Afficher le menu
Information and comments (0)
<<   1, 2   >   >>

Info:
Unfortunately no additional information has been added for this RP.

[RP][Manoir Vernolien] Le retour de l'épouse prodigue

Isaure.beaumont
Citation:
Mon fils ira à la chasse avec moi. Il n'y a rien à voir en temps et en heure... Telle est ma décision. Gardez-vous de la discuter. Sachez que je n'ai plus guère de patience oui, je le prendrai sans doute avec moi en juillet, pour quelques jours. De vos bras, il est temps qu'il se sépare, il ne faudrait pas que ce petit garçon soit dans vos jupes jusqu'à son émancipation, je vous l"ai assez laissé, d'autant que votre voyage aura duré plus que de raison. Je suis sur le chemin du retour, avec un jeune orphelin que j'ai pris en charge durant votre absence. Je l'ai connu à l'office du dimanche, où il venait régulièrement. Ne vous étonnez donc pas de sa présence en les murs du Manoir, ni avec moi à la chasse. Trouvez-vous une occupation en juillet donc, loin de mes yeux. Je ne tiens plus à vous avoir dans mon giron, du moins tant qu'il le faudra. Je sais que vous êtes allée voir Finn. Votre mariage est compté avant que je ne trouve le moyen de mettre au jour tous vos petits mensonges...

Judas Gabryel Von Frayner.


Elle avait pourtant maîtrisé ses mots. Elle avait pourtant gommé du mieux qu'elle le pouvait son agacement et son aversion pour son époux. Elle avait assoupli ses mots, quand sa seule envie était pourtant de l'insulter. Elle avait voulu se montrer docile, lui rappelant simplement qu'Amadeus était bien trop jeune pour être éloigné trop longtemps d'elle. Elle aurait dû lui rappeler qu'on enlève un fils à sa mère seulement lorsqu'il a atteint l'âge de raison, et non pas dès ses premières années d'existence. Mais à quoi cela lui servirait, puisque dorénavant il savait...

Les quelques semaines loin de son époux lui avait permis de retrouver ses esprits, de consolider ses remparts que le seigneur de Courceriers avait ébranlé de ses poings rageurs quelques mois plus tôt. En reprenant la route pour Verneuil, elle s'était sentie confiante, prête à le supporter de nouveau, mais elle ignorait alors que la rumeur avérée de sa présence en Bretagne était arrivée jusqu'aux oreilles de Judas

Aussi, quand Verneuil se profila, le cœur d'Isaure se serra. Elle fut un instant tentée d'ordonner qu'on fasse demi-tour, qu'elle puisse fuir avec son fils, autour duquel l'étreinte se resserra, loin de cet époux qui, dès leurs vœux échangés, n'avait eu de cesse de la menacer d'une répudiation. Mais plus que l'annulation de leur mariage, c'était la menace proférée par Judas quelques mois plus tôt qui terrifiait la jeune femme: sa désobéissance lui vaudrait le retrait définitif de son fils. Pourtant, fuir ne serait que folie. Elle s'imaginait qu'en le faisant, Judas n'aurait de cesse de la poursuivre et qu'en agissant ainsi, elle s'attirait en plus de celles de son époux, les foudres du Très-Haut. Elle se devait donc d'affronter son terrible geôlier.

Pourtant, aussi aristotélicienne était-elle, alors qu'ils passaient les portes de Verneuil et qu'elle baisait le front de son fils, elle fit la silencieuse promesse au Très-Haut, qu'avant la nouvelle année, elle serait veuve.

_________________
Judas
    Je m'appelle Judas Gabryel Von Frayner, seigneur de Courceriers, et je vais te briser. Je ferai céder un à un, avec une patience méconnue tous les verrous de ta volonté. Ferai de chacun de tes jours l'aube que tu désirera dernière, forcerai ta résistance comme on force une charnière et obtiendrai de toi la plus immuable docilité. L'essence même de la fidélité. Je t'asservirai, te ferai ployer. Epouse sans vertu, serre ton rosaire. Toi qui a tenu, sache que je suis revenu. Ce à quoi tu tiens, je te le retirerai , d'une main de fer, je te briserai.

    Je te briserai.


L'écho sourd du galop semble atteindre bien avant les deux cavaliers le manoir en rase campagne. Voilà un jour que le seigneur a quitté le Vicomte aux portes du duché Alençonnais. Chacun retournant à leurs sacerdoces. Chacun ayant perdu leur passagère insouciance. Les traits de Judas ont tiré leur rideau d'impassibilité, à mesure que se rapproche la demeure où la jeune épouse et l'héritier sont arrivés quelques jours auparavant.

Il y eut une trêve. Des conventions tacites à ne pas faire couler de sang, avant. Le mépris silencieux, les absences pour deux, toutes ces précautions à ne pas retourner la barque et à s'accorder l'enfant. Avant. Le mariage de haine avait filé ses jours en dentelle de laine. Ajouré de sens. Et puis l'un avait su ce que l'autre avait tu. La vérité qui se perce laisse souvent s'étendre un magma destructeur que plus rien ne semble tarir... Sinon la mort. Lorsqu'il n'y a plus rien à incendier. Plus rien à dévorer.

La sénestre de cuir se tenait recroquevillée sur le crin dur et brun, soucieuse de ne pas desserrer ses mâchoires de phalanges de sa prise. L'écho se fit plus net, réponse aux pierres de l'édifice qui faisait face aux deux arrivants. Tandis que la monture ralentit sa course, tournoyant dans la cour, les yeux corbeaux du seigneur arpentèrent le lierre qui gagnait peu à peu la façade, puis les fenêtres où peut-être, le visage qu'il avait enlaidit quelques mois auparavant ferait son apparition. Erreur malheureuse... Mûri de ses nombreux moments de solitude, Judas avait compris que les poings n'atteindraient pas l'essentiel. Qu'il obtiendrai bien autrement. Le geste fut sec et sans hésitation, la tête du sanglier aux yeux hagards vint s'écraser contre la porte principale, tâchant d'une giclée sombre et sanglante les pierres grisâtres des murs. Avec un peu de chance, ce serait elle qui ouvrirait.

Les rênes furent tirées d'un geste nerveux, tandis que le cheval déviait sa course vers les abords du vivier. Le gant griffé d'une trainée carmine s'éleva vers le ciel, appel au second cavalier de suivre la même direction et de s'éloigner de ce tribut de chasse peu glorieux pour contourner vers l'ouest le bâtiment. Hugo était resté alerte, sans jamais élargir la distance qui le séparait de Judas... Et ce depuis la Bretagne. Ombre fidèle s'acquittant de toutes ses taches, profil apprécié des humeurs du satrape. Les écuries se présentèrent à eux, sombre et calme bâtiment dans lequel ils s'engouffrèrent et où mourût le claquement des sabots redoutés.

