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[RP mai : La joueuse] Entre vous et moi… Elle.

Axelle
Depuis plusieurs semaines, les pas de la danseuse n’avaient plus foulé le sol soyeux de l’Aphrodite. Si elle connaissait chaque recoins de la maison basse, ou presque, pour y avoir passer la plus grande partie de sa grossesse, la maison haute restait un lieu qu’elle n’avait que fort peu fréquenté, timide ou farouchement prudente devant ce qu’elle pouvait découvrir, bien que depuis longtemps tous les voiles de ce qui aurait pu la blesser avaient été levés. Pourtant, l’habitude s’était installée de ne pas y musarder, toute respectueuse qu’elle était de laisser à Alphonse sa liberté comme il lui laissait la sienne.

Si elle avait fait un détour pour ne pas apercevoir le petit chemin pavé ombragé de charmilles qui avait longtemps abrité ses pinceaux et ses pigments, elle avait été ravie de replonger dans les méandres de la maison basse où elle était arrivée alors que le soleil était encore bien assez haut pour guider ses pas sans risques. Elle avait profité de cette prudence de mise pour retrouver Hubert, et parler de tout et de rien avec l’homme de main. Etienne aussi avait fait les frais de sa visite improvisée, cherchant à débusquer quelques toiles de celui qui, après l’avoir sorti des griffes de son violeur et suite à quelques discussions houleuses, prenait à présent les traits d’un homme s’appropriant sa confiance et semblait, tout aussi calmement, lui distiller la sienne. Si elle n’en disait rien, elle se réjouissait pourtant de la méticulosité de la construction quand les premiers temps avaient éclaté de tant de chaos. Et enfin, loin de l’agitation des serviteurs se mettant en branle pour assurer un service immuablement parfait pour la nuit à venir, Axelle avait lézardé longuement dans les bras d’Alphonse, pleine de la plénitude de cette Amitié pleine qui pourtant ne manquait jamais, si tant était qu’Antoine leur en laisse le loisir, de se corrompre dans les étreintes les plus débridées.

Si la Gitane n’avait pas expliqué la raison de sa présence, ce n’était en rien par cachoterie, juste car elle ignorait bien ce qu’il adviendrait de l’improbable face à face qui se profilait. Et le Chat, dans sa discrétion légendaire, ne l’avait pas interrogée, sachant pertinemment qu’elle lui dirait tout au creux d’une nuit égarée.

La nuit était donc noire dans les ruelles de la capitale quand elle se perdit au ventre palpitant de la maison haute. Si cette atmosphère particulière l’avait toujours intriguée, elle ne s’appesantit pas à tenter d’en percer les mystères et se contenta de prévenir le portier qu’elle attendrait dans la Joueuse un homme qui, par sa taille, devrait certainement se pencher pour passer la porte de l’établissement, et que, peut-être, il serait accompagné d’une Rousse. Si elle n’avait pas ajouté « sublime », l’éclat dans son regard n’avait pu que la trahir. Les boucle brunes ondoyant au chaloupé de ses hanches menues, le Coquelicot avait traversé le salon, son regard noir se posant sur quelques visages croisés pour les saluer d’un hochement de tête, soudainement fébrile à l’approche du rendez-vous. Se préparer à passer une soirée en compagnie de l’amant de son amante était certainement l’évènement le plus incongru auquel elle avait dû faire face du haut de ses vingt ans à peine révolus. Par pur hasard, le destin s’était amusé à les placer dans la même taverne à Limoges, et beaucoup moins hasardeuse, la vérité avait éclatée, mettant en exergue leur point commun : Rosalinde. De cette rencontre et des courriers qui avaient suivi, la Gitane gardait un gout de compétition, ponctués de provocations aux sous entendus les plus piquants où chacun des deux protagonistes s’en étaient donnés à cœur joie. Pourtant aucune jalousie malsaine ou agressive, un jeu, si doucement aiguisé que l’envie de le poursuivre s’était insinuée. Mais assise à une table de jeu, un nœud se formait doucement dans le ventre Gitan. En serait-il de même ce soir là ? Surtout si Rosa était présente après tant d’absence ? Alors distraitement, pour tuer l’attente, les dès étaient lancés, sans qu’aucun point encore ne soit encore compté.

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Gade
Une erreur. C’est ce vers quoi se dirigeait Gade, et il le savait pertinemment. Lui qui n’avait d'ailleurs jamais mis les pieds à l’Aphrodite jusqu’alors. Pourtant coutumier des lieux du genre lorsqu’il était encore enfant, il avait plutôt tendance à les fuir aujourd’hui. Qu’importe ce genre d’endroit, il préférait trouver celles qui partageraient son lit pour une nuit, ou plus, loin de ce faux-semblant de séduction et de charme offerts par les courtisan(e)s qui finalement n’avaient comme intérêt que les bourses ; reste à voir les quelles. Il était aujourd’hui un jeune homme imprégné de deux milieux, deux cultures qu’il maniait sans trop de difficulté. Une enfance presque nomade, riche de souvenirs et aventures fort peu licites, et une nouvelle vie bien plus proche de la haute noblesse, et du carcan de bienséance qu’ils s’imposaient, là où lui, scabreux, faisait parfois tâche dans un décor parfaitement lisse.
Gade avait l’orgueil et l’audace de croire son charme et ses atouts assez attirants pour pouvoir se passer de ce genre de service. Et la vie l’encourageait en ce sens puisqu’il avait perpétuellement plusieurs maitresses en même temps. L’une d’elles était Rosa, celle avec qui il avait cru d’abord former un duo annonçant la mort, ne se croisant qu’en quelques occasions morbides. Puis il l’avait revue, à Limoges, dans cette même taverne où quelques mois plus tard il croiserait la Danseuse. D’une étrange amitié était née une étrange confiance, confidents, ils ont fini amants, peut-être même amoureux.

