Accrochons-nous bien, car certains limiers ont la truffe aguerrie. Fuyez-les, courrez, cachez, mais jamais vous ne serez assez habile pour leur échapper. Vos traces impriment à jamais dans leur rétine limage exacte de votre pas maladroit. Votre trajectoire est devinée, analysée, comprise enfin, et ils sauront, ils seront, où vous êtes, avant même que vous y soyez. Abandonnez lun de ces précieux détectives dans un petit châtelet pour fuir avec une duchesse sous le bras, mais à peine parti, il vous retrouvera. Car les forêts sont son jardin, et les routes ses trous de nez, ni la campagne ni ce quelle contient, vous y compris, na de secrets pour lui. En loccurrence, un bon détective trouve Ryoka, trouve la duchesse, fesse Ryoka, ramène la duchesse chez elle dans ce sens, car Ryoka na pas de chez lui -, et évite à tout le monde, en un temps record, et avant la tombée de la nuit, une montagne de problèmes.
Pourquoi Bartholomé nen était-il pas ? Sans doute avait-il préféré développer dautres talents, plus utiles, plus adaptés aux situations dans lesquelles il avait lhabitude de se trouver. Quel besoin a-t-on, dans une quête de luxe et de gloire, de courir les chemins comme un vulgaire péquenaud ? En théorie, il devait avoir des gens, des subordonnés capables de sacquitter de ce genre de tâches largement en dessous de sa valeur absolue. Conséquence néanmoins immuable : il était perdu. Tout bien réfléchi, le début de sa chevauchée ne létait pas assez, et il eut mieux fait de retenir la trajectoire parcourue avant de sengager dans celle à parcourir. Si bien quil se retrouvait au milieu dune forêt inconnue, dans une province inconnue, à la recherche dun frère connu mais non moins navrant, alors que les rayons du soleil se faisaient plus rasants, donnant aux cîmes des arbres qui surplombaient Bartholomé une teinte magnifique qui le laissait incroyable totalement indifférent sur le plan esthétique, tout juste inquiet sur le plan pratique : si la nuit tombait, ses chances de retrouver son frère ou une forme dexistence civilisée tombaient à zéro, ou, en adoptant le point de vue le plus optimiste, à une sur une quantité tendant vers linfini on apprit plus tard que cela faisait zéro. En bref : minces.
Instant de réflexion, carte de la région à lappui. Il venait de Risoul, pointée sur la carte par son annulaire, et avait, globalement, marché en direction de lest, trajet grossièrement figuré par son majeur, et attesté par la présence du soleil fugace dans son dos. Du fait quil navait pas croisé de voie dimportance, il devait se trouver toujours au nord de la route reliant Embrun index et Briançon auriculaire. Fier de sa performance, aussi bien dans le domaine de lorientation que dans celui de lanatomie des membres antérieurs, le scout improvisé décida de poursuivre dans la même voie afin datteindre au plus vite Briançon.
Il fut rapidement récompensé. Sil nétait pas parvenu à sa destination avant la tombée de la nuit, il avait néanmoins rejoint une route franche et honnête, et chevauchait, au pas et à laveugle, vers de vagues lumières qui le guidaient de loin, et quil mit une bonne heure à atteindre, tout en sagaçant contre sa monture quil jugeait, à raison, incapable de maintenir une bonne allure une journée entière, et qui faute de pouvoir lui dire franchement merde et lui suggérer de changer les rôles, ralentissait à chaque plainte du cavalier. Parvenu aux portes, ce dernier salua le garde, se fendit dune vague phrase de louange à destination du village de Briançon, et senquit du chemin à prendre pour trouver une auberge pour la nuit.
« Nom dune poutre ! jura le garde. Tes pas à Briançon mon gland, cest Embrun par ici ! »
Perplexe, autant vis-à-vis du patois local que de la raison qui lavait amené à se retrouver à lopposé de sa destination, Bartholomé pénétra dans lenceinte de la ville, après avoir fait répéter trois fois la direction dune auberge, autant par recrudescence de son manque de confiance en son sens de lorientation que pour rire intérieurement des expressions folkloriques du gardien. Il se perdit une fois, pesta, donna de rage un coup de pied dans un tonneau, et suivit les remparts jusquà revenir aux portes de la ville. Il se fit alors dessiner le chemin, et parvint, après maints efforts, à ouvrir la porte dun établissement de repos. Reposant aussi, car lendroit nétait pas bruyant. Trois sinistres avinés dormant, un mystérieux encapuchonné buvant, aucun ne dégageant dagitation superflue. Affamé et assoiffé, Bartholomé commanda de quoi remédier à ce genre de soucis pratiques, et sassit au milieu de la salle pour profiter de ses achats.
Son plat lui fut livré. Peu intéressant, très éloigné de celui de la veille. Et surtout : sec. Il manquait cruellement quelque chose. Comme une bière. Une bière quil aurait, par exemple, commandée, et qui pourrait, sait-on jamais, être celle servie actuellement au type en capuche assis dans lombre.
« Eh ! lança-t-il, bêtement. Ca, cest ma bière ! »
A peine sa phrase sétait-elle échappée de ses lèvres quil eût voulu la rattraper, lenfermer et la brûler, dans cet ordre ou un autre. Cétait stupide. La fatigue le rendait inopérant, incapable de réflexion : il provoquait un conflit, la nuit, dans une auberge miteuse, avec un inconnu dont il constata amèrement larmement conséquent. Qui plus outre, la tenancière était laide et aucune femme attirante aurait pu justifier de séduisantes effusions de violence.
Prêt à payer à létranger sa bière, son repas, sa chambre et sa bourse, Bartholomé était prêt à tout pour éviter de se faire dépecer dans ce triste lieu pour avoir revendiquer ses droits sur une bière jaunâtre.