_________________
Hugo_




Aux salaisons de la Bretagne, avait fait place l’odeur pleine de la terre, abjurant le roc et l’écume pour retrouver sous les sabots équins, le tendre des chemins assouplis des climats moins tempétueux que ceux auxquels Breizh les avait soumis.
Loin des vérités déterrées et des incartades profanant le silence, Hugo s’était résigné à partager le Maitre, et à voir son front s’alourdir des réalités au fur et à mesure que la compagnie s’était dispersée, ombre canine de ce voyage, sagement à portée de ces ordres attentifs que seul Judas savait donner, et dont le visage frémissait parfois de satisfaction quand la main flattait l’échine.
S’il ignorait le gel courant aux pierres du manoir, il avait senti l’air s’alourdir et l’humeur s’épaissir aux abords des terres acquises, le gangrénant lentement d’une impatience enfantine à devenir l’issue, à ramener entre ses mains juvéniles la sébile qui ferait renaitre le sourire aux lèvres de ce dieu soucieux et qui apaiserait cette fièvre courroucée.

Le galop lancé avait assujetti les battements de son cœur à la cavalcade proposée, exalté par la fraiche vitesse, vivifié par les odeurs du sang, de la sueur, du vent, et n’avait ralenti que lorsque la hure avait heurté la porte du manoir dans une course carmine, les yeux adolescents se fixant à la prunelle morte, vitreuse, croisée à l’aube d’une seconde où le temps et l’élan se métissèrent jusqu’à l’impression d’un ralentissement effleurant les frondaisons des païennes croyances.


Enfant de Lug, te voilà messager pour mon Maitre.
Que tu portes les oriflammes de Ses croyances, ou de mes souvenirs, parles en ton nom.
Dis à ceux qui doivent voir, que le sang a coulé et qu’il a ouvert l’appétit de ton père. Dis à ceux qui doivent entendre que Mon maitre t’as tué, toi, le fils, la bête. Dis à ceux qui lui doivent allégeance, qu’Il arrive.



Les talons s’enfoncèrent dans les flancs mouchetés de son cheval, relançant dans un trot vif, la démarche souple de la monture en suivant autant le geste que l’ombre de son propriétaire jusqu’aux écuries, achevant l’assourdissante chevauchée sitôt passées les portes. En un mouvement souple, il rejoignit le sol, la bride coulissant dans la dextre quand la senestre, une fois le pommeau quitté, flattait l’animal haletant. Sans s’occuper de Judas auprès de qui les palefreniers ne manqueraient pas de se manifester, Hugo prit le temps d’ôter la selle pour alléger l’animal et, saisissant une brassée de paille fraiche, frotta les flancs embués quand l’équidé tendait son cou gris jusqu’à l’abreuvoir, prière muette dans l’accomplissement des gestes précis le menant à soulager d’abord les besoins de la monture avant d’envisager les siens.


Merci pour m’avoir mené et ramené.
Bois, et mange, demain peut-être, devrons nous repartir.



S’il le confierait sitôt pansé et désaltéré aux garçons d’écurie, le limier prenait à la charge de ses obligations, l’attention que l’on se doit d’offrir à l’instrument, autant par respect, que par soucis d’en garder l’entier avantage, sans en percevoir le moindre enseignement sur son propre cas, aveugle dont la fanatique adoration à la lumière , ôtait tout sens critique.
Essuyant d’un revers de manche son front humide, il tapota la croupe constellée avant de la délaisser, cherchant Judas du regard, l’œil attentif à discerner l’émotion qu’il y trouverait, l’urgence qu’il y lirait, dogue accordé à l’orage menaçant l’humeur, le visage fermé en une expression étonnamment trop sérieuse pour des traits encore si délicats, illustration fervente d’une servilité sans aucune nuance, attendant l’ordre qui déciderait de la suite.


Dites moi.




Judas
La monture est délaissée sans soins aux petites mains qui ne manqueront pas de venir s'en occuper. Les gants ont été changés, plus ouvragés, plus tapageurs. L'histoire ne raconte pas ce qu'il est advenu de leurs prédécesseurs. Les yeux noirs sont deux trous dans l'âme, béants et vides, pourtant plus mordants que jamais. Floués. Ils se posent sur un Hugo qui a été mis à l'écart d'une mise à mort. Une qui ne lui était pas réservée.

Judas n'a plus coeur à faire semblant. Se contenter. L'essence même de ce qui faisait de lui un époux supportable par son absence avait foutu le camps au sortir de la Bretagne. Maintenant que plus rien ne l'occupe sinon cette funeste humeur totalement indissociable de ses moindres faits et gestes, le seigneur n'a plus de réelles limites. La moindre des contrariétés tend à éclore sans retenue, et à se déchainer. Sans pudeur. Sans écho. Judas est un malade dont plus rien ne resserre la camisole. Les amantes, les secrets, tout n'était que garde fou. Désormais meurtri, l'époux jaloux sait combien la haine se distille dans les veines, qu'il coupera au premier qui intentera à ses derniers desseins.


Qu'y a-t-il de plus terrifiant que le deuil d'un amour? Comme un naufrage, là bas, où personne ne peut plus le raconter que les mille et mille dépouilles noyées... Un navire qui ne rentre jamais. Les espoirs des vivants scrutant un horizon sans réponse. Silencieux à jamais, moribonds. Eclaté et perdu. Comme un coeur qu'on a tu, emporté par le fond. Un échec sans témoins et de l'or gaspillé, au moins.


- D'ici trois nuits, à mon retour de la chasse, tu iras prendre mon fils dans son lit. Tu l'emporteras près de Moulicent jusqu'à l'étang des Demoiselles à l'Est. Tu le confieras à Anaon sans poser de questions puis tu rentreras te coucher comme si tu n'étais jamais sorti.


Judas avait parlé à voix si basse, qu'il était difficile de le comprendre. Il posa de nouveau sa main sur l'épaule du jeune homme, l'emportant comme on emporte son fils vers une mère qui ne l'aimera jamais, pour être l'objet bâtard d'une attention plus douce et illégitime que celle qu'elle n'aura jamais. Isaure était prévenue de la présence imposée d'Hugo, Hugo lui n'était pas prévenu de la détestable présence qu'émanait Isaure. Ce qui prenait des airs de substitution n'était que l'amorce de l'expression d'une aversion qui ne se contenait plus. Où tout pouvait châtier pour châtier, quitte à se priver. Quitte à s'égarer.

- Tu es chez toi maintenant.
_________________
Isaure.beaumont
La vie vernolienne n'avait pas changée. Elle plongeait Isaure dans une morosité sans fond. Sachant le retour de son époux imminent, la jeune femme n'osait quitter le manoir, ne serait-ce que pour aller prier à l'église. Aussi s'était-elle improvisée une petite chapelle de fortune dans l'une des pièces inoccupées du manoir. C'était une bâtisse charmante au demeurant mais que la jeune femme ne parvenait pas à s'approprier. Elle ne lui trouvait pas l'élégance du Clos Saint Hermine, ni même la prestance de Morvilliers. Même Miramont avait ce petit quelque chose qui, s'il ne charmait pas les yeux, ravissait le cœur. Isaure n'aimait définitivement pas Verneuil.

