Hervald
C'est l'été, les oiseaux sont heureux, les jeunes amoureux aussi. Tout le monde se dénude à moitié et profite du soleil pour respirer et oublier le froid de l'hiver, les pluies, les maladies. Tout le monde, même le froid Duc de Mortain.
Perché sur sa barque, de confection personnelle fallait-il le préciser, Blackney pêchait, comme il aimait tant le faire au moins deux fois par semaine. En ce Dimanche, après avoir prié en solitaire à Saint Sernin, Sa Grâce Azurée avait prit le chemin de l'Ariège pour y pêcher la truite. Ou toute autre espèce capable de finir dans le ventre d'un homme. Allongé bien confortablement dans l'embarcation , à l'abri du soleil sous sa toque blanche, Hervald se sentait bien, même si ça ne mordait pas. Et quand bien même cela mordrait...il était de toute manière hors de condition pour réagir, plus proche de l'endormissement que du réflexe de pêcheur de rivière. Ses pensées étaient bien loin, entre Paris et Normandie. Il avait laissé Mortain entre de bonnes mains, son fidèle Rhys étant chargé d'organiser les ménages et d'entretenir les locaux. Pour l'intendance, tout sauf un souci également et le village se portait bien, Dieu merci. Le Duc avait cependant hâte d'y retourner, pour d'autres raisons. Un soupir vint s'ajouter à cette pensée. D'autant plus qu'il n'avait pas été élu ici, à peu de choses certes, mais il était resté sur le bas-côté. Pas de chance, mais il était heureux que cinq de ses compagnons puissent siéger au Conseil et faire en sorte que les choses avancent dans le bon sens. Si on leur en laissait la possibilité, bien entendu.
Il avait confiance en son amie de "Comtesse"pour cela. Asphodelle était-elle d'ailleurs son amie ? Leur relation était étrange. Oui, ils s'appréciaient fortement. Mais pouvait-on parler d'amitié alors qu'une sorte de rivalité perpétuelle les opposait depuis leur rencontre ? C'était au Rocher, alors qu'il revenait afin de voir Père. Et elle était là, solide comme un Roc, protégeant le Vicomte et donnant corps à son rôle de Capitaine du Mont. Le menaçant d'ailleurs. Après le soupir vint le sourire : celle femme là était un morceau bien épais et avait les braies bien remplies, plus que certains hommes. Au sens figuré bien sûr, même s'il ne comptait pas aller vérifier. Ils avaient en eux une certaine confiance, autre chose que de l'amitié. De la compréhension, des idées en commun. Une tension permanente les unissait et leur faisait prendre des chemins convergents. La confiance, voilà le terme approprié. Peu de mots, mais de la confiance.
D'ailleurs....n'était-ce pas elle qu'il entendait chanter, ce qui troublait sa concentration ? Le Duc se releva, patraque et à moitié rouge. Un regard vers la terre ferme pour voir la Comtesse errer seule, chantant Sainte Illinda seule savait quoi. Qui sait, peut-être avait-elle passé la soirée à picoler en taverne avec les autres membres de la liste et il n'avait pas été invité. Ou alors soignait-elle ses soucis avec l'alcool. Ou alors était-elle juste heureuse. Mais Hervald voulait entendre le bruit de l'eau et il cria :
Ohé ! Capitaine ! Vous chantez pour faire venir la pluie ? Vous voulez que ma barque se fasse foudroyer par l'orage et que je doive rentrer à la nage ? Je suis un administré qui pêche, bon sang !
Et dans son excitation, la canne tomba à l'eau, emportant le petit coffre qui allait lui servir de déjeuner. Plop...
Bien fait, Monsieur le Duc.
Elle allait se moquer....pour sûr....
La journée commençait mal....
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