La Rousse était à son bras, elle avait tenue à l’accompagner. Et si Gade ne s’y était pas opposé, elle avait été prévenue sur ce qui l’attendait si le moindre geste lui déplaisait. Il espérait d’ailleurs qu’elle n’ait pas à dévoiler sa peau ce soir, témoin et surtout preuve des frasques de l’homme qui, malgré son charme apparent, pouvait se révéler être le plus violent des salauds.

Ils allaient, au gré des petites rues, dans la capitale. Ils ne feraient aucun détour, l’heure n’était pas au lèche-vitrine même s’il s’était promis d’en faire, pour Madeleine et Léo. Les voilà face à la bâtisse, et il s’arrêta, observant un instant son amante sans un mot, pourtant le regard était clair, presque autant que le sourire carnassier qui ourlait ses lèvres.
Souviens-toi d’hier soir, Rosa. Souviens-toi de ce qui t’attend, ne sous-estime pas le mal que je peux te faire. Je te veux mienne en chaque instant. Et même si ses lèvres doivent être autrement plus tendres que les miennes, n’oublie pas que mes mains sont autrement plus vengeresses que les siennes.
Là, il lâcha son regard, et cette fois-ci c’était le portier qui avait toute son attention. Une attention silencieuse puisque Gade n’était pas décidé à prononcer un seul mot, estimant qu’un géant et une rousse attendus ne passeraient pas inaperçus. Pari gagné. L’homme leur avait indiqué une salle, et Gade y conduisit Rosalinde d’un pas lent et assuré. Cette fois, il ne lui offrait plus son bras, c’est une attitude plus dominatrice qui avait pris le dessus, puisqu’il avait délicatement posé une main au creux de ses reins, ses doigts effleurant la courbe de ses fesses tandis qu’ils pénétraient dans la salle de jeux …


    Axelle.

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Rosalinde
Une erreur ? Gade n'était pas le seul à se dire qu'il était en train d'en faire une. Mais elle était jalouse, Rosa, jalouse à en crever, que les deux seuls êtres adultes à qui elle dédiait ses nuits finissent par se rencontrer, s'apprécier, et peut-être plus tard s'aimer, la laissant sur le carreau, seule une nouvelle fois. Il avait donc fallu qu'elle vienne, même si les avertissements du Veynel lui laissaient à penser qu'il ne faudrait pas, et qu'elle y perdrait l'affection d'Axelle en se montrant trop distante.

Paris. Elle le guida à travers les rues familières, jusqu'à l'Aphrodite. Inutile à présent de jurer qu'elle n'y remettrait plus les pieds, il fallait croire que son destin était irrémédiablement lié à l'imposante bâtisse. Tant qu'elle ne finissait pas par y travailler... Enfin, avec un fils à armer et une fille, princesse de surcroit, à doter, malgré toutes les promesses du Géant, pas sûre qu'elle ne doive pas finir par y travailler, car les seuls revenus de Foulletorte n'y suffiraient pas.

L'Aphrodite. Ils sont introduits dans une des salles. Par bonheur, elle ne croise aucune tête connue, et surtout pas Alphonse Tabouret, qui ne manquerait pas de s'amuser à la voir à nouveau présente en ces lieux. Sa longue robe chuintait sur le sol. Bordeaux, il s'agissait de l'une de ses plus couvrantes. Il ne faudrait pas qu'Axelle voie les marques qui constellaient sa peau pâle, elle ne comprendrait pas. Comprendre qu'en ce moment, elle avait besoin qu'on la maltraite, pour expier un trop plein de culpabilité accumulée depuis tant d'années. Il la possédait, elle remettait son âme et son corps entre ses mains, c'était une façon comme une autre d'éviter l'auto-destruction.

Ils furent introduits dans la salle. Elle était là. Son premier geste aurait été de s'avancer pour aller l'embrasser. Le manque d'elle, de sa douceur, et de sa présence réconfortante s'était cruellement fait sentir. En la regardant, elle revoyait ses courbes, leurs nuits, et entendait son rire. Mais la main de Gade pesait comme du plomb sur son dos, et elle se rappelait des menaces. Ira ? Ira pas ?


- Bonsoir.

Ira. Quelques pas vers elle, les bras tendus, pour venir l'enlacer.
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Axelle
Une erreur ?

La Gitane, elle, ne se posait pas même la question. Certainement n’aurait-elle jamais cherché à connaître cet homme coupable, tout comme elle, d’arracher à la gorge rousse les soupirs les plus suaves – du moins selon les dires de celui-ci – mais le hasard en avait décidé autrement. A quoi bon s’éviter, ou jouer une comédie toute hypocrite ? A rien. L’entrevue ne ferrait que précipiter d’éventuelles conséquences mais en aucun cas les décider. Fataliste de par sa culture manouche, et bien que cherchant malgré tout à dompter le destin d’un futile tatouage dans le creux de sa main, la Gitane n’en restait pas moins persuadée que tout était déjà écrit. Que ce soit dans sa paume, dans les arcanes d’un tarot de Marseille, ou dans une boule de cristal. Alors, finalement, si le trio devait éclater en éclats, rien ne servait de repousser l’inéluctable.


