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[RP] Il était une fois vers la Castille — Étape Montauban

Agathedr
Dans la tête de la petite, un seul appétit, très éloigné de celui de ses aînés : les chouquettes ! Alors, fatalement, un temps certain va être nécessaire à sa caboche pour réaliser qu'elle est très loin du but visé...

Agathe continue sa montée, rendue silencieuse à la faveur de son poids léger, jusqu' à avoir dans son champ de vision le visage d'Aimbaud, éclairée d'une lueur vacillante de plus en plus faiblarde. L' échange lui parvient faiblement, les traits de celle qui répond au Marquis lui demeurant invisible. Elle ne comprend pas tout, l'indiscrète, cependant, un sentiment de malaise s'insinue doucement en elle... Ce n'est qu'au moment où la bougie en manque de cire s'éteint qu'une lueur de clarté s'illumine en elle : il y a méprise ! Il semblerait que le marquis ne pourchasse pas le même trésor qu'elle !

Un long combat intérieur commence : tout ceci ne la regarde pas...oui, mais...mais est-ce vraiment Katina qui loge dans la chambrée au plus près des étoiles ? Nan parce que...elle a bien remarqué, elle, la môme, cette manière particulière qu'a la Fée du glaviot chic de ne pas contrarier le Marquis, alors que d'habitude, elle manie le verbe cinglant comme personne... Oui, les enfants sentent ce genre de chose... Nan parce que...ça voudrait dire que Katina lui a menti...C'est bien elle qui lui expliqué que l'amour c'est moche, que le mariage c'est pour les samochistes ( Ou un mot dans le genre, de toute façon, Agathe ne sait pas ce qu'il peut bien signifier !). M'enfin, elle avait plutôt l'air réfractaire à ce genre de sentiment... Mais là...C'est bien de ça qu'il s'agit, non ? Si on s'énamoure, c'est bien des sentiments, non ?.... Oui, mais...si ce n'est pas Katina... Pis, quand même, il fait rudement noir maintenant...

Ce fut donc dans un ultime sursaut d'une éducation enfouie à laquelle s'ajouta la tristesse du trésor perdu, celle de la révélation que son idole avait des failles et , aussi, mais elle ne l'avouera pas, une bonne dose de trouille de l'obscurité, bref, à cause de tout cela réuni, qu'Agathe décida de rebrousser chemin, le plus discrètement possible. Cependant, tout en entamant sa descente, elle se promit d'interroger l'aubergiste, le lendemain, afin de connaitre l'identité de l'occupante de la chambre "constellation". Ensuite, preuve en main, elle pourrait regarder Katina d'un oeil soupçonneux...
Aimbaud, incarné par Axelle


La femme est diabolique,
Voilà ce qu'on m'a enseigné.
Elle s'empare de ton argent,
Elle dépense tout ton or...
Allons bon.
La femme c'est le diable.
Et elle, c'est une femme.

— The Doors —



Excommuniée. Répudiée. Manouche. Voleuse. Damnée. Ah quand même... Le marquis de Nemours clignait bêtement des yeux dans le noir, en écoutant les révélations de la jeune-femme. Il se demanda s'il était plus criminel de coucher avec une pécheresse confirmée qu'avec une immaculée aristotélicienne, et ce qu'il lui en coûterait côté repentance. Une sorte de comptabilité divine se mit en marche dans son esprit, avec des mesures de gravité, des additions de circonstances atténuantes et des taxes sur la préméditation. Cela l'obligea à trente bonnes secondes d'intense réflexion, et à un douloureux ping-pong entre rationalité et désir (deux zones situées aux pôles opposés de son cervelet, et par conséquent inaptes à dialoguer convenablement ensemble). Un feu soudain, au bout de ses doigts, fit voler ce dossier d'études en petits copeaux dans la benne à ordure de son esprit. Désagrégés, le pour et le contre. Il sentait contre sa main celle, sensible, de la mauresque, d'autant plus cuisante qu'il n'avait pu la voir venir. Dans ce drap d'ombre, il pouvait bien y avoir l'infini entre eux deux, ou juste un pas. Mais il humait l'arôme de sa peau, il oyait ses mots, il sentait sa chaleur, et tout convenait à lui dire que cette créature était proche, et qu'il ne pouvait passer qu'une excellente nuit en sa compagnie. Il en voulait pour preuve, cette main veloutée qu'elle lui donnait en gage.

Estimant qu'un contrat venait d'être signé, que la partie était jouée, il abandonna ses craintes comme, plus tôt dans la soirée, son pourpoint, et porta la main sombre à sa bouche pour en baiser le dos et la paume. Il lui sembla doux quoi qu'étrange, le parfum de cette femme, si différent de celui des peaux claires qu'il côtoyait. Mais son toucher avait la tendresse de la soie et sa main était une coupe d'or où il voulait s'abreuver. Un certain temps s'écoula durant lequel il garda le nez dans ce réceptacle.

Il se trouvait pitoyable et drôle, à s'émouvoir de la première gueuse venue. Aussi, bien loin lui semblait le temps de sa passion pour Blanche de Castille ou le respect de ses voeux de mariage. Le vin et la solitude poussaient ses sangs dans une tout autre direction. Qu'elle avait de charme, cette vagabonde couleur de drapeau pirate... Le grain de sa peau, comme le grain de sables d'ailleurs, lui frissonnait des histoires qu'il voulait bien entendre jusqu'au petit matin. Et peut-être, pourquoi pas, s'accrocher à ses boucles pour s'envoler vers des pays sans loi, sans rien d'autre que des nuits éternelles et de l'amour à foison. Quelle belle erreur, quel formidable vice... Il retomberait de haut d'ici très peu et il le savait, pourtant il restait sourd aux évidences, la tête plongée dans un baquet frais de fleurs du Danube ou d'Asturies, le miel aux lèvres, le nez dans les épices, les oreilles attentives au prêche des infidèles.

Toutefois, reprenant la réalité à bras-le-corps, il préféra, lorsqu'il fallut répondre et écourter les baisers qu'il égrainait dans sa paume, lui parler tout comme elle l'avait fait, franchement.


Sans doute êtes-vous le diable et vous excellez à me perdre. Pourtant votre franchise vous honore, et c'est bien louable, quand je me trouve, moi, coupable de vous en conter cependant que je suis homme marié. Ne voyez pas en moi un intriguant, car je ne vous le dissimule pas plus longtemps.

Cette question du mariage lui semblait la chose primordiale à évoquer, et l'on sait qu'il avait un ordre très spécial des priorités, puisqu'il ne s'était pas même encore soucié d'apprendre le nom de la belle.
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Axelle
J'ai une idée derrière la tête
c'est sûrement pour ça que je suis
toute nue devant vous un peu bête
à faire autant de facéties
mais qu'elle idée me direz vous
j'imagine une marionnette
sculptée dans un morceau de bois
qui devant vous se permet d'être
un peu plus humaine chaque fois.

Quelle drôle d'idée me direz-vous
c'est juste histoire de voir l'amour d'un peu plus près
3 p'tits tours et puis je m'en vais
tout juste le temps de voir l'effet que ça nous fait
3 p'tits tours et puis je m'en vais

Zazie - 3 p'tits tours



Maudite obscurité. Plus maudite que la Gitane ne pourrait jamais l’être, interdisant aux prunelles noires de le regarder, Lui. Lui, dont par un étrange maléfice, elle n’osait demander le nom de peur qu’il s’inscrive dans la paume de sa main où chacun des baisers essaimées se tatouait aussi surement que ce A qui y flamboyait. Les chapelets d’embrassades étaient soyeux et enivrants comme rien. Juste peut-être comme cette bouche dont elle découvrait la soie et qui pourtant la piquait de frissons brusques d’en connaître le gout à ses lèvres même. Comme elle aurait voulu le voir, épier la lueur de son regard, traduire une esquisse de sourire, mordre sa lèvre à une rougeur sur ses joues. Mais rien. Rien qu’une main tendue, brulée d’un souffle, n’osant plus ébaucher le moindre mouvement.