Quand elle ne priait pas, elle veillait sur Amadeus qui redécouvrait les lieux à renforts de cris et d'éclats de rire. Ses pas se faisaient plus assurés, et la main maternelle ne serait bientôt plus qu'un lointain souvenir. L'enfant était impétueux. A peine sa mère ou la nourrice avaient-elles le dos tourné, il se dressait sur ses petites jambes, et bien trop impatient de savoir marcher s'élançait en courant. La chute était alors inévitable; en témoignaient les nombreuses bosses et ecchymoses qui venaient marquer sa peau délicate.

Isaure venait de coucher Amadeus quand l'écho des sabots parvint à ses oreilles. Depuis quelques semaines, la jeune mère initiait le jeune enfant à la prière. Avant chaque sieste, elle lui imposait ce temps calme, ce temps de recueillement. Un instant rien qu'à eux, et au Très-Haut. Elle aimait voir ses petites mains potelées pieusement jointes. L'exercice était cependant encore difficile pour un si petit garçon, mais parfois, il se prêtait au jeu et levait sur sa mère un regard empreint de fierté et d'amusement qui arrachait à la Miramont un sourire attendri. Il lui semblait que dans les yeux de son fils, elle devenait plus forte. Et c'est ce qu'il se passa ce jour-là, juste avant que Judas ne passe les grilles du manoir.

Nez et front pressés contre la vitre d'une fenêtre au premier étage, Isaure vit son époux arriver. Altier sur sa monture, il n'avait pas changé malgré ces longues semaines d'absence – qui s'étaient transformées en mois. Il était l'heure, l'heure d'aller affronter l'ire de l'époux. Lentement, la jeune femme descendit les escaliers. Il lui semblait ne pas avoir peur, comme si les dernières prières lui avaient rendu son courage. Elle remettait sa vie au Très-Haut, qu'importe la colère de Judas. Et même si la peur ne l'étreignait pas, elle resta un long moment immobile derrière la lourde porte, la main posée sur la poignée. Bientôt, elle serait face à lui, et il lui faudrait faire la meilleure impression. Trop affable, elle exciterait certainement sa colère. Trop provocante, elle signerait son arrêt de mort.


- Le maître est rentré. Faites préparer du vin et de quoi le sustenter. L'ordre fut lâché. Depuis son retour, ignorant la date de celui de son époux, elle avait fait préparer chaque jour des tartes et pâtés pour le retour du seigneur de Courceriers. N'avait-elle pas promis qu'elle serait une épouse exemplaire ?

La porte fut tirée, et la jeune femme sortit de la bâtisse, découvrant le sanglant message que son époux lui avait laissé là. Le ton était donné. Une inspiration et une prière plus tard, la jeune femme s'avançait vers les écuries.


- Tu es chez toi maintenant.


La voix de son époux lui parvint bientôt, distincte. Elle s'autorisa une dernière grimace de dégoût avant de paraître, stoïque, devant celui qu'elle avait épousé devant le Très-Haut.

- Bienvenue chez vous, mon seigneur. J'espère que vous avez fait bon voyage.


Une légère génuflexion et une inclinaison brève de la tête accompagnèrent ces quelques mots d'accueil. Il n'y avait aucune chaleur dans la voix d'Isaure, pas même l'ombre d'un sourire ne venait éclairer son visage. Le regard dévia sur Hugo, s'interrogeant sur sa présence ici. Elle ne se rappelait pas avoir été informée de la venue de ce jeune homme. Qui était-il ? Que faisait-il ? Si Judas pensait avoir averti sa femme de cet invité, il n'en était rien. Ou alors Isaure n'avait pas lu attentivement ses lettres, certainement trop troublée du message entre les lignes. Il était trop tard pour vérifier. Chacune d'elles avaient été brûlées.


- Monsieur. Bienvenue à Verneuil.
Et reportant son attention vers Judas. Vous devez, tous deux, avoir soif et faim. Je vous ai fait servir du vin et préparer quelques mets, qui j'espère, suffiront à vous restaurer. Appelez-moi quand vous aurez besoin de moi. Je serai dans mes appartements.


Elle leur tourna enfin le dos, prête à repartir. Elle s'interrompit un instant, sans se retourner vers eux.

- Excusez-votre fils. Le pauvre enfant était exténué, il dort à présent. Je vous le porterai dès qu'il sera éveillé.
_________________
Hugo_




Chaque mot se logea à l’oreille juvénile, chaque promesse poinçonnée par le souffle du murmure s’enroula aux veines brulantes du dogue attentif, soupesant dans le plaisir de la confidence, les ordres dont on le chargeait. L’errance avait pris fin, l’abandon était consommé, seul restait Judas désormais, détenteur du Tout, créateur de mondes, dévoreur d’ennui, Maitre qui apposait à son front la bénédiction de l’usage.

Oui, répondit-il sans la moindre interrogation pour voiler ses yeux clairs, machine animale dont la cause ne souffrait ni d’interrogations, ni de doutes, trop épris de cette paix à servir celui qui est légitime pour l’écorcher d’un quelconque vacillement, conscient qu’il était objet et mouvement, et que la vue d’ensemble tenait aux yeux seuls du Seigneur, inaccessible aux badauds comme aux fidèles, épreuve de foi dont la maladie fanatique d’Hugo, jamais , n’avait ressenti les affres.
Les grands hommes n’avaient pas besoin de compréhension, mais d’outils à la mesure de leurs espoirs.


Dans trois jours, j’emporterai du silence de la pierre à l’eau, l’ombre dans le berceau.
Je donnerai pour Vous revenir, et rien, ni personne, ne saura que les Mains Rouges ont accompli leur tâche exsangue.



Tu es chez toi maintenant.


Orgueilleux Judas, insensé démiurge, as-tu si froid qu’il soit consolation pour toi d’emmener la Mort au creux de ta maison? T’ennuies-tu à ce point qu’il te faille faire cohabiter les acteurs de ton drame avant de précipiter sur leurs têtes soit la foudre, soit la clarté du ciel ? Ou ce cœur morcelé, saccagé par les poudrins de la Bretagne, trouve-t-il dans la présence animale, dans l’ombre fervente du chien à tes pieds, l’inexplicable réconfort de celui qui t'aime au-delà de toi-même?


