Vasco.
Un pied posé sur l'appui de la fenêtre, l'autre solidement ancré au sol, le regard du Visconti se perdait quelque part dans les ruelles de Chambéry. L'été était arrivé brusquement. Le soleil caressait la ville savoyarde de sa chaleur bienfaisante. Il faisait chaud ce jour-là. Chaud et lourd. C'était une journée d'orages quand bien même il était encore tôt en saison pour cela. Devant lui, certains membres de la Spiritu Sanguis lézardaient à l'abri du soleil. Avachis : tel aurait été l'adjectif que le Visconti aurait utilisé pour les décrire. Avachis comme en taverne entre deux opérations. Ce contraste avait saisi le sicilien la première fois qu'il en prit conscience. Au repos, la Spiritu Sanguis ressemblait plus à une bande de sales mouflets profitant de leur petite taille pour passer entre les grandes personnes et couper les cordons de leurs bourses. S'Insulter, se lancer des gestes obscènes, boire, manger, se prélasser par manque d'activité...De vrais enfants en transition vers l'âge adulte. Et pourtant ils avaient déjà tous menti, tué, volé, pillé et pour certains d'entre eux même violé sans doute. Chambéry...Il n'y avait rien à faire dans cette ville morte laissée à l'abandon par sa population et par ses politiciens en manque d'imagination...ou de volonté.
Le regard du Visconti se tourna vers l'assemblée, vers Ina Corleone. Ses prunelles se fixèrent sur l'extrémité de sa botte remontant lentement les courbes de sa jambe comme si la pulpe de ses doigts laissait sur sa peau hérissée une volée de désir. Elles s'attardèrent ensuite à la lisière du bas, esquissant une spirale enivrante pour venir s'enrouler autour de son genou et poursuivre en lézardant le long de sa cuisse. Le bruit d'un forgeron tapant contre son enclume ramena le Visconti à la réalité, rompant ainsi brutalement le contact de ses prunelles sur le corps de son amante. Cette torpeur ne lui convenait, elle laissait dériver son esprit vers des mondes oniriques qui ne saccordaient guère avec l'instant présent. Trop de monde. Pas assez d'intimité. Le divertir. Penser à autre chose. Lancer la conversation. Éviter de trop penser...ou alors l'emmener ailleurs et laisser libre court à ses envies.
- Hier, j'ai rêvé que j'avais le monde à mes pieds. Alors, je l'ai écrasé. D'un coup de talon. D'un seul...
Joindre le geste à la parole avait l'avantage de rehausser un peu le goût de cette journée, de sortir l'assemblée de l'ambiance de torpeur dans laquelle elle était plongée...et de chasser de l'esprit de Visconti les dernières vapeurs de sensualité qui l'embrumaient.
- Après, je me suis retrouvé dans un long couloir sombre, éclairé seulement par quelques torchères qui projetaient sur les murs une aura de domination absolue. Les flammes dansaient sur les portraits de Velasco Visconti qui y étaient accrochés. En dessous de la toile, il y avait mon nom, mon année de naissance et de mort. Sur la gauche, des haillons de phrases que certains auraient dit sur moi. Et sur la droite, une épitaphe... Velasco Visconti, amant maudit d'Agnesina Temperance Corleone, père Ad Cautelam de Livie Visconti, mort à...
Livie Visconti. Elle avait déboulé dans la vie du sicilien sans crier gare ni même "Papaaaa!", un jour de Mai 1462. Pour Vasco, elle était issue de la génération spontanée, un peu comme ces miasmes sortis dont on ne sait où et qui vous empoisonnent la vie vous donnant suée, fièvres, courbatures et vomissements. D'ailleurs, miasmes et mômes n'avaient-ils pas la même racine latine? Une histoire floue, des questions laissées sans réponse... et une acceptation de paternité fondée sur du vent. Remarquez que pour un marin, ça n'était pas si mal que cela! Mais elle l'avait convaincu. Elle, c'était celle qui se trouvait au-dessus des jambes que son regard détaillait auparavant.
