Alphonse_tabouret
En poussant la porte de la chambre louée par la gitane, il avait cru que la soirée sétiolerait dans les habitudes que les amants avaient prises lors de leurs retrouvailles, décomposant le temps autour dun verre, attardant une caresse, jouant des contrastes pour attiser le feu, froissant les draps ou vibrant au hasard dun meuble à portée de leurs lubies pour finir par sendormir repus, au hasard de lune de ces soirées où lon partageait tout, même les heures de la nuit, mais le rituel sétait brisé, une poignée de jours auparavant, enfermant le chat dans une cave parisienne et abandonnant Axelle à lincertitude du présent, distordant le sens des choses jusquà les assécher du superflu pour ne garder que le vital.
De cette cave humide, Alphonse avait ramené quelques os brisés dont les stigmates les plus visibles perduraient dans la senestre étroitement bandée quil arborait, une torpeur malsaine nichée au creux de lâme, louvoyant tantôt dans le fracas des souvenirs, tantôt dans la maturation de quelque chose de pire, soumis à des visions nocturnes cauchemardesques le réveillant, asphyxié, malade impossible à border de nouveau et amenuisant les frontières déjà bancales de ses noirceurs dans des insomnies qui couraient jusquau matin. Le retour à lAphrodite avait été troublé par son corps, flottant au grès des sensations dénervées qui le transperçaient, envoyant lanimal aux confins dune somnolence douloureuse, regardant dans la voiture les ramenant, Paris défiler, flanquant sa vision fatiguée de maisons sordides , de passants inconscients, dun tumulte auquel il navait pas pris part depuis ce qui lui avait semblé une vie entière et qui lassourdissait. Un battement de cil lavait propulsé devant la porte de la maison basse ouverte à la volée, soutenu par Étienne, moribond quand il se tenait pourtant droit une heure plus tôt, trahi par le soulagement de lesprit jusquà corrompre le corps en lengourdissant, posant un regard vitreux sur lagitation du lieu, voyant sans reconnaitre les visages familiers qui inondaient la pièce.
La vue du matériel de lherboriste avait déclenché une crise aussi violente que brève, ravivant en un flash hallucinogène les sévices entretenus au corps et à lesprit, propulsant le comptable à une mémoire encore vive, pulsant à sa chair, égratigné dhumiliations, de colère et de désespoir, le fauve feulant jusquau fracas dune étagère entière avant quon ne le calme. Il navait rouvert les yeux quà quinze heures le lendemain, le corps ruminant de douleurs au contact moelleux de son sommier mais embourbé dans linextinguible bien être que lui procurait lodeur drapée dEtienne, conscient enfin que cette danse quil avait cru funéraire se soldait par une renaissance, entrainant ses tempes dans une succession de visages dont la fulgurance lavait redressé dans une grimace en soutenant un flanc quil découvrit largement bandé.
Il navait pas fallu grand-chose pour soudoyer Hubert et lui faire aller chercher Axelle, condamné à la chambre, y égrenant les secondes au fil dune insupportable lenteur quand son corps, à bout, sétait enflé dune exaspération ombrageuse, frustré trop longtemps, mort trop tôt, et ce furent les pas de la danseuse dans lescalier qui le tirèrent du déroulement opaque de ses pensées. A lenchainement de sensations qui avaient écorché lair de leurs fragrances, il était incapable de mettre un ordre, mélangeant linstant où son nez sétait enfoui dans la chevelure parfumée de la gitane à celui où leurs lèvres sétaient jointes, le regard où se mêlaient les tempêtes de mots enchevêtrés au gazouillement aérien dAntoine, la sensation de sa main à sa nuque à celle de son poids tout entier tenu dans lécrin de ses bras Il ne subsistait quune langue de brume enroulant de douceur quelques-uns des maux quils avaient eu le plus de mal à accepter de quitter.
La convalescence avait suivi, et si une simple semaine sétait écoulée depuis quil avait retrouvé lAphrodite, cétait une vie entière quil avait déroulé entre la Cour des miracles et la chambre où on lavait forcé au repos, triant, méthodique ce dont il avait su ses séparer dans la folie blême de Leozan de ce qui lavait fait chanceler jusquau bout, se découvrant en paix, mais gangrené.
En quittant le cimetière, ils les avaient entrainés dans un retour gai, qui, sans être falsifié, portait en lui langoisse de cette délivrance neuve, le déséquilibre presque naturel à ne plus être pendulé par son médaillon, fardeau damour dont il avait abandonné les souvenirs au soleil couchant davril et avait refermé lalcôve de leur monde sur eux, famille disloquée par les événements que lentêtement de quelques-uns et les aveux dun autre réunissaient enfin. Le vin avait été ouvert, les caresses attardées dans la fébrilité de retrouvailles qui leur appartenaient, mais si les draps sétaient froissés, ils sétaient également figés quelques instants après que la flamme vacillante des bougies soit soufflées, suspendu par les pépiements tremblotant dAntoine émergeant bruyamment dans le silence lascif entretenu par ses parents.
Relevant la tête en suivant le fil de la cuisse gitane, Alphonse attarda un silence intrigué en posant son regard sur la porte entrouverte de la pièce attenante, chat immobile, dont la curiosité se voilait dune inquiétude tout égoïste quand ses mains, félines, avait gagné pour lune, emaillotée, la hanche maitresse, pour lautre, la courbe tendre du ventre offert à son appétit. Les secondes senvolèrent au souffle doucement haché dAxelle, étendant un calme nouveau dans la chambre, étirant un sourire carnassier aux lèvres brunes qui retrouvèrent le tracé interrompu de ses dents pour y replonger, savourant la délicatesse de la peau dorée, distillant limpatience en retardant les lèvres pour attarder la pulpe légère de ses doigts, flirtant, immoraux avec la soie brune à portée de leurs lubies. Longeant la chair veloutée, il tarda, insolent à venir pour y plonger plus amplement, sa langue sattardant avec une odieuse lancinance à venir cueillir le bouton de ses attentions, empoignant plus fermement les hanches brunes en sentant son ventre se tordre dune ambition vertigineuse, éveillant lanimal dune brulure épicée, et lacérant ses tempes des soirées perdues à tout jamais au séjour froid de sa captivité. Il aventura audacieux, la sauvagerie à ses manières, ne la laissant respirer que pour mieux la dévorer, joignant au ballet de sa langue celui de ses doigts, abimant à sa bouche les nerfs de sa compagne jusquà les sentir se tordre, se relevant doucement, pour porter un regard sur son corps étendu, étrangement pale dans lobscurité nerveuse du lit, courbes graciles dont la finesse avait des reflets improbables de porcelaine, crinière défaite essaimant ses boucles dans limmensité blanche du lit, serpentins qui semblaient danser autour de son visage . Aux prunelles noires il suspendit les siennes, palpitant dun univers en cage, et remontant le long du corps délié, imposa la raideur de son envie à son ventre brulant, suggérant un va et vient espiègle ne visant quà pousser la supplique de la communion à cette bouche parfaite dont larrondi moelleux narguait des envies autres auxquelles il sépancherait plus tard, le brasier de ses tempes emporté déjà à lidée de sapproprier ce corps dans le délit dune de leurs danses.
Amants maudits, animaux malmenés, ou tout simplement parents comme tant dautres avant eux, ce fut à cet instant ci que la progéniture tant couvée choisit déventrer la nuit de Paris dun hurlement hoquetant.
(* Locution latine : Brusquement, sans préambule)
_________________