Pour lui qui n’avait jamais vécu sous le même toit que son propriétaire, enfant tenu à la mamelle des secrets pour autant qu’ils servent les intérêts les moins avouables de son possesseur, l’idée ne l’effleura même pas que Judas eut pu vouloir le loger définitivement au sein même de sa maison, et le regard illuminé d’un sourire de gratitude se porta naturellement sur les hectares dont les verdures étoffaient la vue, sur ses terres où, en l’absence de Sa Voix, il était désormais libre d’aller et venir, de grimper aux arbres, y restant jusqu’à ce qu’il devienne écorce, de couler à l’eau claire des marais redevenant un instant, roseau , jonc, morène…


- Bienvenue chez vous, mon seigneur. ..

La voix d’Isaure écorna son rêve canin, amenant l’attention surprise du jeune homme à contempler la nouvelle venue, inspection sommaire visant plus à évaluer un âge, un poids, une fonction, qu’une forme quelconque de beauté, les femmes au même titre que les hommes, ne l’intéressant pas. Leurs courbes ne l’attendrissaient pas, et si leurs traits pouvaient être gracieux, un corps bien fait, ou une démarche, élégante, les déchainements qu’elles orchestraient lui apparaissaient abstraits, obscurs, souvent incompréhensibles, loin de la passion simple et dévorante qui éclaircissait son horizon.
Intimidé naturellement dans un premier temps par cette intrusion, il se raidit légèrement en saluant d’un mouvement de tête, jetant un regard rapide sur le Maitre, soucieux d’avoir fait un faux pas en étant encore visible aux yeux du personnel, avant de contempler de nouveau, doucement craintif, ce qu’il prenait pour l’intendante de la maison quand elle concluait, sur le départ, n’offrant que le dos en guise d’au revoir.

Excusez-votre fils. Le pauvre enfant était exténué, il dort à présent. Je vous le porterai dès qu'il sera éveillé

Rassuré par le peu d’interrogations que soulevait sa présence, par l’acquiescement muet donné aux attentes du Maitre, le torse du jeune homme s’enfla d’un soulagement aérien, ramenant à ses traits enfantins un sourire sans fard. Brusquement impatient à l’idée d’un repas chaud, s’abreuvant de vin et d’anecdotes de chasse si le Seigneur était d’humeur loquace, incapable d’associer la mine impassible de la jeune fille les ayant accueillis à l’épouse que méritait selon lui son maitre, il ne prêta plus aucune attention à Isaure, tournant vers Judas un visage enthousiaste pour lui dire le plus simplement du monde :

J’ai faim.


Judas
La voix de la jeune épouse tira Judas de ses conclusions pour les appuyer. Son regard froid et vide vint s'écraser sur le visage laiteux et faussement stérile d'Isaure. Ce masque d'indifférence, que Judas savait cacher faiblesses et inexpérience, des failles indissociables de l'âge et de la force ennemie. Redoutable petite comédienne servant ses devoirs comme s'ils ne lui avaient pas cassé le nez quelques mois auparavant.

    Pauvre de toi...


L'estomac moribond, l'appétit tari, le Maitre des lieux n'avait plus à se nourrir que de la sombre ambiance qu'il jetait sur sa demeure en y revenant, et des pluies de tourments, acides et diluviennes, qui allaient s'abattre sur le manoir Vernolien. Il salua la jeune femme d'un geste exempt de toute chaleur et se détourna d'elle, entrainant Hugo dans son sillon.


    Pourquoi tant d'efforts? Tu ne peux pas tomber en disgrâce à mes yeux... Tu l'as toujours été.


- Allons manger. Ensuite, nous partirons chasser avec mon fils. Tu verras comme cet enfant est vigoureux.


Vigoureux. Le seul mot que Judas n'ait jamais aux lèvres à propos de son héritier. Un enfant avec une tête, deux bras et deux jambes oui, mais vigoureux. Comme une nécessité absolue se suffisant à elle même. Comme si tout le reste pouvait bien ne plus être, tant que ce fils ne devenait pas l'enfançon chétif et mourant qu'Isaure avait en réalité mis au monde, quelques jours après l'Anaon. Dans son ombre, Judas laissait une épouse plus seule que jamais face au silence de son quotidien. Une mère de substitution du même âge que le jeune Limier, incapable de satisfaire le seigneur, et qui n'aurait jamais d'autre statut que celui de fardeau d'une vie.

Le duo entra dans la demeure, poursuivit son chemin jusqu'aux cuisines. L'homme désigna au jeune garçon quelques plats qui attendaient fumeux et sobres que l'on vienne les savourer à même les casserons. Il l'abandonna à son repas, rien ne pouvant le rassasier, affamé d'un appétit moins substantif, appelé par d'autres desseins. Les bottes de cuir entamèrent l'ascension d'un escalier, pivotèrent lentement au détour d'un couloir et s'immobilisèrent sur le seuil d'une chambre... Le silence était bercé de quelques bruissements légers, et une main enfantine dépassait d'un lit de bois soigneusement ouvragé, présent Parisien d'un père à son fils. Elle semblait saisir le vide, rêveuse, détentrice des secrets de l'âme poupine aux rêves opaques. Le visage de Judas se pencha sur le petit corps d'Amadeus, et les mains vinrent s'en saisir, délicates.


- Je suis revenu, mon fils...


Le visage Judéen se fendit de l'unique sourire qu'il s'offrait depuis des jours, des mois... Sourire ayant traversé les tumultes des déconvenues et du désabusement, offert au visage à moitié endormi du petit Amadeus-Foulques Kenan Von Frayner. La voix de feutre aux détours sans souffle finit de réanimer les deux galets cobalt - héritage Anaonien contre tout espoir Isaurien - qui acheva d'attiser la fierté du sabaryte. L'ombre de Judas aurait pu paraitre monstrueuse lorsqu'elle embrassa celle de l'enfant, et son sourire acéré et ses onglés affûtés... Mais les monstres n'engendrent-il pas le sommeil de la raison?

- Il est temps de devenir un petit homme.

    Mon petit homme.

_________________
Isaure.beaumont
A peine Isaure eut-elle franchit le pas de la porte des écuries que le masque qu'elle arborait jusque-là se brisa. S'adossant au mur des écuries sur lequel courait un lierre dense, elle prit le temps de reprendre ses esprits. Judas ne lui avait pas adressé un mot, mais rien n'était pire que le silence judéen. Il promettait de biens sombres heures. Il était bien plus terrifiant que des menaces proférées à voix haute. Une seconde pour respirer, une seconde pour se remettre de ce bref tête à tête.

Puis elle reprit sa course vers le manoir. En quelques enjambées, elle fut dans ses appartements, désormais son unique refuge. Dans la chambre adjacente, Amadeus dormait du sommeil du juste. Elle enviait son innocence et tranquillité. Il ignorait encore tout de l'âme noire de ce père qu'elle lui avait donné.