- Enfin... je n'ai jamais pu lire la date et le lieu de ma mort. Dommage. Ça aurait pu être amusant de tenter le Sans-Nom. Mais tout ça m'a donné une idée: Dans nos quartiers à Paris, on devrait avoir un long couloir avec le portrait et les méfaits de chaque membre renommé de la Spiritu Sanguis! Ça contribuerait à notre légende. Tous ceux qui viendraient nous voir tomberaient sur notre histoire, nos faits d'armes au travers de cette galerie de personnes. Le lieu pourrait même devenir mythique, source des légendes les plus folles! On ferait courir le bruit que ceux qui poserait le regard sur le portrait de Rodrielle Corleone seraient la cible d'un brigandage au moins une fois par cycle lunaire, que ceux qui croiserait le regard de feu d'Arsène Corleone sur son tableau périraient brulés dans l'année dans un brasier infernal...
Sur l'horizon, dans la vallée, les premières rougeurs du soleil couchant commençaient à poindre. Le jour déclinait au contraire de la chaleur qui elle persistait. Le flot de paroles du Visconti se tarit un instant, laissant à l'esprit le temps de rattraper l'avance prise par la langue. L'été était à leur porte. Pour le sicilien, c'était la plus belle des saisons, celle où il revivait. La Méditerranée était encore loin certes, mais il n'avait pas abandonné l'idée d'y plonger Ina Corleone par la journée la plus torride, offrant son corps aux caprices des vagues azuréennes. Un bateau qui grince sous l'effet de la houle, un soleil dardant ses rayons sur le pont, écrasant les brigands d'une chaleur langoureuse prompte à faire perler des gouttelettes de sueur le long de leurs corps. Un ciel bleu avec au loin quelques nuages floconneux, une brise légère amenant un doux contraste chaud-froid sur leurs peaux et...Ina Corleone! En cet instant précis, l'esprit du Visconti était loin de la guerre avec la Franche-Comté, de Sarani, de Serguei Novgorod, des meurtres, des vols et des pillages.
- J'ai croisé une artiste une fois. Elle s'appelait Niceaux. Elle avait un talent fou! Elle a peint devant moi. On aurait dit que ses pinceaux dansaient sur sa toile comme nos lames dansent sur le corps de nos ennemis... On a parlé une fois de trouver un ménestrel pour chanter nos exploits. On devrait aussi trouver un artiste pour immortaliser nos faces avant que le temps n'y laisse ses marques et on exposerait ses toiles dans le temple de la renommée de la Spiritu Sanguis! Ina? Ma prochaine paie, je ne la veux pas en écus... Je veux une toile à ma gloire!
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Le regard du Visconti se tourna vers l'assemblée, vers Ina Corleone. Ses prunelles se fixèrent sur l'extrémité de sa botte remontant lentement les courbes de sa jambe comme si la pulpe de ses doigts laissait sur sa peau hérissée une volée de désir. Elles s'attardèrent ensuite à la lisière du bas, esquissant une spirale enivrante pour venir s'enrouler autour de son genou et poursuivre en lézardant le long de sa cuisse. Le bruit d'un forgeron tapant contre son enclume ramena le Visconti à la réalité, rompant ainsi brutalement le contact de ses prunelles sur le corps de son amante. Cette torpeur ne lui convenait, elle laissait dériver son esprit vers des mondes oniriques qui ne saccordaient guère avec l'instant présent. Trop de monde. Pas assez d'intimité. Le divertir. Penser à autre chose. Lancer la conversation. Éviter de trop penser...ou alors l'emmener ailleurs et laisser libre court à ses envies.
- Hier, j'ai rêvé que j'avais le monde à mes pieds. Alors, je l'ai écrasé. D'un coup de talon. D'un seul...
Joindre le geste à la parole avait l'avantage de rehausser un peu le goût de cette journée, de sortir l'assemblée de l'ambiance de torpeur dans laquelle elle était plongée...et de chasser de l'esprit de Visconti les dernières vapeurs de sensualité qui l'embrumaient.
