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[RP] De la maitresse à l'épouse...

Umbra
... Il n'y a qu'un anneau.

L’Ombre avait feint une énième maladie pour interdire l’accès à sa chambrée pendant deux longues journées. Si elle avait pu se montrer persuasive envers le tenancier et son employée, la Noiraude savait pertinemant qu’une petite tignasse rousse viendrait crocheter sa serrure pour lui venir en aide. Cette dernière trouverait, elle-aussi, un stupide prétexte pour la rejoindre et quand la porte s’ouvrirait, ce serait une pièce vide à l’âtre éteint et un lit fait qui l’accueillerait... La couardise de l’ainée blesserait une fois de plus la témérité de la cadette.

Capuche sur la tête, brides au poing, Umbra faisait avancer au pas sa monture sous une pluie torentielle. Malgré les précédentes journées prometteuses d’un été radieux, aujourd’hui, le ciel était gris de nuages et les cieux, noir de reproches. Les cordes d’eau glissaient sur une cape élimée, redessinant la frêle stature de la sombre cavalière. Les iris de jais fixaient le vague tandis que bottes et rênes guidait le destrier. Ombeline imaginait Triora languissant sur le seuil d’une chambre abandonnée. Elle revoyait l’expression de son regard difforme où tristesse et rage se mêleraient dans les pupilles anarchiques.


Pardonne-moi, petite soeur...

Le murmure s’essouflait dans le vacarme ambiant de la radée. Le coeur gros, elle poursuivait tout de même sa route car à son terme, son palpitant ne tambourinerait que de plus belle. Voilà maintenant quelques temps que la Bâtarde délaissait sa soeur pour retrouver Ernst. Sous couverture des travaux du Kraken, le bras droit rejoignait le rhénan d’un bout à l’autre du royaume par tout temps et sans hésitation aucune. A huis clos, la mercenaire se lovait amoureusement contre sa carrure rassurante ainsi le secret de leur relation était jalousement gardé.

L’après-midi débutait à peine et le temps ne s’était pas amélioré quand la Corneille franchit les grilles du domaine Von Zweischneidig. Le regard éteint s’embrasa d’une lueur à l’approche de l’imposante bâtisse tandis que tout son être frissonna d’impatience. Les talons sur les flancs du cheval lui ordonnèrent l’arrêt et la Boiteuse descendit de l’animal sellé. Le faciès encapuchonné se releva sur les haut pans de mur pour en jauger leur splendeur mais une poignée de gouttes s’écrasant sur ses joues lui fit vite baisser la tête.

L’Ombre s’approcha de l’entrée et quand le fronton la protégea assez des trombes d’eau, elle retira sa capuche. Un sourire fendit ses lippes plates qu’elle s’intima de faire disparaitre aussitôt dans le grand col trempé de pluie. Un râclement de gorge pour chasser toute nervosité et quatre coups secs retentirent sur l’huis. Face au domestique accourant, la Noiraude aux traits impassibles, se présenta froidement:


Le bonjour... Veuillez annoncer à sieur Von Zweischneidig la viste d'Umbra, je vous prie.

Et dans l’encadrement languit un court instant, la Corneille à l’instar de sa cadette à cent lieues du domaine.
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Lanceline
Et l'anneau, c'était elle qui l'avait. Mais ce n'était pas pour cela qu'il -ou elle dans une moindre mesure- était fidèle.
Et pourtant, l'or luisait à son annulaire comme pour la narguer. Elle l'observa quelques instants avant d'embrasser la grande chambre vide. Depuis qu'elle était enceinte, tout lui semblait pire qu'avant. Tout. Sa première grossesse, elle l'avait vécu auprès d'un homme malade. Aujourd'hui, elle vivait avec un homme plein de vie, trop peut-être. Il était déjà levé, était déjà parti faire elle ne savait quoi. Depuis qu'elle était enceinte, elle refusait qu'il la touche. Le contact des hommes la dégoûtait et elle l'avait repoussé une fois déjà. Avait-il vraiment envie de coucher avec elle, ou bien ne voulait-il qu'accomplir un devoir conjugal qu'il semblait déjà trahir ? Comme elle ignorait la réponse et détestait cette sensation d'être prise pour une idiote, elle lui avait dit non. La distance s'était depuis lors agrandie. Comme si elle n'était déjà pas immense.

