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Parfois, la rédemption ne peut venir que de soi... Il faut alors faire un petit saut en arrière...

[RP] Qui es-tu devenue ?

Samsa
[Août 1458, Touraine, Chinon]

Saaaaaam ! Tu viiieennns ? On va au lac !
J'arrive ! Attention... Chargéééééé !


La jeune femme de vingt ans se met à courir à toute allure dans les rues de Chinon. Elle n'a pas de chausses, ni de bottes, et ses pieds nus battent le pavé chaud sous ce soleil estival. Elle n'a rien sur elle que des haillons et des braies blanches. Son corps est bien féminin quoique sans véritable excès de courbes. Ses cheveux sont légèrement ondulés, bruns comme l'écorce des arbres, ses yeux également. Ils brillent d'une lueur heureuse, comme si mille silex s'entrechoquaient à l'intérieur. Son visage est lisse, peut-être encore enfantin, sans véritable trait. Elle tourne à vive allure à l'angle d'une rue, manque de renverser une dame tirant une petite charrette. Agilement, elle fait un saut de côté et rit. Un rire pure, cristallin, qui monte dans le ciel. Sa course ne connait pas de pause avant le lac. Elle s'arrête, les joues rouges, haletante, mais sans jamais se départir de ce beau sourire insouciant. Là, en train de pousser une barque dans l'eau, il y a Smir, son ami blond en haillons, Lou, son amie si douce et gentille. Il y a aussi Lily, Furette... Huberte est sur l'eau depuis l'aube. Rodeur les regarde faire à l'écart, à l'abri de sa capuche. Mahiro, l'amie brune comme la nuit, se joint à la bande. Et puis il y a Zyg. Zyg Zyg... Zyg qui vient de Cambrai, Zyg brune comme l'ébène, Zyg aux yeux bleus-gris, Zyg son inséparable, son apprentie cultivatrice de Bêtise, sa colocataire.

Bon tu viens nous aider oui ?

Un nouveau rire emplit l'air, attirant l'attention de la mairesse Nina qui passe par là, s'arrête pour regarder ce joyeux spectacle. Sam se joint à la bande et pousse la barque pour la mettre à l'eau. Il fait beau et chaud, et tous sont comme des gamins. La vie est si belle. La barque glisse sous les houras, les plus téméraires et pressés sautent dedans dans une cohue totale. Sam sourit jusqu'aux oreilles en regardant Zyg. Elle l'a recueilli perdue, sans rien ni personne. Elle lui a donné un toit, des amis, une ville, une famille: elle. Sam lui a offert tout cela, et pourtant, elle ne saurait dire qui apporte le plus à l'autre. Zyg la regarde, lui sourit de toutes ses dents et l'incite d'un geste enthousiaste de la main à les rejoindre. Sam s'approche, ses pieds sont à présent dans l'eau. Elle baisse la tête et voit son reflet. Mais étrangement, elle ne se reconnait pas. Qui est cette femme moitié-rousse moitié-brune qui la regarde d'un air impassible, et qui semble pourtant si grave et profond ? Elle n'a pas le temps de se poser la question qu'une main joueuse la pousse en avant. Sam perd l'équilibre et tombe dans l'eau.



[Juillet 1462, quelque part sur les chemins de Guyenne]

L'eau fraîche de la rivière éclabousse le visage de Sam. Son destrier bai, Guerroyant, se désaltère à quelques mètres d'elle. La Cerbère l'imite un instant. Le soleil se lève, ses rayons se faufilent entre les feuilles entre les arbres et commencent à éclairer le chemin qui fait un grand cercle autour de Bordeaux. Elle laisse son regard glisser sur la surface de l'eau jusqu'à la berge opposée en s'asseyant dans le sable humide.
Elle est partie la veille au matin de Bordeaux, laissant Maria seule avec Nolwenn et Gwenn, ses filles. Pour explication, elle n'a laissé qu'un regard abattu à sa compagne qui a comprit et a posé un baiser sur son front. Elle était comme ça parfois, Sam. Tout lâchait en elle, de son orgueil à sa si grande force, et alors elle n'était plus capable de rien, pauvre coquille trimbalée au gré des vents, incapable de réagir. Alors elle prenait Guerroyant, se hissait en selle et partait, seule. Cette absence avait une durée variable, d'une journée à quelques jours. Souvent, elle empruntait ce grand chemin qui faisait un large cercle autour de Bordeaux. Ça lui prenait un temps suffisant pour qu'elle revienne gonflée à bloc, et reprenne ses forces à une vitesse époustouflante. Sam, c'était ce qu'on appelle une colosse aux pieds d'argile.
Elle ramena les genoux vers elle et y apposa son front. Il y avait longtemps qu'elle ne pleurait plus. Elle ne savait plus comment faire. Ça ne lui faisait plus de bien. Tout au plus, ses yeux échappaient à son contrôle et des larmes roulaient sur ses joues. Elle attendit que ses forces lui reviennent et elle se releva.
Sam avait aujourd'hui vingt-quatre ans. De taille moyenne, elle était charpentée. Ses épaules étaient robustes, ses bras solides sans pour autant ressembler à des troncs en un point quelconque, son dos long et fort. Elle avait les jambes courtes, plutôt lourdes. Ses cheveux étaient toujours ondulés, au bas des omoplates, mais on ne savait plus s'ils étaient roux ou bruns. Son visage était reconnaissable à ses traits marqués, rigides quoique pas austères. On devinait bien que la nature l'avait rendu avenante, mais que la vie avait durci cette qualité. Ses yeux étaient si sombres qu'on aurait pu les croire noirs. Les milles silex s'entrechoquant n'existent plus. Peut-être ont-ils brûlé aux côtés de la flamme qui les anime maintenant, tantôt flammèche, tantôt brasier. Des bottes noires enserrent ses pieds, ses chevilles, ses mollets. On devine des bas gris au niveau des genoux. Ses cuisses sont protégées par des cuissardes placées sur ses braies blanches qu'elle n'a jamais changé malgré que des braies grises ou noires aient été plus adéquates dans la couleur, et une cotte de maille, sous une chemise noire, recouvre son buste. Une ceinture noire serre un peu le tout à la taille, alors qu'une seconde ceinture est également là, supportant une épée à pointe et à double tranchant plutôt fine et point trop lourde. Un col noir est posé sur ses épaules. Ses mains sont dans des gantelets métalliques sur le dos, de cuir sur la paume pour laisser l'aisance. Souvent, une toque grise est sur sa tête. Sam a quelque chose de noble en elle, et ça ne passe pas uniquement par les vêtements qu'elle porte.


Viens mon beau, on repart pardi...

Sa voix n'est plus enjouée, plus cristalline. Elle ne l'a, en vérité, plus jamais été depuis la mort de Zyg. Enthousiaste, joyeuse, heureuse peut-être même, oui. Mais plus jamais comme avant. Elle ne sait pas d'où ça vient, mais elle a prit l'habitude de placer des "pardi" dans ses phrases. C'est un peu sa marque de fabrique à elle maintenant. Mais quelle importance ?
Elle attrape les rênes de Guerroyant, solide cheval bai né pour la charge, et le tourne face au chemin. Lestement, elle met le pied à l'étrier et se hisse en selle. Elle se tient toujours très droite à cheval, et son naturel fier sinon orgueilleux ne peut pas se cacher, avec ce menton légèrement redressé, surtout mobile, ces yeux sombres qui scrutent ou observent les trois-quarts du temps. Le dernier quart eh bien... C'est un regard fixe. Du haut de Guerroyant, elle baisse la tête et regarde dans l'eau. L'espace d'un instant, elle croit que son reflet lui renvoi l'image d'une jeune fille souriante et insouciante. Celle qu'elle était, quatre ans auparavant. Mais ce temps n'existe plus. Cette jeune fille non plus. Elle est morte, détruite. Sam aimerait envoyer un caillou dans l'eau, dissiper cette image douloureuse. Mais elle n'en a pas le courage, elle n'en veut pas à cette autre. Elle talonne sa monture qui se met à un pas tranquille, s'éloigne de la rivière. Sam baisse la tête, soupire, et ferme les yeux...





[1458, Touraine, Chinon]

Avaaaaannnce ! Bourriiiiiiiique ! HIDALGO AVAAANNNNCE !

Sam s'évertue à talonner un âne qui n'avance pas. Pourquoi diable a-t-on mit cet âne dans la course ? Sabotage ! Elle ressemble à un asticot sur cette monture bougonne -ça se voit- et bornée. De l'autre côté de la barrière, à quelques mètres de là, Zyg rit à gorge déployée. Sam la regarde avec une moue de type "c'est pas drôôôôôôle !". A moins que ce ne soit du genre "j'aimerais t'y voir, toi".

Attends je vais t'aider !

En temps normal ce serait de la triche. Mais là, c'est de l'assistance à personne en danger. Alors que Zyg disparaît on-ne-sait-où, Sam continue de s'évertuer seule. Les autres concurrents passent, et si elle jubile quand l'un se retrouve dans la même situation qu'elle, cela ne dure jamais longtemps pour autant. Enfin Zyg revient, elle et son regard malicieux et enfantin. Elle a un fil dans la main, et quand elle tire dessus, une cacophonie se fait entendre, comme si milles casseroles s'entrechoquaient -outre le nombre, c'est ça-, et une volée d'oiseaux de l'arbre le plus proche s'envole. Hidalgo avance...


Hourraaaaaa !

... Fait trois pas et s'arrête. Il ne redémarre pas. Toute la joie retombe et Sam est au bord de la crise de nerf -de désespoir surtout-. Pour le bien de tous, elle descend et déclare forfait. Trop d'écart la sépare des autres maintenant, elle est presque encore à la case départ, ils sont presque arrivés. D'ici qu'elle arrive, s'ils l'attendent pour boire un coup, ils auront le temps de mourir déshydratés.
Pourtant, elle gardera Hidalgo, cet âne ronchon et plus borné que les autres. Elle le regarde attentivement. C'est étrange comme il parait vieux tout à coup... Il n'était pas ainsi quand elle l'a choisit et monté pour la course. Des poils blancs parsèment sa robe grise, sa tête semble plus lourde et son oeil moins vif. On dirait qu'il a... Quatre ans de plus.

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"Un visage est un masque de comédie posé sur la tragédie de l’âme."(Shan Sa)
Samsa
[Juillet 1462, quelque part sur les chemins de Guyenne]

Le pas de Guerroyant la berce. Peu à peu, ses épaules s'affaissent, puis son menton se laisse aller, sa tête suit. Elle dodeline doucement au rythme du pas du grand cheval bai. Elle qui n'était jamais fatiguée, toujours au taquet, la voilà soudainement épuisée. La jeune femme relève la tête et jette un regard las au soleil qui décline. Ils ont progressé toute la journée, lentement mais sûrement. Il reste encore du chemin à faire. Tant mieux. Elle n'a pas spécialement faim, mais elle sait qu'il faut qu'elle mange pour ne pas retomber dans sa période de mars dernier. Elle avait alors cessé de se nourrir et un papillon sur elle aurait pu la briser en deux. Il ne faut pas qu'elle retombe là-dedans. Elle a tourné la page, elle a accepté tout ça. Elle a accepté de ne plus attendre Zyg, de ne plus guetter la porte qui s'ouvrirait ou le pigeon qui arriverait. Elle a accepté les regrets du passé comme fardeau, et d'avancer avec. Accepter de ne pouvoir retrouver le temps qui a passé, elle l'a fait. Accepter de ne pouvoir retourner en arrière, elle l'a fait aussi. Sam a accepté beaucoup, mais elle ne sait plus vraiment pourquoi. L'instinct de vivre ? Elle ne l'a plus. Pour ses moitiés. Oui. C'est pour elles qu'elle a avancer. Elle a pu, au fil de ce chemin, accepter de redonner son amitié, sa bienveillance, son coeur, à d'autres. Mais oublier Zyg, continuer sa vie sans elle, sans qu'elle soit quelque part en elle, Sam ne l'a jamais accepté.
Elle tira sur les rênes de sa monture pour l'arrêter et mit pied à terre. Elle connait les environs, elle sait qu'il n'y a pas de brigands. La Guyenne est propre à ce niveau-là. Et même si un homme surgissait devant elle avec la fameuse question "la bourse ou la vie ?", elle l'aurait regardé d'un air las et fatigué et lui aurait répondu "prenez les deux. Aucun ne m'est plus précieux". C'était sans doute ce qui était le plus étrange chez Sam. Malgré Albunea et Zephyre -ses moitiés-, Maria et ses deux filles, rien ne semblait pouvoir la retenir ici-bas. Sam avait toujours été une sorte d'électron libre que rien n'accrochait. Ses parois étaient lisses. Il n'y avait qu'elle qui pouvait accrocher les autres, et si rien ni personne ne pouvait la faire partir si elle ne le voulait pas, on avait, en revanche, aucun mal à l'écraser si elle avait décidé de ne pas se battre. Se battre, se battre... Toujours se battre. Pour survivre. Toujours survivre. Tendre le plus possible vers une vie à l'air normal. Il n'y avait pas d'autres moyens d'y parvenir, et c'était sans doute pourquoi Sam aimait se battre et en était d'autant plus redoutable; "l'homme qui n'a rien à perdre est le plus dangereux de tous les adversaires"*. C'était ces moments qui la faisaient se sentir vivante, peu importe le champ de bataille: le destin, une plaine, une montage, le quotidien... Et lorsqu'elle faiblissait, qu'elle fatiguait, comme dans ces instants, elle ne pouvait plus se battre, et ne vivait plus.
Elle s'enfonça dans la forêt bordant le chemin, la bride de Guerroyant en main. Elle trouva un grand arbre et s'approcha. Ça irait bien pour la nuit. Elle dessella son cheval, retira sa bride pour lui préférer le licol et l'attacha à un arbre proche, lui laissant assez de longe pour qu'il puisse se mouvoir et brouter aisément. Elle s'assit et s'adossa au tronc. Son regard se pose sur Guerroyant qui broute paisiblement.


J'aurais aimé que ça ne se passe pas comme ça tu sais pardi... J'aimerais pouvoir changer les choses... Mais je sais bien que le passé est le passé té... Simplement, j'aimerais déposer mes regrets, parfois... Pardi... Ce que je regrette...

Son cheval, il en avait sans doute rien à faire de tout ça, de ce qu'elle disait. C'était un cheval, pas un humain. Il ne léchait pas la main quand elle était triste, il n'apposait pas sa tête contre son visage non plus, pas plus qu'il ne poussait un petit hennissement compatissant. Bêtise que tout cela. Tout au mieux, il restait calme et ne l'embêtait pas. Alors quoi, qu'elle lui parle ou pas, quelle importance pour lui ? Lui, il mangeait, c'était tout.
Sam reposa sa tête contre l'arbre et ferma les yeux... Quelle importance que tout cela... ?



[1458, Touraine, Chinon]

T'en fais pas Zyg, tu sais bien que tu peux rester ici aussi longtemps que tu voudras. Même... Reste... S'il te plait.