- Après, je me suis retrouvé dans un long couloir sombre, éclairé seulement par quelques torchères qui projetaient sur les murs une aura de domination absolue. Les flammes dansaient sur les portraits de Velasco Visconti qui y étaient accrochés. En dessous de la toile, il y avait mon nom, mon année de naissance et de mort. Sur la gauche, des haillons de phrases que certains auraient dit sur moi. Et sur la droite, une épitaphe... Velasco Visconti, amant maudit d'Agnesina Temperance Corleone, père Ad Cautelam de Livie Visconti, mort à...
Livie Visconti. Elle avait déboulé dans la vie du sicilien sans crier gare ni même "Papaaaa!", un jour de Mai 1462. Pour Vasco, elle était issue de la génération spontanée, un peu comme ces miasmes sortis dont on ne sait où et qui vous empoisonnent la vie vous donnant suée, fièvres, courbatures et vomissements. D'ailleurs, miasmes et mômes n'avaient-ils pas la même racine latine? Une histoire floue, des questions laissées sans réponse... et une acceptation de paternité fondée sur du vent. Remarquez que pour un marin, ça n'était pas si mal que cela! Mais elle l'avait convaincu. Elle, c'était celle qui se trouvait au-dessus des jambes que son regard détaillait auparavant.
- Enfin... je n'ai jamais pu lire la date et le lieu de ma mort. Dommage. Ça aurait pu être amusant de tenter le Sans-Nom. Mais tout ça m'a donné une idée: Dans nos quartiers à Paris, on devrait avoir un long couloir avec le portrait et les méfaits de chaque membre renommé de la Spiritu Sanguis! Ça contribuerait à notre légende. Tous ceux qui viendraient nous voir tomberaient sur notre histoire, nos faits d'armes au travers de cette galerie de personnes. Le lieu pourrait même devenir mythique, source des légendes les plus folles! On ferait courir le bruit que ceux qui poserait le regard sur le portrait de Rodrielle Corleone seraient la cible d'un brigandage au moins une fois par cycle lunaire, que ceux qui croiserait le regard de feu d'Arsène Corleone sur son tableau périraient brulés dans l'année dans un brasier infernal...
Sur l'horizon, dans la vallée, les premières rougeurs du soleil couchant commençaient à poindre. Le jour déclinait au contraire de la chaleur qui elle persistait. Le flot de paroles du Visconti se tarit un instant, laissant à l'esprit le temps de rattraper l'avance prise par la langue. L'été était à leur porte. Pour le sicilien, c'était la plus belle des saisons, celle où il revivait. La Méditerranée était encore loin certes, mais il n'avait pas abandonné l'idée d'y plonger Ina Corleone par la journée la plus torride, offrant son corps aux caprices des vagues azuréennes. Un bateau qui grince sous l'effet de la houle, un soleil dardant ses rayons sur le pont, écrasant les brigands d'une chaleur langoureuse prompte à faire perler des gouttelettes de sueur le long de leurs corps. Un ciel bleu avec au loin quelques nuages floconneux, une brise légère amenant un doux contraste chaud-froid sur leurs peaux et...Ina Corleone! En cet instant précis, l'esprit du Visconti était loin de la guerre avec la Franche-Comté, de Sarani, de Serguei Novgorod, des meurtres, des vols et des pillages.
- J'ai croisé une artiste une fois. Elle s'appelait Niceaux. Elle avait un talent fou! Elle a peint devant moi. On aurait dit que ses pinceaux dansaient sur sa toile comme nos lames dansent sur le corps de nos ennemis... On a parlé une fois de trouver un ménestrel pour chanter nos exploits. On devrait aussi trouver un artiste pour immortaliser nos faces avant que le temps n'y laisse ses marques et on exposerait ses toiles dans le temple de la renommée de la Spiritu Sanguis! Ina? Ma prochaine paie, je ne la veux pas en écus... Je veux une toile à ma gloire!
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