Mais tout avait une fin n’est-ce pas ?


Et le charme se rompit de paroles malheureuses, brisant l’hypnose des embrassades et des aveux qu’elle avait cru comprendre. Le recul fut brusque, au point de faire crisser le plancher d’une plainte tourmentée. Marié. La Gitane s’en moquait comme de sa première loque rouge. Si le mariage avait été synonyme d’amour et fidélité, cela se serait su depuis bien longtemps. Non, ce qui lui piqua le cœur comme une aiguille chauffée à blanc fut cette sempiternelle danse dans laquelle il semblait, volontairement ou non, l’entrainer. La chorégraphie était des plus simples, un pas en avant, deux pas en arrière. Et ce qui aurait pu raisonner comme une preuve de franchise, ne retentit aux oreilles gitanes que comme un « Oula, t’emballes pas poulette ». Et la coquille, bernée, se referma alerte sur la perle qui pourtant était déjà éraflée de Lui. Idiote. Elle n’en voulait même pas au Pantin, mais juste à elle d’avoir cru que tout pouvait être possible. Encore. D’avoir pu, ne serait-ce qu’envisager qu’un homme, dont elle devinait en sus le rang, pouvait avoir d’autres aspirations que celles de s’encanailler à sa peau brune. Pourtant, naïve, elle était griffée, irrémédiablement, d’une patte aux apparences et si douces, et si innocentes.

Au Louvre, il avait refusé la chaleur de ses bras, de ses baisers, de son désir, la laissant frustrée, comme aucun homme n’avait jamais osé, ou pu, le faire. Et en cette nuit là, sous ce toit paumé de Guyenne, il refusait les élans irraisonnés de son cœur. Comment le loup pouvait-il se parer d’un visage si innocent ? Fourberie sans nom pour planter ses crocs et déchiqueter le cœur. Qui était le voleur ? Qui était le Diable ? Etait-il simplement affreusement maladroit ou affreusement cruel ?


La main pudique, contraignant le drap inutile à cacher ses courbes fines, abdiqua, abandonnant la silhouette nue de la gitane à la lueur laiteuse de la lune témoin du maléfice.
J’veux rien d’vous, just’ vot’ franchise, caus’qu’aussi gueuse qu’j’puisse être, aussi agiles qu'puissent être mes pas d’danse, j’veux pas être jouet entre vos pattes. La main brune se resserra sur la blanche. Aucun sourire ne gravait l’obscurité d’un éclat blanc mais juste de deux yeux trop grands. D’un geste vif, la main noble fut déposée au sein arrogant d’ambre, palpitant de bien davantage que d’une fringale. Voulez ça ? Juste ça ? La voix était coupante et déterminée. Ou un bout d’c’qu’y a en d’ssous ? M’voulez putain ou amante ? M’dites pas d’mots qu’vous pensez pas, j’suis à c’point naïve qu’j’peux y croire. La Gitane avait baissé sa garde pour le laisser l’approcher où si peu avait le droit de pénétrer, mais l’imprudence ne durait jamais bien longtemps dans les veines turbulentes, et si elle devait mordre pour s’épargner une seconde griffure, elle le ferrait sans remords ni regrets. Dusse-t-elle y laisser des plumes. Voulez quoi d’moi ?
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Aimbaud, incarné par Axelle


Mais toi c'est que t'as peur du loup
C'est que t'as peur que je t'aboie
Tu as peur avoue...
Tu crois que le loup c'est moi
Tu as peur du coup
Tu crois que la proie
C'est toi
C'est tout

Mais moi, moi je suis né où ?
J'suis pas né dans les bois
J'suis né dans les choux
Juste à côté de toi
Range ton fusil
Moi je veux que
Tu veux toi aussi...

Avant que je m'ennuie.
Avant que je m'enfuie...


— Mathieu Boogaerts —


Les secondes s'étiraient dans la pénombre et le désir du bourguignon croissait à mesure qu'il devinait l'approbation de sa voisine. Il n'attendait pas de refus, car la fille semblait bien trop libertine pour s'attacher aux questions religieuses qui, lui, le tracassaient en premier lieu. Déjà, il rapprochait le visage du sien qu'il savait près... La rebuffade ne lui en sembla que plus brutale.

Hébété, il écouta le sermon qu'elle lui faisait. Puis, devinant dans le noir son déshabillage, et en sentant bientôt la preuve sous sa paume qu'elle avait agrippée, il se glaça tout-à-fait, de stupeur et d'appréhension. Il ne savait trop quoi penser de cet interrogatoire, ni du doux modelé qu'on lui donnait en main, mais l'un des examens semblait contredire l'autre, et tous deux semblaient éliminatoires. L'on sait qu'il est ardu d'avoir la tête a deux questions en même temps. Je vous dirai qu'il encore plus ardu de le faire avec la tête d'Aimbaud.

Était-il possible que la mignonne prenne la mouche à cause de sa condition d'époux ? Tout de même, cela tombait sous le sens qu'à l'âge qu'il avait, il soit engagé... Mais peut-être que dans les steppes arides où elle avait été élevée, il était d'usage de prendre femme plus tardivement. Enfin... Les questions qu'elle lui soumettait l'étonnaient au plus haut point. Jamais il n'aurait parié que cette fille-de-peu, débauchée comme elle semblait l'être, à laisser voir ses jambes et sa gorge au tout-venant, allant les cheveux lâchés, les bras presque nus, gouailleuse, cambrée, charnelle, bref que cette pécheresse puisse lui jouer une scène de prude et vertueuse pucelle.

Il n'y avait donc pas de femme simple. Fallait-il toujours, de la marquise à la mendiante, en passer par des caprices, des révérences, des serments, des crises, des preuves, des larmes et des excuses ? Ne pouvait-on aimer sans avoir à quantifier, se justifier, se faire traiter de tous les noms puis se faire pardonner ? Bon, Aimbaud était passablement remonté contre les femmes — contre une femme — mais qu'importe, disons contre "les femmes" pour faire simple (car les choses étaient assez compliquées sur le sujet de ces créatures, alors autant généraliser). D'autre part la tiédeur de ce sein sous sa patte entravait énormément son jugement. Et c'était sans doute une autre ruse de cette fille noire pour le tourmenter. Pourtant il sentait battre le sang sous ce mont cruellement rond — ah comme cela l'émouvait et n'avait rien de commun avec les côtes maigres de sa marquise ! — hors ces battements ne se pouvaient feindre. Elle était sincère jusqu'à la pointe du tétin, ça, il pouvait en attester...! Et il en attestait.

Mais tout ému qu'il était, il se sentait très honteux que le refus de cette mauresque lui renvoie de plein fouet l'image de sa propre concupiscence. Ces élans condamnables, qui le saisissaient en présence des belles femmes, lui provoquaient toujours d'abord de la honte. Il se voyait bestial et adultère, mis à l'index par une fille de toute beauté. Ses joues s'étaient mises à le brûler, moitié de gêne, moitié de courroux.

