Vasco.
...À moins qu'il ne s'agisse plutôt de Corleone contre Visconti. Qui recevait et qui jouait sur le terrain de qui? Difficile à dire. Toujours est-il qu'en cet instant il était la proie et Ina le chasseur. Sa dernière lettre ne faisait aucun doute là-dessus.
Citation:
- Vélasco,
Gabriele m'a apporté ta lettre.
Je savais que tu ne m'as pas trompée et que tu ne comptais pas le faire. Ce n'était pas une question de jalousie.
Tu n'étais qu'une faiblesse pour moi. Une faiblesse que les autres pouvaient utiliser pour m'atteindre. Et ébranler le Clan, car je suis l'une de Ses Meneuse. L'ennemi est là, à l'affût de la moindre faille pour décrédibiliser le Clan et en faisant ami avec ta puttana, tu es tombé dans le piège. Elle s'est crue tellement importante qu'elle s'est permise de m'insulter devant mes hommes, parce que tu as cru bon de croire que ces habitants étaient dignes d'intérêt. Ils ne le sont pas. Ils ne sont que des chiens jaloux de la liberté des loups. Ils t'ont ridiculisés et tu as fait de même pour le Clan, en continuant dans ta lancée.
Tu as fait le choix de partir en nous laissant tous, soit. Un homme qui préfère abandonner sa famille, n'est pas un homme. Ce ne sont pas tes mots qui ont rompus ce lien entre nous mais tes choix.
C'est pourquoi je te considère dès à présent comme Persona non Grata. Si nos chemins se croisent, je te tuerai. Ina Corleone.
"Si nos chemins se croisent, je te tuerai"... Ces mots résonnaient encore dans son esprit alors que le corps tuméfié du Visconti se trainait vers le petit ruisseau qui coulait en contrebas du chemin. Les lèvres gercées entrèrent en contact avec la froideur de l'eau, apaisant pour un instant le feu qu'il ressentait. Les bras en croix, le dos au sol, les yeux tournés vers le ciel, il récupérait de l'effort qu'il venait d'accomplir. Sa blessure s'était ré-ouverte. Son pansement de fortune dégageait une odeur qui ne signifiait rien de bon.
- Nos chemins vont se croiser Ina. Tu me tueras...Ou je te tuerai...Ou encore on mourra tous les deux comme on l'avait dit!
Il avait faim, il devait soigner sa blessure et poursuivre sa route avant de mourir d'épuisement ou de s'être vidé de tout son sang. S'il restait ici, il ne serait bon qu'à devenir un festin pour les loups. Sa chemise de rechange fut déchirée et trempée simplement dans l'eau glacée. Il l'appliqua alors sur la plaie de son abdomen et pressa pour diminuer l'hémorragie. Un cri de douleur vrilla la forêt environnante. Sa poitrine montait et descendait dans un rythme accéléré. De la brume s'échappait de sa bouche avec les frimas matinaux.
- Tu as été idiote Ina Corleone. Si quelqu'un a été manipulé dans cette affaire, c'est toi! Tu l'as dit: c'est toi la Cheffe! C'est toi qu'on cherchait à atteindre. Rappelle-toi... Qui a subi les procès? En Franche-Comté. En Savoie. Tu n'as pas couru vers eux. Tu as sauté à pieds joints les deux bras! Tu as fait exactement ce qu'ils attendaient de toi parce que tu fais plus confiance à des estrangers qu'à tes propres hommes. Tu t'es fait manipulée comme tu as manipulé Lancelot! Et au final le résultat est le même. Certains diront que c'est un juste retour des choses. On ne s'attaque pas aux sous-fifres! Un vrai Chef Ina Corleone aurait compris ce que je recherchais et su lire clairement la situation. Tu as transformé une situation gagnante en déroute. A cause de ta jalousie. Tu es venu comme un chien dans un jeu de soule, tu as tout détruit. Et pourquoi? Parce que tu es une femme et que tu réfléchis avec tes sentiments, quels qu'ils soient.