Les idées peu claires, elle observa Suzane s'approcher pour l'aider à se vêtir. Elle acquiesça brièvement, avant de se lever. Elle grommela quelque chose d'inaudible, avant de lisser sa robe. Ses cheveux devinrent une lourde tresse, posée sur son épaule gauche, comme pour cacher la cicatrice qu'Arnaut lui avait faite un jour de colère et d'ivresse. Elle sortit de la chambre, enfin, pour descendre les escaliers, s'apprêtant à aller manger un peu. La nourriture lui semblait toujours autant sans goût mais elle se forçait, pour l'enfant.

Tandis qu'elle descendait, la Valdesti observait un domestique aller ouvrir à quelqu'un. Intriguée, elle resta le pied sur la dernière marche, l'autre déjà sur le sol du couloir, se demandant qui ce pouvait bien être. Elle n'attendait personne. Ernst cependant...

Mais déjà le valet faisait demi-tour pour aller ouvrir à la jeune femme et le mener jusqu'au bureau du maître de maison, passant ainsi devant la Bazaumont qui ne lâcha qu'un
Bonjorn accompagné d'un sourire. Après tout, elle était encore chez elle.
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Umbra
En franchissant la porte, l’Ombre avait pris soin de dégrafer sa cape inondée pour la remettre au domestique. Sans plus d’effort qu’à son habitude, la Noiraude s’était paré d’une toilette aussi sombre que sobre. Déposant ses armes à l’auberge, la tenue paraissait terne et triste comme le reste du personnage. Sa senestre absente était recouverte d’un gantelet travaillé à cet effet. De lin et de cuir, tout en souplesse et en amplitude, les plis des vêtements étoffaient les formes creusées par la diète et l’exercice. Son ramage brun bouclé avait été rassemblé en une couette basse dont les mèches les plus rebelles s’extirpaient facilement. Le seul contraste qu’on pouvait accorder à la Sombre était la pâleur de sa peau et la blancheur de sa mèche grisonnante.

Les prunelles obsidiennes balayaient le hall tandis qu’Umbra emboîtait un pas chancelant à la suite du valet. La carcasse se stoppa au pied de l’escalier d’où, du haut du premier degré, une dame la salua. Une furtive œillade sur l’interlocutrice suffit à faire naître une nuée d’interrogations dans la caboche de la Corneille. La blonde la surplombait de bons centimètres grâce à la marche et à la petite taille d’Ombeline. Le sourire lancé ne trouva pas d’écho dans les traits austères de la brune qui se contenta de répondre maigrement à la politesse :

Le Bonjour, Dame...

Les iris de jais se firent interrogatrices quant à l’identité de cette personne. Vu son aise, la Bâtarde ne doutait pas qu’elle devait résidé ici. Une sœur, songea-t-elle ? Après tout, elle était aussi blonde que le rhénan... Bien qu’aucune autre singularité n’appuya son jugement. Pour paraître plus d’égale à égale, la Manchote bomba son poitrail, ce qui avait pour but de lui offrir quelques malheureux millimètres de plus. Dans cette posture presque altière, la mercenaire céda à la courtoisie :


Umbra, bras droit de sieur Von Zweischneidig.

Une certaine fierté non-dissimulée perçait la voix éraillée par l’alcool alors que le regard orgueilleux questionnait déjà la dame. Tantôt, l’Ombre avait remarqué que le domestique avait continuer son chemin sans l’attendre, surement était-il allé mander Ernst ou poser le surcot mouillé ? Ce laps de temps suffisait largement aux jeunes femmes pour se présenter.
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Lanceline
Elle observa son vis-à-vis, la jaugeant de ses noisettes. Maigre. Peut-être ne mangeait-elle pas à sa faim. La Blonde retint un mouvement d'empathie, s'empêcha de la prendre par le bras pour l'emmener à la cuisine manger un peu.

Quelque chose en cette présence féminine l'alertait. Elle se sentait menacée. La jalousie peut-être ; parce qu'Ernst était amené à voir une autre femme très souvent et qu'elle ignorait ce qu'il faisait avec. Bah. Le rhénan lui avait bien assuré qu'il ne la trompait plus. Elle préférait le croire plutôt que de souffrir encore. Même si, peut-être, elle était prise pour une idiote. Elle lui vouait encore une certaine fidélité, une certaine foi, en souvenir du Ernst d'Agen qui avait su la toucher. Du Ernst qui l'avait ramenée à la réalité après le décès d'Arnaut.