Peut-être, s'il l'embrassait maintenant, elle oublierait la querelle qu'elle lui menait, et s'offrirait à lui... Ou serait-il définitivement repoussé. Il valait mieux répondre. Mais mal répondre, c'était risquer d'attiser sa colère. Tout cela l'ennuyait d'avance. Il mettait les doigts dans un sac de noeuds, du moins c'était l'idée qu'il s'en faisait... Alors, fuir peut-être. À tout risquer, il balbutia très honnêtement :


Faut-il que ce soit l'un sans l'autre ? Je ne sais rien de votre pensée, moi. Vous êtes drôle. À faire étalage de votre chair, vous laissez à penser bien des choses de l'enveloppe, mais fort peu de l'âme... La cruauté que de m'en faire le reproche...!

Ce que je veux de vous ? Que sais-je, moi... Je vous connais si peu. Pas de mal, voilà ce dont je puis jurer...!


Se sentant acculé, craignant qu'elle prononce son renvoi, il ôta sa main d'elle et, s'appuyant sur le parquet, préféra la brusquer avant qu'elle ne réponde :

Mais pourquoi serai-je le seul à subir la question ? Qu'espérez-vous de moi, si ce n'est ma franchise ? De l'or, des pierres, des draperies ? Une épée pour vous servir ? La protection des votres ? Un lopin de terre, peut-être ?... Mon amour seul ? Vous ne me le ferez pas croire.
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Axelle
Je vis comme ça caché
En transparence de ma bulle
Je sais c'que j'ai gâché
Si j'hésite, si j'évite la
Terre des hommes, c'est qu'en somme j'n'ai pas
J'n'ai pas les armes contre vos cœurs
Et s'ils battent ils me battront un peu
J'n'ai pas d'alarme qui sonne l'heure
D'une rencontre qui compte et quiconque
Peut mettre le feu
Peut allumer la mèche
Et tout réduire en cendres
Peut d'un regard tirer la flèche
Et viser en plein centre
J'n'ai qu'un cœur à donner
Pas de cotte de mailles

Renan Luce - J’ai pas les armes


Mais dans quel pétrin c’était-elle fourré ? Elle, la Gitane, dédaigneuse des choses de l’Amour par la fulgurance de la vie, par trop de blessures, par trop d’inquiétudes. Oui, elle avait peur, comme peut-être jamais quand à peine quelques minutes avant, elle se sentait encore pleine d’une force vive, des ailes impensables dans le dos. Fallait-il vraiment qu’il soit sorcier pour la chambouler à ce point quand elle, prédatrice selon certains, était condamnée sans préavis à un besoin d’être rassurée avant d’enlacer ses bras aux siens ? Oh elle le savait, avec une clairvoyance fulgurante, si d’autres amants, le départ au petit matin la laissait sereine dans sa sacrosainte liberté, il n’en serait pas de même pour Lui. Et c’était effrayant, quand d’un coup de tête et de trop de bulles dans le ventre, elle en avait oublié toutes les leçons âprement apprises.

Pourquoi face à lui, son arrogance se trouvait muselée ? De danseuse affolante, la voilà qui se perdait dans des tracasseries de jeunes filles en fleur. Bleues de surcroit, les fleurs. Elle était malade, à n’en pas douter. Malade d’un Inconnu dont la seule main posée à sa peau continuait à la bruler même échappée. Et cette colère raisonnée, palpable dans ses mots, ne la tourmentait que davantage. Comment avait-elle pu avoir l’audace de demander, presque d’exiger ? Elle ? Ce n’était même plus une question de rangs, les élans du cœur avaient cela d'élancé qu’ils n’avaient pas d’entraves de cette nature. C’était simplement contre ses certitudes, que les mots n’étaient que mensonges, les serments tout justes bons à être détruits. Que le futur ne se conjuguait pas de certitudes. Et voila que punie, par juste retour des choses, ses propres invectives lui revenaient à la figure.

Qu’il parte, et la laisse en paix dans ses convictions erronées, égoïstes et dissipées. Qu’il cesse de la tourmenter de par sa simple présence. La Danseuse ne savait plus virevolter. Mais dès que la pensée de le jeter à la porte - enfin s’il y avait eu une porte, mais le jeter dans les escaliers aurait-été trop dangereux - son sang s’agitait de plus belle. Implacablement, la perspective qu’il s’éloigne d’elle lui semblait bien plus cinglante que tous les maux auxquels elle risquait de s’exposer.

Il ne savait rien d’elle. Elle ne savait rien de lui, et jamais la logique n’aurait du les placer, là, paumés dans le noir avec ce désir lancinant au creux du ventre, et pourtant. Malgré l’outrage de la penser avide et intéressée, le désir et le béguin jouaient au yoyo dans le ventre gitan. Oh, intéressée et avide certainement l’était-elle, mais de lui seul, qu’il soit riche à ne plus savoir qu’en faire ou sans le sous était le dernier de ses soucis quand elle ne cherchait qu’à étouffer un trouble trop poignant.


Et pourquoi le cacher, pourquoi mentir, pourquoi reculer quand il suffisait de sauter ? Tant pis pour la chute si le saut de l’ange était beau.

La main brune se tendit, à l’aveuglette, cherchant le visage pâle, envieuse de le caresser et peureuse de lui fourrer un doigt dans l’œil ou dans le nez. Pour une fois, la chance fut de mise et ce fut une joue que le bout des doigts effleura, guidant son museau vers le Noble sans nom jusqu’à entremêler leurs souffles. La pulpe des doigts glissa sur la bouche inquisitrice, la piquetant jusqu’au haut du crane. Au diable les mots, en sus d’être menteurs, les voila qui voulaient se faire discorde. La vérité éclaterait autrement, à sa façon. Le corps nu se tendit, irrémédiablement attiré. Putain ou amante, l’envie était là, pugnace, et la lutte perdue d’avance. Les yeux aveuglés se cachèrent sous leurs paupières quand sa bouche tâtonnante caressa la pommette d’ivoire avant de s’échouer à la cible soyeuse. Que la gifle raisonne maintenant ou se taise à jamais. Les lippes gitanes s’égarèrent, damnant leur détentrice toute entière de frôlements tortionnaires jusqu’à la capitulation. D’un élan hardi la bouche fautive happa la lèvre noble. A peine, juste un peu, juste pour y gouter et s’y bruler. Gardez votre or, vos terres, vos draperies. La bouche brune se perdit encore, goutant un peu plus dans un soupir équivoque. J’veux vos bras. Vot’ parfum. J’veux vot’bouche. Encore plus. Douce, la main gitane se faufila à la nuque blanche. Pis p’tet qu’si j’suis vraiment gourmande, j’voudrai vot nom, et qu’demain matin m’ayez pas oubliée.
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Aimbaud_de_josseliniere


Ça fait des mois que je t'attends
Tant et tellement que j'attendais plus
J'étais presque mort
J'ai fait mille fois dans ma tête
Le Picasso de ton portrait
Un œil par ici une oreille par là-bas
Tu paraissais d'un autre monde
Mais j'étais loin de me douter
Cette couleur sur ta peau
La même que quand on ferme les yeux
Parce que tout va bien...

Tu es si jolie.
Je ne sais quoi te dire.

— Mano Solo —



Ô joie. Ô enfer, damnation, désert de glace, lune démoniaque, piques éternelles, jugement dernier, tourments à perpétuité. Ô le plaisir. Ô le miel, la chair des fruits, le velours, le nectar. Ô l'or. Ô les pays...

Oh...

