Judas
La porte s'ouvrit sur un Judas prêt à prendre le départ, vêtu pour le voyage d'étoffes épaisses malgré la chaleur des journées. Sur son visage semblèrent s'évanouir des traits de contrariété, d'agacement et d'attente secrète, lorsque le vis à vis du jeune Hugo lui apparut. Soulagé peut-être, satisfait à n'en pas douter.
La main se posa sur l'épaule, retenant des bras avides de les entourer, pudiques et fiers, incapables de la moindre démonstration superflues pour les attachements qui dérangent. Hugo était arrivé. Et avec lui le flot bouillonnant d'idées noires que le seigneur emmagasinait comme de la poix épaisse dans le lit de ses pensées depuis son arrivée en Bretagne. Il l'entraina à l'intérieur, refermant la porte sur leurs arcanes avant l'heure du départ. A l'intérieur, Judas lui servit du vin et lui donna des restes de repas encore tièdes en guise de bonjour, soucieux de nourrir cet enfant adoré. Peut-être aussi conscient au fond que l'un négligeait son estomac pour remplir et apaiser l'autre... Ineffables relations de Judas.
C'est en ces mots couchés sur un vélin breton il y a longtemps que Judas avait sans doute été honnête pour la première fois. Avant de ne plus savoir l'être. Il s'assit en face de lui, remarquant que les yeux s'attardaient imperceptiblement sur leur environnement, jaloux sans doute de ne pas être l'objet de toutes leur curiosité... Il avança un morceau de pain en direction de l'écuelle, et murmura simplement:
Tu sauras qu'en Bretagne, nous ne sommes jamais vraiment les mêmes qu'ailleurs...
Ici pas de prières, pas de dissimulation. La frontière est un mur qui garde ses secrets, avide de ne pas s'associer aux Français. Ici, pas de manoir, pas de fastes et clinquantes représentations. La représentation excusait les auberges simplettes, les moeurs païennes, l'alcool plus que de raison. Les rixes, là où hier encore sa main de cuir s'abattait sur la trogne d'un Anglais à la provocation heureuse. Les veillées trop tardives, bien loin de la vie Monacale que Judas avait embrassée en France aux yeux d'Hugo. Le seigneur était arrivé pour la première fois ici avec des esclaves à perte d'horizon. Avait joué de femmes ouvertement, malgré leurs Unions. Ses Unions. Il laissa le silence revenir, puis le chassa à sa manière.
Tu vas enlever mon fils.
Etrange que de voir confiée à des mains meurtrières la précieuse vie de l'héritier... La pureté n'est pas affaire d'actes mais de capacité. Judas a appréhendé son jeune limier dans une stricte considération qui ne dérange pas sa capacité à se mêler au monde... Un jouvenceau bâtard, au visage si lisse et innocent, incarnation de l'inexpérimenté tendron à tout public curieux... Un assassin à gages, gages de reconnaissance, dans l'intimité d'un seigneur qui aime à laisser penser qu'il n'en a pas. Chien fidèle, Hugo pouvait tuer une bête malheureuse avec un certain plaisir et protéger une âme avec ferveur et loyauté... C'est cette dualité innée qui avait séduit le Von Frayner, se reconnaissant peut-être dans ce jeu de visages, et qui avait fait d'Hugo son actuel et principal objet d'attentions. Objet compensatoire, peut-être. Il l'avait logé, habillé, l'avait nourrit et semblait l'avoir définitivement recueilli. Ne restait plus qu'à cesser de le dissimuler. La voix cassée tempéra.
Mais nous en reparlerons. Mange, le coche attend. Ne donnons pas au Vicomte matière à partir sur le tard.
Après tout, n'est-ce pas le roman de Renard...
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Je t'attendais.
La main se posa sur l'épaule, retenant des bras avides de les entourer, pudiques et fiers, incapables de la moindre démonstration superflues pour les attachements qui dérangent. Hugo était arrivé. Et avec lui le flot bouillonnant d'idées noires que le seigneur emmagasinait comme de la poix épaisse dans le lit de ses pensées depuis son arrivée en Bretagne. Il l'entraina à l'intérieur, refermant la porte sur leurs arcanes avant l'heure du départ. A l'intérieur, Judas lui servit du vin et lui donna des restes de repas encore tièdes en guise de bonjour, soucieux de nourrir cet enfant adoré. Peut-être aussi conscient au fond que l'un négligeait son estomac pour remplir et apaiser l'autre... Ineffables relations de Judas.
"Vous êtes coeur, je suis ventre."
C'est en ces mots couchés sur un vélin breton il y a longtemps que Judas avait sans doute été honnête pour la première fois. Avant de ne plus savoir l'être. Il s'assit en face de lui, remarquant que les yeux s'attardaient imperceptiblement sur leur environnement, jaloux sans doute de ne pas être l'objet de toutes leur curiosité... Il avança un morceau de pain en direction de l'écuelle, et murmura simplement:
Tu sauras qu'en Bretagne, nous ne sommes jamais vraiment les mêmes qu'ailleurs...
Ici pas de prières, pas de dissimulation. La frontière est un mur qui garde ses secrets, avide de ne pas s'associer aux Français. Ici, pas de manoir, pas de fastes et clinquantes représentations. La représentation excusait les auberges simplettes, les moeurs païennes, l'alcool plus que de raison. Les rixes, là où hier encore sa main de cuir s'abattait sur la trogne d'un Anglais à la provocation heureuse. Les veillées trop tardives, bien loin de la vie Monacale que Judas avait embrassée en France aux yeux d'Hugo. Le seigneur était arrivé pour la première fois ici avec des esclaves à perte d'horizon. Avait joué de femmes ouvertement, malgré leurs Unions. Ses Unions. Il laissa le silence revenir, puis le chassa à sa manière.
Tu vas enlever mon fils.
Etrange que de voir confiée à des mains meurtrières la précieuse vie de l'héritier... La pureté n'est pas affaire d'actes mais de capacité. Judas a appréhendé son jeune limier dans une stricte considération qui ne dérange pas sa capacité à se mêler au monde... Un jouvenceau bâtard, au visage si lisse et innocent, incarnation de l'inexpérimenté tendron à tout public curieux... Un assassin à gages, gages de reconnaissance, dans l'intimité d'un seigneur qui aime à laisser penser qu'il n'en a pas. Chien fidèle, Hugo pouvait tuer une bête malheureuse avec un certain plaisir et protéger une âme avec ferveur et loyauté... C'est cette dualité innée qui avait séduit le Von Frayner, se reconnaissant peut-être dans ce jeu de visages, et qui avait fait d'Hugo son actuel et principal objet d'attentions. Objet compensatoire, peut-être. Il l'avait logé, habillé, l'avait nourrit et semblait l'avoir définitivement recueilli. Ne restait plus qu'à cesser de le dissimuler. La voix cassée tempéra.
Mais nous en reparlerons. Mange, le coche attend. Ne donnons pas au Vicomte matière à partir sur le tard.
Je dois te présenter au monde, puisque tu viens d'y arriver.
Après tout, n'est-ce pas le roman de Renard...
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