C'était une maison simple, qui se fondait dans le décor de la rue. Il y avait un tonneau à côté de la porte. Un tonneau de quoi ? Personne n'avait jamais regardé, mais tous s'accordait à dire qu'il était bien là. C'est comme ça que Zyg avait trouvé la maison de Sam la première fois. "La maison à côté du tonneau. Tu peux pas la manquer". A l'intérieur, c'était plutôt dénudé, les murs étaient un peu abîmés, mais Sam s'y sentait bien quand elle profitait de la cheminée. Ce soir, Zyg s'inquiétait de ce que Sam dépensait pour elle. Cette dernière la rassurait, l'assurait de son amitié qui les liait. Elle était sa colocataire, son inséparable. Rien ne les séparerait jamais. Elles ne demandaient rien, elles donnaient tout, alors pourquoi irait-on les embêter, leur prendre des choses auxquelles elles tenaient ? Zyg sourit à Sam. Ce sourire qui reste inconsciemment en mémoire, gravé dans l'âme. Zyg, c'est une sorte de femme-enfant, pleine d'innocence, de naïveté, d'insouciance, de joie, de bonté. Sam lui ressemble. Ensemble, elles ne doutent de rien et croquent la vie à pleines dents. Sam se lève et enlace son amie.

Aller viens, allons dormir.

Elles rejoignent leur chambre, s'arrêtent devant leur seuil respectif, se regardent et se sourient.

Bonne nuit Samette.

Bonne nuit Zygui.

La nuit tombe et le sommeil également...



[1462, dans un rêve ...]

Ce qu'il fait chaud ! Il ne faisait pas si lourd quand Sam est partie de Bordeaux. Elle ne sent même plus le petit vent marin. A bien y penser, elle ne le sentait pas non plus avant, l'habitude l'ayant forgé, mais maintenant qu'il n'est plus là, ça se sent. Autour d'elle, dans une rue, des maisons. Tout cela lui dit bien quelque chose, mais ce n'est pas Bordeaux, c'est certain. Il doit bien être aux alentours de midi, vu le monde qui passe autour d'elle et la bouscule. Elle est en plein milieu d'une artère apparemment. Mais où est-elle ? Dans quelle ville ? Elle s'approche d'un vendeur de fruit.

Pardi, ils sont d'où vos fruits té ?
De Tours Dame !
Ah oui, pardi... Ils me tentent bien mais je ne me promène jamais avec ma bourse pardi, avec les gamins qui volent té...
Repassez donc, je suis là toute la journée !


Sam s'éloigne. Ses habits et sa cape noire démontrent chez elle un rang élevé, intruse dans la masse populaire de lin et de chanvre grossier. Elle trouve un marchand de poisson et décide de récupérer ses renseignements ici. Les pêcher, pour le jeu de mot.

Ola pardi, d'où vient ton poisson pardi ?
D'ici bien sûr ! C'est le seul lac du duché ! Rien aux alentours, alors, pardi comme vous dites, c'est le meilleur poisson de la région toute entière !
Pardonnez-moi pardi, mais en quelle année sommes-nous ? Je reviens d'un long voyage en Alexandrie té, on perd la notion du temps.
Ah ça ! Alexandrie ! Je comprends bien oui ! Nous sommes en 1458 ma bonne dame, 16 juillet 1458.


La Brune ouvre de grands yeux. 1458 ?! Mais qu'est-ce qu'elle fou en 1458 ?!
Sans dire un mot, elle s'éloigne, court presque à contre-courant dans la foule. Maintenant qu'elle sait où elle est, elle connait toutes les rues, elle sait où elle va. Vers la mairie. Elle lit rapidement le panneau d'affichage. Nina est mairesse. Sam détale vers les tavernes. Il faut qu'elle en ait le coeur net. Aucun remord ne l'habite quand elle bouscule des gens, rien ne la fait s'arrêter ou se retourner quand ça râle. Elle est déjà loin devant. Là, les tavernes... Elles sont toutes là... Avec les mêmes propriétaires d'alors, les mêmes taverniers, les mêmes noms... Là, à travers la fenêtre d'une taverne dont elle oublie de regarder le nom, il y a un petit attroupement. La Brune scrute et ne saurait plus se décoller de la vitre. Une simple plaque de verre la sépare d'un groupe qu'elle connait. Une simple plaque de verre la sépare de deux personnes qu'elle connait. Une simple plaque de verre la sépare de Zyg. Mais aussi d'elle-même.




*= citation de Chris Carter

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"Un visage est un masque de comédie posé sur la tragédie de l’âme."(Shan Sa)
Samsa
[1462, dans ce même rêve ...]

Zyg... Sa Zygui... Elle est si belle... Si heureuse... Ses yeux lâchent, les larmes coulent sur ses joues. Combien de fois a-t-elle supplié toutes les divinités du monde pour revoir son visage ? Combien de fois même a-t-elle imploré tout et n'importe quoi pour lui reparler, rien qu'un instant ? Sa chance est là. Oui, sa chance est là. Elle est en 1458, elle a la chance de se rattraper. Jusqu'à quand sera-t-elle là ? Elle l'ignore. Mais elle sait qu'elle ne doit pas laisser sa chance filer. C'est maintenant ou jamais. Elle va pour s'avancer mais une main se pose sur son épaule. Elle se retourne soudainement. Face à elle, un homme la regarde. Son visage est serein, mais rien d'autre ne transparaît. Il est plus grand que Sam, bien vêtu mais le tissu est pourtant de chanvre. Il porte une dague à sa ceinture, et ses chausses ne datent pas d'hier. Une chevelure blonde un peu ébouriffée le coiffe, et ses yeux sont gris. Il est, en vérité, fort charmant, et Sam aurait bien été troublée si elle avait été sensible au charme masculin. Ceci dit, elle ne le connait pas. Elle n'a pas le temps de lui demander d'où il sort, qui il est, ce qu'il veut, il prend les devants.

Sam. Je sais qui tu es, et d'où tu viens. Je sais ce qui se passe, ce que tu penses, ce que tu veux faire.

La Brune se tait. Tout à coup, elle n'a plus de questions à poser. Elle sent qu'elle va tout savoir, tout comprendre. Son regard sombre se pose sur Zyg. Elle ne veut pas la perdre de vue. Elle doit lui parler. Mais ses yeux reviennent sur le grand blond. Elle veut savoir, elle veut comprendre.

-Tu rêves. Mais tu es revenue en arrière dans le temps, et la vie continue, l'Histoire continue. Les mêmes événements arriveront, tout dans les détails. Toi, tu sais ce qui va arriver demain, tu sais quelles guerres vont arriver, qui va faire quoi pour avoir telle ou telle chose. Mais sache bien que tu as interdiction formelle de révéler tout ça.
-C'est ridicule, je suis pas là pour ça. Tout ça ne concerne que le Royaume té, et les autres. Mais alors quoi, je suis dans une sorte de monde parallèle, c'est ça ?
-Je sais. Mais je sais ce que tu peux faire. La relation que la Sam de 1458 entretient avec Zyg, tu ne peux pas la changer. Tu ne peux pas arriver comme ça, lui dire tes sentiments, qu'elle va mourir, et lui raconter ce que tu as vécu derrière. Tu n'es pas dans un monde parallèle, simplement dans un rêve. Mais chaque rêve est un autre monde. Ce rêve s'appelle "passé". C'est un rêve spécial, car il ne dépend pas de ton imagination, ce n'est pas un monde que tu modèles comme tu le souhaite. C'est un monde qui possède un cadre, tu ne peux pas outrepasser ce cadre.
-Mais...
-Tu ne peux pas changer le cours des choses Sam. Tu ne peux pas parler à Zyg.
-Quoi mais... !
-Tu ne peux parler qu'à toi-même, qu'à la Sam de 1458. Raconte-lui tout ce que tu veux. La seule interdiction que tu as... C'est de lui dire qu'en 1458, tu cachais tes sentiments pour Zyg. A elle, comme à toi-même. Tu ne dois pas changer la relation de 1458.
-... Mais comment je peux dire à Zyg que je suis désolée té... ? Comment je peux lui expliquer mes remords de ce que je n'ai pas fais... ?
-...
-S'il te plaît... Je t'en prie pardi...
-Trouve un moyen par toi-même. Mais en aucun cas elle ne doit savoir qu'elle mourra, ni que tu es ce que tu es parce qu'elle est morte. Mens-lui, écris, débrouille-toi. Tu as les règles.
-Et quand cesseras ce rêve ?
-Quand nous jugerons bons d'y mettre un terme.
-Nous ?
-Toi, et moi.
-Toi. Qui ça "toi" ? Qui es-tu ?


Le blond ne lui répond pas et tourne les talons. Il s'éloigne. Sam croit qu'il n'a pas entendu, elle cri sa question alors qu'il n'est encore qu'à quelques pas, mais il ne se retourne pas. Elle va pour le poursuivre mais elle ne veut pas partir, elle ne veut pas quitter Zyg. Elle est là, si proche et si inaccessible... Il faut élaborer une stratégie. Se mettre au courant semble un bon début. Enfin "se"... La Sam de 1458. Comment s'ab... L'aborder ? Franco, ma foy. Sam respire un grand coup et entre dans la taverne. Tous les regards se tournent vers elle, des regards curieux mais souriants. Bienveillants. Chinonais comme on disait alors. Elle aimerait saluer l'assemblée, Smir, Lou, Mahiro, Rodeur, Lily, Furette, Huberte, d'autres dont elle a sans doute oublier le nom depuis. Mais son regard est uniquement posé sur Zyg qui la regarde avec un air accueillant. Zyg la regarde... Et impossible de détacher ses yeux d'elle. Pourtant il le faut, avant de paraître suspecte. Il le faut. Il le faudrait.

-Sam, l'unique cultivatrice de Bêtises du Royaume de France, ravie !

La jeune femme détache enfin son regard de Zyg et le pose sur cette autre elle, de 1458. Malgré elle, elle sourit. Cet air enjoué, déjà téméraire, la touche. Ce titre, unique cultivatrice de Bêtises, qu'elle a dû abandonner parce qu'elle n'en était plus digne... Elle y tenait tant. Mais rien ne sert de garder quelque chose qu'on ne mérite plus. Sam se regarde. Oui, c'est bien elle à cette époque, cette petite bête effrontée et pourtant si peureuse. On voit que la lumière l'habite encore, elle a encore ses beaux yeux clairs. Les autres se présentent, Sam les entend mais ne les écoute pas. Elle continue de détailler cette Sam de 1458. Il lui semble soudainement qu'elles sont étrangères, bien qu'étant la même personne.

-Ravie pardi. Sam, il faut que je te... Parle pardi.
-Oh ! On se connait ? Pardon j'ai mauvaise mémoire !
dit-elle en riant doucement quoique lui lançant un regard interrogateur et gêné.
-Je sais pardi répond Sam avec un sourire complice.Viens. Pardon pardi, je vous l'embarque té.

L'assemblée lui pardonne, bien sûr, elle les connait assez bien pour savoir, quoiqu'ils la détaillent et la dévisagent avec curiosité. Sam comprend qu'elle doit convaincre Sam de 1458 de ce qu'il se passe, mais aussi la convaincre de ne rien dire. Jamais. Enfin... Pas avant quelques années du moins. La jeune femme en haillons se lève et suit son autre, bien mieux vêtue.

-Où allons-nous ? Et pardon, qui êtes-vous déjà ?
-Nous allons au bord du lac pardi. Je t'expliquerais. Ne t'en fais pas, il ne va rien se passer de méchant
la rassure Sam d'un sourire. D'un geste de la main, elle lui montre les maisons, les gens, le ciel bleu et les oiseaux si haut.Regarde pardi, profite du chemin. Je le connais aussi bien que toi té. Alors profite.

"Avant que je ne brise ta vie, ton innocence et ton insouciance à jamais" pense-t-elle. Elle la regarde du coin de l'oeil et sourit de la voir obéir, malgré qu'elle surprend quelques coups d'oeil intrigués. Intrigués. Jamais méfiant. En 1458, elle n'était pas capable d'être méfiante. Elle était juste curieuse.
Elles arrivent au lac et s'assoient sur un rocher qui trempe un peu dans l'eau. Sam regarde loin devant elle. Elle connait si bien ce lac. Elle y a passé de si bons moments. Aujourd'hui, il semble un peu magique. Il l'avait toujours été. Mais plus pour elle après la mort de Zyg. Elle laisse un peu de silence s'écouler. Elle, la courageuse Bordelaise, celle qui n'a peur de rien, qui ne demande qu'à charger seule une armée entière, la voilà démunie. Les mots, ça n'avait jamais été vraiment son fort, pour parler. Pour agresser, menacer, oui, elle savait. Mais parler, elle ne savait plus, c'était chaque fois une épreuve qu'elle réussissait maladroitement.


Sam... Il va falloir que tu m'écoutes pardi. Il va surtout falloir que tu me crois té. Je vais... Te raconter une histoire pardi. Une histoire vraie. Une histoire qui va te paraître un peu incroyable pardi. Je n'aurais rien pour te prouver mes dires. Mais je sais qui tu es. Je sais que tu es intelligente pardi, même si tu hurles le contraire, mais je ne demande pas à ta tête d'intervenir pardi. Je sais que ton coeur peut écouter, et c'est tout ce que je demande parce que... Parce que mes premiers mots ne relèveront d'aucune logique pardi. Mais ils sont vrais. Tu veux bien ?

Sam pose ses yeux sombres sur elle. Elle sent Sam de 1458 attentive, et sérieuse. Elle ne doute pas. Elle est prête à entendre, prête à croire, tant que Sam lui explique bien. Pas dans le but de comprendre, mais dans le but de suivre l'histoire. Doucement, Sam retire sa toque et fixe l'autre bout du lac. Elle ne veut rien voir. Personne. Cette histoire, elle doit elle aussi la raconter avec son coeur. Et rien d'autre ne doit intervenir.

Cette histoire pardi... C'est ton histoire. C'est notre histoire.
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"Un visage est un masque de comédie posé sur la tragédie de l’âme."(Shan Sa)
Samsa
[1462, dans le rêve...]

Alors Sam se met à parler. Sa voix est calme et posée. Un peu plus grave que celle qu'elle avait alors en 1458, on en ressent d'autant mieux toute la profondeur des paroles. Lentement, elle lui révèle qui elle est, comment elle est arrivée ici. De la main, elle lui montre ce qui les entoure, elle lui explique que tout ceci n'est qu'une sorte de rêve qu'elle vit, elle, Sam de 1462, mais que c'est bien le monde réel pour la Sam 1458. Avec des mots choisis, elle insiste sur le fait qu'elle ne doit rien dire au sujet de cette rencontre, ni de ce qu'elle lui dira; à personne. Sam de 1458 acquiesce, très sérieuse. Sam sourit doucement. Elle se connait. Elle se sait loyale et n'ayant jamais failli sur les secrets confiés. Alors qu'elle s'arrête un instant pour trouver comment entamer la suite, elle regarde son analogue et perçoit en elle sa perplexité. Sam craint qu'elle ne la croit pas. Sam de 1458 la détaille et la toise d'un oeil nouveau avant de prendre la parole.

-Alors en 1462, je serais comme toi ?
-Oui pardi.
-Tu es bien habillée ! Tu es noble ? Ou bien soldate ?
-Je vais bientôt l'être oui pardi. Vassale de l'Intendante des Finances de France té. J'irais faire la guerre à sa place pardi. Plus tard, la guerre, ce sera ta vie. Tu adoreras ça.


