Arcadhias_
Plusieurs mois s'étaient écoulés depuis qu'il avait embarqué en Bourgogne sur le Prinzessin, la caraque du Phoenix. Une expérience nouvelle, et relativement exigeante.
Engager le combat contre des navires irlandais, les aborder, et les couler aura été intense et rude. Mais les quelques bâtiments coulés et le maigre butin récolté ne permettaient pas de compenser la longue et pénible attente sur les flots du détroit séparant les côtes françaises de celles anglaises.
S'il avait pu avec quelques autres personnes conviées, participer aux combats au sabre, les abordages étaient restés suffisamment rare pour que les canonnades occupent la grande majorité du temps de bataille, ces dernières étant gérés par un équipage de marins chevronnés et dirigés par un capitaine ferme, l'Euphor.
De brefs, mais intenses moments de combats donc, contre de longs et pénibles moments d'attentes, avec beaucoup d'escales sur les côtes normandes. L'avantage de celle-ci est de permettre de découvrir des us et coutumes bien différents de ceux du Languedoc et des pays occitans, une autre vie, sans doute plus rude et brute loin des côtés ensoleillés de la méditerranée.
La dure vie en mer amenait également son lot d'étrangetés, le jeune écuyer ayant appris à ses dépens les symptômes du scorbut et ses conséquences sur la santé.
Fort heureusement, et faisant dérogeance aux règles de superstitions, quelques femmes étaient présentes au bord du navire, dont la montpelliéraine qu'il avait réussi à embrigader dans cette aventure, Clémée, la jeune médicastre qui avait fait profiter à plusieurs reprises de ses services au Grand Prévost de France lors de blessures survenues aux nombreuses joutes dont il finissait la majeure partie du temps, premier.
De longs instants d'attentes et d'oisiveté donc, auxquels il fallut trouver occupation. C'est d'ailleurs à cette occasion qu'il put longuement échanger avec la médicastre, simulant parfois la maladie pour qu'elle vienne s'occuper de lui.
Aujourd'hui, l'aventure touchait à sa fin. Le résultat était mitigé, mais il avait eu le plaisir d'accompagner et de servir l'homme à qui il avait juré allégeance, bien que le terme d'écuyer ne voulait cette fois plus dire grand-chose sur un navire aussi imposant que le Prinzessin.
Direction donc la Champagne, où le navire devait être désarmé, avant de reprendre la route en compagnie du Comte du Tournel et Baron de Florac vers la capitale languedocienne, Montpellier.
La Seine s'était annoncée tumultueuse et difficile à naviguer, mais la cité de Troyes était en vue à l'aube, et l'équipage allait pouvoir amarrer le navire avant de le quitter.
Appuyé contre la rambarde, profitant de la fraîcheur et de la tranquillité du matin, Arcadhias distingua au loin les formes de leur ville de destination. À l'approche du port donc, il retourna dans la cabine qui était à sa disposition, où il retrouva la douce médicastre encore assoupie dans le lit.
S'approchant de celle-ci en tapinois, il lui adressa un doux baiser sur la pommette de sa joue, avant de lui susurrer ;
« Debout ma belle, on arrive bientôt. »
La laissant émerger des bras de Morphée, il la laissa ouvrir les yeux et s'étirer avant de croiser son regard encore endormi et de lui adresser avec un large sourire ;
« Bonjour. »
Qu'il suivit d'un rapide baiser sur ses lèvres.
Il n'était que peu bavard dans ce genre de situation avec les femmes, non par timidité, mais par choix, préférant profiter de ces moments privilégiés de douceurs et de tendresse où les gestes et les sourires valaient plus que de simples mots.
Après quelques caresses, il se redressa ensuite et agrippa ses effets pour aller voir le Capitaine et prendre les directives quotidiennes.
Il laissa ainsi Clémée seule quelques instants, le temps pour elle de se préparer pour cette ultime journée sur l'embarcation.
Il y a quelques mois encore, il ne se doutait pas que cette proximité avec la Montpelliéraine allait ainsi modifier les relations qu'il entretenait avec elle, celles-ci étant purement professionnelles il y a quelques mois encore.
Aujourd'hui, force est de constater qu'un lien important s'est créé entre les deux personnes, passant graduellement de ballades sur le pont à quelques baisers échangés à lorée du soir, en passant par les escapades nocturnes sulfureuses dans la cale aux marchandises désertes du navire avant de finalement faire cabine commune pour la fin de la traversée.
L'esprit et le cur pleins de promesses, il appréhendait cette fin de périple. S'agissait-il d'une amourette créée par la situation elle-même, et qui allait s'arrêter dès lors qu'ils reposeraient le pied en Languedoc, ou était-ce le début de quelque chose de plus sérieux et durable ? Approchant des vingt-deux ans, il réfléchissait un long moment sur le pont, se disant que, finalement, elle était peut-être son âme sur ?
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