Tord_fer
- [Lisieux, Janvier 1456]
Jean navait pas rêvé depuis de longues années. La dernière fois quil eut rêvé, cela cétait passé bien avant la mort de sa femme. Depuis, ces nuits ne ressemblait quà de vague parenthèse entre deux jours.
Mais là, allongé dans la froidure de lhiver, Jean, pour la première fois depuis plus de vingt ans, fit un rêve. Pour le moins étrange.
Dialogue avec la mort.
Ses pas résonnaient dans le vide.
Pas après pas, il avançait. Pourtant rien autour de lui ne changer. Et pour cause il ny avait rien autour de lui. Il avançait lentement dans ce vide. Rien devant, rien derrière, une étrange fumé sétalant autour de lui, virevoltant à chacun de ces pas.
Jaime à croire que la mort prend une forme différent pour chacun de nous. Pour Tord elle lui apparut comme une jeune femme toute vêtu de noir, à lapparence chétive, mais dont le regard trahissait la détermination de son cur.
Elle se tenait là devant lui. Elle. LA faucheuse. Jean la regarda. Il sy attendait, il sy était préparé, mais pas si tôt.
Tord Fer : Ca y est je suis mort ? Tu viens pour moi ?
La mort : Non.
Tord Fer : Pourquoi je suis là alors ?
La mort : Je ne sais pas.
Tord Fer : Tu te fou dmoi ?
La mort : Non.
Tord Fer : Ouais cest vrai qutes pas vraiment connu pour ton sens de lhumour.
La mort : En effet.
Tord Fer : En tous cas cest un plaisir dconverser avec toi. Tas dla conversation
La mort : Tu es sûr de vouloir jouer à ce jeu avec moi ?
Tord Fer : Non.
La mort :
Tord Fer : Comment vais-je mourir ?
La mort : Est-ce vraiment important pour toi ?
Tord Fer : Oui je le crois. Je ne veux pas mourir comme le premier des imbéciles que jai croisé.
La mort : Ce ne sera pas le cas.
Tord Fer : Jaurais une mort classe alors ? Du moins mémorable ?
La mort : Je nai pas dit ça.
Tord Fer :
La mort : Tu souhaites rester dans la mémoire des hommes, comme ta femme et ton fils sont resté dans la tienne ?
Tord Fer :
La mort : Cest cela que tu appelles une mort classe ?
Tord Fer : Tu es là seulement pour me faire la morale ?
La mort : Non.
Tord Fer : Que me veux-tu ?
La mort : As-tu peur de la mort Tord ?
Tord Fer : Je ne crois pas. Mais je déteste leffet quelle a sur la vie.
La mort : Et quelle effet a-t-elle ?
Tord Fer : Elle pervertit les actes des vivants.
La mort : Cest pour éviter cette perversion que tu as tué ton fils ?
Tord Fer : Entre autre.
La mort : Mais ce nétait pas la seule raison.
Tord Fer : Cest une question ou une affirmation ?
La mort : Une affirmation.
Tord Fer : En effet ce nétait pas seulement pour cela.
La mort : Son heure nétait pas venu pourtant. Vous lui avez volé ces années de vie en faisant cela.
Tord Fer : Je vais donc vivre le temps quil aurait dû vivre ?
La mort : Non.
Tord Fer : Depuis quand la mort se soucis-t-elle de la vie ?
La mort : Parce quil ny a pas de mort sans vie. Et cest à moi seule que revient le droit de décider qui me rejoint.
Tord Fer : Tu viens me voir par orgueil ?
La mort : Je suis bien en dessus de ça.
Tord Fer : Il ne devait pas grandir. Il ne devait plus grandir. Je ne voulais pas quil connaisse la souffrance, comme celle que jai infligé à sa mère. Je ne voulais plus voir cette peur dans ces yeux. A présent il dort. Apaiser. Il naura pas à connaitre ce que la vie amène comme souffrance.
La mort : Et comme joie.
Tord Fer : Il ny a aucune joie à vivre.
La mort : Pourquoi nêtes-vous donc pas encore mort ?
Tord Fer : Parce que comme vous lavez dit, cest à vous de décider, et que je ne lai pas encore mérité.
La mort : Votre fils lavait mérité lui ?
Tord Fer : Bien sûr. Cela se voyait dans son regard. Il me la demandé, tacitement, mais il le souhaitait. Nous ne nous sommes rien dit. Jai seulement posé mes mains autour de ce cou si fragile, si frêle et jai serré, jai senti sa vie glisser entre mes doigts, jai senti les vertèbres de long cou blanc se brisaient contre ma paume. Il est passé à la vie éternelle. Il na pas connu les souffrances davoir à grandir. Je lui ai embrassé les yeux, très doucement. En trois minutes cétait finit.
La mort : Comme ça, si facilement. Oter une vie qui aurait dut être belle et prospère.
Tord Fer : Eussiez-vous que cela durât plus de deux heures comme dans ces théâtres ?
La mort : On ne tue pas les gens comme cela.
Tord Fer : Ha non ? Jignorais quil y avait des uses en la matière. Existe-il un traité de bonnes manières pour les assassins ? Et un de savoir-vivre pour les victimes ? Enfin, si vous me pardonnez lexpression. La prochaine fois je vous promets, je tuerais avec plus de politesse.
La mort : La prochaine fois ?
Tord Fer : Il faut croire que jai pris gouts à votre quotidien. Cest peut-être pour cela que je nai pas encore mérité votre visite.
La mort : Vous me verrez bien plus tôt que vous ne pensez. Et si ce nest pour vous, ce sera pour vos amis.
Tord Fer : Quelle amis ? Je suis seul.
La mort : Vous ne le serez pas toujours.
Jean ouvrit les yeux. Il regarda autour de lui. Un ciel étoilé laccueillit comme tous les matins. Il semmitoufla dans les couvertures de laines qui le recouvrirent et soupira. Un frison parcourut son échine, et un épais nuage de vapeur se forma devant sa bouche. Vivant. Il était vivant. Néanmoins, il en était sûr. Jamais il noublierait ce rêve.
Et vous, avez-vous déjà parlez avec la mort ?