Sam de 1458 part dans un grand éclat de rire et malgré elle, Sam l'imite. C'est vrai que c'était complètement fou. Elle, la sans-terre, la sans-champ, la plus abrutie des gens en 1458, voilà que quatre ans plus tard, elle allait être anoblie par une des personnes les plus importantes du Royaume. Sam ne l'aurait jamais cru non plus si on lui avait dit cela quatre ans plus tôt. Pas plus qu'un amour fou pour la guerre, bien qu'elle ait déjà un amour fou pour les armes, elle n'en était pas moins plutôt pacifique.

-Et tu es toujours à Chinon ?
-Non pardi. Je vis à Bordeaux pardi.
-Quoi ?


Sam lui sourit. En cette elle de 1458, elle retrouve une enfant. En face d'elle, c'est une de ses filles qui est là.
Depuis leur naissance, Sam mettait un point d'honneur à leur éducation, à faire d'elles des personnes bien. Parfois, elle les emmenait dans un coin isolé aux alentours de Bordeaux et leur parlait. Avec des mots simples, elle leur expliquait la vie, les valeurs de la vie. La loyauté, l'amitié, l'amour, mais aussi la violence, la méchanceté, le mensonge, parfois nécessaire pour protéger ces valeurs. A quatre ans, sans doute que ses filles ne comprenaient pas grand-chose, mais Sam était persuadée qu'elles y étaient sensibles un minimum et que plus tard, elles s'en souviendraient. Elle espérait que Nolwenn la taciturne s'éloigne du côté sombre qu'elle tenait de Sam, et que Gwenn se pose des limites, elle qui batifolait partout et prenait le monde comme de la pâte à modeler.


-Tu... Enfin j'ai beaucoup changé. Tu as les yeux plus sombres, et le visage plus dur. Et tes cheveux ! C'est à force de manger des carottes ?
-Je crois que c'est à cause des carottes oui. Tu les vénéreras bientôt. Mais du reste pardi... Oui, tu changeras beaucoup...
-Dis-moi. Raconte-moi. Qui es-tu devenue ?


Sam repose ses yeux sombres sur sa voisine. Elle ne peut pas se contenter de lui raconter ce qu'elle va devenir. Elle doit lui expliquer pourquoi. Sam prend un air grave et sa semblable reprend immédiatement son sérieux et son attention. De nouveau, Sam porte son regard au loin. Tout cela, ce n'est pas si simple à faire.

-Ecoute pardi... Ne m'interromps pas... Zyg... Zyg... Zyg va mourir pardi...

Elle distingue la bouche de Sam de 1458 qui s'ouvre, mais elle avorte sa tentative de parler d'un geste impérieux de la main et des sourcils qui se froncent. Elle avait acquis, au fil des années, une certaine autorité, un quelque chose qui ne donnait pas envie d'aller contre elle quand elle en usait.

-Alors que tu monteras de beaux projets avec elle pardi, elle mourra. Tu ne sauras jamais ni comment, ni pourquoi, mais tu ne t'en remettras jamais pardi. Tu te jugeras toujours responsable de sa mort, parce que tu n'auras pas eu les bons mots au bon moment pardi. Ces mots que tu n'auras jamais dit, tu les porteras comme un fardeau de regrets toute ta vie té. Peut-être que si tu lui avais dit ces mots, elle serait encore en vie pardi. Tu ne serais pas devenue une personne sombre, folle -de douleur-. Une personne qui a fait des choses terribles pardi, qui a traversé des périodes très noires. Les premières années sans elle seront les plus dures pardi. Tu l'attendras, tu guetteras la porte en taverne, tu te lèveras le matin en te disant qu'elle est partie travailler et qu'elle reviendra ce soir; ça marchera un temps, mais tu ne feras que te tromper et tu le sauras. Tu seras plus bas que terre mais... Mais tu pourras compter sur des soutiens infaillibles té. Tu tenteras beaucoup de choses, mais jamais ça ne réussira pardi. Tu comprendras que dans cette guerre avec toi-même, tu es seule té. C'est un peu comme ça que tu en viendras à aimer le combat; c'est le seul moment où tu te sentiras vivante pardi.

De nouveau, les yeux de Sam faiblissent et s'humidifient. Expliquer les choses, exposer la vérité, sans rien cacher, ça avait quelque chose de violent. A elle-même, d'autant plus. Oui, c'est ça. Elle n'était pas en train d'expliquer ce qu'elle avait vécu à quelqu'un d'étranger, qui ne comprendrait jamais vraiment. Elle était en train d'expliquer ce qu'elle savait, ce qui se passerait pour cette Sam de 1458 qui venait de perdre ses illusions et son innocence.

Voilà ce que je suis devenue, amie... Voilà ce que tu deviendras... Une femme brisée pardi. Comme un vase qui est tombé, dont on a tenté de recoller les morceaux. Mais ce vase aura toujours été cassé, rien ne s'effacera jamais pardi. Et jamais plus tu ne seras comme avant.

Le silence est soudainement lourd. Du coin de l'oeil, Sam remarque que sa voisine n'y croit pas. Ne veut pas y croire, du moins. C'est ce qu'elle lit en elle quand elle plonge son regard dans le sien.

-C'est pas vrai ! Tout ça, c'est pas mon histoire, c'est votre histoire !

Sam ne lui répond pas. Elle perçoit la colère, le désespoir dans la voix de Sam de 1458. Elle sait pertinemment qu'à cet âge, elle n'avait pas les armes pour se battre, pour se défendre. Elle sait pertinemment qu'elle vient d'éclater sa bulle sans la prévenir de ce qu'il y aurait dehors, sans lui dire "attention", sans lui donner de quoi s'adapter pour survivre là-dedans. Elle s'en veut. Elle vient de lui faire connaitre la peur, la pire, celle qu'on n'évite pas. Elle vient de la gifler et de lui dire "c'est le destin, tu ne pourras jamais gagner contre lui, quoique tu fasses". L'inévitable, l'impuissance, viennent de lui tomber dessus. Rien de ce qu'il y avait avant ne survivra.

-J'suis désolée pardi... Je sais ce que j'ai fais en te disant tout ça pardi. Il est trop tard pour moi, pour me sauver pardi, je vivrais toute ma vie avec mon fardeau. Mais toi, toi, tu peux encore faire quelque chose té, tu peux en...
-Taisez-vous ! Vous avez pas le droit de vous en prendre à Zyg ! Il lui arrivera rien du tout !


Sam sent que tout lui échappe, que la situation n'est plus sous contrôle. Elle ne s'était jamais connu dans un tel état jadis, elle ignore comment réagir. Mais il faut tenter, le tout pour le tout. Elle se tourne vers elle et saisit son visage entre ses mains, plongeant ses yeux sombres dans ceux encore clairs de sa semblable.

-Non, toi, tais-toi pardi, et écoute-moi ! Aujourd'hui, et jusqu'à la mort de Zyg, tu vivras les plus belles années de ta vie pardi ! Tout ça, tu ne le retrouveras jamais, tu m'entends, JAMAIS ! Ton chemin, il va au même endroit que le mien pardi, mais la manière de le parcourir ne dépend que de toi. Tu ne perds rien à m'écouter et à tirer enseignements de ce que j'ai à te dire.

Sam la relâche et la regarde. Son regard est grave et profond. Sa semblable est là, comme abasourdie en la regardant. Sera-t-elle vraiment capable de ça plus tard ? Dans sa tête raisonnent les paroles qu'elle a entendu: "Une personne qui a fait des choses terribles pardi, qui a traversé des périodes très noires". De quoi était-elle capable ? De quoi serait-elle capable, dans quatre ans ? Mieux valait l'écouter. De toutes manières, sa curiosité l'emportait. Elle lui fit un petit signe de tête.

-D'accord. Je vous écoute.
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"Un visage est un masque de comédie posé sur la tragédie de l’âme."(Shan Sa)
Samsa
[1462, toujours dans le rêve...]

Et maintenant qu'elle écoute, que lui dire ? "Tu te voiles la face, ma vieille", ça ne marchera pas. Elle n'a pas le droit. Elle aimerait, pourtant, se dire qu'elle a sauver des vies en lui révélant tout ce qu'elle a mit un an complet sinon plus à réaliser. Doucement, elle ferme les yeux. Elle s'en souvient bien. Comme une évidence.
Elle était en voyage à Mimizan, pour chercher les affaires de sa soeur Lau. Oui, ce devait être ça. Il y avait un musée du poisson, là-bas. Existe-t-il toujours ? Laureen est-elle toujours mairesse ? Des gens qu'elle a simplement croisé dans sa vie mais, elle ignore pourquoi, qui l'ont marqué. Des gens qu'elle n'a jamais recontacté. Elle s'en souvient encore, elle regardait la carte du Royaume. Elle allait rentrer à Bordeaux. Il faisait beau. C'était peut-être courant mars. Elle était épuisée moralement, et physiquement. Pourquoi Zyg lui manquait autant ? Pourquoi ? Avant elle, elle avait perdu quelques amis aussi. Mais jamais ce n'avait été ce sentiment, cette obsession. Elle avait repensé aux paroles de Zyg, des bribes, par-ci par-là. Son amie avait des goûts féminins, mais Sam avait toujours voulu s'aveugler. Zyg ne l'aimait pas, pas comme ça, pas elle. Mais si... Et elle l'avait rejeté. Elle, son amour, mais aussi son propre ressenti. Pourquoi ? Par peur. Tout ça à cause de la peur. Zyg était morte parce que Sam avait eut peur, parce que Sam avait été lâche.
Elle rouvre les yeux devenus plus sombres encore et regarde sa voisine.


-La peur sera ton pire ennemi. Plus tard pardi, à la mort de Zyg, tu n'auras plus jamais peur. De rien. Parce que tu auras compris que la peur est mortelle.
-Quoi ? Mais dis-moi ! Qu'est-ce que qui va se passer ? Dis-moi ! Dis-moi comment Zyg va mourir, quand, pourquoi, ce que je devrais faire ! Quels sont ces mots dont tu m'as parlé ? De quelle peur parles-tu ?
-Je ne peux pas te dire pardi... Je ne peux pas te dire quand Zyg va mourir, ni ce qui aurait peut-être pu la sauver. Je n'ai pas le droit de changer le cours des choses... Je ne peux pas te dire "prends ce chemin au lieu de celui-là", pardi. Tu comprends ?


Son ton est calme, posé. Résigné, peut-être. Sam de 1458 se lève et Sam la regarde, sensiblement intriguée. Sa semblable a la face rouge, ses yeux jettent des éclairs. Ils n'ont encore rien à voir avec ceux qu'elle sera en capacité de jeter quatre ans plus tard. En comparaison, c'est un gamin qui se débat dans les bras d'un grand gaillard. Plus tard, ce sera un homme qui se défendra méthodiquement et efficacement dans les bras du même gaillard.

-Et faire ce que tu fais ! Tu crois que tu as le droit de faire ça ? Tu débarques comme ça avec une histoire à dormir debout, tu joues le corbeau de malheur et tu refuses de me dire comment sauver Zyg ! Tu es un MONSTRE, voilà ce que tu es ! Jamais je deviendrai comme toi !

Et elle tourne les talons, furieuse. Un instant, Sam reste là, interdite. Elle avait oublié que ses colères étaient rares en ce temps, mais méchantes également. Elle se sent comme une mère qui vient de se faire gifler par son enfant. Et ça fait mal.

-Sam, attends ! Cri-t-elle en se relevant précipitamment pour la rattraper. Attends pardi !
-Vas-t-en !
-Arrête-toi !
-Vas-t-en j'ai dis ! Laisse-nous vivre en paix ! C'est toi mon malheur !


Ses mots sont violents, comme des lames qu'elle jette, et Sam avance malgré tout pour rattraper son analogue. Pour elle, et pour Zyg, elle veut bien tout endurer. Tout. Sauf un mur. Elle s'arrête soudainement et lance un ordre d'une voix impérieuse. Elle avait apprit seule à avoir cette voix dure, rendu d'une âme endurcie, mais les champs de bataille et ses postes occupés avaient aiguisé encore ce ton.

-Samsa de la Culture de Bêtises, unique Cultivatrice de Bêtises du Royaume de France, je vous somme de vous arrêter ! MAINTENANT !

La Sam de 1458 s'arrête et met un instant pour se retourner. Ses yeux sont encore en tempête, mais ils semblent avoir un mélange de surprise et de respect. Sera-t-elle vraiment capable de ça plus tard, elle qui ne donnait jamais d'ordre -et n'aimait d'ailleurs pas en donner- ? Elle la détaille et la toise, cette Sam de 1462 qui lui ressemble physiquement -ça se voit, malgré les changements forgés par la vie-, mais qui est si différente pour le reste. Elle ne se reconnait pas. Qui est-elle devenue ?
Sam s'approche comme un général s'approcherait d'un soldat rebelle, la dépasse pour s'interposer entre sa semblable et le chemin qu'elle suivait et l'assassine du regard. Les mots qu'elle a reçu étaient blessants. Mais ils étaient surtout injustes.


-J'ai toujours été juste pardi, que ce soit en 1458 ou en 1462 té. Sois en digne. Tu te comportes exactement comme je me suis comportée jadis pardi, et tu vois où ça m'a mené té. Je sais qui tu es pardi, ce que tu es encore et ce que tu ne seras plus. Si ça t'intéresse de finir comme moi, libre à toi.
J'ai toujours tenu à Zyg pardi. Elle était mon monde, notre monde té. Je ne suis pas là pour te dire comment sauver ce monde pardi. Il est voué à disparaître, c'est comme ça pardi, ça s'appelle le destin, tu n'y peux rien, et ça, c'est l'impuissance et l'injustice pardi. Tout ce que je peux faire pour toi pardi, c'est te donner le moyen de t'en sortir, de ne pas perdre pied comme j'ai perdu pied. C'est te donner une chance pour devenir quelqu'un d'autre, une chance de ne pas être impuissante sur ton sort pardi.
Doucement, Sam pose ses mains sur les épaules de Sam 1458, apaisée mais triste, comme elle. Ses yeux scrutent les siens. Ni toi ni moi ne pouvons plus rien pour Zyg pardi. C'est injuste, c'est cruel, c'est comme ça pardi. Si j'avais pu changer les choses, je l'aurais fais pardi. Si je pouvais la sauver, je le ferais aussi pardi. Mais tout ce que je peux faire, c'est te sauver toi pardi. Et si je tiens à ce que tu m'écoutes pardi, c'est non seulement parce que tu profiteras de ce temps avec Zyg, mais aussi parce que Zyg profitera de ce temps avec toi pardi. J'demande que son bonheur. Tu peux pas me le refuser. Tu peux pas te le refuser. Tu peux pas nous le refuser pardi.

Ses mains lâchent les épaules amies et reviennent le long du corps robuste de Sam. Elle espère que Sam de 1458 l'écoutera, entendra, ne fera pas cette femme butée qu'elle connait si bien pour l'être encore, ne choisisse pas de mourir elle aussi, si le destin est là. Beaucoup disait que rien n'était impossible pour Sam. C'était peut-être vrai, quoiqu'un peu exagéré. Mais, à coup sûr, il y avait quelque chose d'impossible pour Sam: c'était de convaincre un mur. Si Sam de 1458 décidait quelque chose, alors rien ne la ferait changer d'avis. Il avait donc fallu parler de manière à la décider à aller dans son sens.