Alors elle se contenta de lui sourire un peu plus largement, sincèrement, parce qu'elle était Lanceline.
Elle lâcha la rampe de sa senestre et joignit ses deux mains sur son ventre, la gauche enserrant un peu la droite. Comme pour protéger l'enfant qu'elle avait en elle.

Ce faisant, elle laissa voir l'anneau qu'elle avait à son doigt.


- Lanceline. Sa femme.
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Umbra
Deux mots. Et le monde s’écroula : le sol s’effondra sous les semelles, le décor fuyant. Ne resta dans cette vision qu’une douloureuse réalité. Le visage livide se fendit et l’âme s’émietta. Les jambes flageolaient imperceptiblement, ne pouvant supporter ce soudain fardeau. La vanité pesa tellement lourd à cet instant. Les prunelles obsidiennes allaient et venaient frénétiquement de la bague à l’arrondi maternel jusqu’au visage féminin. Le regard était plein de détresse, les traits tirés d’anxiété et le coeur meurtri. L’Ombre chancela d’un pas en retrait comme pour laisser la place à Lanceline. Après tout la blonde était chez elle. Elle pouvait emprunter tous les chemins qu’elle désirait. Umbra, dans tout ça, avait juste espérer suivre les pas d’Ernst.

La Noiraude voulut s’effacer de cette scène. Ce beau tableau : l’épouse et l’enfançon. Eternellement la tâche sur l’immaculé, ce jour là, Ombeline voulut disparaître. Sa gorge se noua si fortement que le moindre son ne put s’extirper. L’affliction fut si vive qu’elle ne trouva ni les moyens de pleurer, de crier ou de rire. Elle se sentit vide, seule et trahie. La posture orgueilleuse s’affaisa en un ramassis trop faible face à la vie et bientôt des pas retentirent au milieu de ce silence assourdissant...

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Ernst.
Ernst était sagement assis à son bureau. Il y consultait quelques ouvrages sur la charpenterie navale, sa nouvelle lubie. Encore un mot qui allait bien au von Z ça : lubie. Un verre de vin posé à côté de lui, il ne fallait que bien peu de chose pour qu'il ne se concentra pleinement sur un sujet ou un autre. L'hypocras était trop sucré. Il avait dû ordonner qu'on vida la bouteille et le reste des maigres stocks. Il devait certainement avoir la tête ailleurs le jour où il le composa. Il ne s'était jamais demandé pourquoi il n'avait jamais laissé ce soin à d'autre. Il aimait les mélanges. C'était son alchimie. Tout ça pour dire qu'Ernst était concentré quand le serviteur frappa à la porte de son cocon. Habitué à ne pas avoir de réponse et sachant le maître des lieux seul, l'employé prit sur lui d'ouvrir la porte, d'entrer et de toussoter pour se faire repérer. Au bout de plusieurs tentatives, dont le niveau sonore augmentait à mesure, Ernst finit par relever la tête. Il eut l'honneur d'apprendre que son bras droit été entré, accueillit par "Madame". Ernst signifia à l'intendant de la demeure qu'il pouvait disposer. Lui, le von Z, prit son temps. Ces dames devait certainement avoir beaucoup à se dire ... Ou pas.

Le long du couloir qui le menait au hall d'entrée, Ernst réfléchissait. Sans nul doute Lanceline aurait annoncé la couleur à Umbra. D'ailleurs, l'avait-il fait, lui? Il ne se souvenait plus. En tout cas, il s'attendait à passer, une fois de plus, pour le salaud de l'histoire. Ce n'était pas totalement faux. Seulement quand ce n'est pas totalement faux, c'est que la vérité n'est pas seule non plus. Des griefs il en avait. En règle générale, il avait tendance à les assumer. Lanceline n'était pas mieux. En fait, Ernst trouvait qu'ils jouaient à armes égales. Peu importe qui avait commencé, le résultat était le même. Aussi avança-t-il vers Umbra tout sourire. Sourire qui cachait une mâchoire serrée qu'il lui fallut débloquer.


