Enjoy
- « It's like I can feel, it's like I can breathe
It's like I can live, it's like I can love
For the first time... »
Entre un marteau solaire et une enclume terrestre, le convoi s'échine à traverser une campagne brûlée. L'atmosphère y est moite, pesante car la nature ne leur épargne rien. Hommes et femmes de tous bords y forment une connivence pour faire choir la certitude, cette sensation de pseudo sécurité, de contrôle impalpable. Qu'ils soient de la Brissel, des Miracles ou bien de contrées éloignées, ils avancent unis dans leur propre division. Unetelle ferait bien la peau à une autre, untel ravale sa salive et sa fierté lorsqu'un rival inonde la pièce de sa présence. Anciens, jeunes, débutants et expérimentés encaissent la goguenardise d'une fin de printemps bien étouffante.
Parmi eux, une vieille lionne y pousse ses derniers rugissements. Ce n'est aucunement le temps qui l'éteint, son âge est plus au zénith qu'au crépuscule, mais bien le fardeau d'une existence astreignante. Entre gouvernance et la peine de nombreux décès dont celui de Laell, les vertèbres supportent, ploient jusqu'à endolorir tout le corps. L'italienne n'était plus la meneuse du Clan par choix. Sa succession suivait une certaine continuité puisqu'elle survivait à travers les quinquets de ses protégées. La vie en communauté, surtout celle de cette engeance, avait ses avantages et ses inconvénients. Ils se connaissaient pratiquement sur le bout des doigts et parfois les manières et autres maniaqueries s'enduraient plus ou moins avec facilité. Les gueules cassées, les victimes des fluctuations de la température. Les éphélides rougissantes, les balafres livides, les noiraudes piquantes, les râles concupiscents lors de nuits s'étirant plus que de raison. Pourtant. Pourtant, ses poulaines s'encrassent toujours autant de cette mauvaise compagnie. De toute façon, elle ne savait rien faire d'autre. Italienne mortifère drapée d'une interminable robe carmine berce sa désillusion au rythme des ornières. Prête à resurgir lorsque l'azur s'étiole et que la nuit s'empare du monde.
S'enorgueillir d'une énième prise revient à embellir la routine. Malgré tout, la satisfaction du devoir accompli se faisait sentir comme au premier jour. Durant un instant éphémère, une étincelle que l'on croyait disparue venait de refaire surface. Nullement de quoi embraser le royaume mais juste assez pour l'extirper de sa tanière. Peut être était-ce le fruit, nécessairement gâté, de la participation exceptionnelle de certains dont les Piques. Ou est-ce car il s'agit de la grande première pour un nouveau règne, celui des mustélidés. Belette et Hermine ont déployé leurs crocs, leurs griffes et leurs talents pour s'affirmer encore davantage. Et désormais, elles dressent fièrement la bannière de leurs origines tout en s'entourant de la fine ronce, à défaut de fleur, du milieu. De la fierté. Voici donc ce sentiment étrange qui résonne. Plus pour sa personne mais bien pour la réussite de celles que la Zia considère comme ses filles.
Recluse, les prunelles charbonneuses happent la lumière les faisant luire d'un éclat inquiétant. Le faciès cerné se muselle à s'en coudre les lippes afin que les mots restent à jamais des êtres taiseux. Sa longue chevelure corbeaux s'affirme en épousant sa silhouette. Des épaules à la chute de ses reins, l'enveloppe brunâtre dicte sa loi au gré des protestations des rares courants d'air. Sa respiration calme et pesée soulève sa poitrine que sa chemise enserre tandis que son épiderme s'exhale de gouttelettes éparses, l'heure fatidique pointe le bout de sa trogne informe. Viendra en cascade, les habituelles consignes qui ne manqueront pas d'entretenir son amusement celui-ci se traduisant par un léger sourire. Toute en retenue, son aura veillera sur les siens. Notamment celles qui, aujourd'hui, feront une entrée fracassante dans le panthéon des meneuses du clan.
L'assaut est une forme d'art car il se gorge d'émotions. Les cinq sens se rassasient à ses mamelles. L'ouïe saborde le silence lorsque les hurlements plaintifs et les pleurs encombrent l'air, martèlent l'écho et s'envolent au même titre que les paroles. La vue se crève les yeux à cette vision atroce qu'insinue pernicieusement le chaos et où le cerveau enfouit au sein de la matière grise les fils des cauchemars à venir. Le toucher subit les picotements frénétiques que savoure le stress de l'attaque mais aussi le choc des cultures dont la violence n'a d'égale que sa brièveté. Le goût indélicat des éclaboussures de sang, de l'acidité de la bile remontant parmi la trachée puisque la terreur de la bleusaille les pousse à embrasser l'inconfort pour ne pas perdre la face ou bien plus encore. Enfin, l'odorat désapprouve avec virulence les essences expérimentales qui s'y forment et que les effluves nauséabondes d'un charnier ne renieraient en rien.
La mairie cède rapidement, la résistance maigrelette rougit de cette déconvenue. Sa cousine prend la place, le Biondo présent, la boucle est bouclée. Ils se partagent un butin ayant tenu toutes ses promesses. Les coffres crachent le métal tant convoité, et un regard entendu s'instaure entre Corleone et Arsène. Témoin d'une complicité retrouvée, de souvenirs communs et d'un lien indéfectible.
* C'est comme si je pouvais ressentir, c'est comme si je pouvais respirer,
C'est comme si je pouvais vivre, c'est comme si je pouvais aimer,
Pour la première fois...
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