Notre marquis en restait sans voix. Il se disait : comme c'est inouï, une personne nouvelle. Que c'est inhabituel. Que c'est surprenant, un corps étranger contre soi, des gestes qu'on ne connait pas, une bouche étonnement charnue contre la sienne, une odeur de peau jamais respirée. Comme ça vous tombe soudainement dans les bras, et comme ça vous enlace...! Aimbaud n'avait pas l'habitude de toucher grand monde, à vrai dire. On lui frottait le dos dans son bain. Il baisait l'anneau des évêques avant de se confesser. Il frappait le crâne de ses pages. Il posait parfois la main sur celle de sa femme pour lui signifier quelque chose, au reste, il couchait avec elle lorsque le calendrier saint et les humeurs de son épouse le permettaient, mais plus depuis qu'elle portait un enfant. C'était à peu près tout l'inventaire des contacts qu'il avait avec d'autres peaux. Il se rendait bien compte, à l'heure de tenir cette bohémienne entre ses bras, combien il était précieux de sentir son enveloppe en rencontrer une autre...

Ses mains s'enfouirent dans les guirlandes de boucles noires. Il s'y avança prudemment, explorateur des Indes en pleine cambrousse, craignant de buter à tâtons contre les dents de terribles Blemnyes ou le piquant des écailles de chimères que l'on trouve par delà les terres saintes... Assurément cette merveilleuse jungle pouvait contenir tout le bestiaire des livres savants.

Le long de ces rivières de cheveux tièdes, il touchait la surface d'un dos nu, un tendre dos où coulait un creux, comme un sillon d'amour en son centre — un creux non pas maigre et osseux, non pas rapace, faible, marital et bien pensant...! non... — un sillage généreux, chaud, souple, offert, comme un ruban, comme un chemin de terre meuble qu'il empruntait, qu'il descendait, qu'il oubliait pour des reins féconds, insensés, pleins, qui l'obligeaient à déployer ses mains tremblantes pour en embrasser l'horizon. Son appétit s'en ressentit si puissamment qu'il sentit ses sangs foisonner en lui comme un fleuve en crue.

Il ne se rappelait pas avoir jamais subit une pareille révolte de ses instincts par le passé ! Ça, il avait connu le désir, il avait connu l'amour, il avait connu l'entente, la complicité, la chair, l'esprit. Mais prendre feu... Se consumer si violemment d'envie pour un corps. Brûler si férocement de son propre feu...! N'être plus un esprit, mais se trouver réduit à l'état de simple pulsion. Une colère, une faim, un cri, une flèche, un abîme, un ciel, un brasier, enfin ! AH ! Pas de temps, pas d'espace, pas de logique, pas de création divine : seule... de la pure... énergie. Vous, lecteur, trouverez tout cela évidement disproportionné, et ç'eut été aussi l'avis d'Aimbaud si seulement, à cette heure, il avait été capable de conceptualiser le sens du mot "avis".

Ma belle femme ! Sous-entendait seulement sa bouche, en rencontrant cette autre bouche qui lui parlait. Mon amour excellent ! Mon coeur. Mon ventre. Mon moi-même ! Qu'êtes-vous ? Qui vous a faite ?... Qu'est-ce, ce miracle qui fait toi ? De quel marbre es-tu faite, de quelles perles ? Je veux être toi, à toi, en toi ! Tout voir ! Donne. Donnez-moi tout, j'en dépends !


Ma... ma... Oh... Vous... Ça !... co... comment pourrai-je vous oublier. Il faudrait que je me cogne bien rudement la tête pour cela...!

Et presque triste, et presque débordant de joie, il la rapprochait de lui comme une relique précieuse, éperdu de gratitude que le destin l'ait placée dans l'enceinte de ses bras, et bouleversé de chagrin de la savoir unique et irremplaçable. Il baisa son front, ses yeux et ses joues, sa bouche, (il l'aurait dévorée !) soutenant religieusement sous les oreilles sa petite tête d'ébène.

Quel est ton nom, à toi, merveille ?... Moi... C'est Aimbaud, le mien.
_________________
--Mimine
[plantage...]
Axelle_f.
Ton joli coeur s'agite
Dans ce corps qui palpite
Tu es ce beau dessin
Que je trace sans fin
Respectant et le grain
Et les creux et les pleins
A la petit écuelle
Je pose enfin ma bouche
Mes narines se couchent
Aux formes de ton aisselle

De ta pudeur à moi
Il y a quatre boutons de bois
Qui cachent ton corps à toi
Ta chemise de soie
Glissants à tes talons
Deux petits ronds bien droits
S'étonnent d'avoir froid

Olivia Ruiz – De toi à moi


Oh…Dilemme cornélien. Comment faire pour qu’il parle encore, qu’il berce ses oreilles affutées des murmures de sa voix sans cesser d’embrasser son visage, jamais, offrande noire et surprenante dans la coupe de ses mains blanches. Oh, ses mains blanches et douces, dont l’empreinte brulait le dos sans mal aucun.
Embrasse moi encore, caresse moi, Toi, qui que tu sois. Il fait noir, je gagne, je te prends tout entier. Dis moi oui que je t’aime sans mesure.

A comme Aimbaud.

Sur le visage choyé, le sourire éclata, trait de lumière dans cet univers aveugle, incapable de s’extraire à ses croyances imbéciles s’accrochant à la superstition manouche. Ainsi, Lui aussi était écrit dans les lignes de sa main, quand illettré à en lire les méandres, indigne Gitane qu’elle était, elle avait choisit de dompter le destin comme elle pouvait d’un simple tatouage.
Nouveau A bouleversant tout sans rien changer. Lui, ce n’était pas à la paume de sa main qu’il était tatoué, mais bien là, au plus chaud de chaque battement de son cœur farouche, enterrant le pire pour ressusciter le plus pur. Irrémédiablement. Quel que soit son nom, il restait Lui, ce pierrot lunaire qui par un charme improbable, se glissait jusqu'à son âme en catimini, sur la pointe des pieds, sans vouloir faire de remous quand pourtant il était raz de marée. Lui, qui lui faisait perdre jusqu’au gout du défit et de la provocation pour n’être que tendre. Même qu’elle s’en trouvait intimidée, la prédatrice impénitente. Signe annonciateur de bien des lacunes. De bien de pertes. De bien des élans. Au diable, Il n’était plus ni courroux ni vexation, mais que joie et délivrance. Duo improbable que tout opposait pour mieux les réunir dans l’anonymat de l’ombre et d’une charpente de bois.

‘Lors, vous cognez jamais la tête, sinon, j’pourrai plus perdre la mienne. A la bouche qui l’embrassait, petite bestiole affamée, elle cherchait une langue où s’emmêler, un souffle où se réchauffer. Maudite cécité. A cet instant là, elle aurait préféré ne plus voir toute sa vie durant, ni de jour, ni de nuit, n’avoir même jamais vu, pour le voir, Lui, même qu’une seconde. Se perdre à la lueur de son regard, au sourire qui peut-être fendait ses lèvres. Et ne se souvenir de plus rien d’autre quand même le ciel camarguais lui semblerait bien terne. Moi… c’est Axelle. L’appétit la tenaillait, féroce au creux de son ventre, pourtant la précipitation était honnie, révoltante quand chaque instant qui s’évanouissait à peine né, était décortiqué minutieusement, pour que rien ne s’échappe, pour que rien ne soit oublié, pour qu’en outre de sa main et de son cœur, ce soit à sa mémoire qu’Il soit gravé, Lui qui partirait le lendemain, lui que peut-être, elle ne reverrait jamais. Pensée bien trop cruelle pour seulement vouloir l’envisager, là, maintenant, quand ses doigts bruns, d’une lenteur ravageuse, dénouait la chemise gardienne de la pudeur noble. Le tissu glissa lentement dans un froissement infime, dévoilant la plus précieuse de toutes les peaux. Les doigts se firent si peureux d’en outrager la soie de leur pulpe que ce fut la bouche qui s’octroya le droit de profaner le sanctuaire et se posa au cou dessiné du bout de lèvres. Délaissant la maigre paillasse, les courbes gitanes se lovèrent au creux du buste nu, raidissant la pointe de ses seins arrogants à ce seul contact.