Pourtant, l’attente lui semblait interminable et le cliquetis du dé sur le bois du plateau de jeu résonnait comme un métronome agaçant sans pourtant qu’Axelle ne puisse contraindre sa main à interrompre ses lancés stériles. Mais enfin le rideau s’écarta, laissant pénétrer dans la salle le couple tant attendu. Gade avait beau être imposant, le Coquelicot ne vit que la chevelure flamboyante auréolant le regard clair. Et toute stupéfaite de voir son amante enfin en chair et en os devant elle, de l’hésitation dans les prunelles de Rosa, de la poigne possessive de l’homme, elle ne vit rien quand les bras d’ivoire se tendirent vers elle. Sourire lumineux au visage, la danseuse peina à contenir sa précipitation en se levant et échoua lamentablement en parcourant les quelques pas la séparant encore d’Elle. Les courbes rouges s’ancrèrent aux déliés de soie et le museau de la Fouine plongea dans les boucles incendiaires dans un soupir de soulagement au parfum retrouvé de rose. Rosa. Si en catimini l’envie d’une danse débridée n'affolait déjà les sens gitans, l’étreinte aurait pu paraître anodine, telle celle de simples amies se retrouvant après trop de séparation. Qu’tu m’as manquée sorcière. Sa bouche soudain trop rouge la brulait de s’emparer de celle de sa maitresse pour retrouver ce gout dont elle n’avait été que par trop privée. Mais pourtant, elle n’en fit rien. Non pas par bienséance ou respect envers Gade, mais par un prudent égoïsme tout dévoué à ne pas exposer ce qu’elle ne voulait pas voir en retour. Alors, déjà, trop vite, pour ne pas céder au tison de ce corps contre le sien, la danseuse dépossédée de danse s’écarta de la Tentation pour poser enfin son regard sur l’amant. ‘Soir Gade avec un D comme dur. Elle souriait toujours alors que le bout de ses doigts la démangeait encore de désir. Voyez, si ma plume est libertaire et moi libertine, ma langue c’pendant n’a pas fourché et vous prive d’la châtier tout liberticide qu’vous soyez. Glissa-t-elle une lueur amusée dans le regard en se remémorant la dernière missive reçue.

Sans l’ombre d’un doute, si Axelle avait pressenti un seul instant des châtiments reçus et acceptés par Rosa, n’aurait-elle pas plaisanté innocemment sur le sujet. Certainement n’aurait-elle pas même ouvert la bouche… Mais elle n'en savait rien et jouer avec le feu était son passe temps favori.

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Gade
On pourrait croire à une de ces histoires romanesques et complexes qui se banalisent tant dans ce royaume. Nous en sommes loin. Il n’y a là que trois corps, tous trois animés par un esprit. Les esprits ont un accord tacite ; aucun ne possède un autre. Les trois corps, eux, semblent se livrer bataille. Une bataille soignée, élégante, le genre de bataille que l’on devine plus qu’on ne la voit. Une bataille où chaque geste compte, puisque chaque geste définit la suite.
Il était impossible pour Gade d’envisager que tout soit écrit. Oui l’insolence de l’homme allait jusqu’à défier les lois divines, persuadé que lui seul aurait à écrire et mener sa vie à la force de sa volonté et de son audace. Ce soir encore, il écrirait une nouvelle page, et chacune de ses décisions déterminera le reste de sa vie.

C’était là un jeu, une forme de distraction sans doute malsaine mais qui satisfaisait Gade. Il avait pourtant d’abord été un amant somme toute banal, avec la fougue du jeune âge et la force propre à sa carrure. Mais à force de se faire mordre le cœur, il l’avait décidé de le laisser s’essouffler au profit d’autres jeux moins sentimentaux. Elles qui l’avaient rendu si laid, elles qui avaient lacéré ce qu’il offrait, elles avaient fait de lui ce bourreau. Un équilibriste qui s’aventurait là, entre la conscience du monstre qu’il était, et le besoin vital d’être monstrueux.

Bien évidemment, il savait que Rosalinde irait. Si ce n’était pas par désir pour la gitane, c’eût été pour celui de la punition à venir. Là encore, saltimbanque de l’humeur, il se sentait écrasé par le poids de sentiments contradictoire ; la colère et la satisfaction. Oui, elle avait désobéi, mais à la moindre occasion, elle le paierait de quelques autres signatures.

Il fit quelques pas, s’écartant du rideau, ses doigts glissant sur la table la plus proche. Il avait gardé ses gants de cuir, ne les ôtant qu’une fois arrivé à hauteur des deux femmes. Et c’est un petit sourire sardonique qui vint ourler les lèvres de l’homme, satisfait par la réaction d’Axelle. Elle venait de lui servir là sa première petite vengeance. Ce fut sans accorder la moindre attention à la rousse qu’il se pencha très légèrement pour souffler à la gitane, presque joue contre joue.


    Ce n’est là que partie remise, Axelle.

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Rosalinde
Axelle. Dans ses bras, elle oublie temporairement où elle est, et avec qui. Le temps d'une inspiration, elle se gave d'elle. Son odeur, la finesse de sa taille, les boucles brunes.

- C'est toi la sorcière.

Façon comme une autre de lui dire qu'elle n'avait pas oublié leur petits jeux de l'Empreinte, qu'elle aussi lui avait manqué. Plus qu'elle ne pouvait l'avouer. Mais hélas, il lui fallait réprimer l'envie de, simplement, la garder tout contre elle. Adieu tendresse, elle qui n'ose même pas penser à plus, tant le regard du Géant lui pèse. Et de laisser l'Amante saluer l'Amant, de cette phrase sibylline qui lui fait dresser le sourcil. Et ne tombe pas dans l'oreille d'une sourde. «Châtier» et «liberticide»... Sait-elle ?