Le parquet grinça, tirant Isaure de ses pensées. Le regard fixé sur la porte, elle s'était raidie. Elle attendait avec appréhension que la poignée tourne et que la porte s'ouvre bientôt sur son époux. Elle retenait sa respiration. Mais rien ne vint. La porte resta résolument close. Elle se hissa alors hors de son lit et rejoint la porte de sa chambre sur la pointe des pieds. La porte fut entrouverte délicatement et elle passa un minois qu'encadraient des boucles brunes par l'entrebâillement. Elle vit alors l'homme penché sur le berceau.

Une moue haineuse déforma son visage. Judas lui volait ses moments privilégiés avec son fils. Ces dernières semaines, c'était elle qui se penchait sur le berceau d'Amadeus pour cueillir ses premiers sourires au réveil. C'était elle qui venait déposer un baiser sur ses joues chaudes avant de le laisser se blottir dans son cou. C'est elle qui tenait sa main, c'est encore elle qui le berçait quand un chagrin venait le tracasser. Et Judas, Judas venait de lui voler ces précieux instants de bonheur.

Elle aurait pu s'interposer entre lui et l'enfant, mais elle savait alors à quoi elle s'exposait. Aussi prit-elle le parti de s'éloigner de ce spectacle. Elle dévala les marches et sortit du manoir pour reprendre la direction des écuries où elle savait qu'elle serait seule.

Hugo était aux cuisines, Judas auprès de leur fils. Elle rageait. Elle avait envie d'hurler, mais la gorge trop serrée empêchait tout son de sortir franchement. Elle se glissa dans la stalle de la monture judéenne. C'était une belle bête qu'elle avait toujours admirée et enviée à son époux. Et si elle haïssait ce dernier, elle avait pour l'équidé une certaine affection. Elle passa les deux bras autour de la large encolure et cala sa tête tout contre. Les doigts s'emmêlèrent dans la dense crinière et elle dans l'intimité des écuries, elle s'autorisa à verser quelques larmes. Bientôt, elle verrait s'éloigner son fils pour quelques heures.

La chasse… Avait-on idée d'emmener un si petit être à une partie de chasse ?

_________________
Judas
L'instant volé s'éternisa un peu, juste de quoi faire reprendre ses marques à ce père qu'il n'avait jamais su être pleinement. Résolument. Sincèrement. Il décela l'énergie à peine éveillée dans la poigne de l'enfant, dans les yeux brillants désormais bien ouverts. Un appel au jeu et au défi, une envie de s'extirper de ce lit qui signait la mort de l'énergie et de la découverte. Le seigneur observa l'enfant à bout de bras dont les jambes semblaient amorcer une folle cavalcade, intrigué par l'évolution qu'il avait laissé aux soins d'Isaure. Puis il s'accroupit et posa l'enfant au sol.

Et l'enfant s'assit.

Judas pencha la tête, un mince sourire au faciès. Amadeus semblait vouloir se jouer de son père. Les gants de cuir cintrèrent de nouveau le petit brun pour le faire tenir sur ses jambes.

Et l'enfant s'assit.

Les fins sourcils de jais s'étirèrent, et les traits du seigneur perdirent leur timide sérénité. Judas remit l'enfant sur ses jambes, qui restèrent obstinément lâches, bien que tentant un semblant de marche. Il saisit nerveusement une petite main, incitant Amadeus à marcher, en vain.

Et Judas Pâlit.

Ses bras vinrent chercher le petit corps qu'il enlaça, se redressant de toute sa hauteur. Ses yeux furetèrent dans la pièce et bifurquèrent vers le seuil, comme s'il pouvait atteindre d'ici une Isaure qui l'épiait peut-être pour la pourfendre en silence.

Tous ces mois à la laisser seule auprès de son fils n'avaient fait qu'endormir son éveil. Anesthésier ses réflexes et son développement. A un an et demi, le petit héritier ne tenait toujours pas sur ses jambes, il comprit pourquoi Isaure était réfractaire à ce qu'il emmène le garçon à la chasse et se sentit coupable de l'avoir laissé s''étouffer de ses jupes, de l'avoir abandonné à un maternage nocif et malsain qui le rendait aujourd'hui presque ... Anormal. Et plus l'étreinte paternelle resserrait son joug sur Amadeus plus la révolte croissait dans les veines bouillonnantes du seigneur de Courceriers. L'ombre emporta sa progéniture hors de la chambrine, l'oeil écumant et disparut dans les couloirs du manoir.

[Le lendemain ]

La nuit avait été calme. Judas avait finit par remettre le petit homme dans son berceau, très tardivement, s'en était suivi le début d'une longue insomnie prolixe où chaque détail de la première journée de chasse avait été soigneusement observé. Car si la Dame de Miramont pensait que son époux allait lui ôter la compagnie de son fils pour quelques heures, les desseins du maitre des lieux étaient tout autres.



L'enfant fut tiré de son sommeil tôt, à l'aube naissante, et vêtu de cuir d'agneau, présent paternel ramené d'Anjou pour honorer le sang noble qui coulait dans les veines de ce presque héritier. Avoir fière allure était la première nécessité d'un chasseur digne, la seconde étant de savoir monter en toutes circonstances. Sans manières, Amadeus Foulques avait été hissé sur la monture de Judas, non loin de celle d'Hugo, jusqu'à ce que la silhouette reptilienne du pater familias viennent le rejoindre et projeter leur ombre de chimère sur les murailles grises. Les mains de cuir guidèrent leurs enfantines jumelles et sur les rênes. Contre son ventre, l'enfant semblait s'exalter de ces sensations nouvelles.


Hugo, rattrape moi. L'heure est venue de montrer à ce jeune homme la vie...

Il éperonna l'animal qui manqua de ruer pour son plus grand plaisir et prit la route des bois au petit galop, exultant d'imaginer son épouse observer de loin la scène, livide.

_________________
Sabaude
Porte ceci au Seigneur de Courceriers et seulement à lui. Tu as déjà eu une course à faire pour moi qui t'a mené jusqu'à lui, dans un cynodrome il y a près d'une année de cela. Tu le reconnaîtras.

Les prunelles s'attardent sur le papier qu'il vient de couvrir d'encre, sans fioritures mais avec quelques provocations. Leur absence dénoncerait un changement de personnalité, or il tient à cette frivolité d'esprit que rien n'est parvenu à lui ôter encore.
La cire coule sur le document plié, l'empreinte du renard stylisé est laissée en surface. Senestre prend et tend à l'homme de confiance.




Von Frayner,

Jour de chasse avec Anaon ne saurait tarder à poindre.
N'oubliez pas que vous devez me garantir la victoire, la mienne s'entend.
Je ne saurais perdre une seconde fois un pari contre la mercenaire.

Si vous êtes las de rester enfermé à la Grande Noé, venez donc faire prendre l'air à vôtre séant et vos gants étincelants. Nous n'avions pas fini l'autre fois de débarrasser la foret de tous ses terribles prédateurs. Énormes de surcroît ! Je ne doute point qu'à être éblouis ils se feront mieux prendre.