Mais appelez moi comme vous voulez, c’sans importance. Les mains jugées encore trop brutales s’aplatirent au sol, forçant sans brusquerie aucune le pierrot à battre retraite aux lames du plancher, pour pouvoir l’esquisser tout entier du bout de la langue quand ses yeux en étaient incapables. Alors elle dessina, chaque plein, chaque déliés de la mâchoire, des bras, des épaules et téméraire, s’aventura jusqu’à l’irrégularité d’un téton choyé d’embrassades doucement piquantes. Le gout de la peau noble était trop entêtant pour pouvoir rester encore sage, et sur le ventre, l’étude s’embrasa de prières ferventes, caressant de sa bouche, de ses joues. Dans un sursaut incongrument sage de repentance, elle délaissa cet œil cyclopéen, genèse envoutante à la ligne soyeuse conduisant vers les divagations les plus démoniaques, pour mieux revenir s’abreuver aux lèvres délaissées.

J’ai faim d’vous, mais j’veux pas vous offenser… Et m’v’la bien cruellement tenaillée. Pourtant perfide le bout de la langue contredisait chacun des mots égrainés. Dites-moi… Et m’ferrai belle à vous en crever les yeux…

Sans en venir aux mains
Sans avenir certain
Chute sur mes reins
Planche sur mes seins
Tel un chat
Blottis-toi….

Belle à en crever – Olivia Ruiz

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Aimbaud_de_josseliniere


Il faisait nuit
Quand elle est arrivée sur moi
J'ai vu seulement des yeux et des dents qui brillaient...

Horrible monstre
Mélange de toutes les beautés
De toutes les horreurs du monde
De Vénus à la Joconde
De Vivianne à Mélusine
De Cléopatre à Messaline
De la Fée Carabosse à Dracula
Me prenant tentaculairement
Buvant jusqu'au moindre
Globule rouge de mon sang
Voilà ce qu'elle était.

— Michel Polnareff —


Qui était cette créature sortie de la nuit comme l'aube ? Ensorcelante comme la lune, radieuse comme le soleil... Redoutable comme une armée prête au combat...* Avec quelles armes arrêtait-elle ainsi le temps, et réduisait le Bourguignon à l'état d'un pantin qui ne devait sa vie qu'aux fils qu'elle lui tendait ? Ce n'est qu'avec retard qu'il saisissait tous ses artifices... Les cheveux pleins d'épis, il comprenait qu'elle venait de passer sa chemise par dessus sa tête. Brûlé au poitrail par deux pointes douces, il réalisait qu'elle s'était lovée un instant contre lui. Sa paume rencontrant le sol, puis son avant-bras, puis, le souffle court, il découvrait enfin quelle sorte de guerre elle lui déclarait, et combien d'affolement, et combien de plaisir, découlaient de sa propre perte.

Ces dents, ces lèvres, échappées de la nuit pour provoquer sa peau, lui causaient un si grand tourment... Non... un bien tel... Plutôt... une peur si vive... En vérité il ne savait dire dans quel état d'effroi ou de grâce il se trouvait à l'heure où cette bouche impie le pillait de caresses, en des endroits peu conventionnels, des endroits voyez-vous, qui se révélaient soudain si sensibles à ces pratiques, qu'ils semblaient n'avoir jamais vécu par le passé...

Aimbaud observait, autant que son esprit grisé et l'obscurité le permettaient, la silhouette de cette troublante païenne juchée sur lui. Son coeur galopait à un train dangereux. L'image terrible d'une gorgone ou d'une chimère dévoreuse d'âme traversa son esprit. Elle allait planter des crocs dans son torse, lui dévorer les entrailles... À l'instant où elle goûta la peau de son ventre, un murmure faible lui échappa. L'épaule qui le soutenait au dessus du sol lui sembla perdre de sa vigueur. Un plaisir peu commun exaspérait sa chair, trop vert et trop nouveau pour souffrir d'être maîtrisé. Les joues se mirent à le brûler lorsqu'il s'entendit. La soupente par trop silencieuse à cette heure de la nuit, et ouverte sur le reste de l'auberge, rendait le moindre son sacrilège... Même le froissement imperceptible des baisers de la gitane lui semblait résonner comme un carillon dans la nuit, et sa respiration à lui, tempêter comme le vent de Noroît... Il sentait la chaleur du museau féminin sous son sternum, et aussi vrai qu'il était horrifié par l'impudeur de cette femme, il voulait la bénir, l'embrasser et lui bâtir des cathédrales pour ces mêmes instincts scandaleux qu'elle partageait, avec lui, l'idiot formé aux tristes adages de la foi, aux constantes nuits en missionnaire, et à la stricte procréation en vue d'une descendance.

Unique Axelle. Il savait désormais son nom. L'appeler autrement, disait-elle ? Mais comment ? Il n'y avait nul mot dans la langue française pour qualifier cette noirceur, ce rouge, ces formes étourdissantes, le velours de cette voix, ces caresses impensables, ce monceau de sensualité faite femme...! "Axelle", c'était un seul mot qui résumerait le tout.

Il ne comprenait pas ses manières, mais s'y pliait avec toute l'envie dont il était capable. Baisant sa bouche comme elle l'avait fait, avec la langue un peu, et puis, désireux autant qu'impressionné, touchant du bout de ses doigts maladroits ce buste de déesse égyptienne qu'elle dressait au dessus de lui comme la coupole d'un temple, il se sentait lui, ridicule face à son aplomb, intimidé comme au jour de son déniaisement, et lui avouant :


Je ne suis pas offensé... J'ai... En vérité. Si bonnes sont les choses que vous me faites, que je serais malavisé de vous dire de cesser...

Ne sachant vraiment ce qu'elle attendait de lui, et mourant de désir, il voulait bien se soumettre à toutes ses facéties pour la posséder. Aussi il souhaitait faire le fier, car il craignait par dessus tout que, jugeant de son manque de science, elle ne le prenne pour un bigot, et ne lui rie au nez.

[*Le Nom de la Rose.]
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Axelle_f.
Si tu viens doucement te poser sur mon corps,
Te poser sur ma peau,
Te poser sur mon feu et me voir un peu,
Avec tes petits yeux,
Que c'est bien tout mon corps que ton p'tit coeur émeut,
Que t'en a mal au corps,
Que t'en voudrais encore,
Avant que ça commence,
Que si je voulais bien,
Tu ne serais plus un saint pour m'en effleurer un.

Chanson érotique- Claire Lise


Comme il était doux, ce Pierrot délicat accroché à une lueur lunaire. Timide à en crever. Maladroit à la damner, si tant était qu’elle ne le soit déjà. Oui damnée, elle l’était de refuser de s’arracher à Lui pour lui épargner la corruption de son souffre. Jamais la Gitane, esquissée de bout de doigts si timides qu’ils pouvaient paraître terrifiés, n’avait ressenti cette boule au fond de la gorge lui hurlant tout le mal qu’elle pouvait être. Sorcière. Succube. Lilith. Voilà ce qu’il en coutait d’avoir accepté une pomme le condamnant d’avance, par d’occultes maléfices, à la croquer.