Et elle frémit d'appréhension lorsque Gade s'approche. Peur qu'il ne lui colle une gifle, ce genre de choses... Elle a le réflexe d'avancer, d'un pas, pour s'interposer, la protéger. Mais l'intention est avortée dans l'oeuf, ce n'est pas une claque qu'il lui offre, mais un inoffensif murmure. Murmure ? Depuis quand se murmurent-ils des choses, ces deux là ?! De deux choses l'une, soit leur relation était bien plus poussée que ce que Gade lui avait laissé entendre, soit il jouait avec ses nerfs. Lui qui se targuait de ne jamais lui mentir... D'instinct, elle opte pour la seconde solution, mais restant prudente, n'en écarte pas la première pour autant.

Alors elle réagit comme elle réagit toujours, lorsqu'elle se sent menacée. Elle recule, jusqu'à pouvoir venir poser une fesse sur une table de jeu voisine. Ne rien dire, par peur de faire pire que mieux. Observer, subir surtout, se taire, voilà le produit de deux mariages désastreux sur elle qui, auparavant, n'hésitait pas à sortir bec et ongles pour défendre sa place. Aussi, donc, elle se contente de les fixer, calme en apparence, alors que son coeur palpite et que son cerveau bout d'un foisonnement de questions.

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Axelle
Les effluves rosés de Rosa se perdirent pour laisser place à d’autres, poivrés peut-être, la Gitane n’aurait su dire, trop surprise qu’elle était de cette barbe chatouillant agréablement sa joue et troquant le murmure délateur d’un autre, piquant et grave. Les amandes noires glissèrent, impudiques, le long de la nuque forte offerte en pâture à ses lubies et remontèrent se ficher à l’observation muette de son Amante. Nul sourire aux lèvres de nacre. Nul éclat malicieux dans le regard limpide. En lieu et place de la légèreté escomptée, c’était une chape de glace qui semblait s’abattre sur la salle de jeu. Furtivement, sans relâcher la Rousse de la geôle de son regard inquisiteur, les sourcils gitans se froissèrent. Ces deux là jouaient à un jeu dont Axelle ignorait les règles. Elle l’avait vu, ce pas, doucement fébrile. Rosa n’était pas Rosa. Rosa avait peur. Mais de quoi ? Au creux de ses pensées, la gitane s’offusquait de ne pas être mise dans la confidence, d’être le jouet d’une pantomime dont elle ne savait rien. Intruse ? Petit jouet mis à disposition de jeux pervers ? Axelle ne maitrisait rien et se courrouçait.

Qu’ils jouent alors, avec leurs règles secrètes, elle jouera avec les siennes donc. Le sourire glissa, prometteur aux lèvres colorées de la danseuse. Elle dansera ce soir, une nouvelle danse. L’ombre des prunelles s’arracha aux iris clairs de sa Valseuse et la Manouche se leva, nonchalante, faisait fi du givre dans l’éclat rouge de son jupon.

Soyez glace si ça vous chante. Je serai feu alors, jusqu'à vous faire fondre et connaître ces règles que vous me taisez. Que toi Rosa, tu me tais
.


De quelques pas chaloupés, elle se faufila dans le dos du Colosse, se hissant sur la pointe des pieds en maudissant père et mère de l’avoir faite trop petite. Qu’importait. Machiavel en jupon, la pointe de ses seins nargua le large dos. A peine. Juste pour se présenter. Un peu. Juste pour piquer. Un peu. Et au lobe qui s’offrit à son murmure, elle sourit de plus belle.

Partie remise ? N’dites pas qu’vous déclarez d’jà forfait, j’en serai déçue. Le souffle indocile s’immisça dans la nuque mâle, vorace à provoquer, lui épargnant de justesse l’effronterie de ses lèvres quand les crocs blancs n’aspiraient qu’à se révéler et que la braise de son regard incendiait la Flamboyante.

Rosa, pourquoi donc me laisses-tu dans l’ignorance au point d’éveiller en moi ce que tu ne sais que trop bien ?

Au regard suivirent les pas, silencieux, quand la plante des pieds nus embrassait le sol pour mieux embraser la révolte. La dextre tatouée coula sur la joue soyeuse de Rosa, y laissant l’empreinte d’une caresse vénéneuse. D’un dos large, ce fut fatalement au creux d’un gracile que les courbes ambrées vinrent se réfugier. La dextre faussement sage dévala le menton fier de son Amante, dévia l’épaule, dévia le ventre, pour mieux se poser dans un froissement de soie sur la cuisse. Le museau gitan se redressa, empalant l’homme d’un regard ambigu et intrépide.


Et ma main ? Qu’risque-t-elle si elle dérape involontairement ?
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Gade
A cet instant, il jubilait presque face aux réactions de la rousse. Rosa craintive, Rosa jalouse, mais plus que jamais Rosa soumise. Elle était son exutoire, celle à qui il confiait ses plus grandes blessures non pas avec les mots mais avec les gestes. Peut-être pouvait-elle ressentir sa colère et sa douleur lorsqu’il devenait bourreau. Sans doute était-ce pour ça qu’elle en réclamait toujours plus. Une forme d’abnégation totale par amour pour lui … ? Mais alors que pouvait-elle rechercher de plus chez la danseuse. A dire vrai, ces réflexions lui revenaient souvent en tête, comme une rengaine à laquelle il cherchait des réponses qu’il n’avait jamais trouvées. Il finissait par conclure qu’ils n’étaient que trois corps aux attirances discutables, peu convaincu à cause de Rosa. Alors que paradoxalement, il pensait mieux comprendre Axelle qui finalement était un Gade au féminin à ses yeux.