-... Tu es vraiment devenue ce que tu es devenue parce que Zyg est morte... ?
-Oui pardi...
-Tu ne t'en ai vraiment jamais remise... ?
-Jamais pardi...
-Tu ne t'en remettras vraiment jamais... ?
-Jamais pardi...
-Tu t'en veux vraiment à ce point... ?
-Oui pardi... La femme à qui tu parles a été détruite par le regret...
-Alors je veux bien t'écouter... Parce que si tu as les regrets de ne pas avoir dit les mots dont tu parles, alors tu as fais de la peine à Zyg. Je veux pas lui faire de peine. Je veux la rendre heureuse, être irréprochable.


Sam de 1458 se tient droite, le menton un peu relevé à la manière de sa semblable de quatre ans plus tard. Sam sourit doucement. Elle a réussi. Son analogue est butée, dans son sens.

-Tu le seras pardi, foy de Samsa. Viens, allons nous rasseoir té.

Et elle l’entraîne vers le rocher qu'elles ont quitté. De dos, l'une a les cheveux bruns et ondulés, en haillons et braies blanches. L'autre a les cheveux mi-brun mi-roux, toujours ondulés, à la même longueur que sa voisine, et trainant une cape noire qui laisse pourtant apercevoir parfois un coin de braies blanches.
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"Un visage est un masque de comédie posé sur la tragédie de l’âme."(Shan Sa)
Samsa
[1462, devinez l'endroit...]

-Assied-toi pardi.

Sam de 1458 s'assoit dans l'herbe pendant que son analogue prend place sur le rocher. De loin, on pourrait croire qu'il y a là une grande philosophe qui donne cours à une jeune étudiante curieuse de tout. A la vérité, la grande philosophe est brisée par la vie, et l'étudiante curieuse craint d'entendre les paroles qui vont naître. Tranquillement, Sam regarde autour d'elle, elle tente de se replonger quatre ans auparavant. Elle a tant rêvé de revenir en arrière, dans ce temps-là, et aujourd'hui, elle peine.

-Alors ? Quels sont ces mots que tu n'as pas dis et que je dois dire ?

Le regard sombre de Sam quitte le paysage et se pose sur sa semblable. Elle ne peut pas lui dire les choses aussi explicitement qu'elle le voudrait. Ce serait trop simple. Mais pour elle, pour Zyg, elle doit avoir les mots.

-Tu sais pardi, la vie ne fonctionne pas comme tu le crois. Ce n'est pas parce que tu ne fais rien de mal, que tu n'embêtes personne, que personne ne viendra t'embêter pardi. La vie est injuste pardi. Et cruelle. Tu n'y pourras jamais rien même si tu essaieras té.

D'un geste de la main, elle lui montre les alentours. Le lac sur lequel sont les pêcheurs, les paysans dans leur champ doré au loin, tout ce petit monde qui s'active au travail ou au plaisir, comme ce jeune couple qui se promène au bord de l'eau.

-Regarde-les pardi. C'est l'été. En hiver, le lac aura gelé, les champs seront vides et durs, les amoureux ne sortiront plus faire de telles balades dans le froid té. Quand l'été sera de retour, les pêcheurs reviendront, les paysans retourneront au travail, le couple aura peut-être un enfant pardi. Ça, c'est le temps qui passe pardi.
Mais en été prochain, peut-être que les pêcheurs seront partis, peut-être que les paysans n'arriveront pas à faire pousser du blé dans leur champ pardi, peut-être que tu verras l'homme ou la femme se balader seul parce que l'hiver aura emporté sa moitié pardi. Ça, c'est la vie té.


Il y a des gens qui sont insensibles aux ordres, aux conseils. Ils sont trop libres et insouciants pour entendre, trop innocents, trop naïfs. Comme Sam de 1458 l'est encore. A quoi bon lui dire "profite de Zyg" ? Cette phrase n'a pas de sens pour elle, elle qui croit que tout est rose, qu'elle est intouchable, que Zyg sera toujours là. Personne n'était mieux placée que Sam pour parler à sa semblable, car elle connaissait les méandres de son esprit. A cette époque, rien ne l'avait jamais touché. Rien, sauf les exemples, la vérité jetée en plein visage.
Elle perçoit son regard interloqué braqué sur elle. Un instant, Sam détourne la tête, l'observe en coin et revient sur elle.


-Zyg n'est pas immortelle pardi. Elle mourra quand tu t'y attendras le moins pardi. Si tu avais été plus attentive à elle, si tu avais su que la vie est fragile, tu lui aurais parlé pardi. Mais tout ce que tu penses aujourd'hui, c'est que vous avez toute la vie, qu'elle sait à quel point elle compte pour toi, alors qu'elle a besoin que tu lui dises pardi ! Elle en a besoin, et toi, tu fermes ta gueule parce que t'as PEUR pardi ! En 1458, t'es qu'une LÂCHE pardi, voilà ce que tu es !

Elle se lève, les yeux noirs et leur petite flamme devient brasier. Elle ne voit plus Sam de 1458 aussi choquée qu'apeurée. Elle ne la voit plus comme une personne à part, elle la voit comme son reflet, son exact reflet de 1458. Elle la voit comme la responsable de ses regrets.

-T'en as rien à foutre de ton image pardi, tu fais et dis que des conneries pour faire rire les gens, mais quand il s'agit de leur dire que tu tiens à eux, t'es JAMAIS là pardi ! La vérité pardi, c'est que ta connerie et ton insouciance, c'est qu'une putain de carapace parce que t'as peur du regard des autres té ! T'oses pas leur dire qu'ils comptent pour toi, et tu sais même pas pourquoi ! Toi, tu sais à peine que tu gâches ton temps, que tu penses qu'à toi, et que t'es une PLEUTRE pardi ! C'est ta faute si Zyg est mo...

Elle s'interrompt soudainement, prenant conscience à quel point elle s'en prend à son analogue. Elle n'est pas là pour lui cracher ses regrets au visage, mais justement pour qu'elle ne les ait pas. Zyg n'est pas morte ici, et même si Sam de 1458 suit à la lettre les recommandations de Sam, Zyg disparaîtra quand même. Ce ne sera pas la faute de Sam de 1458.
Ce ne sera pas la faute de cette jeune femme encore fragile et craintive aux yeux agrandis de terreur et d'incompréhension qui a le bras prêt à se protéger tant la tempête de son aînée est violente. L'aînée qui se force à se calmer, bien qu'une explosion plus totale lui aurait sans doute fait le plus grand bien.


-... J'suis désolée pardi... Je voulais pas être si brutale... C'est pas ta faute si Zyg va mourir pardi... C'est la faute de personne, tu le comprendras, mais tu trouveras un responsable té, parce que t'en auras besoin. Moi aussi j'en ai eu besoin pardi, plus que toi tu n'en auras besoin, parce que je peux pas porter ça toute seule té...

Elle soupire et se laisse asseoir dans l'herbe. Sam de 1458 n'a pas dit un mot, mais son regard est expressif et laisse apercevoir toutes ses pensées et ses émotions. Sam avait toujours été ainsi, que ça soit en 1458 ou en 1462, mais c'était d'autant plus flagrant avant la disparition de Zyg. En l'instant, dans les yeux de sa semblable de 1458, on y lit la curiosité, la pitié, la crainte, fugace, la réflexion, puis finalement le naturel, la gentillesse. Elle s'approche pour s'asseoir près de son aînée brisée.

-J'ai compris ce que tu voulais me dire... Mais tu dois savoir que je ne sais pas comment mettre ce que tu me dis en application. Explique-moi...
-Que te dire d'autre, amie...
Soupire Sam. Dis à Zyg qu'elle compte pour toi, que tu as besoin d'elle dans ta vie pour être heureuse. Pardi, dis-lui qu'elle est la plus belle chose qui te soit arrivé dans la vie. Dis-lui, si tu as la force de savoir que tu lui mens, que rien ne vous séparera jamais, que tu seras toujours là pour la protéger.
-Et toi, pourquoi tu ne veux pas lui dire aujourd'hui, maintenant que tu es ici ?
-Parce qu'elle ne doit pas savoir qu'elle va mourir, elle ne doit pas savoir que je suis ce que je suis parce qu'elle est morte. Mais pardi... Je donnerais dix fois ma vie pour la revoir devant moi, pour revoir son regard, son sourire, entendre sa voix de nouveau té...
-Alors viens, je t'emmène. Tu es une vieille amie, Zyg est notre amie commune. Elle t'aura oublié, mais pas toi. Tu as un surnom en 1462 ?
-Cerbère.
-Pourquoi Cerbère ?
-Parce que je suis comme le chien des Enfers, je veille sur les gens. Et puis j'ai assez damné mon âme pour mériter d'être placée aux Enfers pardi.


Sam de 1458 la regarde. Elle a un regard profond qu'elle a rarement à cette époque, mais c'est preuve de l'importance qu'elle attache au détail.

-Alors tu seras Cerbère. Viens.

Sam la regarde. Elle ne sait pas si elle en est capable. Elle ne sait pas si son coeur va supporter, si ses yeux vont garder le contrôle, si sa langue saura se tenir. Et pour la première fois depuis longtemps, Sam a peur. Pour la première fois depuis longtemps, Sam se sent paralysée par la peur. Sa semblable s'est relevée et lui tend la main avec un petit sourire amical.

-Tu es venue de 1462 pour moi, mais aussi pour Zyg. Je ne veux pas que tu repartes sans la voir. Je veux que quand tu retourneras chez toi, tu ais un souvenir récent d'elle. Plus tard, je serais comme toi. J'aimerais la même chose.

Elle lui sourit et Sam lui rend son sourire doucement. Elle saisit la main tendu dans la sienne enfermée dans son gantelet de fer et se relève. Ensemble, côte à côte, elles avancent et pour Sam, c'est comme marcher vers un champ de bataille redouté depuis toujours, un champ de bataille qu'elle connait pourtant mais qui semble plus terrible cette fois. En face se tiendra celle qu'elle a toujours craint, la seule personne qui puisse, en 1462, la mettre à terre, sa pire ennemie.
Pour Sam, c'est comme marcher vers le champ de bataille de la Solitude dans la guerre qui oppose le Passé et le Présent.
Pour Sam, c'est comme marcher à la rencontre du seul soldat qu'elle craint, contre lequel elle peut perdre le combat, la bataille, la guerre: elle-même.

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"Un visage est un masque de comédie posé sur la tragédie de l’âme."(Shan Sa)
Samsa
[1462, vous ne saurez jamais où...]

Elles avançaient toutes deux sous le grand soleil dans les rues parfois larges, parfois moins. Sam tournait la tête à droite et à gauche pour apprivoiser de nouveau cette ville qu'elle avait quitté quatre ans plus tôt. Au fond, ça n'avait pas tant changé que ça, mais pour la Cerbère, il y avait du changement. La maison aux murs de chaux à l'angle de cette rue avait vieilli, elle était plus grise. L'église avait une nouvelle fissure. Certains pavés avaient été remplacés. Malgré la chaleur, Sam avait sa cotte de maille sous sa chemise, ses cuissards sur ses braies et ses gantelets aux mains. Sous sa chemise étaient même placés les canons d'avant-bras, invisibles si on n'y regardait pas trop. C'était cuire par un si beau jour. La Bordelaise retira ses gantelets et les attacha à sa ceinture. Sur sa main gauche, on pouvait apercevoir une cicatrice sur le dos et la paume. Sam de 1458 porta un regard sur elle puis sur cette main. Elle s'y arrêta un instant et releva ses yeux clairs sur son aînée.

-Tu t'es fais ça à la guerre ?
-Non.
-Accident ?
-Non plus pardi.
-Comment alors ?
-Je me suis scarifiée
répondit Sam sans un regard sur sa semblable, sans une once de remords ou de tristesse dans la voix.

Sam de 1458 la regarda. Personne n'aurait su dire si son regard était choqué ou profondément touché. Jusque-là, peut-être n'avait-elle pas comprit dans son intégralité la souffrance dont lui avait fait part son aînée. Il lui sembla soudain qu'elle aussi souffrait terriblement. Elle n'arrivait pas à déterminer si la venue de son double futur était une bonne chose ou pas. Plus rien ne lui semblait pareil, tout avait changé. Arriverait-elle encore à être la même après cela ? Il le faudrait bien.
La taverne était droit devant et Sam de 1458 la montra du doigt.


-Viens. Les autres sont repartis, ils ont des responsabilités. Zyg et moi, nous n'avons rien, nous sommes libres.

Sam lui sourit. Sans doute, avant de repartir dans son temps, aurait-elle des tas de choses à lui dire. Des mots, des phrases, qui guident dans une vie. Le partage de l'expérience de la vie, de ses échecs et de ses succès. Elle ne pourra pas lui dire dans quel buisson se cache le serpent, mais si la prévenir qu'un serpent est dangereux et qu'il peut vivre dans un buisson, alors ce sera toujours ça de donné.
Sam de 1458 s'arrêta devant la porte et regarda son aînée. Celle-ci acquiesça brièvement. Elle qui avait tant voulu revoir Zyg, elle ne savait maintenant plus si elle était prête. Sam avait perdu des années de vie pure parce qu'elle avait disparu, elle avait tué en son nom. Lui apprendre que vivre sans elle ne serait pas un affront avait mit du temps. Aujourd'hui, elle l'avait intégré, mais ça restait toujours compliqué.
Sam de 1458 poussa la porte. Assise à une table, l'air rêveuse, se trouvait Zyg. C'était une femme un petit peu plus petite que Sam, les cheveux d'ébène en chignon sous une toque rose. Son haut était des haillons, serrés à sa taille par une ceinture de corde rouge. Une jupe rose couvrait ses cuisses, des bas blancs ses jambes et des chausses roses habillaient ses pieds menus. En entendant la porte s'ouvrir, elle tourna la tête vers elles et ses yeux bleus-gris se posèrent sur Sam. La Cerbère eut soudainement la sensation que le temps s'arrêtait.



Dehors, plus rien ne bougeait. "Dehors", n'existait même plus. Sa semblable de 1458 non plus. Il n'y avait plus que Zyg et elle. Tout à coup, la taverne se désintégra en milles particules qui disparurent, laissant place à un fond blanc éclatant. Zyg se leva de sa chaise et s'approcha de Sam, impassible. Elle s'arrêta juste devant elle et son regard semblait interrogatif.


-Toi ma soeur dis-moi pourquoi
La vie continue sans moi.
Dis-moi pourquoi j'étais là
Un jour au mauvais endroit.
Les tavernes, la maison avec toi,
Je n'y retournerai pas;
Ma vie s'est arrêtée là.
Un jour au mauvais endroit.*


Sam la regarde, interloquée. Tout à coup, milles questions se posaient dans sa tête, milles mots voulaient sortir. Non ! Non la vie ne continuait pas sans elle ! La vie, sa vie, s'était arrêtée. Plus rien ne reprendrait comme avant, elle avait perdu une telle part d'elle-même, elle n'avait gagné, en retour, qu'un fardeau si lourd que jamais plus elle ne pourrait connaitre la vie comme elle l'avait connu. Et Zyg ? Et Zyg, que lui était-il arrivé ? Un jour au mauvais endroit de quoi ? Sam n'avait pas été là pour elle, pour la protéger. De quoi ?