Umbra très chère. Ravi de vous voir. Au cas où les présentations n'auraient pas été faites, je vous présente ma femme Lanceline. Puis il montra le ventre rebondi de la main. Ainsi que l'enfant de ... De ... Comment s'appelle-t-il déjà? Il balaya l'espace vide devant lui d'un revers de main. Bref, peu importe. Lanceline, je vous présente Umbra mon bras droit, ma moitié en d'autres termes.

Les pendules étaient remises à l'heure, plus ou moins.
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Lanceline
Elle n'était pas la bienvenue chez lui. La Balafrée en eut soudain la conviction. Restant plantée là, elle regardait Umbra, puis Ernst. Elle n'était pas sa moitié. Ne le serait jamais.

Elle se tut le temps d'en prendre pleinement conscience, avant de lâcher d'une voix glaciale :


- La descendance d'Ernst von Zweischneidig. La vôtre. Si vous commencez à oublier votre nom, c'est que la vieillesse commence à se faire maîtresse de vous tout entier.

Elle faillit lâcher une nouvelle remarque, mais son sourire avait disparu. La vieillesse, ou autre chose...

- Je ne l'ai plus revu depuis que je vous en ai parlé.

La franchise se lisait dans ses yeux, bien qu'elle fût la seule à savoir que c'était faux. Elle l'avait revu, oui. Avant de partir bien vite.

Umbra était là, à constater que leur couple n'avait jamais vraiment été. La seule question qui demeurait, c'était la raison pour laquelle il était venu la retrouver à Bordeaux. Elle comprenait qu'il préférait les maîtresses à la femme. Après tout... Ils en avaient bien parlé.
Si elle voulait bien se rappeler, il lui avait parlé d'amour. Lui avait juré fidélité, après leurs frasques, après leurs aveux respectifs. Mais plus rien depuis qu'elle était partie en Alençon.

Ce n'était pas lui qui lui avait annoncé le retour d'Anna. Était-ce parce qu'il ne souhaitait pas la voir revenir ? Un boulet qu'il ne voulait plus se traîner dans les pieds. Qu'elle y reste, dans le nord ! Qu'elle n'y revienne plus, qu'elle disparaisse de sa vie.

Ses mains étaient désormais crispées sur son ventre. Ce n'était pas celui de Basile. Mais en cet instant, que l'enfant soit celui d'Ernst la répugnait. Elle aurait dû rester en Alençon et y mourir. Dans sa folie, elle aurait dû achever Gabriel, que la famille ne soit plus séparée. Qu'elle se raye elle-même de ce monde qui depuis longtemps déjà, lui avait montré qu'il ne voulait plus d'elle.

Une lueur étrange passa dans ses yeux, éteinte trop vite pour que les deux autres aient pu la voir. Mais le mal était fait. La douleur était présente, à nouveau, la rage grondait sourdement tapie au fond d'elle, attendant le bon moment pour bondir. Le feu la brûlait. Elle devait faire quelque chose. Sa senestre vint s'appuyer de la rambarde, glissant ses doigts blancs sur le bois, rêvant de le déchiqueter en lambeaux.

La Valdesti eut l'impression, dans les yeux de cet homme, de n'être plus rien. Elle ne le connaissait pas, ne le reconnaissait plus. Elle n'était plus rien qu'un jouet désarticulé qui n'avait plus aucun intérêt. Et c'était de sa faute à elle. Elle attendit qu'ils aient tourné les talons et disparaissent dans le bureau du rhénan pour s'asseoir lentement sur les dernières marches. Ses longs cheveux tirèrent le rideau sur son visage meurtri. Ses lippes tremblèrent.


- Qu'ai-je fait ?
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Umbra
Le rhénan ne tarda pas à se présenter, égal à lui-même. En d’autres circonstances, l’Ombre aurait relevé son menton, redressé son buste et étiré ses lèvres pour l’accueillir chaleureusement. Aujourd’hui, elle se contenta d’ignorer sa présence jusqu’aux moindres de ces propos. Ses paroles...Cette langue acérée digne d’un couteau dans une plaie infectée, dans un coeur affecté. Dans le fond, être la moitié de quelqu’un, c’est n’être que le demi de ce dernier. Lanceline, quant à elle, était deux pour une entité.