La même Axelle qui, justement, s’invitait à la partie alors que les premiers coups avaient été infligés par Gade. Cette fois, elle venait semer la discorde, comme pour rendre jaloux le Géant et la Rousse. Gade avait son perpétuel sourire mi malicieux mi narquois sur les lèvres. Cet air insolent qui était devenu presque naturel avec le temps. Et pourtant il semblait ne pas réagir aux avances sensuelles du corps gitan. Malgré l’apparence, intérieurement, il brûlait d’envie de laisser ses envies s’exprimer, et à ses quelques mots, il souffla en guise de réponse : « Déclarer forfait avec une si belle main serait un crime. Jouons. »

Il se retourna pour la saisir mais trop tard. Déjà elle filait vers Rosalinde et finalement il n’aurait su dire si c’est l’envie de la jeune femme qu’elle cherchait à attiser ou simplement la colère de Gade. Il fit tout de même un pas vers elles, le regard sévère, surtout adressé à la rousse.

Si tu parles ma Rosa, si elle devine, tu le payeras. Elle le payera. Es-tu prête à me perdre pour mieux me voir me délecter de sa peau ambrée ? Oseras-tu laisser t’ignorer mon regard sévère pour qu’il s’abandonne au jais des pupilles gitanes ?
Le regard devint plus défiant, et ses pas le menèrent devant Rosa, devenu seul rempart entre Elle et Lui. Corps-à-corps avec la rousse, c’était pourtant Axelle qu’il corrigerait. C’était cette main arrogante qu’il effleura, remontant du bout des doigts jusqu’à l’épaule dont il flatta l’arrondi pour finalement plonger avec la même délicatesse jusqu’à sa hanche.


    Votre main … Pas grand-chose.

La menace n’était pas vraiment dans les mots, mais plutôt dans les doigts qui lentement pianotaient sur la courbe généreuse.
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Rosalinde
Elle n'aurait jamais du venir. Voilà ce qu'elle se dit, en regardant Axelle se glisser dans le dos du Géant, et lui murmurer quelques mots à l'oreille. Elle n'était pas de taille à affronter ces deux volontés dévorantes, qui se dévorent, des yeux, en prélude au reste des corps. Pourquoi avoir cru qu'elle pourrait les empêcher de s'unir ? Folie et vanité. Ils sont tout, elle n'est rien. Ils jouent et elle est leur instrument. Situation face à laquelle elle devrait se rebeller. Taper du poing sur la table. Crier «Arrêtez !»

Et pourtant elle reste là, immobile, les regardant déployer leurs fils de soie et les nouer en toile, dans laquelle elle ne manquerait pas de se faire prendre, dévorer, encore. La main sur sa cuisse brûle presque autant que le regard sévère de Gade. Elle se sent prise au piège, entre deux feux qui la consument. Ils sont l'équilibre, l'une est un refuge, l'autre sera sa perdition. Aussi dissemblables que la nuit et le jour. Et pourtant, c'est cet équilibre qui est mis en péril. Qui l'est, en réalité, depuis qu'ils se sont rencontré. Ils succomberont, elle les perdra l'un et l'autre.

Poupée, elle reste mutique, avec ses grands yeux perdus dans le vague quand le Limougeaud vient se presser contre elle. Rempart de l'un contre l'autre, on pourrait dire, et pourtant elle se sent transparente, prise entre deux désirs naissants. Continuer à rester impassible ? Voir les mains de Gade sur le corps de son amante lui était une torture. L'imaginer la brutaliser plus encore. Elle, elle pouvait supporter la douleur, et même la sublimer. Axelle était trop fragile et délicate, sous ses airs de tête brûlée. Et le Veynel... Il jouait au mâle, en réalité, il devait surtout être contrarié qu'elle puisse en aimer un autre que lui.

Des excuses, donc, elle aurait pu leur en trouver des tas. La vérité était qu'elle souffrait de les voir ainsi s'amuser à ses dépends, avec une cruauté sadique. D'une façon ou d'une autre, elle ne pourrait pas supporter bien longtemps ce spectacle. S'y opposer frontalement n'aurait fait qu'empirer les choses, elle avait affaire à au moins un esprit qui ne supportait pas l'autorité et la contradiction de façon tout à fait certaine. Alors une fois encore, elle sonne la retraite. Mais d'une autre manière.


- Allez-y, faites ce que vous avez à faire. Je peux rester ou sortir, à votre guise, sachez néanmoins que je ne vous dérangerai pas.

Un pas sur le côté pour l'esquive, le rempart entre eux est tombé. Et un regard agacé vient se poser sur l'un, puis sur l'autre. Ils l'ont blessée, à se servir d'elle dans leurs jeux pernicieux.
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Axelle
Entre Lui et Elle… La fragilité d’une Rose.

En réponse à son murmure, un autre, piquant comme l’épine de la Rose qui brulait la paume de sa main tatouée. Paume malmenée, entravée à la sagesse quand tout le corps de la Gitane se consumait de caresser, d’embrasser, de faire éclore ce bouton pâle de la pointe de sa langue et de retrouver son velours sucré, enfin. Mais la paume dut se faire une raison, et se consumer douloureusement d’un silence sage à cette peau que la Gitane ne pouvait pas même effleurer du bout des doigts.

Pourtant sa respiration s’agitait face à d’autres doigts s’invitant à cette ronde d’envies, de frustrations et d’incompréhensions. Gade était trop près pour ne pas être soudain farouchement dangereux quand la simple présence de Rosa, le manque d’elle et de ses soupirs se faisait cruellement ressentir au creux du ventre camarguais. Le regard remonta lentement des volutes rousses au regard nuageux et s’y figea sans la moindre crainte malgré l’avertissement des doigts à sa hanche.