-Toi ma soeur dis-moi pourquoi
La vie continue sans moi.
Dis-moi pourquoi j'étais là
Un jour au mauvais endroit.
Les tavernes, la maison avec toi,
Je n'y retournerai pas;
Ma vie s'est arrêtée là.
Un jour au mauvais endroit
répéta Zyg sans qu'un trait de son visage ne bouge.

Et elle alors ? Pourquoi vivait-elle encore ? Pourquoi n'avait-elle pas eut le droit de mourir quand, par deux fois, elle avait tenté ? Pourquoi ? Pourquoi ? Toujours cette même question qui revenait en boucle, qui faisait une boucle. Pour-quoi. Et quand on avait terminé de dire ce mot, il y avait un vide, rien à y répondre. L'impossibilité de changer de sujet, l'incapacité de poser quelque chose derrière. Et on ne pouvait que répéter ce mot. Pourquoi.


-Pourquoi ? POURQUOI ? POURQUOOOIII ? Hurle Sam en tombant à genoux, se recroquevillant en mettant ses mains sur sa tête comme pour faire taire ce mot interminable qui ne cesse de raisonner dans sa tête.



-Cerbère ! Cerbère !

Sam sent des mains la secouer. Elle ouvre les yeux qu'elle maintenait fermés. Recroquevillée au sol en position défensive, elle sent son coeur battre la chamade. Peut-être va-t-il lâcher. Elle se sent trembler mais relève quand même la tête doucement. Elle aperçoit Sam de 1458 la secouer d'un air gravement inquiet. En face, Zyg semble avoir le même ressenti, avec la curiosité en prime. Elle est debout mais n'a pas véritablement approché de Sam. Pourtant, celle-ci est persuadée de l'avoir vu. Persuadée que Zyg lui a parlé. Persuadée qu'elle a crié même. Pourvu que...

-Que s'est-il passé pardi... ?
-Tu t'es mise à trembler et tu t'es mise à terre pour te recroqueviller.
-Je... J'ai dis quelque chose ?
-Non rien. Ça va aller ?
-Oui té... Merci pardi...


Sam se relève avec l'aide de sa semblable et tâche de s'en remettre. Une illusion. Ce n'était qu'une illusion. Rien de tout ce qu'elle a vu n'est arrivé... Mais la Bordelaise avait fini par apprendre que si le contenu des illusions ne se passait pas en réalité, cela ne voulait pas dire que ce qui était dit était faux. Une étrange impression de déjà vu.
Elle sent les muscles trembler au niveau de ses jambes, comme ses mains, mais il faut être forte. Elle expire calmement et se redresse fièrement de toute sa taille. Elle retrouve son air fier et imprenable. Sa cadette sent que c'est le moment de passer à autre la chose. La suite du moins.


-Zygui, tu te souviens de Cerbère ? Tu l'as connu à Cambrai.
-Ah bon ? Je ne m'en rappelle pas... Mais j'ai une tête d'alouette !


Elle fait entendre ce rire si pur. Trop pur, peut-être. Sam se fait violence pour se maîtriser et se contenter de sourire. En ces circonstances, son rire à elle serait bien trop nerveux pour ne pas attirer l'attention.

-Ça me fait plaisir de te revoir pardi...
-Tu es en voyage ?
-Oui pardi. Mais je ne pouvais pas passer sans te voir té...
-C'est gentil ! Pardon si je ne me souviens plus de toi. Pourtant tu me sembles assez... Atypique pour qu'on se souvienne de toi ! Vêtue ainsi et avec cet accent, ces injonctions... D'où ça vient tout ça ?
-D'ici, de là-bas pardi... Mais moi, je ne t'ai jamais oublié pardi.


Sam esquisse un sourire. Il lui semble que Zyg rougit. Peut-être n'est-ce qu'une impression. Zyg lui sourit en retour. Elle n'approchera pas, la Bordelaise le sait. En 1458, sans doute n'aurait-elle pas approché non plus. Mais elle vit en 1462, elle s'est libérée de ses peurs, des autres. D'autres chaînes sont venues la prendre, avec leurs inconvénients, mais celles qu'elle a cassé ne reviendront pas. Alors elle s'approche et étreint Zyg. L'espace d'un instant, elle ferme les yeux. Des larmes coulent de ses yeux, elle sent des sanglots monter en elle. Peut-être en laisse-t-elle échapper quelques-uns, mais personne ne le lui fait remarquer. Sam aimerait rester là, ne jamais détacher ses bras du cou de Zyg, surveiller dans son dos pour la protéger. Tout serait tellement plus simple. Mais la Cerbère sait pertinemment qu'il ne s'agit là que d'un au revoir qu'elle n'a jamais pu faire. Son étreinte se resserre, et Zyg ne dit rien. Peut-être sent-elle que cette rencontre a quelque chose de spécial. Sam sent les mains de Zyg se poser dans son dos pour l'étreindre en retour. Alors plus rien n'existe plus. Le fardeau qu'elle porte depuis quatre ans qui lui paraissent quatre cent, envolé. Envolés les regrets, envolée la colère, la rage, la haine. Envolée la noirceur de son âme, la noirceur de ses yeux. Non plus rien de tout ça n'existe. Sam de 1462 n'existe plus en cet instant, elle est redevenue celle après la mort de Zyg, quand tout ça ne l'avait pas encore détruite, quand son âme était encore blanche, quand elle n'était qu'une jeune femme enfant qui avait peur d'être seule, qui se savait fragile. En l'instant, c'est Zyg qui la protège, et Sam qui s'abandonne.
Depuis combien de temps est-elle là, dans son étreinte ? Elle ne saurait pas le dire. Pourtant, Zyg ne bouge pas. Quelque chose dit à Sam que c'est à elle de faire le pas en arrière. Zyg est partie une fois. Aujourd'hui, c'est à Sam de partir. Une façon d'accepter l'ordre des choses. La Cerbère rassemble son courage. Bien qu'immense dans le quotidien et sur les champs de bataille, il lui semble aujourd'hui dérisoire, pitoyable, négligeable.


-Aller pardi...

Sam imprime chaque sensation, chaque instant, chaque moment contre Zyg, puis se redresse et fait le pas en arrière. Les mains de Zyg ont glissé de son dos quand ses bras ont lâché son cou. Sam lui fait un petit sourire triste en coin. Ses joues sont marquées par les quelques larmes qui ont coulé, ses yeux sont rougis mais l'iris n'est pas moins sombre.

-Il faut que je reparte pardi... La route continue, n'est-ce pas... ?
-Oh déjà ? Tu ne restes pas un peu ?
-Non pardi... Je suis loin d'être arrivée té.
-Où vas-tu ?


Sam lui sourit doucement. Ses yeux brillent, heureux. Ce dialogue avec elle lui paraissait si complice. Il lui semblait que chaque mot avait un sens caché qu'elles seules comprenaient. Peut-être était-ce le cas.

-Je ne sais pas vraiment pardi. Qu'est-on contre le destin té ? Pas grand-chose. Il nous lance, à chaque instant, des défis pardi. C'est à nous de les accepter et de les remporter, car les fuir ne sert à rien pardi. Ça ne mène à rien. Alors j'avance comme je peux pardi.

Zyg lui sourit et Sam croit y percevoir un signe qui dit "tu as compris. Je suis fière de toi". Alors la brune lui offre un sourire en retour, chargé du message "j'ai appris des choses, mais le chemin reste long. J'ai besoin de toi".
Elle se retourne vers sa cadette de 1458 et lui adresse un signe de tête.


-Tu me raccompagne aux portes de la ville pardi ?
- Bien sûr.


Sam sourit doucement à Zyg, imprimant cette image dans sa tête. Revenir en 1458, ce ne sera peut-être pas donné demain. Elle lui adresse, à son tour, un signe de tête.

-Prends soin de toi pardi. On tient à toi té.
-Oui, promis.


Zyg lui sourit. Sam le lui rend une dernière fois comme un au revoir tacite et tourne les talons. Elle gagne la porte sans un regard en arrière. Elle sait qu'elle ne doit pas se retourner, qu'elle doit partir, laisser tout ça derrière elle. Laisser le passé derrière elle. Elle franchit la porte avant sa semblable et s'éloigne. Sam de 1458 la rattrape et marche à ses côtés sans un mot. La Cerbère lève de nouveau les yeux vers le soleil et sourit. Tout lui semble soudain plus léger, plus joyeux. La vie est peut-être plus belle, comme un voile qui s'est levé de ses yeux. On aurait pu se demander même si ses iris ne s'étaient pas éclaircis un peu.

-Merci pardi. Pour ce que tu as fais, de m'avoir permis de dire au revoir à Zyg.
-Ça ne coûtait rien à personne.


Sam pose son regard sur sa semblable et celle-ci lui sourit. La Cerbère lui sourit en retour avant de regarder de nouveau devant elle pour continuer sa marche.

-Et maintenant ?
-Maintenant que tu sais qui tu risques de devenir, j'ai à te dire tout ce que je sais sur la vie pardi. Je veux te donner les armes pour te battre, je veux te donner les règles du jeu, que tu ne les apprennes pas à tes dépends, que tu ne goûtes pas la poussière injustement.
Viens pardi. Marchons.


*= refrain adapté de "Un jour au mauvais endroit" de Calogéro

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"Un visage est un masque de comédie posé sur la tragédie de l’âme."(Shan Sa)
Samsa
[1462, au même endroit...]

Le soleil continuait de briller, imperturbable au-dessus d'elles. Sam usait d'un pas sûr pour progresser dans la ville. Ses arcades sourcilières marquées protégeaient ses yeux sombres de la clarté. Sa cadette fronçait encore un peu les sourcils mais bientôt, elle aurait prit assez de confiance en elle pour avoir ce regard assuré qui nécessitait à peine un pli au visage.
Elles passèrent devant une armurerie et Sam s'arrêta en regardant la devanture. Sam de 1458 l'imita, intriguée. Elle n'eut guère le temps d'interroger son aînée que celle-ci entrait en l'incitant à venir d'un simple "viens pardi".
L'intérieur de la boutique n'était ni trop clair ni trop sombre. En face, à quelques mètres, se tenait un grand homme baraqué qui affûtait une dague. Derrière lui, une ouverture menait à son atelier rougeoyant. On entendait le feu rugir doucement en l'absence de son maître. Sur les murs, des cadres et supports en bois présentaient des armes de toutes catégories et de toutes tailles, ainsi que des protections.
Sam se posta devant le comptoir et le grand homme bourru releva sa face rougie.


-Le saluté pardi. Je voudrais essayer d'équiper cette demoiselle que voilà té expliqua-t-elle en présentant Sam de 1458, soudainement surprise. Celle-ci n'eut pas le temps de répliquer que Sam de 1462 la fit taire d'un geste impérieux.

L'homme étendit sa main large comme une assiette plate et désigna la boutique. Il n'y avait qu'à se servir. Sam fit un signe de tête pour le remercier et se dirigea vers un présentoir de dagues. Elle saisit une dague et deux couteaux plus petits et les tendit à sa cadette.


-Trois valeurs dans la vie pour dépecer les problèmes pardi: la plus importante, le courage. Ce sera ta dague pardi. Puis l'altruisme et l'honneur. Si tu perds une de ces trois armes, tu seras ou pleutre, ou cruelle ou victime pardi.

Sam de 1458 commençait à comprendre ce que son aînée voulait faire, mais elle restait là, imbécile avec ses trois armes en main. La Cerbère dénicha, sous le présentoir, des ceintures et des fourreaux. Elle lui confectionna le tout et l'attacha à la taille de son analogue qui rangea maladroitement les armes. Puis la Bordelaise l'amena vers les cottes de maille. Elle en saisit une et la fit enfiler à Sam de 1458.

-Ça pardi, c'est quelque chose que tu ne dois jamais quitter té. C'est la liberté. Tant que tu l'as pardi, tu peux courir dans les flammes, affronter un ours ou une armée à mains nues pardi: ça n'empêchera peut-être pas le fait que tu y resteras, mais tu peux au moins y aller sans te poser de questions té.

Elle saisit ensuite des gantelets de fer. Ils n'étaient pas exactement comme les siens mais ces derniers avaient été fait sur mesure par la Bordelaise. Elle les tendit à sa cadette qui les enfila sans rechigner.

-L'intelligence pardi. Tu n'es pas imbécile té, tu es une personne intelligente, et très rusée pardi. Tout ce que tu dois toucher, tu dois en user avec intelligence pardi. Si tu prends ton couteau de l'altruisme, sache l'utiliser pardi. Pareil pour les autres. Quoique tu touches, prenne ou utilise pardi, retiens bien: toujours avec intelligence.

L'intelligence. Une valeur nouvelle pour celle qui, des années durant, serait l'unique cultivatrice de Bêtises du Royaume de France. Auto-proclamée bien sûr. Un métier qui ne demandait qu'à jouer l'imbécile et à faire rire. Alors forcément, l'intelligence...
Sam dénicha deux cuissardes et s'agenouilla pour les fixer sur les cuisses de Sam de 1458. Elle leva les yeux en serrant les sangles.


-Avance toujours sur une base honnête pardi. Tu n'as rien à craindre, tu es libre et tu as le courage comme dague té. Tu n'as pas besoin du mensonge que tu crois être une stratégie, mais qui n'est, en réalité, que de la rouille pardi.

Sam de 1458 hocha la tête. Quand son aînée l'amena vers un autre présentoir, elle la suivit maladroitement. Il fallait avouer que l'armure, les armes, ce n'était pas vraiment son fort. Pas du tout, en fait. Un poids sur les épaules, des trucs aux cuisses et une ceinture -pas trop encombrante celle-là, avouons-le-, c'était compliqué de marcher avec.
Sam retira une épée bâtarde de son support et la brandit pointe vers le haut pour la montrer à son analogue.


-Voici ta meilleure arme pardi. Sans elle, tu es perdue, il est inutile que tu ailles quelque part, que tu parles à quelqu'un té. Elle fait ta valeur, et sans elle, tu n'es rien ni personne pardi. Tu dois la mettre au service des autres, toujours; si tu la sors de son fourreau, c'est pour servir la cause de la loyauté, parce que cette épée, c'est la loyauté pardi. Compris ?
-Oui.


Sam noua une seconde ceinture autour de la taille de sa cadette et glissa l'épée dans un porte-épée qui laissait la lame à nue. Elle attrapa ensuite, non loin, un grand écu et lui tendit. Sam de 1458 le prit en l'examinant.

-Ta meilleure défense dans le combat face à la vie pardi: le néant.
-Le néant ?
-Le néant pardi.
-Comment ça ?
-Si tu n'as rien, alors tu n'as rien à perdre pardi. Si tu n'as rien à perdre, alors tu pourras vivre ta vie comme tu l'entends pardi, en confiance avec ta liberté et tes valeurs. Ceux que tu aimes pardi, tu les sais acquis parce que tu es loyale. Tu ne les perdras pas té. Tu ne perdras que ceux que tu oublieras ou trahira pardi.
-Je trahirai moi ?
S'indigna Sam de 1458.