Ne dites point non où j'enverrai homme jouer du cor sous vos fenêtres jour et nuit durant.

Longny, demain, à l'aube.

Renard



S'il pose des questions après lecture dont tu devras t'assurer l'acte, dis lui que tu sauras le guider. Tu sais où j'aime à chasser. Va maintenant!


A Carys de partir pli en main et d'enfourcher l'un des coursiers. Il s'est enquis du lieu où trouver l'homme, connait le chemin, il ne reste plus qu'à...

... croiser la route des cavaliers.

_________________
Hugo_







Aux dernières miettes de son repas, Hugo avait fui les cuisines, avide de cet air frais à peine quitté, et s’il avait pris la peine de poser à la chambrette qu’on lui avait donné, le peu de possessions qu’il avait, incapable ou presque d’affection pour ses semblables autant que pour les objets, il ne s’était attardé ni au confort du sommier malgré la route harassante parcourue, ni aux murs réconfortants de la maison quand lentement, dehors, le ciel s’obscurcissait et l’air s’emplissait des craintes païennes et bruissement des animaux nocturnes.
D’abord décontenancé de se voir logé si près de la manne propriétaire, reconnu, nommé par le maitre aux oreilles de la maison, première expérience de l’appropriation nouvelle dont il était l’objet, il avait trouvé refuge dans le clair-obscur et s’était fondu, ombre, dans les entrelacs réconfortant de ses frères arbres. Judas lui avait exposé ses plans et le Seigneur n’était point de ceux qui s’impatientaient au point de se détourner de leurs premières amours. Il avait pour lui cette nuit, avant que le devoir ne le rappelle à l'ordre.

Le dogue ne se leurrait pas. Il avait perçu dans le regard de Von Frayner l’intérêt froid, la perspective brulante et l’envie à terme serpentant à son âme noire, il avait reniflé la main et lui avait trouvé l’odeur du sang, mêlée à celle de la maison, le museau frémissant d'une extase servile. Qu’importait où le logeait le démiurge, les regards étonnés par sa présence, les questions qui ne manqueraient pas de fleurir à son passage, Hugo se savait à sa place et rien ne l’en délogerait.

La nuit avait fleuri aux sanguines célestes, enfouissant la forêt de ses premiers ombres pleines quand la voute se drapait pourtant de lambeaux de couleurs écarlates, et, animal pleinement pour quelques heures, le garçon sauvage avait parcouru bosquets et futaies proches du domaine, en n’épargnant aucune empreinte, aucune trace, aucune odeur, compulsant à ses sens, chaque aspérité de ce nouveau terrain de jeu, les yeux portés sur les hectares qui se laissaient entrapercevoir et qui, pour l’heure, ne l’épancherait pas avant que le maitre ne lui délie la laisse pour plusieurs jours.


Aux premières heures il était rentré, le cœur gonflé de sève, les yeux encore alertes des diverses pistes repérées çà et là aux abords des profondeurs boisées, emporté par l’adrénaline de ces jours où le gout du vent pique jusqu’au bout de la langue. A l’abri de son habituel silence, il avait regardé le maitre s’approcher de la monture partagée, portant un regard minutieux sur l’héritier dont il aurait sous peu, la charge quelques lieues, évaluant le poids, la stature, l’équilibre sans une once de cette empathie habituellement réservé aux enfants, vivant considéré comme une marchandise précieuse dès lors que Judas lui avait fait part de ses projets.
Posé sur la grande selle paternelle, il y avait chez l’enfant, quelque chose d’à la fois beau et tragique, le destin suspendu au bon vouloir d’une fièvre mauvaise dont chaque symptôme se lisait dans le regard noir et déterminé du patriarche


Hugo, rattrape moi. L'heure est venue de montrer à ce jeune homme la vie...

L’illumination tissa sur le visage juvénile un délicat canevas d’exaltation et de joie, et, enfonçant le talon de ses bottes dans les flancs équins, exhorta l’animal à la course d’un cri bref auquel il répondit nerveusement, rejoignant en quelques foulées le cheval emportant premier né et père vers l’horizon blême délivré à cette fraiche matinée.

Ainsi le sort en était jeté. Dans quelques heures, Amadeus Foulques Von Frayner serait Proie de choix entre les Mains Rouges, Dessein à l’avide rancœur paternelle, et Fils dans les bras de sa mère.



Judas

    Now the only thing a rambler needs
    is a suitcase and a gun.
    The only time he’s satisfied
    is when he’s on the run.


    Maintenant, la seule chose dont un vadrouilleur ait besoin
    C'est une valise et un flingue
    Le seul moment où il est satisfait
    C'est quand il est en cavale.*




Le soleil a prit son chemin routinier, la terre a tourné quelques pas dans des directions humaines. Les silhouettes se découpent sur le roc au fur et à mesure que leur lente et étrange procession se poursuit. Il y a en tête Judas, figure de proue de son propre radeau de la méduse, dans ses bras un enfant endormi, à sa suite la frêle carrure d'Hugo, deux chevaux et une horde de chiens. L'astre solitaire brûle les rétines dans sa course déclinante, comme si le feu avait fait ses braises d'un coin de ciel, chaque ombre chinoise semble animer un pantin discipliné, jusque dans la queue noire des chevaux fouettant l'air...

Toute la journée, bien avant que la fin du jour s'avance, la main de Judas n'avait pas su lâcher celle du petit homme. Soldat de plomb aux jambes de coton, s'enhardissant de chaque nouvelle foulée, au détour de chaque pierre à trébucher. Se fatiguant aussi de supporter le poids d'un corps mal maitrisé, entrainé par la la patte implacable de son père. L'enfant avait pleuré pour retrouver la quiétude des bras protecteurs, se heurtant à la froide détermination du Von Frayner. Il avait geint, jusqu'à se taire. Jusqu'à ne plus y arriver, et tomber d'une fatigue plus libératrice que la plainte, exténué. Les bras lâches seulement avaient cessé d'être ignorés là où les mains de cuir s'en étaient emparés.

Judas s'arrêta au milieu de nulle part, stoppant par la même occasion le reste du convoi, et tandis que les chiens vinrent s'éparpiller haletants autour des minces corps de cuir il désigna les alentours à un Hugo hors de sa vue.


Passons la nuit ici. L'endroit semble sûr et loin du mauvais vent.

Il exhorta le jeune à établir leur camps, tandis que d'une main libérée de son fardeau poupin la ceinture fut allégée de deux faisans et d'un lièvre.


Entend cette nuit parfaite qui approche...

Et en s'asseyant parmi les bêtes, posant le fils endormi sur ses genoux comme une offrande sacrificielle, Judas passa ses doigts fins et cuirassés dans ses cheveux encore souples. Des cheveux jeunes et plus noirs que les siens. Il dit machinalement d'une voix plus cassée qu'habituellement:


Il faudra attendre notre retour au manoir pour qu'Amadeus disparaisse. Isaure m'accablerait et m'accuserait si je venais à rentrer sans lui... Je veux que ce soit elle qui découvre son lit vide.