Battue. Si les menaces avaient souvent dégouliné sur ses épaules frêles, jamais aucune main, quelle soit paternelle ou maritale, n’avait laissé d’empreintes rouges sur sa joue. Pas plus que de ceinturon n’avait lacéré l’ambre de son dos. A tel point qu’elle était incapable de présumer de ses réactions si cela devait arriver. Une chose était certaine, ses craintes n’étaient pas là, et jamais sous les menaces elle n’avait vacillé de peur, mais toujours d’une colère insondable. Rosa faisait bien de se taire, pour quelque raison que ce soit, jamais la Gitane n’aurait compris cette ignoble soumission. Connaître la vérité aurait été bien pire que la navrante fuite.

Pourtant les amandes charbonneuses délaissèrent le bleuté du regard de Gade pour lacérer celle qui lui avait pourtant promis de ne jamais la délaisser. Ne me quitte pas. Rosa, tu te souviens de ces mots ? Ce sont les tiens. Et voilà qu’après tant d’absence, c’est toi qui ne fuis. Le ventre d’Axelle se glaça d’un courant d’air laissé par l’absence du corps choyé et, vengeance injuste ou besoin viscéral, vint se réchauffer à celui du Bourreau. Les boucles brunes s’agitèrent imperceptiblement. Rosa, tu tiens donc si peu à moi pour m’offrir à ton amant sans même faire mine de te rebeller ? Sans que cela ne t’outrage ni te pince le cœur ? Injuste certainement de n’avoir à se consoler que d’un regard agacé quand la Gitane l’aurait voulu désespéré. Ô comme elle aurait voulu qu’une fois, que cette fois, quelqu’un se batte pour elle. Mais non. Soit Rosa, si c’est cela que tu veux, regarde alors. Lentement la senestre brune vint accrocher celle nacrée de la Rousse. Regarde, je me perds, dans mes propres règles puisque les tiennes m’échappent et que ton amant me plait. Tu as bon gout Rosa, il avait raison. La dextre elle s’enroula à la nuque de Gade. Les mots de la lettre de Rosa planaient lointains entre les tempes brunes « J'aime les hommes, c'est là sans doute mon plus gros défaut, si bien que je ne sais me passer de leur présence. » Ultime point commun entre les deux femmes. Et celui-ci, malgré les espoirs de Rosa n’était ni laid ni nain. Doucement, lentement, la pulpe des lèvres Gitanes effleura le cou du brun, légères et pourtant avides d’une autre peau contre laquelle oublier. Contre laquelle s’oublier. Le fil du la mâchoire fut mordillé, juste un peu, avant que le souffle ne perde un murmure à la bouche inconnue.


Et ma bouche ? Jouez.

C’est vraiment ce que tu veux Rosa ? Dis-moi les règles, folle que tu es avant qu’il ne soit trop tard.
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Gade
Et le rempart s’écroule. Ainsi donc Rosa, tu la livres en pâture aux morsures de mon orgueil, aux lacérations de mon audace. Ne l’aimes-tu pas assez pour la protéger de moi ? Ne m’aimes-tu pas assez pour me retenir ? Tu m’écorches Rosa, et tu le sais.
Oui, le sentiment qui primait à cet instant n’était pas le désir – bien que présent –, mais la colère. Et les symptômes de ces deux émotions se confondaient à la perfection. Le pouls s’accélérait jusqu'à résonner dans les tempes, la chaleur lui étreignait le corps comme pour le suffoquer, alors que son esprit se focalisait sur une seule et unique chose ; le plaisir qui naitrait de l’apaisement de sa colère.

La gitane serait la poupée qui apaiserait la tempête. Elle sera son jouet, le jouet de son orgueil. Le regard d’ébène s’accrochait, l’acier froid emprisonnait. Pourtant lorsqu’il fuit, assassin, vers la Rose, c’est un fin sourire qui étira les lèvres du Géant. Et ce corps qui cherchait sa chaleur autant qu’il l’attisait fût accueillit non sans un léger frémissement. Délibérément ou non, tous les gestes d’Axelle s’accordaient aux envies de Gade.
Et lorsque tu entres en scène, gitane, je veux que tu lui brûles le cœur, que tes sens en émoi te trahissent, la trahissent.


    Reste Rosa, reste …

Il lui offrait un regard plein de hargne, mais elle avait toute son attention. Seul le souffle tiède contre ses lèvres avait pu le détourner d’elle. Et ses doigts autrefois menaçants devinrent caresses lascives sur la cuisse ambrée, tandis que ses lèvres s’oubliaient à quelques effleurements, geôlières passagères d’un souffle qu’il aimait entendre agité.

    Que la partie commence …

Il était déjà trop tard. Adversaires autant que comparses, ils s’opposaient pour mieux s’attirer. Les hostilités étaient ouvertes, il avait saisi les cuisses d’Axelle pour l’assoir sur la table de jeu, son corps massif s’imposant aux courbes sveltes de la danseuse. Courbes délicatement redessinées au gré de caresses audacieuses. Son regard était pourtant à nouveau posé sur la rousse, blessé, l’animal est toujours plus dangereux.
Oseras-tu Rosa ? Vas-tu me laisser lui faire autant de bien que je te fais de mal ?

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Rosalinde
Échec critique.

La provocation n'avait pas fonctionné, pire, elle avait semblé les attiser. Alors donc, ils étaient prêts à se consumer devant son regard impuissant. Oui, l'impuissance. Voilà la sensation qui dominait Rosalinde toute entière. L'incendie se propageait entre la gitane et le géant, et elle ne voyait que leurs souffles se mêlant, et leurs peaux qui se cherchaient. La main d'Axelle qui s'accroche à la sienne l'irrite, brûle du feu de la trahison. Les paroles de Gade résonnent à ses oreilles du même écho. Penser que sa présence leur serait dissuasive, folle qu'elle était d'y avoir songé !