Les hématites brisés jonchaient le sol, ne pouvant supporter la vision du couple bien qu’aussi distants furent-ils. Personne ne pouvait nier la tension palpable dans le hall du domaine Von Z. Le silence était bruyant, lourds de reproches que tous pouvait entendre sans même vouloir écouter.
Umbra suivit Ernst dans ses quartiers d’un pas plus lent qu’à son habitude. Sa patte folle la faisait tituber davantage alors qu’au fond de son être, c’était un vertige bien plus intense qui la faisait chanceler. Une fois, la porte close dans leurs dos, la Noiraude se ragaillardit. Avant d’être son amante, elle était mercenaire à son service. Une mercenaire parée aux traquenards et aux coups fatals. Prête à affronter quelques malandrins croisant le chemin du blond au péril de sa vie. Elle était grassement rémunérée pour ce travail. Le reste, il l’avait eu à l’oeil au final.


C’est de ta faute, petite ingénue. T’aurais du regarder les termes à la fin du contrat.

Il ne l’avait pas payé pour ces soirées en tête à tête, pour son coeur et pour son corps. Cette bécasse de Corneille s’était offerte à lui comme une catin, la prime en moins. Cette idée vrilla le cerveau d’Ombeline qui grinça des dents sous le choc. Au lieu de se dénuder, elle aurait du peaufiner sa carapace, aujourd’hui, trop faible pour faire face à cette embuscade. Son coeur prit au piège, c’est la rançon d’une vie que l’on réclamait. Nul ne saurait dire combien de temps l’inertie ne plana dans le bureau.

Finalement, la Bâtarde accusa le regard azuré de son patron et lança avec froideur :


Vous m’avez mandé, sieur Von Zweischneidig ?

Les iris de jais glissèrent sur le visage de l’amant, aussi vides et glacés que l’âme détruite derrière eux.
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Ernst.
Si Ernst avait voulu paraître sûr de lui et conquérant quelques instant plus tôt, s'il avait fait ce qu'il pouvait pour ne pas perdre la face, force était de constater qu'il n'en était plus rien dans l'intimité de son bureau. Son visage avait soudainement pris les traits tirés de celui qui dort peu et rumine toute la nuit. Il savait qu'Ombeline et Lanceline se verraient. Il ne se doutait de la réaction de sa maîtresse. Encore fallait-il savoir laquelle des deux l'était au final. Le couple Ernst/Lanceline partait à vaux l'eau depuis quelques temps déjà. Le rhénan retrouvait un second souffle avec Ombeline. Les heures, les jours, plus encore, qu'ils avaient passé ensemble lui avait redonner goût à tant de choses. Il lui devait des explications. Il se devait d'éclaircir certains points. Aussi il invita la brune à s'asseoir tandis que ce fut d'une main légèrement tremblante qu'il se servit un verre de vin avaler d'un trait. Il la regarda alors, s'humecta les lèvres et pris place en face d'elle.

J'aurai dû te parler d'elle. J'aurai dû t'éviter ça. Lanceline et moi sommes en cours de séparation. En fait, je ne suis pas vraiment certains que nous ayons réellement été ensemble. On s'est fiancé sans amour, pour je ne sais qu'elle raison. D'ici peu elle reprendra sa vie et le mariage a été annulé. J'imagine bien que, sur le coup, ce n'était évident à voir. La situation prête à confusion.

Ernst lâcha un profond soupire. Lui-même ne savait pas très bien ce qui se bousculait dans sa tête. il aurait voulu dire tellement de choses à celle qui se tenait en face de lui. Il aurait voulu la prendre dans ses bras. Il aurait voulu tout effacer de son passé pour qu'ils n'aient plus qu'à se concentrer sur leur présent et leur avenir. En désespoir de cause, il ne put lancer qu'un maigre :

Nous ... C'est tout ce que je veux.
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Umbra
L’Ombre hésita un court instant à prendre place à l’invitation du rhénan. Faire face à lui alors qu’elle ne désirait que fuir. Empetrée dans un tissu de mensonges, la Noiraude se sentait prisonnière de son propre sort. Raide sur son siège, son regard éteint suivait les gestes las de celui qui le rendait, il y a peu encore pétillant. Les iris venaient de perdre leurs éclats avec perte et fracas. Douloureux à une autre mesure, le faciès durci du blond. Ils ne s’étaient quittés qu’une longue poignée de jours, le temps à chacun de vaquer à ses occupations personnelles à l’autre bout de Paris et de leur vie. Entre temps, un monde s’était écroulé, les amants avaient mal vieillis de leurs absences. Lui, les traits figés, elle, les cernes bordant ses pupilles.

