Axelle
La boue était froide, gluante, ensanglantée. Les cris des soldats senchevêtraient aux hennissements des chevaux apeurés. Mais ce nétait plus la lame de lépée trop rapide dun visage fondu dans lombre qui la transperçait, mais le pieu roide dun homme puant, sacharnant à la pilonner, encore et encore, son souffle lubrique, haletant de plaisir, dispersant son haleine fétide sur son visage impassible. Si dans cette ruelle parisienne, lhomme gisait, mort des mains dEtienne, dans les méandres de son inconscience, Axelle vivait son calvaire à linfini. Une voix pourtant se faisait douce, planant au dessus du chaos du champ de bataille dijonnais.
« Cest fini fini. Il nest plus »
Elle ne comprenait pas. Rien nétait fini, et pire que tout, cétait Etienne qui nétait plus, gisant à quelques pas, dans la boue, terrassé lui aussi de navoir pas vu la lame à temps. Du moins dans son délire le croyait-elle quand cétaient bel et bien ses bras qui la sauvaient du froid pavé parisien où son corps de chiffon avait fini par seffondrer, épargné in extremis du foutre de son tourmenteur.
« Reste avec moi »
Et elle resta, encore et encore, pour ne pas abandonner le corps dEtienne. Pour quil ne senfonce pas dans la boue. Elle resta, jusquà ce quune chaleur diffuse, douce et protectrice ne lenlace. Alors elle quitta la boue pour se perdre dans le sommeil salvateur noir et vide.
[Appartement des Ligny]
Les lueurs matinales se faufilaient entre les volets de la chambre propre et délicate, esquissant doucement le contour des meubles et des chandelles mortes davoir trop brulées. Sur le lit un Griffé, une Esquintée blottie dans ses bras. Le tableau aurait pu sembler serein si ce nétait la violence qui les avait menés là, presque encore inconnus lun pour lautre la veille même, et ce malgré les baisers enfiévrés et lenvie qui avait suinté leur rencontre bien des semaines auparavant. La respiration régulière, Axelle semblait frêle comme jamais dans une chemise ample, ses boucles noires soigneusement ordonnées sur les draps blancs. Etienne veillait sur elle comme sur une enfant malade, les paupières closes sur ce regard vairon, preuve flagrante de sa dualité dont à cet instant il offrait lune des faces avec une force aussi touchante que poignante.
Mais sous les paupières de la brune, les prunelles sagitaient déjà, tournaient et virevoltaient dans leur cocon fin. Confusément, la gitane refusait de se réveiller pour échapper au souvenir. Elle refusait de sentir autre chose sur sa peau que la propreté des tissus, que la délectable chaleur à son flanc. Elle ne voulait respirer que ce doux parfum dordre, de calme et de chaleur, et surtout, la sienne, à lui, toute proche. Elle ne voulait quentendre le rythme de sa respiration à son oreille. Et pourtant
« Arrête De bouger Putain ! »
La puanteur de la souillure fracassa ses narines et la gitane se cambra avec fureur, inspirant une large goulée dair, comme un noyé refaisant surface, mais lair de sa mémoire était corrompu.
Etienne ! Sa voix était brisée et ses yeux grands ouverts roulaient alarmés dans la pièce sans pourtant ne pouvoir saccrocher au moindre objet tant pour elle la lueur trop faible restait dun noir insondable. Etienne ! Son souffle saffola, soulevant sa poitrine avec frénésie. Cest fini ! Il nest plus ! Non ! Apportez des torches ! Je dois rester, il faut le retrouver. Leffroi trop fort vrilla son crane de douleur et prenant appui sur son coude se redressa alors que sa dextre vint effleurer sa tempe. Jai mal
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* Traduction du romani: Je te dis voici la route, voilà les épines ; toi, marche comme tu sais.