Citation:De nous, Courchaton
A vous
Vous, quoi.
Ma chère petite chatte,
La passion avec laquelle vous vous exprimez flatte mon orgueil masculin, et me réchauffe le cur. Ainsi donc, comme toutes les femelles de notre temps, perdez-vous votre temps, loin des combats, à imaginer ce que lhomme de vos pensées peut bien faire, et dans quel état il se trouve. Rassurez-vous donc, ma pauvre petite, je vais pour le mieux, et jentends bien que tel reste le cas.
Vous parlez de me faire courir, puis de mébouillanter, et de me noyer. Soit. Me faire courir, jai déjà dit ce que jen pensais
Quant à mébouillanter, sachez que jai la peau très fragile, dune part. De lautre, il faudrait pour cela que jôte lune de ces formidables chemises de soie vénitienne que jaffectionne tant, et, croyez men, il faudrait que je sois mort pour cela. Idem pour lenvie de me noyer. Or, convenez québouillanter ou noyer un cadavre perd absolument tout son charme, nest-ce pas ? Soyez donc raisonnable, et trouvez donc autre chose pour pimenter notre relation intime, ma chère.
Si la nudité ne vous plaît pas, jen conviens, pour ma part. Jai dailleurs dit cela pour vous rendre la pareille, mais vous savez tout comme moi que vous pouvez certainement faire de votre simple habit de chair lenveloppe la plus imperméable et impénétrable qui soit. Souvent, je songe à notre entrevue à la parfumerie, et je me dis que oui, jai aimé cette parenthèse dans nos deux vies, ce petit moment passé en votre compagnie ou, sous le voile, vous nétiez que vous, et je nétais que moi. Je jouis rarement dinstants de ce genre, et jaurais aimé quil dure un peu plus longtemps, pour tout vous avouer.
Vous parlez de cette canne en mannonçant que vous voulez frapper mes amis avec. Vous navez rien compris. Je vous ai offert cet objet en reconnaissance dun peu de moi dans vous, dun peu dessence du Parfumeur, dans labîme de vos songes. Vous menacez mes amis ; vous ne savez pas qui ils sont, ou alors, vous nécoutez pas. Je nai pas damis Comtois, je mévertue à vous le dire depuis des lustres. Jy ai de la famille, certes, de celles que lon choisit, pas de celles qui nous sont imposées par les lois du sang. Je vous ai dit mille fois que la Franche Comté ne comptait pas que des gens qui maiment ou bien me respectent, et je leur rends ce mépris quils me crachent à la face depuis des lustres. Vous vous attaquez à un homme las, et pour lequel bien peu de gens ont de lintérêt.
Parmi eux sont Sergueï, il est vrai. Cela dit, jimagine quuser dune canne à son encontre sera encore moins productif que duser dune lame, à moins que vous ne vouliez que le bâton lui revienne également. Jai ouïe dire que, par déjà, lidée davoir perdu votre jouet ne vous sied guère, aussi, pourquoi songer à empirer votre pauvre sort ? Vous êtes convalescente, ma douce amie, restez donc un peu sage ; après tout, malgré votre petit sacrifice, vous êtes demeurée hors les combats jusque là. Poursuivez sur cette voie et restez en arrière, en sécurité, pendant que les grands se battent. Je ne men fais ni pour Sergueï ni pour Lyson, qui vous mettraient tous deux en pièces sans aucune difficulté, cest évident. Lun la déjà fait, par ailleurs.
Jai conscience que vous nêtes pas un doux chaton, je ne suis pas assez idiot pour croire une chose pareille. Néanmoins, je suis assez clairvoyant pour savoir que vous nêtes pas ce monstre de cruauté que vous affirmez être ; preuve en est le presque suicide que vous avez commis, pour en sauver quelques-uns. Cette guerre est encore moins la mienne que la vôtre, et si je réponds au ban, cest uniquement par mémoire et par respect envers feu mon prime suzerain, et pour son fils, dorénavant. Quant à contrôler ma patte, comme vous le dites, jai envie de vous renvoyer vos propres mots dil y a quelques temps. Vous vous méprenez sur mon compte.
Ma jambe boiteuse nest que la faiblesse physique dune âme détruite depuis bien longtemps ; toutes vos attaques ne matteignent ni ne me blessent. Je sais que je suis boiteux, jen ai fait une marque identitaire, autant que mes parfums. Ne vous battez pas pour tenter de me tuer ; je suis mort il y a des lustres. Vous narriverez pas même à me mettre hors de moi, bien que vous parliez de ma compagne, avec qui jai certaines choses à régler, à lheure actuelle. Que peut-il bien marriver de pire que je naie déjà connu ? La seule chose qui pourrait me fendre le cur définitivement, ce serait de perdre lun de mes enfants, dont jai la seule charge depuis que leur scélérate de mère nous a tous trahis.
Allons, soignez donc vos blessures, Agnesina, et ne perdez pas votre temps à réfléchir à celles que vous pourriez bien minfliger. Lheure viendra où ma jambe me fera si mal que jaurai besoin dun bourreau.
Je paierai vos gages, si vous le souhaitez. Sergueï ma écrit cela, en parlant de vous: « on nachève bien les chevaux ». Vous achèverez votre Chaton. Un jour. Bientôt.
Dans lintervalle, prenez soin de vous, et cessez donc de pérorer ; pensez-vous être très audible, à labri dun lit de convalescence ?
Merci pour le trou, mais jai un espace réservé ; chacun sait d'ores-et-déjà que je serai enterré sous mon parterre de tulipes.
Bien affectueusement,
B.Hartasn.