Sam lui sourit. Elle n'avait pas changé à ce propos. Un être loyal qui préférait mourir que trahir une fois qu'elle avait soigneusement choisi son camp dans les conflits. Dans les guerres, peut importait si son choix était celui du plus faible, elle y allait avec la même hargne.


-Non pardi. Tu ne trahiras pas. Tu n'auras donc rien à perdre, rien à craindre quand tu marcheras té. Personne ne t'effraiera pardi, et plus la personne sera imposante par ce qu'elle est ou la place qu'elle occupe, plus tu mettras de hargne à vaincre té.
-Vraiment ?
-Vraiment pardi. Et l'entêtement que tu... Que nous avons naturellement se joindra à la fierté que tu acquerras plus tard té. Rien ne te fera renoncer pardi, sauf la raison. Parfois.
Mais n'oublie pas qu'il y a quelqu'un qui peut te mettre par terre juste en soufflant té. Tu prendras conscience de sa force plus tard. Pour l'instant, tu es en paix avec elle pardi. Profites-en pardi. Tu la vois uniquement comme ta meilleure amie mais, plus tard, tu découvriras qu'elle peut aussi être ta pire ennemie pardi.
-Qui ?
-Toi.


Elles se regardèrent un instant, graves, l'une prenant conscience peu à peu de son existence, de ce qu'elle était, l'autre se rappelant son existence et de ce qu'elle était.
En silence, la Cerbère commença à libérer son analogue de son équipement et le rangea. Visiblement, le maître des lieux n'en avait rien eut à faire, occupant son temps en affûtant sa création, relevant de temps à autre un oeil gris vers les deux femmes, observant leurs gestes, le respect de la marchandise, se demandant s'il allait vraiment faire une affaire en vendant autant d'un coup. Il avait fini par comprendre que non et avait reprit sa tâche.


-En route pardi.
-Où allons-nous ?
-Hé bien vers les portes de la ville pardi
répondit Sam en sortant après avoir salué l'armurier d'un bref signe de tête.
-Pouquoi ?

Sam lui sourit gentiment et désigna la ville autour d'un grand geste de la main.

-Profite pardi... Profite...

A son âge, à cette époque, il n'y aurait eut que cela à faire. Profiter, prendre conscience que le lendemain pouvait ne jamais venir, savoir qu'un jour, il y aurait un tournant. Et personne ne l'avait fait.
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"Un visage est un masque de comédie posé sur la tragédie de l’âme."(Shan Sa)
Samsa
[1462, toujours dans le même rêve...]


"Tu as juste besoin de lumière lorsque ça brûle un peu."*

Lentement mais sûrement, le soleil déclinait au-dessus d'elles et déjà, on pouvait s'abriter à un peu d'ombre en longeant les murs dans les rues. Les rayons ne chauffaient plus la cotte de maille sous la chemise de Sam et celle-ci avait presque d'ailleurs un frisson dû à la fraîcheur de l'air. Sa cadette, elle, ne semblait rien ressentir malgré qu'elle soit bien moins habillée.

"Il manque juste un peu de soleil lorsqu’il commence à neiger."*

Bientôt, oui, il y aura dans le ciel de petits flocons blancs qu'on appelait étoiles. Bientôt, le ciel sera gris et laissera tomber ces petits flocons blancs qui seront froids et qui fondront à la moindre source de chaleur. Bientôt, on s'amusera avec des boules de neige et, malgré l'absence majoritaire du soleil, on oubliera le froid, parce qu'on pourra jouer avec les étoiles.

"Tu sais que tu l’aimes juste quand tu dois la laisser partir."*

Pourquoi ? Pourquoi la nature humaine était-elle fait de cette sorte ? Ils n'étaient, en vérité, tous qu'une pâte d'ignorance et de naïveté, malléable à souhait. Les Hommes pouvaient fusionner entre eux tant que la pâte était encore fraîche. Mais dès que la vie se chargeait de les séparer, cette pâte durcissait. Parfois pas assez et la pâte souffrait chaque fois de ne pas retenir la leçon. Parfois trop, et elle se brisait, tout simplement...

"Tu es uniquement défoncée lorsque tu te sens mal."*

Evidemment. Les choses marchaient comme ça. C'est quand le soldat est blessé et agressé qu'il oublie la douleur et devient fou. Les fous n'étaient d'ailleurs, en vérité, que des gens blessés. Sam se demandait ce que donnerait un Homme défoncé lorsqu'il se sent bien. Elle n'avait jamais trouvé de réponse. Comme à beaucoup de question. Peut-être avait-elle un bout de pâte encore humide d'ignorance. Et pourtant, c'est étrange comme ceux qui reviennent de loin ont l'impression de tout connaitre et d'avoir tout vu. C'était peut-être une manière de se protéger...

"Tu détestes la route uniquement lorsque ton foyer te manque."*

N'était-ce pas le principe de l'être humain ? Détester lorsqu'il n'aime pas. Détester ce qu'il ne connait pas, même. Détester un Très-Haut en lequel on a jamais cru, Sam l'avait fait. Détester le présent parce que le passé lui manquait, elle l'avait fait aussi. Et aujourd'hui, dans ce passé, il lui semblait pourtant que le présent lui manquait. Ici, ce n'était pas son monde. Il y avait déjà quelqu'un à sa place, sa place dans laquelle elle n'aurait jamais pu rentrer, de toutes manières. La pâte a été modelé.

"Tu sais que tu l’aimes juste quand tu dois la laisser partir... Et tu la laisses partir."*

Avait-elle eut le choix ? Oui... Peut-être... Peut-être Sam avait-elle laissé partir Zyg. Imaginait-elle alors pouvoir se passer d'elle ? Sans doute. Mais elle n'avait pas eut toutes les données en main, et ça avait tout simplement foiré, et tout avait volé en éclats. Au fond, peut-être que tout cela suivait une logique qui n'était pas donnée de comprendre. Pas tout de suite après la chute en tout cas. L'Homme était sans doute mal fait, dès le départ. Mais il avait apparemment un noyau central qui lui dictait l'instinct de survie. Celui de Sam lui disait de croire qu'on lui avait prit Zyg. Envisager le contraire, le fait qu'elle l'ait laissé partir, c'était, à coup sûr, le poids de trop sur les épaules, c'était avoir enfin raison d'elle, c'était le coup fatal.

"En fixant le fond de ton verre, tu espères qu’un jour tu vas faire durer tes rêves. Mais les rêves mettent du temps à se réaliser pour vite s’envoler."*

Pourquoi ? Encore cette question cyclique. C'était comme user de la clé pour faire démarrer un moteur de voiture qui ne voulait pas démarrer. On avait beau s'évertuer, "aller démaaaaarre !", ça ne faisait rien de plus que de faire du bruit. Mais rien d'autre ne sortait. Rien d'autre ne venait. Et pourtant, on continuait. On se dit que ça va venir. Puis on a peur, peur de ne pas réussir. On s'agace, peut-être. On finit par ouvrir le capot, chercher la solution. Mais la vérité, c'est que l'Homme est une pâte d'ignorance de nature, quoique la vie en faite. On y connait rien. On essaie peut-être de bidouiller un peu, on ferme le capot et... On réessaie. On espère. On pourrait continuer des heures, parce qu'on espère. Et trop souvent, nos espoirs sont vains et déçus.
Le moteur était foutu après avoir économiser des années. Les rêves s'étaient envolés après les avoir espéré durant des années. Et plus jamais ils ne reviendraient.

"Tu la vois quand tu fermes les yeux. Peut être qu’un jour tu comprendras pourquoi tout ce que tu touches meurt forcément."

Oui... Elle l'avait tant vu dans le noir, quand elle fermait les yeux. Elle avait tant cru que la réalité n'était qu'un mauvais rêve, et que le doux rêve était la réalité. Elle aurait voulu que tout ça s'échange. Elle aurait voulu comprendre pourquoi Zyg s'en était allée, pourquoi elle était aujourd'hui seule face à ce passé, à ces regrets, à ces fardeaux. Elle aurait voulu comprendre pourquoi elle n'avait jamais eut le droit d'aller la rejoindre, pourquoi la Mort n'avait jamais voulu d'elle. Elle aurait voulu comprendre pourquoi tant d'amis avaient rejoint Zyg, pourquoi le temps les avait emporté... Et pas elle.

"Tu regardes le plafond dans le noir; tu as toujours la même sensation de vide dans ton cœur car l’amour met du temps à arriver et repart bien trop vite."*

Elle ne l'avait jamais cherché. Elle l'avait même repoussé, et la gifle de retour avait été violente. Peut-être était-ce pour cela que Sam s'autorisait aujourd'hui les flirts, innocents pour la plupart. Les regrets étaient devenus ses pires ennemis, et elle s'était jurée de ne plus jamais en avoir. Elle avait réussi, et réussissait encore, mais la marque de la gifle était là, le vide dans son coeur était là aussi, et il y resterait. Seul le noir et les rêves parvenaient parfois à le combler un peu. Ce n'était pourtant que du vent qui passait et s'en allait... Mais c'était lorsque le vent passait qu'on l'entendait siffler, et qu'on se rendait compte comme le vide était bien là, présent.

"Et tu la vois quand tu t’endors, mais jamais tu ne la touches, jamais tu ne la gardes car tu l’as tellement aimée, tu as plongé trop profondément."*

La réponse était peut-être là. Sam l'avait tout simplement trop aimé. Elle l'avait aimé comme une personne, comme une amie, comme une colocataire, comme une soeur, puis enfin comme amoureuse. Elle l'avait aimé comme le petit oiseau perdu qu'elle avait été. Peut-être, en réalité, n'y avait-il pas assez de termes. Zyg avait été la seule à recevoir les cadeaux et les promesses de Sam; cette dernière lui avait tout donné, son coeur entier. Et Zyg était partie avec... Et Sam ne lui avait pas reprit... Il avait fallu attendre que le temps fasse réapparaître des petits bouts de coeur pour pouvoir en redonner. Et malgré tout, Sam savait qu'une nouvelle perte importante telle que l'une de ses moitiés, ses filles ou Maria, serait tout aussi terrible. Parce que la Bordelaise était faite de cette pâte étrange qui apprend qu'aimer peut mettre à terre, le comprend, mais recommence.



-Sam ?

Sam redressa la tête, sortant soudainement de ses pensées. Elle posa son regard sur sa voisine. En arrivant ici, elle s'était vu comme une étrangère. Une personne morte, qui n'existait plus. Mais à présent, elle sentait que cette jeune femme à ses côtés avait été elle, et que tout n'avait pas été détruit.

-Oui pardi ?
-Pourquoi tu ne profites pas de la ville, toi aussi ? Moi je la connais, je la vois tous les jours tu sais.
-Je sais pardi... Mais il y a parfois des choses difficiles à faire té. Chinon changera, mais tu y reviendras. Tu voudras revoir cette maison dans laquelle tu as vécu avec Zyg, mais chaque fois que tu seras devant, ce sera toujours une douleur intense, et tu t'en iras peu après pardi. Tu es attirée mais ça te repousse té.
-Tu souffres en revoyant cette Chinon ?


Sam conserva un instant de silence en observant les murs, les fenêtres sur lesquelles du linge séchait, les pavés gris et encore un peu chauds, les étals qui se fermaient, les tavernes d'où sortaient les rires gras de la patrouille ou les engueulades en tout genre, toute cette vie qui, lentement, se préparait à passer la nuit, qu'elle soit éveillée ou pas.

-Je ne sais pas pardi. J'ai longtemps rêvé de revenir en ce temps-là pardi. Mais ça ne se passait pas de cette manière. Je n'ai pas ma place ici, telle que je suis té. Mais toi, tu es là pardi. C'est ta place jusqu'à ce que la vie en décide autrement pardi. Garde-la bien en attendant et sois-en fière té. Peu importe le présent que tu auras pardi: tu auras toujours ta place. Tu en convoiteras d'autre, par ambition, fierté, chagrin, colère pardi. C'est important pour avancer té. Mais sache toujours reconnaître une place que tu peux avoir, qui te rendra fière et heureuse, et celle que tu n'auras jamais parce qu'elle ne te correspond pas, ou plus pardi.

Sam sourit à sa cadette qui, après un instant de réflexion, le lui rendit. Peut-être ne comprenait-elle pas maintenant, mais plus tard, elle se souviendrait et saurait où est sa place.

-Tu ne veux pas rester alors ?
-Je ne le peux ni ne le veux pardi...


On apercevait déjà les deux tours de guets qui flanquaient une des portes de la ville. Dans une dizaine de minutes tout au plus, elles seront là, en face à face, avec un regard nouveau porté l'une sur l'autre. Puis chacune reprendrait sa vie. Désormais, le passé n'était plus aussi tentant que le présent. Tout avait remis à zéro avec l'inconscience de 1458 brisée, et le partage du savoir et du fardeau transmis pour une part. Elles seraient toutes les deux face à face, aussi brisée l'une que l'autre.


*=refrain et couplets de "Let her go" de Passenger

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"Un visage est un masque de comédie posé sur la tragédie de l’âme."(Shan Sa)
Samsa
[1462, toujours pareil...]

Sam regardait les hautes murailles qui se dessinaient lentement au loin. Elle ne savait plus si c'était elle qui approchait ou si c'était ces fières remparts. Comment ça se passait, dans un rêve ? Le temps et l'espace avaient-ils le même rapport ? Elle n'avançait peut-être pas. Elle avait soudainement l'impression que son cerveau se mettait à émettre de l'énergie qui lui faisait douter de tout. C'était ridicule.
Les portes furent atteintes et la Cerbère se retourna vers sa cadette. Celle-ci la regardait avec un air si peiné que Sam ne sut rester aussi impassible qu'elle l'aurait voulu. Avec un air définitif, elle posa ses mains sur les épaules encore frêle de son analogue.


-Reste s'il te plait... J'ai besoin de toi...
-Non pardi, tu n'as pas besoin de moi té, parce que je suis toi.
-Mais tu as encore tant à me dire, à m'apprendre !
-Oui pardi... Tu as encore beaucoup de choses à apprendre, mais ce n'est pas à moi de te l'inculquer pardi... Tu es un papillon sortant de son cocon pardi, tes ailes sont faibles. Tu ne pourras voler que si tu fais l'effort de le briser. Si je le casse à ta place pardi, tu ne sauras jamais voler.
-S'il te plait, parle-moi encore...


La Bordelaise plongea son regard sombre dans celui plus clair de sa cadette. Elle apposa son front au sien, solennelle, et prit son visage entre ses mains. C'était là, c'était maintenant, c'était ses dernières paroles, celles qui marqueraient son esprit. C'était les siennes.

-Fais-toi confiance pardi. Fais-moi confiance. Avant je traçais mon chemin pour moi, mais maintenant tu es là pardi. Fais-moi confiance té; je ferais le meilleur chemin pour moi, mais aussi pour toi. Pour nous.
Tu feras des grandes choses quand t'auras trouvé lesquelles, t'as pas écrit l'histoire mais tu la connais quand même*.