Oh, oui, que ses mains blanches étaient craintives de se bruler à sa peau trop brune. Que sa langue était avare de s’égarer au désordre de la sienne. Mais paroxysme du paradoxe, plus l’ignorance s’affichait, criante de deux existences à des antipodes que rien n’aurait réunir, plus le désir effréné palpitant sous sa bouche était et troublant, et émouvant, et beau, chahutant de soubresauts irraisonnés et malades le pouls gitan. Facétie que la pudeur pâle lui jouait pour se sentir enviée comme jamais. Elle aurait pu s’en amuser, en abuser, en rire. Mais si le Marquis avait le corps prisonnier des lubies d’une gueuse, c’était pourtant bien lui qui tenait au creux de sa paume la confusion d’un souffle épris. Mais trop inculte, trop peureuse qu’il ne réprimande, rabroue et repousse, elle ne savait que lui offrir ce langage ci.
Celui de sa bouche ravageuse et impudique à explorer les secrets emprisonnés de trop de piété.
Celui de ses mains à ce point révoltées de n’avoir à caresser qu’un bois rêche, que la mutinerie n’avait pu qu’exploser aux vaguelettes de ses côtes d’ivoire.
Celui de son corps de vouivre serpentant dans un marécage d’envies, où chaque plaintes se muait en rubis à protéger, obstinée déjà à ne vouloir les partager avec quiconque.
Et si ses turpitudes sournoises ne suffisaient pas à le retenir contre elle, la Gitane voulait bien se faire Shéhérazade et lui conter, nuit après nuit les légendes les plus improbables, peuplées des taureaux noirs et des chevaux blancs de chez elle. D’insectes luminescents papotant en huit clos avec des roseaux bruissant de sel. De l’enfant de la lune ou encore, cette fable chantée à la faveur des feux de camps narrant ce garçonnet, fils de jument, recueilli par les nomades, à la peau tannée d’un brun cuivré et aux cheveux d’un noir bleuté à l’aspect d’une épaisse crinière.

Cet enfant qui, auprès des nomades, à l’ombre des montagnes rocailleuses berçant le paysage désolé des steppes orientales, devint terriblement ardent et impétueux. Cet enfant vif et assoiffé d’aventure qui, à cause de son intrépide curiosité, de son sang chaud et de son apparence peu commune, fut fui et regardé de travers. Cet enfant qui, plus il devenait beau et indépendant, fut dédaigné jusqu’à ce que tous se moquent de lui et l’appellent « Gitan ». Cet enfant qui, tant blessé par le sarcasme, se réfugia dans la paix des montagnes et devint maussade et d’humeur orageuse plongé dans sa solitude. Mais cet enfant qui, de jour en jour, se mit à apprécier ce nouveau nom pétulant jusqu’à le hurler et que l’écho le répète. « Gitan, Gitan, Gitan ». Cet enfant qui, écoutant ce mot toujours plus puissant et expressif, comprit qu’il le définissait comme aucun autre et s’en gorgea de fierté.

Oui, elle accepterait la sentence de s’essouffler à raconter sa vie durant toutes ces légendes manouches pour qu’il ne repousse pas cette main brune et aventureuse, fautive d’habileté à dénouer le velours des braies, coupable de ferveur jusqu'à égarer aux lèvres tremblantes une plainte au frôlement de la soie de leur otage. Oui, elle se plierait à cette sentence ou à tous les châtiments qu’il voudrait lui faire subir, s’il ne chassait pas, à cet instant suspendu aux poutres d’un grenier, la profondeur de ses abimes les plus noires et tourmentées qui le cherchaient au point de rompre le souffle.

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Aimbaud_de_josseliniere


I fell in love
Yes I fell in love
But wasn't good enough for us
She's got that devil touch
That apocalyptic lust
I swear I'm not a sinner
I'm just beautifully broken
Now there's a darkness deep in me

Boy Epic — Wicked


De frôlements en appuis, de nudité en rencontres, de pudeur en aplomb, de mots en souffles, le très respectueux "amor de lonh" chanté par les troubadours se voyait peu à peu glisser sur la pente fatale... de la consommation, aux faveurs de la pénombre de ce grenier abandonné de Dieu. Courtoisie, distance et piété se déliaient comme des lacets. Nul rempart ou tour interdite pour défendre la pureté des sentiments. Pas d'épée couchée entre les amants. Seul un petit air de sarabande bien connu (oui, connu depuis la nuit des temps, par tous et par toutes) guidaient les gestes de nos locataires de l'ombre... L'air que l'on murmure du bout des doigts et du bout du ventre, que l'on chante aux beaux jours, qu'on croyait connaître, et qu'on apprend sans cesse. Ah, qu'il est bon de l'apprendre encore... Et qu'il était bon à Aimbaud...

L'amour de près. Pourquoi n'était-il pas célébré, celui-ci ? Pourquoi les lys et la constance... Le feu des capucines brûlait de mille et meilleures ardeurs. La douce paumée d'une femme contre votre être, avait plus de beauté que les enluminures des célèbres récits platoniques. Et le corps de cette même femme monté sur le votre, avait un poids bien plus délectable que celui de promesses éternelles sur le coeur d'un amant esseulé... C'est
nudus cum nuda, peau à peau, corps à corps, que s'accroissaient toutes les vérités de l'amour...! Ce n'est qu'entouré des jambes de son amante, non pas tenu par elles à distance, que se célébrait l'exaltation. Combien grand était le tort que la chevalerie avait causé à la nature humaine...

Combien grande était la passion de la chair... Combien grande était la passion d'Aimbaud, l'aveugle Aimbaud qui dans le noir savourait les ruses de cette enfant des rues, pêchée à la porte du Louvre, et séduite Dieu-sait-comment par quelques mots de courtoisie. Il se trouvait alors, comme tant d'amants de tant d'histoires, d'avant et d'à venir, de toutes les provinces, de toute classe sociale, ravi, orgueilleux, haletant et fidèle à un corps unique dont dépendait le sien.

La main à la gorge de la bohémienne, posée comme sur une carte dont il suivait la descente du plat de sa paume ouverte, assailli par elle, il s'éberluait de la grandeur de cette créature et de la puissance qui sourdait de son ventre offert. Et toujours sidéré par elle, il fit descendre sa main jusqu'en deçà, à la source, à l'essence, à sa nature de femme, comme un de ces pénitents incrédules qui s'assurent des miracles en y touchant un peu bêtement. Le souffle court, tendant vers elle des yeux qui ne savaient vraiment discerner sa silhouette du reste de l'obscurité, tant désireux que sa patience s'était mise à le cuire, il fit acte d'un geste humble entre eux-deux, doux et mesuré, qui n'enfreignait pourtant pas moins brutalement l'amour courtois et ses préceptes de distance. Il n'imprima qu'un pas timide sur ces terres profanes, mais il lui sembla que les portes d'un de ces jardins prodigieux, où l'on parle de miel et de fruits, s'ouvraient à lui comme une évidence, pour ne plus le laisser partir.

Vraiment, cette noire fille le ravissait tant et tant qu'il voulait mourir à petit feu au sein de sa pénombre. Au dehors, la campagne se fendait d'une fine lueur à l'horizon, et le matin allait survenir dans les heures proches.