La prunelle corbac focalisa sur le visage tendre du limier, posant d'un seul regard toutes les responsabilités du monde sur ses jeunes épaules. Ses joies, ses peines, en l'envie amère qui les corrompaient.



    He filled his chamber up with lead
    and takes his pain to town.
    Only pleasure he gets out of life,
    is bringing another man down.


    Il remplit sa chambre avec ses initiatives
    Et prend son courage pour aller en ville
    Son seul plaisir dans la vie
    c'est de mettre un autre homme à terre.*


* The White Buffalo - The house of the rising sun -
_________________
Hugo_





De son père, le dogue n’avait que peu de souvenirs, les traits s’étant estompés au fur et à mesure des années, ne gardant en mémoire que ses mains nouant les cordes des collets ou tenant la lame du couteau à l’aube d’une gorge animale, une voix grave, douce, ânonnant les conseils avec la parcimonie de ceux qui ne parlent jamais de trop et ne s’égarent dans aucune confidence. Né à l’écart, sans frère ni sœur pour apprendre à aimer, Hugo avait eu pour compagnie la mort nourricière, apprenant à marcher sous le vent, tapi dans la mousse, aussi léger que le bruissement d’une feuille, aussi fatal que le silence. L’art des plantes lui venait de sa mère, tantôt sorcière, tantôt rebouteuse, silhouette longiligne dont l’odeur forestière ne se substituait qu’à celles de décoctions, sauvageonne ayant épousé l’ombre du savoir tout autant que celle des quolibets qui ne l’avaient jamais épargnée.
L’hiver les avait emportés, l’un comme l’autre, ayant raréfiés les proies comme les herbes, laissant l’enfant seul jusqu’à ce que la manne propriétaire du Maitre n’attache la laisse au collier du chien abandonné. Il avait alors sept ans et n’avait pas versé la moindre larme, concentré sur son estomac rétracté par la faim, sur la neige l’ensevelissant jusqu’aux genoux et le chant sinistre des frères loups que l’appétit tiraillait tout autant que le sien.

Amadeus restait une énigme vivante sans pour autant qu’il y trouve le moindre intérêt, se nourrissant exclusivement du regard que Judas portait sur lui, de la détermination à le lier à sa vie, à apposer sur son front d’enfant, l’empreinte paternelle.
Avait-il lui aussi été un jour aussi inutile, bruyant, mou, balloté au gré des envies parentales ?
Les années le plus vertes de son existence portaient l’ombre dansante des sous-bois feuillus, les cieux éclatants d’une clairière timide, la tessiture des arbres à ses mains encore fraiches … Les cris, les pleurs, les caprices, ce vacarme montant si haut d’une bouche si petite, vagissante, tout juste étouffé par le galop assourdissant des chevaux lancés sur les chemins, ne trouvaient aucun écho à sa mémoire livide.
Avait-il seulement pleuré une seule fois avant que les crocs de chiens ne le happent?
Avait-il seulement ressenti quoique ce soit d’autre que la satisfaction d’apprendre les pièges, la mise à mort et le chant des oiseaux, avant que la main du premier Maitre ne s’approprie son âme et le remplisse d’une mission, lui, l’Errant, l’enfant de la sorcière et du braconnier, le rebus condamné à être Homme quand tous le jugeaient Sauvage ?


Qu’a-t-elle donc, de plus que les autres, cette poupée de chiffon à la tête dodelinant entre vos Mains, qui suscite tant de ferveur quand elle ne sait rien faire d’autre que les contrarier ?
Est-ce cela l’espoir ? Est-ce là, le secret des enfants ? Porter les rêves de leurs ainés ?
Je ne suis pas votre enfant, mais je porte, moi aussi, vos rêves, n’est-ce pas?



L’ordre fut donné, sans qu’il ne trouve raison à être contredit. Le maitre était un chasseur émérite, ses riches atours n’y changeaient rien, aussi précautionneux que sanguinaire, d’autant plus avec cette faiblesse qu’il s’entêtait à porter dans ses bras, à peine plus remuante que le repas du soir.
Sans mot dire, les Mains Rouges entreprirent dans les jappements sporadiques des chiens d’allumer le feu, jetant les abats aux claquements des mâchoires avant de faire rôtir faisans et lièvre dépecés par ses soins, l’œil porté sur la meute faisant front autour de Von Frayner et de son héritier, craignant instinctivement qu’une fois sustenté, il ne redonne de la voix et rompe le fragile équilibre de cette nuit claire


Il faudra attendre notre retour au manoir pour qu'Amadeus disparaisse. Isaure m'accablerait et m'accuserait si je venais à rentrer sans lui... Je veux que ce soit elle qui découvre son lit vide.

Lui aurait-il demandé d’égorger l’enfant à même le berceau qu’Hugo l’aurait fait, sans poser de questions, sans chercher à comprendre, convaincu que les plans du démiurge ne souffraient d’aucune interrogation. C’était pour cela qu’il n’en émettait aucune. Le Maitre pensait pour deux.

Le dogue accroupi hocha la tête, avant de sourire, rassurant, sachant qu’il accomplirait sa mission avec la sérénité de ceux qui n’ont jamais échoué, tendant au maitre le choix de leur repas, attendant qu’il prenne pour se servir à son tour, dispensant un claquement de langue aux frémissements intéressés des museaux fraternels dont l’appétit n’était jamais complétement rassasié pour les tenir à distance de la pitance.


Il bouge peu mais crie beaucoup, fit-il observer, impitoyablement logique, sans même penser que la critique pouvait rabrouer la fierté du Maitre couvant la tête brune du chérubin avec une surprenante délicatesse. Couvrir sa bouche ne sera pas suffisant et serait un risque inutile. A cet âge-là, leurs poumons sont étroits, et l’affolement délicat à maitriser sans heurts. Il ne faut pas plus qu’il me reconnaisse si je suis amené à le revoir, et le sommeil est trop friable pour être sûr qu’il n‘ouvre pas un œil au mauvais moment.
Il faudra le droguer, Maitre si vous voulez vous assurer le silence au sein de la maison et sur le chemin nous en éloignant.
Je sais faire cela,
conclut-il en amenant à ses lèvres la candeur d’un sourire fier en mordant à pleines dents dans la cuisse rôtie qui lui avait été désignée. Je le ferai pour Vous, lui assura-t-il, dévot. Dans ces conditions, il ne me faudra que quelques secondes pour que le lit soit froid sans que personne, pas même votre Dame, pas même Vous… Reflet d’acier, le visage d’Hugo apparut tel qu’il était à cet énoncé : satisfait et si heureux de déployer auprès de son Maitre, ses talents les plus aiguisés, redoutable autant que servile… ne puisse remonter le fil de sa disparition.


