Ils sont là dans la salle basse et voutée, pas loin l'autel et le couteau...Miette s'acharne à tordre son bras pour desserrer et courir la haut, vers cette liberté qu'on ne lui avait jamais contestée avant... Fureur epouvantable palpable dans son attitude, elle veut pas aller, elle veut pas dire , elle veut pas qu'on lui fasse la piqure. Un refus d'autant plus categorique et sans appel qu'on veut lui imposer...Contradiction, exacerbée par le fait que le vieux ne veut pas ceder...Elle devine la presence de la sorciere tapie, là quelque part, et d'autres presences, nouvelles odeurs qu'elle ne connait...Herissée, le souffle haletant de cette colere qui a pris le controle de tout son etre, elle reprend une respiration profonde pour hurler à nouveau, chorale stridente, suraigue au point de faire courir sur la peau des frissons d'irritation et de faire grincer les dents...Elle n'ecoute pas la voix qui aprle doucement, elle veut pas entendre...C'est l'heure du chaton, c'est l heure du dehors et des rues silencieuses...Elle est là à agiter son bras, à hurler comme si on l'etripait mais malgré tout les mots volent et s 'engouffrent...Elle imagine en pensées confuses, toute entiere livrée à la haine profonde qui l habite en cet instant, des vengeances truculantes, où il est question de soupe aux noix, et de cranes pietinés...Oui elle donnera le manger pas bon, il va voir, et elle ecrabouillera les cranes, elle sautera dessus, elle les jettera contre les murs du Ciculus, elle criera dans le rond du dodo. Elle s 'y voit dejà, dents serrées, yeux etincelants, crachant sa rage...Mais les paroles atteignent tout de meme ce petit esprit et bien plus que la menace de voir sa tete coupée par Nestrecha certaines d entre elles agissent...Miette elle croit pas qu'elle mourra. Comme tous els enfants de son age elle pense etre invincible et que la mort c'est pour les autres, les vieux comme lui !!! Mais ce qu'il vient de dire desamorce la tempete violente...Elle croise sonr egard qui à l'air si sûr de ses dires, cherchant une lueur de fourberie, un eclat de tromperie...La madame de la mairie qui avait l'air si gentille elle avait dit que sa maman elle etait sur un nuage, mais Miette elle l'a jamais vu, meme qu'elle a regardé la pluie tomber en pensant que sa mere elle tomberait aussi en meme temps. Mais rien!! Des fois les grands ils disent des choses pas vraies, Miette le sait et elle trouve cela insupportable. Le fait qu'elle mente elle meme bien des fois ne la derange pas, sait elle meme qu'elle le fait, en a t elle conscience ? Elle comprend ce qu'on lui dit là, dans cette piece humide et caverneuse...
Quand Nestrecha ordonne... Tous obéissent...
Si tu ne lui donne pas... Une goutte de sang... Elle te coupera la tête...
Et tu iras au Circulus... Avec moi... Mais tu ne pourras... Plus parler... Plus voir le chat... Plus offrir de noix... Plus rien faire...
Un dodo... Pour toujours...
Alors quand Nestrecha dit... On fait...
Tu vois la vieille madame... la bas... On va aller la voir... Elle va nous faire... Une petite piqure... Et quand on fait piqure pour Nestrecha
Elle nous protège
Cest grâce à elle que Papy il est si vieux
Parce que Papy il a déjà fait la piqure
Mais il va recommencer
Avec toi
Pour te montrer
Mais si tu ne fais pas
Nestrecha pas contente
Et alors
Tu te rappelles le monsieur du pain qu'on a mangé ? Il avait pas fait la piqure
Et c 'est le silence soudain, presque genant tant il est retombé d'un coup, Miette est petrifiée, elle soupese le sens de ce qu'il vient de dire, bouche ronde, yeux ecarquillés...Le poid des paroles l'a cloué sur place...Obeir comme il dit, Miette elle veut pas, c'est comme elle veut et ce depuis toujours, elle fait quand ça l'arrange et pis Nestrecha elle s'en fiche, la preuve sa tete elle est toujours là, pas tombée...Aime pas donner Miette, surtout ça, une goutte de son sang, c'est le sien!! Et pis elle est petite elle en a pas beaucoup...Surtout elle veut pas devenir vieille un jour, avec plus de dents et sans cheveux comme la sorciere. Les vieilles madames elle courrent plus, elles peuvent plus grimper partout et quand elles marchent on dirait...Miette trouve pas de comparaison, mais elle veut pas devenir comme ça avec les jambes toutes tordues et les mains comme des feuilles toutes seches !! Silence qui s 'etire alors qu'elle reflechit, elle veut pouvoir encore demander des choses à Nestrecha et puis surtout le pire, ne plus parler, ne plus donner des noix, ne plus ecouter des histoires...Et Papy qui pourra plus la voir...Et l'impossible, l'inconcevable ne plus aller à l'heure du chaton cela la laisse interdite et profondement desemparée...Retombe la colere, l'argument a porté bien plus surement que toutes menaces...La crise est passée, elle sent la poigne qui se relache et libere son poignet d 'un geste vif, butée malgré tout. La bouille est encore rouge, les cheveux en bataille, mais elle est calmée. La petite voix se fait entendre, un peu cassée, rauque d'avoir tant crié.
Toi ti fais la piqure à Miette et pis apres ze vais dehors...Moi ze repete les mots et apres ze vais dehors!!! Ze veux pas voir le Mossieur di pain, Miette elle a...
Elle s'interrompt, bouche close sur ses secrets inavouables, sur ses petites perfidies. Des choses qui sont qu'à elle, et qu'elle veut pas dire, meme à lui...Elle se demande si lui aussi il dort là haut avec les cranes, Miette pense que peut etre si elle va faire le dodo de toujours, il sera pas content de la voir. Du coup elle veut bien donner un peu...
Toi ti enleve qu'une goutte c'est tout!! Ti es messant, moi ze voulais pas venir!!
Reste de rancune d'une gamine capricieuse et habituée à agir selon son bon vouloir...Mais elle pense aussi que si Papy a autant insisté c'est aussi parcequ'il veut pas que Miette elle fasse le dodo du toujours et qu'elle devienne un crane...Il est gentil quand meme, oui mais Miette voulait pas descendre ici aussi. Indecrottable rancuniere, caractere ombrageux, fond latent de mechanceté, noirceur de l'âme...Elle a cinq ans et une volonté farouche, mais elle cede pour cette fois, veut pas perdre l'heure du chaton Miette...Pensées comme des lames dans sa tete, petite voix assassine qui murmure...