Sam lui tapota les épaules et s'écarta, observant cette jeunotte qu'elle avait été. Elle se sentait profondément peinée. Elle était si innocente, quatre ans plus tôt... Si fragile, si naïve. Pourquoi avait-il fallu que la vie la brise de la sorte, si vite ? En face d'elle se trouvait celle qu'elle avait jadis été. Elle voyait, en face d'elle, à la fois un reflet de miroir, et à la fois une personne qu'elle connaissait mieux que personne et qu'elle voulait aider, protéger. Une seconde Zyg qui avait ses traits.

-Sam je... Je voulais te dire... Je suis fière de ce que tu es devenue. Tu m'as raconté ce que tu avais vécu et je...
-Tu ne sais pas tout pardi...
-... Et je sais que tu as fais de ton mieux pour t'en sortir. Je ne sais peut-être pas tout ce que tu as traversé, mais je te vois aujourd'hui devant moi, et je suis fière de celle que je vois. Je suis fière de qui tu es, de ce que tu es devenue, et de ce que je deviendrai. Je n'ai pas peur en l'avenir, parce que je sais que tu seras toujours avec moi, que tu veilleras sur moi.


Sam avait longtemps pleuré. Elle s'était souvent demandé comment ses amies avaient pu la supporter lorsqu'elle se lamentait encore. Elle s'était peu à peu endurcie et n'avait plus jamais pleurer. Mais cette journée semblait décidée à briser cette coque et à rendre à ses yeux une fonction oubliée. Le regard humide, le sourire tendre, la Bordelaise prit son analogue dans ses bras pour l'étreindre.

-Je veillerai toujours sur toi pardi... Courage, honneur, altruisme. Il te reste du temps pour profiter de tout ce que tu connais encore pardi. Fonce té.

Elle tenta de se reculer mais Sam de 1458 la retint contre elle. Sam n'était que peu habituée à des démonstrations d'affections si tendres et profondes, mais n'en était pas moins émue. Il n'y avait que Zephyre qui en faisait montre. Mais c'était chaque fois un moment de bien-être pour la Cerbère, un moment où elle se sentait comme humaine, et non comme une soldate de la vie intouchable.

-Sam... Laisse-moi partir pardi...

Sans un mot, la jeune Sam finit par la relâcher et par faire un pas en arrière, essuyant fugacement les larmes sur ses joues sans parvenir à effacer les traces sur sa peau encore douce et claire, pas encore léchée par le soleil, le sel marin et le vent de l'océan. Sam lui sourit doucement, ignorant la goutte qui roulait sur sa joue. Elle caressa tendrement celle de sa cadette, qui posa sa main sur la sienne avec un sourire. La Bordelaise comprit alors que quelque chose d'indéfectible les liait.
Non, cette Sam de 1458 n'était pas morte. Non, elle n'avait pas disparu. Elle était là, vivante. Son coeur battait au rythme du sien, sa respiration allait à la même mesure que la sienne, et si les yeux de son analogue de 1458 n'avaient pas encore toutes les subtilités des siens, leurs étincelles étaient sans doute celles qui allumaient la flamme si caractéristique du regard de la Cerbère. Et Cerbère ne voulait pas partir. Elle ne voulait pas s'en aller, laisser cette semblable seule. Elle voulait parcourir le chemin avec elle, parce qu'avec elle, elle se sentait complète.
Il fallait désormais comprendre que cette jeune Sam faisait partie d'elle, de son passé, comme Zyg. Ce passé qu'elle avait toujours eut en elle. Il fallait juste ouvrir les yeux, et voir le reste.


-Merci pardi... Tu m'as rendu la vie...

Sa main glissa de la joue amie. L'ultime sourire, l'ultime regard, et elle tourne les talons. Elle ignore si elle reverra jamais cette elle qui lui a tout rendu. Elle a pu revoir Zyg.

Un pas, deux pas, trois pas. Elle est sous la grande porte.

Oui, elle a revu Zyg, sa tendre amie, son amour secret. Elle a pu, à sa manière, lui faire cet au revoir qu'elle n'a jamais pu faire, elle qui avait tant parlé sur sa tombe. Elle avait tant supplié de la revoir, elle s'était tant excusée... Elle n'avait pas pu supporter cette perte seule. Elle avait accusé le Très-Haut de cette perte, elle l'avait haït comme personne, elle avait lorgné le côté obscur du Diable sans jamais y tomber, préférant les ténèbres, préférant ne jamais plus avoir une entité au-dessus de la tête. Elle avait cru pouvoir se libérer de ces chaînes. Peut-être les avait-elle simplement oublié.

Quatre pas, cinq pas, six pas. Elle est hors de la ville. Elle s'arrête, hésite un instant et se retourne. Sa cadette est toujours là, et la Brune devine les larmes qui se mêlent à son sourire. Elle lève le poing vers le ciel et lance d'une voix puissante:


-Conquérante ! Cerbère veille !

Elle voit le poing de la jeune Sam se lever en retour, fier, et entend un "pardi !" profond en réponse à ses derniers mots. Sam sourit. Elle su qu'elle avait éveillé une combattante que rien ne fera flancher, une combattante qui se relèvera toujours de ses mauvaises chutes. Elle su, en voyant ce poing brandi, qu'elle avait éveillé quelque chose d'important. Quelque chose dont elle avait trop manqué, qu'elle avait perdu, quelque chose que cette jeunotte ne lui avait pas rendu, mais qui la poussait tout du moins à continuer d'avancer. Elle su, en voyant cette combattante brandir son envie de vivre, que rien ne la vaincrait jamais. Oui. Elle aussi, elle était fière de ce que son analogue était devenue aujourd'hui.
Une fois encore, elle tourne les talons. Elle emprunte le chemin de terre. Elle ne se retournera plus, elle s'en va. Elle ignore où elle va, mais elle marche.


-J'ai quelqu'un à te présenter. Enfin tu la connais déjà.

La Cerbère s'arrête et tourne la tête sur sa gauche. Le jeune homme blond et pas très bien godillé qu'elle avait croisé à son arrivée est appuyé contre un arbre. Cette fois, Sam est bien décidée à ne pas le laisser filer avant d'avoir eut des réponses à ses questions. Toujours cette même quête.

-Qui es-tu pardi ?
-Ca n'a pas d'importance.
-Ça en a pour moi.
-Non. Tu veux seulement savoir. Mais le savoir ne te servira à rien.
-A savoir si je peux te faire confiance pardi.
-Je suis le seul avec toi -et ton analogue- à savoir que tu es ici. Alors, tu me fais confiance ?
-Non.
-Dommage.


Sam hausse les sourcils. Il n'en avait visiblement rien à faire. Elle lui aurait presque collé l'étiquette "arrogant", mais déjà il s'éloigne.

-Hé où tu vas pardi !
-Je t'ai dis que j'avais quelqu'un à te présenter, même si tu la connais déjà. Alors je te guide à elle.
-Et si je ne veux pas te suivre té ?
-Tu me suivras, et tu le sais.


Elle n'aurait pas été dans un rêve, elle aurait su tous les tenants et les aboutissants, elle ne l'aurait jamais suivit, simplement pour le contredire. Mais elle est dans un monde qui n'est pas le sien, elle ne sait pas qui il est, elle ne sait pas ce qu'elle fait réellement ici et, plus que tout, elle crève simplement de curiosité.
Evidemment qu'elle le suit. Ils contournent quelques arbres et fourrés, s'enfoncent suffisamment dans le petit bois qui borde le chemin pour être à l'abri des regards et ne pas être entendus. Enfin, il s'arrête et se tourne un peu vers elle, posant son regard gris sur elle.


-Prête ?
-J'ai le choix pardi ?
-Non, je sais que tu l'es.
-Alors pourquoi tu demandes, té.
-Pour te l'annoncer.


Il étend sa main vers un arbre plus loin. Une femme apparaît de derrière. Sam met un instant à distinguer la silhouette un peu enrobée et molle qui approche d'un pas calme et mesuré. Vêtue d'une chemise de nuit de lin grossier, Sam déglutit, pressentant soudainement qui elle est. Elle distingue enfin son visage, un peu interrogatif. La Cerbère rentre le menton et fait un pas en arrière. Elle ne veut pas voir cette femme... Elle ne veut pas voir cette femme qu'elle a connu il y a deux ans, l'espace d'une nuit sanglante... Elle ne veut pas voir cette femme qu'elle a torturé jusque dans sa mise à mort. Une mise à mort qu'elle avait elle-même exécuté...

*= extrait du refrain de "Fais les backs" de Casseurs Flowters

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"Un visage est un masque de comédie posé sur la tragédie de l’âme."(Shan Sa)
Samsa
[1462, dans un... Cauchemar ?...]

-Approche...

La femme l'enjoint à approcher, mais Sam fait un pas de plus en arrière. Son regard hésite entre la méfiance et la peur. Elle a peur de cette femme qui se trouve face à elle, elle a peur de ce démon. Son démon. Elle jette un coup d'oeil à l'homme qui la regarde, impassible. Elle lui en veut profondément. Son attention est attirée par la femme qui a fait un pas en avant. Sam met un pied en arrière, prête à reculer encore.

-Tu te souviens de moi, n'est-ce pas.

Sam ne répond pas. Elle ne comprend pas. Pourquoi cette femme la connait ? En 1458, il faudrait encore attendre deux ans avant qu'elles ne connaissent le face à face mortel. Pourquoi la connait-elle ? Nouveau regard à l'homme qui daigne enfin intervenir.

-Elle n'est pas vivante. C'est un peu son fantôme, si tu veux.
-Pourquoi est-elle là pardi...
-C'est toi qui est là.


Sam a peur. Elle sent son coeur battre, et ses yeux lancent des éclairs. Elle n'a que ce bouclier contre la peur, l'agressivité, l'attaque. Mais la femme fait un pas de plus en avant. Immédiatement, Sam en fait un en arrière, précipité. Mais l'entité continue.

-Tu sais qui je suis.
-Et alors...
-Qui suis-je ?


La Bordelaise garde le silence un instant. Envisager de dire son nom la calme, mais la fait souffrir d'un sentiment de honte si profond qu'elle ne peut que détourner la tête. Autour d'elle, il n'y a plus que silence. Le temps semble suspendu à ses lèvres, à ce nom qu'elle va dire. Un nom qu'elle finit par prononcer.

-Tu es Laurelle...*

Laurelle.
Laurelle était une femme des campagnes, plutôt lourde et molle. Ses cheveux étaient blonds, coupés courts pour suivre les règles du couvent dans lequel elle vivait, jusqu'en 1460. Jusqu'à ce que Sam s'y infiltre une nuit dans un but meurtrier. Elle avait, cette nuit-là, prise Laurelle en otage. Elles ne se connaissaient pas. La pauvre nonne n'avait été qu'une proie malheureuse, prise au hasard. Sam l'avait détenu, elle l'avait accusé de ses maux, elle avait traité Laurelle en messagère du Très-Haut. En Très-Haut tout court. Elle l'avait torturé, mentalement et physiquement, jusque dans sa mise à mort, égorgée, la laissant se vider de son sang.
Il était difficile de dire si Sam regrettait son geste. Elle avait agit sur un coup de tête et avait touché le fond, cette nuit-là. Cela lui avait permit de rebondir... De rebondir sur un cadavre innocent... Elle était depuis hantée par ce souvenir, par cette Laurelle. Aujourd'hui en face d'elle.


-Je sais ce que tu as en toi. Ne t'inquiète pas. J'ai compris, de Là-Haut, ce qui m'était arrivée cette nuit-là. Je sais que les mots te font mal. Mais sache que je te pardonne. Je ne t'en veux pas. J'ai compris ton état de douleur. Tu n'as cherché qu'à... Survivre.
-Je n'avais pas le droit de sacrifier une vie pour la mienne pardi...
-Les Hommes ont, pour vivre ensemble, mis en place des règles. Des valeurs. Des lois. Des lois d'Hommes. Mais la Nature, que le Très-Haut a créé, a donné aux Hommes des règles et des lois différentes. C'est la société qui a dicté à l'Homme des valeurs.
-Que veux-tu dire pardi... ?
-Je veux dire que tu es un être humain. Tu es née avec la capacité de ressentir des émotions. Mais tu n'es pas née avec des valeurs. La paix. L'altruisme. La loyauté. C'est la vie en communauté qui te les a apprise, guidée par un désir d'ordre et de tranquillité, pour faciliter la reproduction. Mais les Hommes, oeuvres du Très-Haut, ont bâti leurs lois sur celles de la nature. Quand ils sombrent, ils retrouvent leurs plus bas instincts. Dont la survie, à tout prix.
Tu avais touché ce fond, et tes instincts naturels t'ont permit de ne pas mourir.

-Mais toi...
-Je me suis engagée à servir le Très-Haut. Il a voulu que je Le rejoigne pour te permettre de vivre. J'étais le sacrifice pour ta vie.
-Je vois pas pourquoi pardi.
-Moi non plus, mais le fait est là, et raison il y a.


Sam l'observa. Elle n'avait plus peur mais elle continuait d'avoir le regard dur malgré que son coeur ne ressente que la honte et l'incompréhension. Pourquoi Sam devait-elle avancer sur des cadavres ? Pourquoi refusait-on obstinément sa mort ? Elle voulait protéger les gens, les sauver, même si faire la guerre et tuer lui plaisait. Elle ne voulait plus tuer comme elle l'avait fait cette nuit-là, sans but, injustement. Elle ne voulait pas qu'on tombe pour elle. Qu'attendait-on d'elle ?

-Je L'ai renié depuis la mort de Zyg, je Lui ai fais les pires affronts pardi. Il n'y a aucune raison qu'Il veuille me sauver.
-L'Homme est voué au péché. Si son repenti est sincère, alors le Très-Haut pardo...
-Je ne veux pas de Son pardon pardi. Il ne me servirait à rien et je ne Le mérite pas té.
-Le Sien, non; effectivement, il ne te servirait à rien car tu t'es enfoncée trop loin dans l'ombre pour vouloir retrouver la pleine lumière. Mais en brisant tes chaines, tu t'es retrouvée seule face à toi-même. Personne ne peut t'accorder le pardon. Sauf toi.


La Cerbère détourna la tête de nouveau. Oui, elle avait brisé ses chaînes, elle avait choisi de se retrouver seule et de ne s'en prendre qu'à soi-même en cas de problèmes plutôt qu'à une entité, plutôt que de se sentir manipulée. Mais elle ne savait pas vraiment sur quel compte elle avait mit ses actes. Elle releva la tête vers Laurelle et s'approcha. Elle étreignit la femme, d'une dizaine d'année son aînée, et posa sa main sur ses cheveux blonds.

-Me pardonner ne me servirait à rien pardi. Je n'ai besoin que de ton pardon, té. Ton pardon pour avoir prit ta vie injustement et d'une manière tout à fait ignoble.

Lentement, Laurelle posa une main sur la tête de Sam et caressa sa chevelure ondulée. On aurait presque dit ces instants où Sam se réfugiait contre Maria -une nonne, bien en vie celle-ci- qui la berçait alors avec tendresse.

