Zephyre
"Prends un petit poisson, glisse-le entre tes jambes, il n'y a pas de raison pour se tirer la langue. Euh.. ne me regarde pas, comme ça tout de travers, ce n'est qu'le premier pas, pour que tu r'mettes les pieds sur terre... " *
Guillerette la Ventée qui chantonne ? En partie oui. Elle cherche surtout à chasser l'angoisse qui l'a étreinte toute la nuit, amante terrible, insatiable, qui ne lui a laissé aucun répit, s'emparant de son esprit, prenant possession de son corps ; les entrailles vrillées, les mains se nouant à loisir, ses pensées ne tendant que vers cet horizon-là, à en avoir la nausée. Elle n'a fini par s'endormir qu'une paire d'heures, harassée par la lutte intestine, abandonnant le combat contre ses conjectures de tous poils, déposant les armes aux pieds de l'épuisement qui l'a gagnée. Advienne que pourra.
Des jours, des semaines, des mois qu'ils en parlent de cette expérience. Et l'heure est enfin arrivée. Elle ne pensera pas "que le glas a sonné". Enfin... pas encore. Devant l'échéance échue et tout ce qu'elle représente la donzelle n'a rien pu avaler. Pourtant elle sait qu'elle va avoir besoin de toutes ses forces. Mais pas un aliment ou un liquide n'a pu trouver faveur face à son estomac contracté. Elle s'est simplement préparée et mise en route.
L'air est frais au petit matin. Vif. Elle est piquante cette Bretagne. Entre deux raies dans sa tête, lui reviennent les images de ce que fût sa vie sur son île et comment elle a tiré son caractère de ces terres déchiquetées, découpées aux vents. Caractère bien trempé assurément. Son séjour dans la péninsule ne lui est pas aussi difficile que celui de l'année d'avant, accompagnant Statère pour quérir ses affaires et déménager. A croire qu'elle a apprivoisés ses vieux démons. Elle s'y sent relativement bien. Mais plus chez elle.
Ses pas s'accélèrent au gré du cheminement de ses idées. Que fuit-elle ainsi, encore, toujours ? Elle contrecarre le cours naturel mental pour le ramener vers l'objectif du jour : le bain de raies. Il l'a déclarée médicastre. Elle ne se sent qu'en pleine expérimentation. Dans quoi l'a-t-elle donc embarqué ???
La grange qu'elle a réservée est à présent en vue. La brunette s'arrête net devant. Regarde la porte. Inspire profondément en fermant les yeux un instant. Le coeur battant la chamade à tout rompre. Allez, courage ma fille !
Elle relève ses paupières en même temps qu'une main décidée tourne la anse de la porte qui se met à grincer sur ses gonds. Dans le silence qui l'environne alors qu'elle s'avance, l'arythmie cardiaque qui fait son office à grand peine donne l'impression qu'elle va soit s'effondrer sur le sol, coeur en arrêt, soit se répandre dans la pièce, coeur explosé. Tous les bruits sont exacerbés.
Là, en perspective, les deux bassins d'eau de mer. Un gros, et un plus bas mais plus large avec un aménagement spécial en forme de siège sur le rebord. C'est là que sera déposé pour sa baignade de choc le paralytique.
Ils n'ont pas été sans peines ces préparatifs : trouver le lieu adéquat, faire fabriquer les bassins de manière à ce qu'ils soient étanches, faire transporter une quantité non négligeable d'eau de mer depuis le port, aménager une couche pour le danois et une table avec victuailles et le nécessaire pour le soigner, une banquette pour que la Ventée le veille avait également été pensée. Plus de quoi alimenter un feu pour réchauffer le corps... au cas où. Enfin, hier, au retour de la pêche houleuse, le transport précautionneux des poissons qui n'avait pas été sans mal et leur installation dans le plus gros des bassins.
Les lieux avaient ressemblé à une ruche durant des jours, bourdonnante, vociférante. A présent, ne planait que le silence total et absolu en dehors de son souffle saccadé qui résonne. Chaque élément à sa place, attendant que la pièce se joue. Et la vie du blond avec. Et la sienne aussi. Un seul acte mais décisif.
Le parturient danois ne saurait plus tarder. Encore un brin de patience, d'angoisse pendant ce temps, et une foule de questions qui se bousculent. Que peut-il bien avoir en tête lui en ce jour ?
* Interprétation librement adaptée des paroles de Elli Medeiros
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