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Axelle_f.
I'm a fountain of blood
In the shape of a girl
You're the bird on the brim
Hypnotised by the Whirl

Drink me, make me feel real
Wet your beak in the stream
Game we're playing is life
Love is a two way dream

Bachelorette – Bjork*



Des ours, des félins, des rapaces, des loups, des lions. Tous fauves, tous chasseurs, tous carnivores ou même charognards. Créatures ogresques à l’appétit insatiable. Le vaste bestiaire gitan peuplait un Eden déchu, où les chairs entremêlées se dévoraient dans une complainte de gémissements alanguis. Et Axelle elle-même, loin d’être biche et encore moins agneau, était fouine aux canines pointues, solitaire et nocturne pour mieux cacher ses méfaits dans l’espièglerie joueuse de ses grands yeux noirs. Oh combien il était prodigieux, ce Pierrot lunaire, si timide et par là même si courageux de bruler la paume de sa main à cette sauvagerie. Antithèse magistrale, il planait, léger et élégant, au dessus du marasme, laissant la gitane palpitante et pantoise de l’envol, les reins creusés d’un désir furieux chahuté par la douceur d’une plume. Alchimiste ancestral, les griffes se transmutaient en pattes de velours et les crocs aguerris, singulièrement domptés, se rangeaient sous les babines essoufflées. Là, au milieu des rugissements prédateurs, l’amant se faisait pinson, sifflant à l’oreille brune une douce chanson dont l’air inconnu enchantait l’ignorante. Face aux dépravations, il se parait du costume de la pie pour voler la respiration dissolue. Au plaisir brutal et animal, il opposait l’éclat pur de son poitrail de rouge gorge. Mais de cette envolée de ramages et de plumages, le plus fabuleux, le plus captivant, fut le caladrius, fixant de ses yeux guérisseurs l’âme gitane, lui promettant la survie d’un cœur trop longtemps endormi. Légende, fantaisie, duperie tout juste bonne à embrumer les esprits trop naïfs. La danseuse n’avait jamais écouté ces croyances populaires que d’une oreille incrédule. Pourtant d’un premier pas qu’il fit, force fut de constater que le mal lancinant brulait déjà de feux ardents.

Petit caillou poli roulant au gré des ressacs, le souffle danseur trébuchait, tombait, se brisait pour se relever, plein de la vigueur de la supplique, quémandant son dû tel un petit animal affamé attendant la béquée. Mais à nouveau déjà, jouet déficient d’un ballet perpétuel, une lame fond bouleversait l’ordre précaire d’une pichenette et le château de sable branlait au rebord des lèvres écarlates. La gitane avait fait le deuxième pas, puis le troisième, les tempes assaillies par le battement rapide de son sang désorienté. Si elle était avide de dévorer, aucune morsure empressée ne fut pourtant portée sous la bataille obstinée que l’impatience livrait au besoin de prolonger chaque éclat de seconde pour n‘en perdre aucun. Mais les forces en présence étaient bien trop inégales et, malmenée par trop d’assauts tapageurs, la persévérance rendit les armes, terrassée de plein fouet par les craquements si entêtants d’un cœur malade perçant sa coque, qu’ils couvraient l’appel animal. La Gitane n’était que femme, et danseuse de surcroit. La paume de sa main brune pesa sur le torse pâle. A l’ombre du corps cambré, les hanches ondulèrent, vipérines et enflammées, écrouant leur hôte de la poigne pleine de l’envie.

De cet abandon là, la gitane laisserait bien plus que ses lubies. Elle aurait dû s’en méfier et certainement même fuir. Mais imprudente ou clairvoyante – allez savoir- l’échine ambrée ploya, tel un ultime salut aux peurs tenaces, et déposa, au seuil des nobles lèvres, l’offrande de ses soupirs pour mieux dérober ceux de cet Autre, unique. Farouche à refuser qu’en s’échappant, ils ne se blessent aux poutres entremêlées. Farouche à refuser qu’en s’échappant, ils ne heurtent au chant de la funeste alouette, qui dehors, trop tôt, annonçait l’aube.



Je suis un murmure dans l'eau
Un secret que tu dois entendre*

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Aimbaud_de_josseliniere


Qu'est ce qui se passe
Qui fait que l'on ne se lasse ?
Ton corps et mon corps
Ont pris le droit de s'dire
Tu es moi
Je suis bien en toi...

Bazbaz — Tutto Va Bene


Comme il aima cette fille. Avec le corps et l'esprit, du moins le croyait-il. Il l'aima de toute sa peau, de toute sa nuit, de tout son oxygène. Il l'aima jusqu'à plus de force, jusqu'à plus de bras pour étreindre, jusqu'à plus de sang ni d'eau, jusqu'à se tuer le coeur, jusqu'au petit jour. Il l'aima comme dans les livres, dans les chapitres qu'on ne mentionne pas.

Il but ses soupirs, respira ses plaintes, s'entoura d'elle, l'encercla, la parcourut sur dix mille lieues de la paume des mains, de la pointe des cheveux au bout des pieds. Il la révéra, la pria, lui bégaya des pensées qui ne voulaient rien dire parce qu'elles mourraient sur sa langue avant même de naître, et ces ruines de mots étaient aussitôt balayées par des souffles. Mais l'intention y était... Une ode, une symphonie, un couplet, un théorème, oui, il aurait même pu lui prononcer une soutenance de thèse, en reprenant juste un peu haleine, sur la perfection de sa nature et les bienfaits qu'elle engendrait en lui. Car il l'aima, vous dit-on, avec une telle amplitude, qu'il en était presque fou, voire presque doctorant.

Il l'aima tout en silence, et tout en langage des signes. Il se perdit dans sa petitesse, trouvant l'immensité qui les séparait toujours trop grande (quand on y songe, rien que l'espace entre leurs visages était une distance insoutenable), fit d'elle sa quête, la rechercha toujours plus près jusqu'à s'oublier lui-même. Comme les chevaliers errants. Ceux-là qui recherchent des chimères, des états de grâce, qui finissent loqueteux mais heureux. Et ainsi était cette quête-là. D'ambre, aux boucles noires et compliquées, à la gorge renversée, aux seins conquérants, au ventre nerveux, aux jambes immenses, aux profondeurs grisantes et inespérées. Telle était l'histoire de cette nuit. Cette nuit qui tint notre homme en haleine, comme au dessus des fatigues (et pourtant, quand la dernière survint, aux feux du plaisir, il en ressentit bien toute l'intensité, de la fatigue, nous disions).

En somme il aima tout d'elle. Il la révéra. La servit. La renversa. Se tut. Expira. Serra ses doigts doucement comme un chapelet de perles en laissant mourir la tempête. Et le front contre le sien, joua à croiser leurs nez, en n'avalant rien que ses souffles à elle, qui s'amenuisaient sous sa bouche.

L'instant d'après, il ouvrit les yeux tout près des siens tandis que la lumière blanchâtre du matin, filtrant à travers les tuiles et les fissures dans la chaux, faisait reculer la pénombre dans la pièce.

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Axelle_f.
Don't wanna wake up now
When I'm asleep, goddess, in your arms
I'm feeling good with you in this light

Would anybody close my eyes?
Would anybody shut me down?
I've let my soul inside the rocket

Cause I'm great noise, I'm in flames
I sing a song to tell you how
I give you all of what I am baby
I'm gonna try to seize the sun
I won't give it up

I've got to say, I am on fire, it's the nature of my game
So if you love me baby kiss a lick of flame

Ghinzu – This light


Il l’aima, la pria, la révéra tant, tant et si bien, que le monstre terrassé se fit vierge noire, bénissant le pèlerin d’envolées clandestines de baisers dévots, éparpillés ça et là, au hasard de la confusion. A la bouche. Aux pommettes. Au front. Aux paupières. Empruntant les chemins de la rédemption de paumes pleines, franchissant le lacet creusé du dos pieux, longeant les flancs essoufflés pour en dénombrer chaque côte et les gravir du bout des doigts. Déchirés les mensonges et les mirages. Déchirés les aveuglements et les grands airs insoumis. Le Pierrot lunaire rencontré au hasard des courants d’air du Louvre, braillant des duperies pour appâter le naïf d’un scandale, cet Homme là, aux joues rougissantes pour un oui ou un non et à la goutte au nez, celui-ci, pourfendeur héroïque de la plus simple logique, avait ouvert une brèche dans l’armure âprement forgée et s’y était engouffré tout entier. Sans douleur mais à grands coups de douceur bégayée. Et de courage et d’hésitations. Et de respect. Et de gentillesse. Et d’amabilité. Le flot des vertus qu’elle lui trouvait aurait pu jaillir de la bouche gitane, tant intarissable qu’elle s’en découvrait ridicule. Mais d’avance, s’en trouvait pardonnée quand la simple promesse qui vaille avait été faite. Ne pas faire de mal.