-Tu l'as... Je te pardonne ma mort et tout ce qui l'a précédé. Puisse le Très-Haut te préserver d'une nouvelle chute comme celle que tu as connu.
-Puisse-t-Il pardi...


Sam relâcha Laurelle qui fit de même. Un instant, elle observa son visage qui émit un petit sourire. Lentement, Sam lui sourit. Elle n'avait pas moins honte de ses actes mais il lui semblait que son coeur était plus léger. Il lui semblait qu'elle allait mieux. Mieux que jamais. Ensemble, les deux femmes tournèrent leur visage vers l'homme blond qui leur sourit, se retira de l'arbre contre lequel il était appuyé machinalement et s'avança vers elles.

-Laurelle va pouvoir retourner d'où elle vient, un endroit de paix.
-J'espère au moins qu'elle se plait dans l'endroit où je l'ai envoyé té...
-Oui, je suis auprès du Très-Haut et de Christos. Il m'avait assuré d'une place à mon nom dans un rêve, la nuit même où tu es venue.
-J'en suis soulagée alors... Et pour moi pardi ?
Demanda Sam en se tournant vers le Blond.
-Marchons. Nous avons à parler.

Sam acquiesça et regarda longuement Laurelle. Il y avait trop de mots à lui dire, et rien ne lui venait. Il fallait faire un choix parmi tous ces mots qui se heurtaient en elle, un choix pour que le maximum soit dit. Elle prit une main de Laurelle dans la sienne et posa l'autre sur son épaule en plongeant son regard dans le sien.

-Merci pour ton sacrifice pardi... Mais tu ne méritais pas de mourir, encore moins de cette manière, et je ne méritais pas ce sacrifice té. J'espère que dans deux ans, la Sam d'ici ne viendra pas te voir té; tu avais le droit de vivre, et tu en auras le droit pardi. Merci de ton pardon té...
-Mon sacrifice, bien qu'involontaire, ne fut pas vain. Tu es redevenue quelqu'un de bien, en harmonie avec les valeurs que tu as toujours voulu incarner. Va en paix, amie.
-Adieu, amie... Que le Très-Haut te garde pardi.


Sam lui sourit doucement et retira ses mains. Laurelle lui rendit son sourire, tourna les talons et s'en alla, disparaissant derrière le même arbre dont elle était venue.
Un instant, la Bordelaise resta là, pensive. Pour la première fois depuis longtemps, elle avait été sincère en parlant du Très-Haut, sans ironie, sans amertume. Elle avait reconnu, à travers sa dernière phrase, qu'on puisse être bien près de Lui, qu'Il puisse vouloir du bien. Elle songea à une des phrases de Laurelle: "Puisse le Très-Haut te préserver d'une nouvelle chute comme celle que tu as connu". Le Très-Haut reconnaissait-Il Ses torts ? Reconnaissait-Il que tout n'avait été qu'une bonne guerre, une bonne guerre qui devait prendre fin ? Était-ce pour cela qu'elle se sentait bien, parce qu'elle était enfin reconnu de Celui qui avait été son bourreau ?
Son regard sombre croisa le grisonnant de son voisin qui l'enjoignit, d'un signe du menton, à le suivre. Sam regarda une dernière fois l'arbre derrière lequel avait disparu Laurelle et rejoignit l'homme.
Le crépuscule était tombé. Comme beaucoup de choses aujourd'hui.


*= retrouvez ici le RP de référence concerné.

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"Un visage est un masque de comédie posé sur la tragédie de l’âme."(Shan Sa)
Samsa
[1462, dans un... Songe...]

En compagnie de l'homme, elle regagne le chemin. Ils quittent cette forêt dans laquelle elle s'est réconciliée avec un terrible démon, cette forêt où elle a accepté de déposer les armes et de marquer là les frontières. "Tout ça, c'était de bonne guerre" pense-t-elle. Oui. C'était de bonne guerre. Et pourtant ça avait été une guerre terrible. Le Très-Haut avait-Il changé suite à cela ? C'était, en vérité, ridicule d'y penser. Mais que faire d'autre que chercher à humaniser ce contre quoi on se bat ?

-Qu'en penses-tu ?

Sam leva un oeil fatigué vers lui. Elle se sentait vide, vidée. Pourtant, c'était précisément durant cette journée qu'elle avait déposé ses fardeaux. Elle aurait dû se sentir pleine d'énergie. Mais elle se sentait fatiguée. Certes plus légère, mais ô combien fatiguée. Toute cette réconciliation... Tous ces efforts... Elle n'aurait jamais pu croire que ce fut si dur. Et surtout, elle ne comprenait pas. Elle ne comprenait plus. Elle avait trouvé un équilibre en la personne qu'elle était devenue, même si elle lâchait parfois. Pourquoi l'envoyer ici, dans ce rêve ? Peut-être la vie ne tenait-elle pas au combat, mais à la compréhension. Se battre, se battre... Pour se sentir vivant. Mais pourquoi se sentir vivant ? Pourquoi vivre ? Pourquoi voulait-on vivre ? Comprendre, comprendre...

-Pourquoi pardi... ?
-Tu allais tomber, une fois de plus. Tu te sentais droite et forte, mais tes jambes tremblaient. A présent, tu ne trembleras plus. Tu es jeune. Laisse aux vieux le soin de connaître la mort avant toi. A quoi bon les dépasser ? Rallume en toi cette flamme que tu as éteinte.
Tu n'oublieras pas ce que tu as fais, tu n'oublieras pas Zyg. Mais elle est partie. Tu te battais pour comprendre pourquoi, tu ne vivais qu'avec cette question, cet espoir de savoir, un jour. Trois ans que tu cherches à savoir, trois ans que tu vis avec, avec cette question et ces mots qui, tu le penses, t'auraient aidé à éviter ou à comprendre. Trois ans que tu penses te battre contre le responsable, alors que tu ne combats que toi et le temps. Cesse... Cesse d'attendre une réponse qui ne viendra pas, cesse d'attendre que le temps s'arrête ou fasse demi-tour, cesse d'espérer sortir de la vie que tu crois être un songe. Lève-toi, et avance. D'autres personnes t'attendent, entièrement. Suis-les. Lève-toi, toi, ton bras, ton épée si tu le souhaites. Mais lève-toi, et marche. Ton combat passe aussi par cela. Marche. Conquiert. Découvre. Avance. Le refuser ne sert à rien.


Sam posa sur lui ses yeux sombres. C'était un discours difficile à entendre. Elle n'aurait pas dit que durant ces trois années, elle avait perdu son temps. Non. Elle avait connu de belles choses, elle avait connu Albu et Zeph. Rien que pour elles, pour les connaitre, ça avait valu le coup de vivre encore. Puis ses filles, Gwenn et Nolwenn, pour ne pas les laisser seule, pour les guider. Et Maria. Maria, pour la protéger. Mais elle, elle n'avait rien fait pour elle-même. Rien d'autre qu'attendre. Attendre Zyg, attendre une réponse, attendre que le chagrin passe, attendre que la colère passe, attendre une vengeance.
Doucement, elle soupira. Elle savait bien qu'il avait raison. Et maintenant qu'elle n'avait plus de boulets aux pieds... Elle serait anoblie bientôt et n'attendrait plus rien qu'une guerre pour connaitre le combat. Elle vivait, c'était certain. Pour ça. Ça n'avait plus rien à voir avec un quelconque message à faire passer, un quelconque défi à la mort, mais bien pour sceller son choix et sa manière de vivre.


-Tu peux rentrer ?

Sam leva les yeux pour regarder cette forêt qu'elle connaissait si bien. Pas si loin, Chinon était là. Derrière ces murailles, il y avait ceux qu'elle avait aimé et chéri, il y avait celle qu'elle avait été, il y avait Zyg. Mais que dire d'autres... ? Le destin était tracé ici. Et "ici", ce n'était plus sa place. Elle avait trop changé pour cela.
Elle regarda de nouveau l'homme et acquiesça. Oui. Oui, elle pouvait rentrer. Revenir chez elle et vivre au mieux. L'homme s'arrêta et la Cerbère l'imita. Doucement, il posa sa main sur ses yeux et peu à peu, Sam s'oublia.



[Juillet 1462, quelque part sur les chemins de Guyenne...]

Lentement, Sam émergea de son sommeil. Combien de temps avait-elle dormi ? Elle sentait sa tête lourde, ses membres engourdis et sa langue pâteuse. Elle grimaça légèrement en se recalant contre son arbre avant de se frotter les yeux. Autour d'elle, ce même décor qu'elle avait avant de s'endormir. De s'endormir... Tout ça, ce n'avait été qu'un rêve... Mais Sam voulait y croire. A quoi bon le renier ? Elle s'était sentie si bien. Elle se sentait bien en y croyant. Devant elle, Guerroyant broutait encore.
Encore ? Déjà, à la vue de sa robe bai qui luisait sous la rosée matinale. La Cerbère appuya sa tête contre l'écorce de l'arbre et ferma les yeux. Un petit vent soufflait et semblait lui parler.

"[...]
Comme un souffle avenir
Vient raviver les braises,
Comme un parfum de soufre
Qui fait naître la flamme;
Jeunesse lève-toi.
Contre la vie qui va qui vient
Puis qui s'éteint,
Contre l'amour qu'on prend, qu'on tient,
Mais qui tient pas,
Contre la trace qui s'efface
Au derrière de soi;
Jeunesse lève-toi"*

Sam ne rouvrit pas les yeux. Elle ne voulait pas. Elle se laissait imprégner de ces paroles, ces paroles dont elle avait besoin. Elle en avait besoin pour repartir, pour se relever, pour revenir, pour avancer. Pour apprendre. Pour apprendre à raviver ces braises, à sentir ce parfum de souffre qui ferait naître la flamme, à saisir, et surtout ne pas lâcher, cette vie qui va et vient. Apprendre à marcher contre les lames que l'amour envoie et à trouver la bonne fréquence des regards en arrière; ne pas oublier d'où l'ont vient, sa trace, mais regarder devant soi pour avancer.
Tout ça, elle ne l'apprendrait qu'en écoutant ces mots qui résonnent en elle. Lentement dans son esprit se dessine une seconde Sam, celle qui est forte, celle qui est fière. Celle qui se place à ses côtés et qui lui parle.

"Moi contre ton épaule,
Je repars à la lutte
Contre les gravités qui nous mènent à la chute,
Pour faire du bruit encore,
A réveiller les morts.
Pour redonner éclat
A l'émeraude en toi.
Pour rendre au crépuscule
La beauté des aurores.
Dis-moi qu'on brûle encore.
Dis-moi que brûle encore cet espoir que tu tiens,
Parce que tu n'en sais rien de la fougue et du feu
Que je vois dans tes yeux.
Jeunesse lève-toi."*

Sam sent son coeur se gonfler, et c'est comme si un coup de fouet venait de claquer sur lui et ses poumons, c'est comme une seconde naissance. Elle sent son coeur battre vaillamment alors que ses poumons s'emplissent soudainement d'un air vif et neuf. C'est un appel à se battre qui lui est lancé, un appel à redevenir celle qu'elle est au fond, celle qu'on voit et qu'on ne vainc pas. "Oui pardi, oui amie, on brûle encore. Oui pardi, l'espoir brûle encore, et si j'ignore ma fougue et mon feu, alors montre-moi qui je suis quand je les connais" pense-t-elle. Et comme une réponse, l'image lui répond.

"[...]
Au creux des reins,
Faut aiguiser la lame,
Puisqu'ici, il n'y a qu'au combat qu'on est libre.
De ton triste sommeil, je t'en prie, libère-toi.
[...]
N'entends-tu pas ce soir chanter le chant des morts ?
Ne vois-tu pas le ciel à la portée des doigts ?
Jeunesse lève-toi."*

Alors Sam ouvre les yeux et les lève vers le ciel bleu qu'elle devine au travers des feuilles. Oui, elle voit ce ciel, ce bleu qui est au-dessus d'elle. La Bordelaise lève la main et fait mine de la refermer sur un coin de ciel avant de le libérer, comme on s'amuserait avec un petit animal. Dans son mouvement, elle entend la cotte de maille et les boucles de ceintures qui cliquettent. Oui, il est temps de se lever. Il est temps de rentrer à la maison. Puis il sera temps de repartir. D'avancer.
Sam se met debout et récupère le harnachement de sa monture qu'elle va sangler. Elle lui remet sa bride et se remet en selle. En tout sens. La Cerbère dirige Guerroyant vers le chemin pour le reprendre au trot. A un croisement qu'elle connait bien, elle prend à droite au lieu d'aller à gauche. Avant de retourner à Bordeaux, elle doit faire un petit détour. Après quelques minutes, elle parvient devant une petite chapelle, posée sur une colline comme il y en a l'est, autour de la ville. Elle arrête son destrier qui piaffe, mécontent, mais la main ferme de la Bordelaise le tient bien. Droite, fière, elle pose sur la bâtisse ce regard sombre et profond qui semble dire "tu fus bon adversaire. La guerre s'arrête là". Un lent et respectueux signe du menton vient appuyer ses pensées. Il n'y eut ni vainqueur ni vaincu; seulement des combattants et des coups. Il n'y eut qu'une âme forgée sur l'enclume de la vie, frappée au marteau de la douleur par le forgeron Très-Haut, une âme qui a crié, qui a fait suer le forgeron, qui ne demandait qu'à être libérée. Et enfin, Il l'a plongé dans le seau d'eau froide. C'était fini.


En route pardi. On rentre à la maison té.

Elle s'adresse autant à Guerroyant qu'à elle-même. Le chemin, droit devant, commence à descendre. Au pas sur sa monture qui jouait avec son mors, Sam s'en approche. Lentement, le vent semble jouer une mélodie. Au loin, le soleil se lève sur la capitale de Guyenne. C'est une nouvelle aube. Une nouvelle vie.
Une nouvelle vie plus proche d'elle-même, peut-être plus loin de Zyg. Un recul a été effectué. Elle ne reviendra pas. Le temps avait enterré les derniers souvenirs alors qu'elle, elle creusait après. Le Très-Haut avait enclenché chez Samsa un procédé d'auto-destruction qu'Il n'avait peut-être pas prévu, qu'Il n'avait pas su comment arrêter jusqu'alors. Le temps éloignait Sam de l'année 1458, appauvrissait son espoir qui aurait déjà dû être mort, mais, au fond d'elle-même, quelque chose restait. Il restait le souvenir, il restait le choc et l'onde qui la secouait encore parfois, il restait l'espoir. Elle sait qu'elle ne devrait pas, que c'est ridicule, que Zyg ne reviendra pas, pas comme ce soleil qui revient chaque jours, chaque matin, briller sur Bordeaux. Et pourtant, en s'engageant sur le chemin qui la ramène chez elle, Samsa pense à Zyg qu'elle imagine dans les rues de la capitale, qu'elle croisera peut-être. Mais ses espoirs déçus ne seront plus douloureux, parce qu'elle s'est réconciliée avec elle-même.

Parce qu'elle a accepté tout ça.

Parce qu'elle a accepté qui elle était devenue.



FIN

*= paroles de Saez "Jeunesse lève-toi"

A JD Zyg que j'espère, moi aussi, depuis 3 ans...

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"Un visage est un masque de comédie posé sur la tragédie de l’âme."(Shan Sa)
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