Gabriele.
- « L'homme sans la femme et la femme sans l'homme sont des êtres imparfaits dans l'ordre naturel. Mais plus il y a de contraste dans leurs caractères, plus il y a d'union dans leurs harmonies. » - Bernardin de Saint-Pierre.
Le mariage. Ça faisait tellement de temps que je l'attendais, et pourtant il était arrivé si vite. Les jours avaient défilé à une vitesse folle et honteuse dès lors que nous avions décidé d'une date fixe. Le 21 juin, jour le plus long de l'année, entrée dans une nouvelle saison, la plus ensoleillée de l'année, même si elle était traversée ça et là par de violents et grandioses orages. Toute une symbolique, n'est-ce pas ? Le couple que je forme avec la Nordique n'a rien de conventionnel. Il n'est pas doux et tranquille comme peut l'être le printemps, pas plus qu'il n'est triste et pluvieux comme un jour d'automne, et, même si ma promise vient du nord, il est loin d'être sombre et glacial comme une nuit d'hiver.
Non, notre couple est brûlant, aussi passionné qu'intense, nous pouvons nous attirer autant que nous déchirer avec violence. C'est l'explosion des passions, bonnes ou mauvaises, mais toujours excessives. Nous nous aimons avec excès, c'est ainsi, la demi-mesure nous la laissons aux faibles.
Le grand jour est arrivé si vite. J'ai l'impression que rien n'est prêt alors que je sais pertinemment que Gaïa aura veillé à tout. Elle s'est trop impliquée dans cette union pour pouvoir laissé quelque chose de côté ou risquer qu'un oubli vienne tout gâcher. Je suis resté seul aujourd'hui, pour me préparer, aucune des donzelles du Clan ne pourrait me voir dans un tel état de fébrilité, au risque d'en entendre parler pendant des siècles encore. Quant aux hommes...Et bien, je ne sais pas si mon père sera présent, Nizam veut absolument me lécher l'oreille il était donc hors de question de l'inviter dans mon intimité -, et les autres mâles Corleone sont trop jeunes pour pouvoir m'être d'une quelconque utilité ou réconfort. Le Clan manque décidément cruellement d'hommes.
Et mon double, dans tout ça ? Est-ce que mon frère, Alessandro, pourrait être là ? Si oui...Et bien, j'avais une excellente idée pour semer le trouble lors du bal masqué !
Le bal masqué, oui. Une idée de Gaïa, encore. Pour précéder le mariage. Je ne sais pas trop si tout le monde jouera le jeu, l'idée en ayant fait râler plus d'une, mais je sais que si je ne la retrouve pas, Elle, le mariage n'aura pas lieu. Ce n'est pas une crainte pour moi, je ne m'en inquiète pas. Dans toutes nos éternités, nous nous sommes retrouvés, et il est écrit que cette vie-ci serait particulièrement intense, et pour cause : nous avons déjà un fils, chose que nous n'avions jamais réussi à obtenir.
En même temps que l'invitation, j'avais fait parvenir à mon jumeau un message : s'il venait et j'y compte bien, s'il ne veut pas essuyer une colère fraternelle fulgurante il devrait avoir un costume de gladiateur pour le bal. La Belle saurait-elle nous différencier ? Je m'amuse déjà, rien qu'à l'idée.
Dans ma chambre, deux tenues. L'une faite de cuir, de mailles, et de rivets, promettant de dévoiler ma musculature aux yeux de ma future épouse, laissant une large place aux suppositions dans notre jeu ; l'autre faite des tissus les plus élégants qui soient, dans le style de mon pays d'origine, tout en raffinement. L'une pour le Bal, l'autre pour l'union dont j'ignorais encore le déroulement exact. Gaïa et Daeneryss y avaient été de leurs complots habituels pour ça, et je n'avais pas eu mon mot à dire pour le coup. Lorsque les bonnes femmes avaient une idée en tête de toute façon...Impossible de les en détourner, même avec tout le talent du monde, et Déos sait que j'y ai pourtant mis de l'ardeur.
Nu comme lors de la Genèse, j'observe les marques sur mon corps, trop d'indices qui permettraient à la Nordique de me repérer immédiatement. Heureusement, ma cousine a veillé à tout encore une fois, et m'a déniché de quoi cacher tout ça. Une sorte de maquillage, a priori assez efficace pour tenir le temps du bal. Il est temps pour moi de commencer à me préparer, et l'angoisse revient dans mes entrailles. Non pas que j'ai peur de passer ma vie aux côtés de cette femme divine, mais plutôt de voir quelque chose mal se passer, ou quelqu'un s'immiscer entre nous. Si cela venait à arriver, de toute façon, je tuerais le perturbateur.
Pensif, je prends le temps de soigneusement cacher chaque marque qui pourrait lui permettre de me retrouver. Le D dans ma nuque, le A plus bas sur mon torse, et même le E contre ma cuisse. Voilà qui ne lui plaira pas, ne plus voir les marques de son appartenance sur ma peau. Le prénom féminin tatoué sur ma cuisse n'y échappe pas non plus. Le tour de mon il est le seul épargné, il ne sera de toute façon pas visible sous le masque que je porterai.
Les lanières de cuir rejoignent ma peau, s'y ajustant parfaitement tout en épousant la ligne de mes muscles. Spallières, jambières, soutenues de mailles. Ce ne sont pas des braies que je porte, mais, à la manière romaine, du cuir qui me tombe à mi-cuisses, cachant tout ce qui doit l'être. Le combattant parfait que je m'apprête à devenir n'a plus qu'à revêtir casque et armes pour être fin prêt pour la bataille dans l'arène. Pour ajouter encore au réalisme de la scène, j'enduis mes bras, mes jambes et mon torse d'une huile destinée à rendre ma peau luisante à souhait. Voilà de quoi rendre folles ces dames, et une en particulier, mais saurait-elle reconnaître ce corps qu'elle a tant et tant parcouru, sachant que celui quasi identique de mon jumeau traînera par là ?
Il serait bientôt temps de le savoir.
Mon reflet me satisfait. Pour m'assurer qu'aucun détail ne cloche, j'enfile le casque et me regarde à nouveau. Le Tatouage n'est pas visible. Parfait. Je vais pouvoir entrer dans la danse et partir à la chasse. Le domaine est vaste, et l'on n'a pas lésiné sur les moyens. Des musiciens jouant une musique entraînante bien que sous la contrainte et la menace de les livrer à l'écorcheuse en chef, j'ai nommé Arsène, s'ils n'effectuaient pas bien leur tâche ; de l'alcool coulant à flots, à ne plus savoir quoi en faire condition sine qua non de la venue de certains invités ; et de la nourriture à profusion, toute aussi vitale.
Dehors, le temps est lourd, mais pour le moment clair. Qui dit qu'il ne tournerait pas à l'orage, dans la soirée...
Il est temps de jouer au chat et à la souris, mon amour.
- Que les regards se croisent.
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