Il l’aima, oui, et elle l’aima en retour.

D’un cœur bombardant de pâmoison niché dans l’écrin protecteur d’un corps arrogant pour seule richesse. Sans or, sans promesse, sans serment, sans artifice. Juste avec ce qu’elle avait à lui offrir. Elle. Toute entière.

Elle l’aima et elle l’aimait.

Qu’importait qu’elle ne le revoie jamais. Qu’importait si, à quelques mètres l’un de l’autre, la facétieuse fatalité les croise sans jamais plus les enlacer. Cette chaleur qui la réchauffait comme un âtre couvé, la gitane la garderait avec elle, dans le cocon vermeil de sa poitrine et l’ouvrirait pour se réchauffer dès que les frimas menaceraient. Il serait son magot secret, dont nulle carte au trésor ne dévoilerait l’emplacement pourtant marqué d’une croix rouge à son sein gauche. Son trésor rien qu’à elle, à protéger de tout pirate, même d’elle-même.

Sous le nez enfantin s’amusant du sien, la bouche gitane s’arqua, encore et encore, lui fendant la figure comme Il lui fendait l’âme, ancrant sur sa figure brune une félicité blanche qui s’était perdue. Et les prunelles noires s’ouvrirent toutes grandes, chatouillées d'une frange de cils. Il était là, le visage déposé contre le sien, l’œil énorme, si grand qu’il occupait tout, ne laissait de place à rien d’autre, un univers à lui seul. L’aveuglant quand pourtant, elle y voyait. La dextre gitane rampa, refusant cette lumière traitresse qui sonnait le glas de cette nuit, fureta à la recherche de sa jumelle mâle, et quand enfin elle la débusqua, les doigts s’emmêlèrent aux siens, pieuvre amoureuse.

Vous devriez partir. Il fait jour. Ces mots la rongeaient comme une mauvaise gangrène. Sinon, j’risque bien d’jamais vouloir vous laisser filer, et d’vous garder tout contre moi, comme ça, et vos amis sauront jamais où vous avez disparu.
Aimbaud_de_josseliniere


Serré dans ses bras elle me laisse
Sourire aux heures qui disparaissent
La paresse cède un peu d'espace
Nos rêves et nos corps se délacent.

Le matin venu elle me laisse
Tomber du haut de sa tendresse
D'un regard qui dit "t'es tout seul"
Elle prend ses distances...
Dans ma gueule.

Les Wriggles — Des laisses


Le jour se levait, c'est vrai. Le rossignol avait cédé la place à l'alouette. Pourtant notre Roméo gagnait encore du temps. Loin d'écouter la paresse qui l'engourdissait, le sommeil qui appuyait sur ses paupières, il luttait et trouvait toutes sortes de stratagèmes pour faire bavarder l'étrangère qu'il avait capturée cette nuit, et qu'il tenait désormais fermement cloîtrée dans l'enceinte de ses bras. Il la pressait de questions et de remarques sur sa beauté. D'où cela lui venait-il, tout cela qui ne ressemblait à rien de connu ? Il étudiait les pelotes sombres et moirées de ses cheveux, s'étonnait de les voir se nouer autour de ses doigts comme la pampre des vignes, puis s'en enivrait en y respirant à pleins poumons...

Et il l'écoutait, lui parlait, de tout, de rien, de lui, de sa Bourgogne, de la France, de la Castille, sans même y penser, en lui tressant des colliers de baisers sur la gorge. Mais quand elle répondait, dans son parler populaire, avec ses traînées de mots entrecoupés, embrochés les uns dans les autres, avec son patois attendri, ses mimiques, qu'elle lui rendait la réplique et lui faisaient comprendre qu'il lui était cher, il ne pouvait plus que rire et la serrer à lui broyer les os en faufilant ses mains en camisole partout autour d'elle, et lui bégayer avec des chuchotements furieux et benêt :


Vous ! Vous je vous... Quel plaisir de vous rencontrer ! Et... C'est tout à fait inconventionnel... Et c'est péché d'adultère, mais... VOUS. Aah vous vous vous vous vous. Que vous me faites plaisir. Qu'il me fait mal de ne pouvoir... C'est. C'est bien malheureux non ?

Soudain alors il tenait la tête près de la sienne pour la questionner des yeux. Et elle lui répondait de la plus sage manière et la plus douce, en lui faisant promettre de rester sauf sur la route qu'il empruntait. Alors il se rassérénait. Puis sursautait à nouveau :

Mais vous ? Qu'allez-vous devenir ? De quoi vivez-vous ? N'avez-vous besoin de rien ? Que puis-je pour rendre vos jours faciles ? Que voulez-vous ? Puis-je vous faire don de quoi que ce soit ?

Elle déclinait. Qu'il ne s'inquiète de rien. Il ne faisait pas froid. Elle n'aimait pas les rubans. Elle ne voulait rien. Quoi que... Un petit quelque chose, un rien, peut-être. Un écrit, un objet, en souvenir de leur rencontre ? Et comment ! Mais bien sûr, qu'il voulait lui offrir quelque chose. Comment non... Si ce n'était que ça. Les joues rosissantes d'orgueil et de plaisir, il resta un temps pensif, cherchant ce qu'en ce grenier il pouvait posséder qui remplisse le rôle de relique.

Aussitôt, il ôta à son doigt une chevalière en argent que sa femme lui avait fait frapper par l'orfèvre de Darvault. C'était un anneau d'apparat qu'il portait près de son sceau sans même y penser. Il voulut la passer au doigt de la bohémienne, mais lui et ses neuf frères battirent en retraite.
Non. C'était trop cher. C'était trop. Elle ne voulait qu'un rien... Elle fit des facéties et le couvrit de mots doux, l'embrassa. Allons bon. Aimbaud pensa qu'elle plaisantait. Trop cher ? Par rapport à quoi ?


Mais prenez-la. Peu me chaut celle-ci, n'ayez crainte...!
Non. S'vous plait.
Prenez vous dis-je ! Axelle. J'en ai d'autres.
J'peux pas, quand j'étais môme, j'faisais la manche dans les rues d'Arles. Mon père m'a laissé l'choix entre un mariage forcé ou être putain, j'ai choisi la fuite. J'comprends bien qu'vous puissiez pas comprendre, mais cette bague, avec sa valeur, c'tout ça. Et ce ça est sale. Et cette nuit, dans vos bras, pour rien au monde, rien, j'n'veux la salir.


Il ne comprenait pas bien, en effet. Et il la regardait un peu bêta, la chevalière entre eux deux. Puis un pieu mensonge :

Non mais c'est de l'étain.

Alors amusée, elle dégrafa la breloque qui lui tenait lieu de bracelet et la lui échangea, en feignant qu'il s'agissait d'or. Ainsi eurent-ils tous deux leur part de métaux pauvres à garder au fond de leurs poches, en souvenir de leur nuit de faute. En toute équité.

Grave, elle provoqua ensuite la distance :


J'dois partir.
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