Hagarde, elle regarde l'amant soulever l'amante, dans un geste si souvent répété lorsqu'elle était actrice de l'ébat. Chaque caresse est une flèche qui lui transperce le coeur, et se diffuse en elle une sensation de nausée lancinante. Mal au cœur. Envie de vider son ventre comme ils lui vident l'âme en se défiant d'elle, et de ses sentiments. Comment pouvaient-ils lui faire ça ? Quel si grand mal leur avait-elle donc fait pour qu'ils s'amusent à lui infliger tant de souffrance ? Elle voudrait pleurer, mais les larmes n'arrivent pas à couler, seule sa poitrine est agitée de soubresauts, comme si elle suffoquait.

Elle n'avait pas vu tous leurs regards, pas compris qu'ils cherchaient à ce qu'elle lutte. La lutte, ce n'avait jamais été son fort, à Rosa. Se battre pour celui qu'elle aimait n'avait fait que l'éloigner encore plus. L'ombre de Finn se penchait par dessus son épaule, et égrenait un rire grinçant à son oreille. Tu as joué, tu as perdu, encore une fois. C'est ton destin de perdre ceux que tu aimes. Qu'il est vain d'aimer.

Alors le visage livide s'assombrit. L'orage éclate entre les tempes rousses, et le visage, qui était passé de l'agacement au désespoir, mue encore. La colère. Et la frontière si mince entre la haine et l'amour fut allègrement franchie, alors qu'elle se regardait articuler :


- Vous me dégoûtez.

Et plus encore.

- Je vous hais.
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Axelle
On s'était dit des choses
Que l'on ne tiendra pas
Le temps que l'eau se pose
Sur nos ronces lilas

Le soleil s'endort, sur Seychelles
Le sable et l'aurore, fleur de sel
Attends-moi je sors, de l'île aux Cerfs
L'orage est de l'or, pour se perdre

I need your soul
I won't let you go

Paris-Seychelles – Julien Doré


Sous les larges mains, le corps gitan se laissait doucement apprivoiser. Passée la mascarade pour assener une vengeance dépitée, seul coup de griffe qu’Axelle se pensait capable de d’infliger. Le désir sourd de gouter cette peau mâle offerte à ses lubies les plus destructrices s’imposait en dictateur. Et dans l’air lourd, le gout métallique du sang appâtait et réveillait le cruel héritage paternel avec une perfidie immonde. Si le naufrage de son mariage et le viol enduré avaient fendillé le baume lénifiant méticuleusement appliqué par dégout de Lui ressembler trop, son engagement au sein de la Garde Royale excitait cet atavisme jour après jour, heure après heure, patiemment comme un vers grignotant une pomme jusqu’à ce que les premiers éclats claquent sous son ongle agacé par la démangeaison. Aurait-elle voulu le cacher que son regard trahissait son plaisir morbide de voir sa lame rouge l’aube venue. Mais ainsi en avait décidé le destin, ce n’était plus avec des couteaux à peindre qu’elle jouait désormais. A l’ombre de sa tête pourtant blonde, son frère l’avait bien compris, bien avant elle-même. Axelle était dangereuse. Axelle était une tueuse. Et ce fut de ses cuisses qu’elle assena le premier coup meurtrier et en enlaçant le bassin du Géant pour chercher un écho à la moiteur qui l’envahissait doucement.

Tu savais Rosa… Pourtant la Rose s’insurgea, feulant sa colère comme un chaton pris au piège de deux fauves complices qui s’ignoraient et se trouvaient dans la blessure d’être si peu aimés. Aveugles qu’ils étaient. Aveugle qu’elle voulait-être quand définitivement, il était trop tard. En guise de réponse à la sentence s’abattant à ses épaules, la bouche gitane happa les lèvres qui la narguaient et usaient sa patience dans un feu languissant, avouant un soupir tout aussi coupant pour la Rousse que prometteur pour le Brun. Les lèvres, s’attardèrent, la langue déroba, brisant les serments au gout amer de papier depuis que Rosa les avait offert l’un à autre dans une désinvolture blessante.


Calmant son souffle malmené par l’envie tout autant que par la tension crissant entre les murs de la pièce, la senestre brune délaissa sa jumelle blanche pour mieux enferrer la fautive d’un regard désordonné de rancœur, de tristesse et de punition. Et habiles les doigts délacèrent le cordon rouge.

Je préfère ta haine à ta tiédeur Rosa.

Le tissu indocile ou clairvoyant de ce que la Gitane attendait de lui, chuta, inéluctablement, trahissant dans un froissement discret l’arrondi des épaules, l’arrogance des seins, le creux du ventre palpitant. Souvenir mis à nu.


Personne jamais ne me blessera plus Rosa. Pas même toi. J’ai appris à frapper la première. Si tu veux absoudre ta faute, viens.

Rien ne va plus... Un léger sourire indéchiffrable arqua ses lèvres quand son regard se remontait, d’une lenteur terrifiante, vers celui de Gade.
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Gade
La haine pour seule partenaire de jeu. Décevante. Il l’aurait voulu forte et battante, elle était lâche et dominée par ses fantômes. Et pour ça, il lui en voulait terriblement. Tu ne resplendis que dans la peur et la soumission Rosa, Dieu que tu es belle lorsque tu souffres, et pourtant … Tu me déçois.
Il venait de comprendre qu’il n’en ferait jamais une femme forte et aimante. Indispensables l’un à l’autre, ils ne l’étaient que pour panser des plaies. Mais Rosa, sous le masque de la fierté, se brisait en mille morceaux à la moindre fêlure dévoilée. Là encore, il eut l’audace de franchir, une dernière fois, la limite. Va-t-elle à nouveau reculer jusqu’à la fuite, ou enfin oser, sortir ses griffes de chaton apeuré ?