Le coeur aussi serré que ses phalanges blanchies, Umbra écoutait la faible excuse de son amant. Encore une toile de simulacres dont elle se serait bien passée d’entendre. Le glas était tombé, tranchant son palpitant pour le réduire à néant. Avec l’aveuglement qu’Ombeline lui vouait, son esprit avait nié puis rejetté tout signe avant coureur... de jupons. Le plus vexant dans cette idylle, c’est qu’une fois encore, c’était elle, l’illégitime. Encore et toujours, la Bâtarde, la tâche, la crasse. Le pincement au coeur extirpa quelques larmes aux hématites. D’un revers de main, elle effaça ses traces de faiblesse : une mercenaire ne pleure pas. La femme aura tout le loisir de son existence pour souffrir. La Corneille ravala ses sanglots dans un dégluti bruyant. Si lui semblait avoir les lèvres sèches, elle n’en avait pas moins la gorge nouée. Difficilement, elle répondit d’une intonation raillée par l’émotion :


M’avez-vous fait venir pour ça ? Ou n’est-ce qu’un horrible hasard ? Vous auriez pu vous douter que je la croiserai en vos couloirs... J’aurai du me douter de bien des choses à votre égard, Ernst...

Un soupir acheva les aveux, se réprimant davantage elle-même que lui. Après tout, c’était sa faute, non ? Le bras droit savait bien qu’il y a certaines attaches interdites dans le métier.

Alors ? Vous désiriez me voir ?

Le visage triste et fatigué se releva vers son semblable et en accusa douloureusement la vision. L’Ombre était déjà loin maintenant, elle était plongée dans les tréfonds abyssales d’une affliction encore inconnu jusque là : la perte de son premier amour.
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Ernst.
Son ton était froid et distant. Le ma était fait, Ernst ne le savait que trop. Il s'en voulait peut-être plus qu'il n'avait de tort. Ombeline ne semblait pas l'écouter. C'était comme si les mots qu'il lui adressait ne trouvait pas d'écho. Ernst voyait l'ombre de leur couple s'évanouir. Un nuage passait devant le soleil de leur vie. Il aurait voulu crier, taper du poing sur la table. Il aurait voulu qu'elle comprenne qu'il ne désirait qu'elle et aucune autre. Seulement Ernst avait une réputation qui le suivait. Une réputation qu'il n'avait jamais cherché à étouffer. Il s'en enorgueillissait à une époque pas si lointaine. Il la maudissait à présent.

Sa main trembla un peu plus alors qu'il se servit un deuxième verre de vin et qu'il en servit un autre qu'il posa devant celle dont il partageait la douleur d'un amour qui se fendille avant de voler un éclat. il avala une longue gorgée d'alcool. Ce soir, il serait saoul sans nul doute, saoul et seul. Il ravagerait probablement le mobilier de son bureau de douleur et culpabilité. Pour l'heure, ses azurs se portaient sur celle qui avait changé tant de choses dans sa vie. Elle était pourtant si loin de tout ce que certains hommes désiraient. Cependant elle avait été à lui, rien qu'à lui. A Paris leur vie avait été tout autre. Ils étaient chez eux, sur leur terrain de jeu, de vie, de passion sans aucun mesure. Devant elle, il se retrouvait si faible. Sa voix et ses mots le poignardaient à chaque intonation. Ernst serra les dents quelques instants. S'il voulait la reconquérir, il n'y avait qu'un seule façon de le faire.


Je vais m'installer définitivement à Paris ... Avec toi si tu le désires toujours. Je partirai sitôt notre entrevue terminée. J'ai besoin de toi pour terminer le classement de quelques dossiers et faire le tri sur ce qui peut intéresser nos affaires ou non. Le reste restera ici. Il y aura beaucoup de documents de valeur aussi tes compétences me seront utiles. J'ai déjà donné de indications pour qu'on transporte tout le mobilier nécessaire dans les appartement au-dessus du bureau des quais.