Déjà, les pansements neufs avaient virés au pourpre alors que le teint d'habitude hâlé du sicilien prenait une sale couleur livide. Il devait récupérer des forces pour continuer la route. Ne pas s'arrêter. Ne pas dormir sous peine de ne jamais se réveiller. S'appuyant sur un bâton de fortune, il progressa lentement, profitant du couvert de la forêt. Le chemin? Non. Pas maintenant. Trop dangereux. Il ne serait pas capable de se défendre. Avancer. Toujours. Encore. Avancer quitte à en mourir. Le soir pointait le bout de son nez lorsqu'il tomba sur les reliefs d'un feu de camp. Les braises étaient froides mais l'endroit avait été piétiné récemment. Dans les cendres trainaient encore quelques morceaux de viande et un peu de pain qui avait, depuis, pris l'humidité. Il devrait s'en contenter. Pour aujourd'hui. Son estomac criait famine et son ventre pleurait sa douleur. La gorge était de nouveau sèche et les lèvres fissurées. Combien de temps s'était-il assoupi ici? Il ne sut le dire. Sans doute quelques heures car lorsqu'il se réveilla, le soleil avait déjà été remplacé par la lune là-haut dans le ciel. Marcher. C'était devenu son leitmotiv. Marcher encore et toujours.
[Flashback...Chambéry, un jour plus tôt]
Le réveil avait été douloureux, mais plus que les coups reçus par le Von Bek, les mots d'Ina avaient fait leur oeuvre. Il l'avait ridiculisé elle. Il avait ridiculisé tout le clan. Pour quelles raisons? Il ne le savait pas. Qu'est-ce qui avait bien pu motiver de telles paroles? A en croire ces lettres, c'était le comportement de Bellha. Tout cela paraissait si irréel pour le Visconti. Quand quelqu'un voulait entrer dans la Spiritu Sanguis, il était testé. On cherchait à le déstabiliser et on voyait comment il réagissait. Cela, le Visconti l'avait vu de ses yeux. Il avait observé comment Enjoy faisait. Si la cible perdait le contrôle d'elle-même, n'avait pas de répondant, cela voulait dire qu'elle n'avait pas l'étoffe pour les rejoindre. Cela, le Visconti le savait. Sa réplique à Ina avait d'ailleurs été d'un calme olympien juste avant le duel. Alors pourquoi des mots si directs de la part de la Corleone. Lorsqu'il revint à lui après le duel perdu, Velasco avait trouvé la réponse qu'il cherchait. Il ne pouvait y avoir qu'un sens caché à cette phrase: tu rentres dans le rang, tu te fais plus discret...ou tu dégages! Voilà comment il avait traduit les paroles d'Ina. Une invitation à mettre de la distance entre eux. Temporairement? Définitivement? Il était trop tôt pour le dire. Tout comme il était trop tard pour ne pas agir. Tout cela était allé trop loin.Il lui donnerait donc ce qu'elle lui demandait. Le duel tombait finalement au mauvais moment: ses blessures semblaient le contraindre à l'inaction. Mais l'inaction signifiait pour lui perdre Ina. Parce des mots plus durs encore seraient échangés. Parce que l'un ou l'autre céderait du terrain pour gagner paix...et perdre de facto tout intérêt pour l'autre. Non. Ce soir là, il n'y avait qu'une solution: disparaître. Et même plus que disparaître : quitter Chambéry.
Il pouvait à peine marcher. Ses braies étaient tachés de coulisses rouges carmin. A la porte Nord de Chambéry, il tomba sur un groupe de marchands ambulants. La négociation ne tarda point. Les hommes avaient de la place pour lui...et sa cargaison de pains qu'il avait dévalisé du marché juste avant de partir. Le clin d'oeil ironique du destin était que ces pains, il les avait acheté à Jusztina, celle qui avait payé un garde à l'entrée de sa taverne pour interdire l'entrée au Visconti. Celle qui le détestait cordialement et qui rirait sans doute longtemps lorsqu'elle apprendrait ce qui s'est passé entre Ina et Vasco. Enfin...après s'être sans doute précipité à la maréchaussée de Chambéry pour aller se plaindre auprès du prévôt de l'achat illégal de pains! Le moins que l'on puisse dire, c'est que le départ du sicilien devait autant faire l'affaire des chambériens qui le haïssaient que celle d'Ina que Vasco aimait encore.
