Johannes
Deux grands yeux noirs ouverts sur un plafond, Johannes venait de salir ses draps à cause de ces impératifs de réveil qui nécessitent le soulagement du corps et de l'âme. Parfois, souvent même à ces moments-là, il préférait tourner ses pensées vers son Astana de femme, histoire d'alimenter plus vite les rouages. D'autres réveils, surtout ces derniers temps, où il préférait penser à des paires de miches plus abstraites. C'est qu'il préférait pas penser à sa femme tout court, même quand c'est le genre de sujet qu'on peut pas oublier d'un claquement de doigts.
J'ai encore perdu ma femme, vous l'avez vue récemment ? A dire que chaque fois qu'il en causait ça ressemblait au début d'une sale blague sur les cocus, et à dire que ça commençait à le gonfler un peu. Astana s'est fait la malle encore, sans nouvelles, encore, et avec son gosse supposé dans le ventre. Au pourquoi Johannes répondait simplement, parce que c'est Astana. Des fois, les lutins dans son crâne prennent le contrôle et Astana s'en va dans les bois où ailleurs, on ne sait pas, pour aller jouer de la viole de gambe au pied d'un peuplier.
Oui, ma femme a des lutins dans son crâne. Ou des miettes. Ou des brins d'herbes, je ne sais pas, mais en tout cas, un truc qui la pousse aux disparitions spontanées et durables. Blondin songe qu'il faudrait gratter un essai sur le phénomène, peut-être que ça aiderait d'autres époux sujets au même mal n'empêche que ça l'aiderait bien lui, qu'elle revienne. Ça serait quand même bien gentil, de savoir comment elle va. Ou si elle n'est pas morte. Par exemple. Ça serait bien que tu sois là aussi pour ces trucs de chairs qui me démangent les braies.
Car enfin, ces semaines de diète, ça fait long pour un homme. Et linquiétude qui ronge, ça fait lourd pour un futur père, même quand on essaie de pas y penser. C'est latent, l'inquiétude, un peu bâtard. Ça rend con et égoïste, déjà que j'étais mal barré au départ, t'imagines pas la chute. Et puis c'est idiot, de continuer à causer à sa femme dans sa tête. Johannes envisage l'étendue de sa connerie, tout affalé dans ses draps qu'il est. Et puis il envisage la possibilité de se lever, même d'aller bosser, parce qu'il faut quand même bouffer tous les jours.
Blondin, dans un élan de volonté incroyable, parvient à s'asseoir sur le bord du lit ; sa paume rencontre un reste poisseux, il grimace. Tapi au fond de sa besace, un caillou le toise. Un vieux caillou. Son, caillou.
« Bonsoir caillou. »
Bonsoir. Vous semblez contrarié.
« J'ai perdu ma f... non, laisse tomber. »
Je suis un caillou.
« C'pas faux. Et ? »
C'est moi qu'on laisse tomber, habituellement.
« Ah quand même... »
Ou que l'on jette...
« Hum hum... »
Dans l'eau...
« Hum... »
pour faire des ricochets...
« Ah... »
qui rebondissent...
« Oh ma doué... »
« ... »
trois fois, c'est mieux. Pour les ricochets.
« On tente si tu veux. Par la fenêtre. Ça fera un gros ricochet en bas. »
Mais tu ne le feras pas. Parce que je ne suis pas qu'un caillou. Je suis ton caillou.
Et Blondin garda silence, parce que son caillou avait raison ou parce que si le dialogue devait se poursuivre, le vol plané du caillou finirait réellement par avoir lieu.
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J'ai encore perdu ma femme, vous l'avez vue récemment ? A dire que chaque fois qu'il en causait ça ressemblait au début d'une sale blague sur les cocus, et à dire que ça commençait à le gonfler un peu. Astana s'est fait la malle encore, sans nouvelles, encore, et avec son gosse supposé dans le ventre. Au pourquoi Johannes répondait simplement, parce que c'est Astana. Des fois, les lutins dans son crâne prennent le contrôle et Astana s'en va dans les bois où ailleurs, on ne sait pas, pour aller jouer de la viole de gambe au pied d'un peuplier.
Oui, ma femme a des lutins dans son crâne. Ou des miettes. Ou des brins d'herbes, je ne sais pas, mais en tout cas, un truc qui la pousse aux disparitions spontanées et durables. Blondin songe qu'il faudrait gratter un essai sur le phénomène, peut-être que ça aiderait d'autres époux sujets au même mal n'empêche que ça l'aiderait bien lui, qu'elle revienne. Ça serait quand même bien gentil, de savoir comment elle va. Ou si elle n'est pas morte. Par exemple. Ça serait bien que tu sois là aussi pour ces trucs de chairs qui me démangent les braies.
Car enfin, ces semaines de diète, ça fait long pour un homme. Et linquiétude qui ronge, ça fait lourd pour un futur père, même quand on essaie de pas y penser. C'est latent, l'inquiétude, un peu bâtard. Ça rend con et égoïste, déjà que j'étais mal barré au départ, t'imagines pas la chute. Et puis c'est idiot, de continuer à causer à sa femme dans sa tête. Johannes envisage l'étendue de sa connerie, tout affalé dans ses draps qu'il est. Et puis il envisage la possibilité de se lever, même d'aller bosser, parce qu'il faut quand même bouffer tous les jours.
Blondin, dans un élan de volonté incroyable, parvient à s'asseoir sur le bord du lit ; sa paume rencontre un reste poisseux, il grimace. Tapi au fond de sa besace, un caillou le toise. Un vieux caillou. Son, caillou.
« Bonsoir caillou. »
Bonsoir. Vous semblez contrarié.
« J'ai perdu ma f... non, laisse tomber. »
Je suis un caillou.
« C'pas faux. Et ? »
C'est moi qu'on laisse tomber, habituellement.
« Ah quand même... »
Ou que l'on jette...
« Hum hum... »
Dans l'eau...
« Hum... »
pour faire des ricochets...
« Ah... »
qui rebondissent...
« Oh ma doué... »
« ... »
trois fois, c'est mieux. Pour les ricochets.
« On tente si tu veux. Par la fenêtre. Ça fera un gros ricochet en bas. »
Mais tu ne le feras pas. Parce que je ne suis pas qu'un caillou. Je suis ton caillou.
Et Blondin garda silence, parce que son caillou avait raison ou parce que si le dialogue devait se poursuivre, le vol plané du caillou finirait réellement par avoir lieu.
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