Le calme avant la tempête, disait-on dans les vieux dictons.
Ca devait être ça, oui, le calme, avant... Avant ce qui s'avéra être un dîner spectacle pour notre blondinette.
Depuis qu'elle avait entendu des bruits dignes d'un troupeau de boeufs un peu plus haut dans le verger, elle ne l'avait plus quitté des yeux. Enfin si, parfois, quand dans son parcours hasardeux, l'homme se perdait entre les arbres. Quel étrange chose de regarder une personne ivre essayer de rester un minimum digne, quand vous-même n'avez pas bu une goutte d'alcool. Même si, on le sait tous, la bière c'est pas de l'alcool. Ouais. Qu'ils disent.
Notre pauvre sieur de Gilly, quelle idée avait-il eue là ? Avec ce qui avait tout l'air d'être son linge à laver, il s'était approché du ruisseau. Il était fou.
Tout le monde, bien informé du moins, savait que ça n'aurait jamais été sec pour le départ du lendemain matin voyons ! La lessive, il faut la faire tôt le matin, bien la tordre, de préférence à deux, et bien l'étaler sur l'herbe au soleil ! pffff. Ces Hommes !
Mahaud n'avait pas perdu une miette du spectacle, tout en grignotant un morceau de jambon glissé au creux d'une bonne boule de mie de pain avec une noisette de beurre empruntée aux cuisines.
Bien sûr, tout badaud passant près d'elle aurait pu la voir lever les yeux au ciel devant ce qui pouvait s'appeler un tableau navrant.
De dépit, ou de rage, ou des deux, ou pire encore, notre lavandier débutant avait abandonné la partie, jetant le linge sur la berge.
En plus, l'homme n'avait aucune patience ! mais ça, elle le savait déjà notre blondinette.
Elle le suivit des yeux un instant. Sans doute allait-il s'achever dans les caves de l'abbaye, ou ronfler dans un coin. Qu'importe.
Mahaud avait regardé ce tas, qui gisait à une vingtaine d'enjambées.
Puis avait détourné le regard. Non non non non non-non-non et NON ! hors de question ! trop facile ça !
Il s'imaginait quoi ce fanfaron hein ? La pauvre jeune femme fulminait en se levant.
S'il croit que je vais la faire sa lessive, il se fourr.... 'fin, non quoi.
Dépitée et soupirant fort, elle s'approcha du tas abandonné. Bon y avait quoi... les braies boueuses, la chemise boueuse, les bas boueux, tout était boueux. Heureux souvenir de la baignade forcée du sieur.
Au fond d'elle, une petite voix lui disait : t-t-t-t- Mahaud... tu vas faire une belle bêtise là... arrête ça tout d'suite !
Ah oui mais dame ! c'est qu'il manquait deux trois choses pour que ça marche. Où donc était le battoir mhh ? et la brosse et le savon mhh ? Ah ces Hommes, qui croient que tout se fait tout seul sans effort et sans savon !
Nan mais à l'eau quoi !
Les épaules de Mahaud s'affaissèrent et elle remonta vers le bâtiment du monastère ; elle rejoignit sa cellule, prit la boule de saponaire qu'elle avait emporté, puis retourna au lavoir improvisé, non sans grommeler en chemin. Oh elle était bien loin de la véritable encyclopédie du juron et des insultes aux quels elle avait eu droit sur le bord du ruisseau, même nombreux sont qu'elle n'avait encore jamais entendu !
L'alcool délie les langues, paraît-il...
Agenouillée à son tour au dessus du cours d'eau, elle commença à laver les vêtements avec des gestes rageurs.
Ah ça vous m'le paierez, messire de Gilly !
Etant donné l'urgence du moment, on passerait outre la nuit que le linge devait passer dans la cendre pour être bien lavé, et le lessivage au vertjus. Au lavoir de Nevers, elle avait même entendu une vieille femme raconter qu'elle mettait du persil dans son savon. Ben oui, disait-elle, le persil lave plus blanc !
Elle essaierait un jour pour voir. Mais là, c'était pas le moment.
Pestant contre sa trop grande gentillesse, elle essayait de trouver une solution pour le faire sécher, ce linge. C'est pas la nuit qui allait faire le boulot du soleil !
Après avoir frotté tant qu'elle pouvait avec son savon et rincé autant de fois que nécessaire, le linge fut enfin propre. Et à peu près essoré, parce que toute seule ça n'a rien de bien simple. Il faut être deux pour bien tordre, disait sa mère. Enfant déjà elle allait faire les lessives au lavoir du village, souvent emportée par le poids du linge, elle se rattrapait de justesse sur le bord, ou par la poigne généreuse d'une autre lavandière.
Toujours agenouillée, les mains sur les cuisses, elle regardait ces frusques étalées devant elle. Et maintenant ?
Si encore elle avait su où se trouvait la cellule de Williams, elle lui aurait bien rapportés et jetés sur sa paillasse, après tout, juste retour des choses ?
Le temps de trouver une idée, elle retourna à sa couverture, là-bas sous l'abricotier, il lui restait quelques cerise à déguster avant que le soleil disparaisse derrière la cime des arbres. La soirée soir avait encore de belles heures devant elle.