Fortuné Judas d’avoir trouvé sur ta route l’apathie morbide de la coquille vide, de ne susciter à cette âme corrompue ni la jalousie, ni la convoitise par le simple amour de ta progéniture, vois ta chance, soupèse la, chéris là, nourris là, mais ne la trahis pas; les Mains Rouges ne connaissent pas le pardon.


Judas
Ne parle pas de mon fils comme d'un petit gibier inconsistant.

    Il n'y a que moi qui le puisse. Le forger à ma façon, à mon image et sans commune mesure . Sans demi mesures. Ne sais tu pas qu'il y a de l'amour dans la dextre punitive d'un père? Mais si, tu le sais. Tu le cherches. Et tu l'alimente comme un foyer d'hiver qui maintient mais que l'on tient à distance. Et même si cet amour là est un des plus égoïste qu'il soit, même si je ne grandit que moi en mettant cet enfant debout ... Garde toi de me le faire remarquer.


Le minuscule corps s'était lassé de s'éparpiller, la position offerte et défaite avait été balayée par des réflexes tous candides. Amadeus s'était recroquevillé, boule vaguement spasmodique au sommeil agité, Sa bouche faisant refuge à de potelés doigts poussiéreux. Judas porta un regard grave à l'adolescent qu'il ne considérait pas comme tel. Un homme, si jeune fut-il ne pouvait pas exceller en actes sans maitriser l'art de choisir ses mots. Règles Judéenne dont l'esprit s'avérait souvent plus étroit que le con d'une vierge. Les mots étaient masques. Les manières garde-fou. Qu'il était imprudent de sortir ainsi sans couverture... Le visage du satrape revint au feu tandis que l'objet de toutes les convoitises fut placé dans le confort relatif d'une fourrure où une chienne cherchait elle aussi le réconfort, mamelles en paires gonflées pour une progéniture absente. Il passa une main sur sa nuque noueuse, cherchant peut-être à l'apaiser, chuchota presque.


Tu couvriras ton visage si ça te rassure, et tu drogueras sa mère plutôt que lui. Elle a retardé d'un an sa marche en le portant comme un convalescent impotent , gage que pour la parole, ce petit n'est pas prêt de te dénoncer...


Le seigneur gardait à l'esprit une infime part de tolérance pour Hugo, fort de se croire maitre d'un apprentissage en cours. Aussi, prenant ce rôle à coeur il laissait facilement poindre sa satisfaction, sa colère ou son exaspération. Le crin brun se secoua, corbeau offensé et paternaliste.

Et puis je sais endormir une sotte, et autrement qu'avec des gifles, ne manque pas tant d'humilité ...! ... Je te fournirai de quoi verser dans son repas. Et si cette idiote jeûne, tu n'auras qu'à la pousser dans les escaliers ou être le plus discret des maraudeur.


Il mangea enfin l'offrande à la chair sèche, dévolu au lièvre musculeux de trop rester alerte à l'abri de la main assassine de l'homme. La nuit avait pris ses quartiers, enfin. Les chiens avaient cessé de fureter, les chevaux avaient laissé reposer le sabot en équilibre et la fumée piquait le nez du Von Frayner... Jusqu'à ce qu'il se lève sur les fourrés, senestre se portant lentement sur un couteau de chasse à sa ceinture. Un bruit venait de troubler le calme du camp disparate.

_________________
Carys, incarné par Sabaude


Porte ceci au Seigneur de Courceriers et seulement à lui.

La précision me fait sourire et naître en réponse l'étirement labiale du Maître. L'explication est inutile, nous nous comprenons d'un regard. Une lueure dans ses prunelles qu'il a presque d'encre retarde mon départ de la pièce. Je devine ses sentiments partagés entre le regret d'être retenu entre quatre murs par la pile de documents qui trône sur son bureau et l'allègement d'une rencontre avec le destinataire du mot. Ces deux là c'est l'aube et le crépuscule, mélange du jour et de la nuit qui donne à l'instant où leurs présences se mêlent un caractère singulier. Mais cela ne me regarde pas. Je quitte Moulicent, le terrier préféré du Renard, papier glissé dans ma botte.

Au domaine le Seigneur n'est pas, parti chasser au point du jour me dit-on. Voilà qui ne fait pas mon affaire.
Je décide de guetter son retour depuis un point d'observation où je pourrai voir sans être vu. J'aime la solitude, la sérénité des bois sous le couvert desquels je m'enfonce un peu pour jeter mon dévolu sur un jeune hêtre entre les racines duquel je m’installe.

J'ai eu le temps de faire deux longues siestes, de remplir de noisettes une besace, de faire chanter de mes sifflements un couple d'ortolans à défaut de les trouver sur un tranchoir et croquer dedans, et me voila le dos endolori, sans le moindre noble à me mettre sous la dent alors que le jour décline.

Seulement à lui...

Je reviendrai demain, je n'ai aucune envie de passer la nuit ici à casser des coques pour assouvir une faim qui ne manquera pas de poindre.
Le soupir en chapelet de regret d'avoir perdu ma journée donne le signal de mon départ pour un retour bredouille.
Juché sur ma selle j'estime que dans quelques lieues je me ferai avaler par les ténèbres et les embûches forestières: malandrins, branches basses, ravines.

J'ai beau presser ma monture je ne parviens à distancer le Temps, et de son noir manteau Elle me recouvre peu à peu. Le cheval piaffe à mes hésitations, rennes tendues par mes mains crispées d'indécision, se cabre et claque des sabots sur ce sol qu'on distingue à peine.
Il me faut quitter le chemin et nous trouver un abri.

J'ai l'impression de m'être perdu à ne me satisfaire d'aucun des rares espaces dégagés boutonnant entre fourrés et grands arbres. J'en suis à envisager d’étendre ma couverture de selle sur un bouquet de fougères, le ventre creux, quand j’aperçois la lumière d'un feu. Fébrile je me fige et tend l'oreille aux voix pour évaluer le danger. Je n'ai rien de valeur sur moi. Perdre la vie pour mon cheval n'est guère pour me plaire, j'ai des exigences quant à ma mort: elle doit être épique.

Plus un mot, ils se sont tus, ce qui n'est pas bon signe. Je devine ma présence sentie par ceux du campement. Sans gestes brusques, silencieusement, je porte la main à ma dague et vérifie la présence de l'acier dans sa gaine de cuir à mon avant-bras gauche. Qu'ils viennent, ils seront bien reçus s'ils se montrent hostiles, je ne suis pas un pleutre. Plaqué contre un tronc j'attends.
See the RP information <<   1, 2   >   >>
Copyright © JDWorks, Corbeaunoir & Elissa Ka | Update notes | Support us | 2008 - 2024
Special thanks to our amazing translators : Dunpeal (EN, PT), Eriti (IT), Azureus (FI)