- C'est pour nous que je pars Agnesina. Au revoir ou... Adieu. Seul Déos le sait. Espérons qu'il soit plus clément que cet après-midi.
Les marchands lui avaient organisé une place dans leur charriote afin qu'il puisse s'allonger. Juste avant de partir, Vasco manda un gamin pour porter une lettre et un pigeon à Livie. Il en fit de même avec Gabriele. S'il y avait quelqu'un à la Spiritu Sanguis qui pouvait comprendre son geste, ce serait sans doute Gabriele.
Citation:
- Buongiorno Gabriele,
Pour une fois, je fais court. J'ai quitté Chambéry et je vais m'éloigner de la Spiritu Sanguis un moment. Temporairement ou définitivement, je n'en sais rien. L'Avenir nous le dira. Ina estime que je ridiculise elle et le clan. Je n'ai pas envie de lui répliquer car je sens que je pourrais dire des choses qui romprait définitivement notre relation et je ne le souhaite pas. J'ose encore croire que le future nous appartient.
Garde ce pigeon Gabriele, tu es le seul de la Spiritu qui pourra me contacter avec lui. Je ne dirais à personne où je vais. J'ai assez de pain pour éviter les villes. Si je ne rencontre pas de malfrats ou d'armée, je devrais rester discret pendant un long moment.
Passe mes hommages à tous les membres de la Spiritu. Ça m'a fait plaisir de vous connaître et de vous fréquenter. Spiritu Sanguis un jour, Spiritu Sanguis toujours.
Ci-joint une lettre cachetée. Elle est pour Ina. Donne-la lui je te prie.
Avec mes remerciements et ma gratitude,
Vasco.
Citation:
- Buongiorno Ina,
Je pense qu'il est actuellement inutile que nous débattions. Le discours serait par trop stérile, chacun restant campé sur ses opinions sans écouter l'autre. Le cas Bellha n'est rien d'autre qu'une péripétie de plus dans notre relation rythmée au son de nos jalousies respectives. Tu sais qu'il n'y a rien eu avec Bellha et qu'il n'y aurait jamais rien eu.
Mais, ce qui m'a décidé de partir, c'est que tu considères que je te ridiculise. Toi et le clan. Alors, je m'éloigne. Ainsi, tout rentrera dans l'ordre. Si je t'aime? toujours. C'est pourquoi je ne désire pas te répondre. Les mots qui sortiraient de ma bouche actuellement, je le crains. Ils pourraient dépasser ma pensée et rompre à tout jamais ce lien particulier qui m'unit à toi. Je ne sais quels seront tes sentiments et j'ai même envie de dire que je ne veux surtout pas les savoir. C'est pourquoi je pars sans te dire où je vais ni sans te donner de moyen de me joindre. Le destin nous remettra sans doute sur le chemin de l'autre à un moment ou à un autre et nous verrons alors ce qui en sortira de ce moment de vérité.
Ciao Ina.
Velasco.
Des mots sans force, sans vigueur. Tout ce qu'il pouvait sortir pour l'occasion parce qu'il n'en n'avait pas la force physique. Parce que le geste qu'il s'apprêtait à accomplir lui détruisait l'âme. La charriote s'ébranla dès l'ouverture des portes par la maréchaussée. Nul doute que les serviteurs zélés du duché noteraient son départ. Ils ne l'empêchèrent d'ailleurs pas. L'alerte n'avait pas été donné ou alors personne n'avait réussi à trouver ou à réveiller le procureur en pleine nuit. Avant que le soleil ne se lève, un corps meurtri de coups supplémentaires roula dans le fossé, le visage tuméfié, inconscient. Les caisses de pains et l'or qu'il transportait étaient restés dans la charriote. Les marchands, sans doute trop chargés, s'étaient débarrassés du surpoids inutile, séparant ainsi le bon grain du pain et des écus d'un côté de l'ivraie sanguinolente viscontienne de l'autre.
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