Ernst termina son verre. Paris était sa seule échappatoire. Même si Ombeline le fuyait quelques instants, ils seraient de nouveaux tous les deux. A partir de là, tous les espoirs lui étaient permis.
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Umbra
[Dans ma mémoire qui dérape
Gardera le dur de l’asphalte
Tu préfères les angles plus aigus
D’un destin qui semble perdu*]


Les iris de jais se reposèrent sur le godet avant que l’unique main ne s’en saisisse. Les doigts noueux étranglèrent le contenant avant de le porter aux lippes pincées. Aujourd’hui, l’alcool semblait plus amère que d’habitude. Il avait l’arrière-gout de la mélancolie. De toutes ses nuits d’insomnies où l’Ombre en abusait pour tomber raide sur sa paillasse parisienne. Pourtant, il y a encore peu, il était doux en bouche. Il échauffait ses sens de suaves désirs. Maintenant, dans la gorge, il redevenait âpre. Ses tripes allaient très prochainement éponger, à n’en pas douter. Pour le moment, la Noiraude se contenta de digérer l’infâme contenu pensant pouvoir noyer l’indigeste. Le verre vide fut renvoyé nonchalament vers son propriétaire alors que ce dernier exposait ses futurs plans. Il irait la hanter jusque chez elle comme si en son âme, ça ne lui suffisait pas. La Capitale serait trop petit pour eux, pour que jamais, ils ne s’y recroisent. Surement, le retrouvera-t-elle au bras d’une énième compagnie ? Les nerfs s’irritèrent à cette suggestion, c’en était trop pour elle .

Sans esclandre, Umbra se releva et tourna les talons. Le poing sur la poignée, elle extirpa tout de même quelques mots :


Je souhaite que Paris soit la ville la plus grande du royaume afin que plus jamais mes pas n’effleurent les vôtres, Ernst. Et n’oubliez pas qu’avant d’être votre bras droit, je suis une mercenaire. Vous avez intérêt à hausser le salaire si vous désirez toujours mes services...

L’orgueil gonflé à bloc et la tête haute, Ombeline tourna sèchement la poignée et claudiqua dans le long couloir qui la mènera jusqu’à la sortie du domaine. Son exil. Le buste droit, la démarche plus assurée que jamais, elle laissa tout le loisir au rhénan de la voir s’éloigner, ayant volontairement omis de refermer l’huis à son passage. Plus les pas se rapprochèrent de la porte d’entrée et plus la vision se flouta. La Bâtarde se retient difficilement sur les dernières enjambées. Les yeux écarquillés afin qu’aucune larme ne ruisselle sur ses joues. Ce ne fut que lorsqu’elle arracha son surcôt des mains du domestique, que son masque vola en éclat. Aussitôt la porte claqua bruyamment, emportant dans son vacarme, un profond râle de douleur. Ainsi disparut l’Ombre du domaine Von Zweischneidig.

Sans prendre le soin de remettre sa cape, elle se hissa sur son destrier et claqua rudement son flanc. L’animal blessé se cabra et s’enfuit à toute vitesse. Brides sanglées au poing, machoires crispées, la Noiraude chevaucha longuement sous la pluie torentielle. Elle hoquetait tout son deséspoir, le faciès déformé par les sanglots et les trombes d’eau. Sa carcasse fut rapidement trempée jusqu’aux os mais dans ses tourments, plus rien n’avait d’importance. Quelques cris perçaient la campagne, étouffés par les bruits de sabots du destrier en pleine course ainsi que le brouhaha de l’orage environnant.

Aveugle l’avait rendu l’amour. Sourde l’avait rendu la colère. Muette l’avait rendu la tristesse. Sans le moindre éclat de voix, tout en non-dits, s’était achevé cette courte idylle. La passion qu’elle y avait mis la dévorait jusqu’à la consumer. Bientôt de son coeur, il ne resterait que des cendres et encore, la monture galopait. Son âme s’étiolait insidieusement et sous peu, elle s’éteindrait. Maintenant Umbra dans une obscurité totale mais toujours, le cheval parcourait les lieues. Partir loin, fuir vite et demain...


Paris.

[Et quand la danse cessera
Que jaillisse encore ta voix
Mais dieu que tu sembles si lasse
Viens t’asseoir à côté de moi
Et passe*]


* Paroles de "N'aie plus d'amertume" de Mylène Farmer.

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