    Il n’y a que ta peur qui est méprisable, ici, ma Rosa.

Il aurait juste eu envie de lui ordonner de se battre, d’être passionnée. Mais son orgueil le lui interdisait. Seul le ton possessif de sa phrase pouvait trahir son attachement encore certain, même lorsque cette Autre, avec un grand A, déchainait en lui un violent désir. Parfaite dans son rôle de séductrice, élégante dans sa position de marionnette. Elle subissait le jeu de Gade sans s’en émouvoir, y instaurant même, avec parcimonie, ses propres règles. Et celle qui fut rivale se révélait être une compagne de choix, instrument délicat qu’il manipulait non sans réflexion. Il sait ce qu’il veut, il sait où il va, et n’espère qu’une chose.

    Tapis …

Fut le seul mot soufflé à l’oreille d’Axelle, avant que d’un seul geste, il ne la renverse sur la table. Sa main droite s’écrasant lourdement là, entre ses clavicules, immobile. Et le regard arrogant du Géant sonde les ébènes gitanes avant de filer sur ce corps nu, offert à ses vices. Il ne pouvait que comprendre la rousse, cette peau fine, ambrée … il imaginait combien les lèvres de Rosa pouvaient aimer la parcourir. Et pourtant il ne ressentait pas la moindre envie de vengeance. Non, là, il voulait que Rosa s’affirme, que Rosa s’exprime, que Rosa se sublime d’elle-même.

    Allez-vous suivre … ?

Un sourire narquois illuminait le visage de Gade, et lentement l’index gauche vint tracer, voluptueux, un sillon. Naissant au creux de sa poitrine, c’est une fois le nombril franchit que le chemin finit par devenir flou, et le doigt s’évaporer, abandonnant la tiédeur de sa peau. Tandis qu'il déposa un baiser mordant là où, quelques secondes plus tôt, son index disparaissait.
Nous y sommes Rosa, elle est à moi. Ne me laisse pas faire, où tu vas tout perdre. Maintenant, délivre-toi.

Et comme une ultime provocation, son regard se défaussa pour venir mordre celui de son Amante.

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Rosalinde
La machine infernale était enclenchée, et ses rouages huilés lancés sans que rien ne puisse enrayer la mécanique. Pas même la promesse de récolter sa haine. Rien à faire. Elle était face à un mur, un mur mouvant, contre lequel elle n'avait de cesse de se cogner, et de se blesser. Un mur hérissé de piquants, et de barbelés. Ils lui écorchaient la peau à chaque caresse, à chaque baiser. Le soupir d'Axelle lui coupa un instant le souffle. Lente asphyxie qui se lit sur son visage, alors que sa respiration se fait saccadée. Un instant encore elle suffoque, et est prise d'un coup de chaud. Les nerfs à fleur de peau, à deux doigts de lâcher, quand elle lui avoua préférer haine à tiédeur.

Impression de n'avoir été pour elle qu'un jeu. Un objet sexuel. Elle n'en avait rien à foutre, que Rosa puisse la détester, si elle ne pouvait pas la baiser. Voilà comme elle interpréta les paroles de la Gitane. Envie de tout casser. De lui crier : « Tu n'es qu'une pute ! » D'attraper une chaise, de leur fracasser sur le crâne. Elle aussi veut du sang. Blesser autant qu'ils la blessent, et puisqu'elle ne peut le faire par les mots, cela pourrait être physiquement. Mais non. Elle restait là, à contempler, immobile, le corps dévoilé de son amante. Ses seins nus qui se dressaient sous l'impulsion du désir, et pour qui ?

Non, elle ne casserait pas. Elle doutait d'ailleurs d'en avoir la force. Ils n'avaient simplement pas besoin d'elle. Ou plus. Elle n'avait plus qu'à s'effacer. Partir. Ce qu'elle fit, alors que les paroles de Gade résonnèrent à ses oreilles. « Il n’y a que ta peur qui est méprisable, ici, ma Rosa. » Qu'importe. Elle s'en va. Mais sournoisement, les mots firent leur chemin jusqu'à ses oreilles. La peur. Peur de quoi ? La réponse était plus qu'évidente. Oui, elle avait peur. Et c'était cette peur qui la paralysait. La main fut posée sur la poignée. Ouvrit la porte. La fuite, oui. Et puis la referma.

Non. Les mots de son amant s'étaient frayé un chemin jusqu'à son esprit. C'était bien beau, d'accepter de se faire lacérer à coups de ceinture, par amour, pour lui permettre de voir toute cette colère sublimée dans le plaisir qu'elle arrivait à en tirer. Mais cela ne réglait pas ses propres problèmes. Son incapacité à faire confiance. Si elle n'avait pas reculé, si elle n'avait pas eu peur, rien de tout ceci ne serait arrivé. Ou différemment. Elle ne pouvait pas céder à ses démons, pas aussi facilement. Il lui avait ouvert les yeux, en quelque sorte. Alors que faire ? Étrangement, la réponse sembla s'imposer d'elle même. Son regard se porta vers eux. Ils étaient occupés. Tant mieux. Ses doigts tremblants s'agitèrent, dans des gestes mille fois répétés. Et elle s'avança à nouveau, retournant sur ses pas. Pour se présenter à eux. Croisa le regard de Gade. Elle était là, nue, et bouleversante de fragilité.

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