement iraient entendre le verdict, et eux savent certainement déjà que les allégations sont fausses. Je suppose que ce n'est pas vis-à-vis d'eux que vous vous sentez outragée, n'est-ce pas? Vous me parlez d'inéligibilité, j'en conclue que vous envisagez de vous présenter aux comtales, ou que c'est peut-être déjà le cas? Je crois qu'il y a des élections en ce moment. Excusez-moi, je suis là depuis peu et ne me suis pas encore intéressée à la politique locale...
Donc dans votre cas, vous souhaitez que les languedociens sachent que ces allégations sont fausses, et pas seulement les étrangers qui peuplent le tribunal. Il faudrait alors que le procés se déroule en place publique.
Linon poussa un petit soupir et vida le fond de sa tasse
Je ne connais pas le juge actuel, enfin je l'ai vu au tribunal, mais je ne sais pas quel homme il est. Accepte-t-il facilement les procés publics? Et il faudrait que l'inculpé soit d'accord également, on ne peut forcer personne à venir en place publique... Et si vous faites partie de la classe politique, il y aura certainement des gens pour vous reprocher de faire beaucoup de bruit pour bien peu, voire même pour suggérer que vous faites cela par désir de publicité personnelle.. Et on peut même imaginer sans difficulté que certains affirmeront que c'est un procés politique, si jamais le diffamant est l'un de vos adversaires. C'est le cas, j'imagine?
L'avocate secoua lentement la tête de droite à gauche.
Croyez-moi dame, cela pourrait vous faire peut-être autant de tort que de bien... Et que vous soyez dans votre bon droit n'empêchera rien. Comme je vous l'ai dit au début, l'atteinte à l'honneur relève de la perception personnelle, et là où vous vous êtes sentie blessée, ce que je comprends fort bien, d'autres trouveront que ce n'est pas grand chose et ne se gêneront pas pour le dire. Mais encore une fois, je ne suis pas d'ici, et vous êtes plus à même d'imaginer quelles seraient les réactions des languedociens.
Non, je ne pense pas que la justice soit la meilleure solution dans votre cas... Bien que je sois avocate, ou peut-être parce que je le suis, je ne crois pas que la loi puisse tout solutionner. Je vois finalement rarement sortir d'un tribunal des plaignants réellement satisfaits des résultats de leur plainte.
Vous lui avez demandé des excuses publiques, je crois que c'était là la bonne piste. Malheureusement il a refusé. Pourquoi? Soit il est persuadé que vous avez un casier, ce qui est absurde puisque ceux-ci sont publiques. Soit... eh bien il s'est senti poussé dans ses retranchements et n'a pas voulu perdre la face en pleine campagne électorale. Vous savez comment sont les hommes? Petit sourire en coin. Probablement avez-vous fait cette demande un peu trop frontalement, les hommes ont souvent horreur de ça, surtout pris en faute par une jeune fille... Il vaut mieux toujours leur laisser une sortie honorable. Attendez ! Je crois même avoir vu quelque chose là-dessus dans le codex...
Linon se remit à feuilleter les pages vivement, à la recherche de cette ligne qui l'avait surprise.
Voilà... Livre IV, chapitre III
Citation:Article 4.3.7. : Excuses publiques - Le juge peut contraindre laccusé(e) à présenter ses excuses à la victime publiquement. Le juge doit déterminer les conditions de cette punition.
Le juge peut contraindre laccusé(e) à inclure dans sa signature ses excuses envers la victime pour une durée maximale de 10 jours.
Ces excuses doivent rester sobres et ne doivent pas porter atteinte à lhonneur du condamné.
Elle tourna le codex vers Majda_Eulalie et souligna la dernière ligne du doigt
Voyez-vous, le législateur a prévu de rendre la reddition de l'accusé le moins difficile possible pour son amour-propre. A mon avis, le législateur est un homme... Elle fit un clin d'oeil complice à la jeune fille en souriant. Si le législateur de ce lourd codex a pris en compte une si minime chose que l'amour-propre de l'accusé au milieu de si grandes choses, le moins que l'on puisse faire, c'est de s'en inspirer... Et le fait que ce soit prévu justement dans le cas d'excuses publiques ne fait que renforcer mon sentiment.
Donc, vous voulez des excuses publiques, mais avez-vous besoin que cette personne vienne physiquement vous les faire? On imagine sans peine comme ce pourrait être difficile pour quelqu'un d'un peu fier. Elle se retint d'ajouter « surtout un homme ». En revanche... une lettre... que diriez-vous d'une lettre publique?
Linon repoussa le lourd codex sur le côté et se pencha vers Majda_eulalie
Vous pourriez écrire à cette personne, lui rappeler à quel point vous avez été offensée par ses paroles et lui demander une lettre d'excuses dont il autoriserait la publication...
Ou mieux, je pourrais envoyer cette lettre en votre nom, nous la rédigerions ensemble bien sûr, mais le fait qu'elle vienne de moi lui permettra s'être moins... disons.. réticent, puisque je suis complètement extérieure à votre querelle et même pas d'ici. L'intervention d'un tiers peut parfois dans les situations tendues permettre à la raison de reprendre ses droits sur l'amour-propre... Qu'en pensez-vous?
Linon se renversa dans son siège, fort satisfaite d'elle-même
Et si jamais il refuse, ce qui serait fort bête de sa part car c'est là une sortie tout à fait honorable, il reste encore une solution, celle avec laquelle se règlent les affaires d'honneur d'ailleurs, un bon duel !
Elle se pencha à nouveau vivement vers la jeune fille
Mais n'allez pas vous battre hein? Vous trouverez bien un champion pour défendre votre honneur ! Je peux même faire l'arbitre, je le fais de temps en temps.. je tatoue aussi, mais... ça n'a rien à voir.
Enfin, s'il refuse aussi le duel, il ne restera plus que la solution du tribunal. Mais croyez-moi, c'est la moins bonne.
Alors qu'en pensez-vous? Je parle beaucoup n'est-ce pas?
Et afin de laisser à la jeune fille le temps de se remettre de ce long laïus, Linon se servit à nouveau une bonne rasade de Slivo dans sa tasse, mais sans la gâcher avec de l'eau chaude cette fois. Puis la désigna à la jeune fille
N'hésitez pas hein..._________________