Chimera
- [Quelques jours plus tôt]
Non, c'est plus tôt que ça encore qu'errent les pensées dénérées alors qu'au pas posé de Morvac'h elle approche de l'Auberge de la Vallée Blanche. La semaine précédente, Amarante avait déploré qu'elle ne conte plus, se rappelant d'une histoire dite, il lui semblait, dans une autre vie. Mémoire avait fait son chemin, et avait croisé, intersection téléphonée, l'envie qu'elle avait eu, lors du mandat précédent, de soutenir la pêche dans les villes côtières de Breizh via un concours ouvert par un conte. De concours il n'y aurait pas, mais elle n'avait pas mis l'idée du conte de côté pour autant. Bien au contraire.
Une fois parvenue devant l'établissement qu'elle avait pour la première fois fréquenté un soir de mésentente, elle met pied à terre, et confie l'étalon au soin une touffe d'herbe. Ou l'inverse. Bref.
Elle pousse la porte et glisse la tête par l'entrebâillement. En plein après midi, la pièce est déserte de toute âme sociale ou alcoolique, et elle entend vaguement farfouiller dans la réserve. L'indice est suffisant pour qu'elle offre un mot à la pénombre trompeuse.
- Gautier?
Le taulier ne tarde pas à émerger, et sourit en la voyant. Elle pénètre à l'intérieur, pas feutrés, et ôte les gants de cuir clair, héritage Von Frayner, qui couvraient encore ses mains pour venir au devant du propriétaire des lieux.
- Ma dame? Je vous sers quelque chose?
C'était à ce point? Elle sourit et secoue la tête.
- Non, non, mersi bras. Je venais vous poser une question, en vérité.
Il embraye, trop serviable.
- Si je peux venir donner un coup de main au Comte?
- Non plus.
Elle sourit, lui aussi, qui se décide enfin à la laisser l'informer du motif de sa venue.
- Verriez-vous un inconvénient à ce que je convie la Bretagne ici pour conter, et pour les inviter à dire des histoires de nature?
Il la regarde, prunelles écarquillées.
- La Bretagne?
- La Bretagne. Et leur offrir votre si fameuse prune. A volonté, comme vous le faites avec nous.
- Leur offrir? Livide il est. Couleur mousse. Mais, et s'ils me vident mes fûts?
- C'est moi qui paye, Gautier. Ma contribution, pour la renommée de votre établissement, en remerciement de votre hospitalité.
Et voilà soudain Gautier qui reprend des couleurs. Pas jusqu'à devenir vin d'Anjou, mais pas loin, sous le coup de lappât du gain.
- Alors bien, c'est entendu.
Faudra-t-il coucher la Bretagne entière?
- Prévenez le voisinage de pailler les granges.
Il opine. Et trotte prévenir son épouse qu'il risque d'y avoir de l'animation dans les murs prochaine... quand frappe le défaut d'information, il s'arrête et se retourne vers elle.
- Quand donc?
- Mercredi.
Et mercredi avait été entendu.
De retour dans la masure au moulin adossée - où était-ce l'inverse?- elle est désormais attablée, et apporte la touche finale à l'annonce qu'il convenait de faire.
- Ifig, fais porter ceci chez les copistes du chateau de Rennes. Que ce soit largement diffusé, et lu pour ceux qui ne savent pas. Il est question d'entendre, avant tout.
Elle ajoute, la voix un brin tremblante, coupable et penaude d'avoir délaissé l'instrument ces derniers mois.
- Et... va faire chercher ma harpe à la venelle.
C'est donc ainsi que toutes les villes de Bretagne furent averties, quelques jours avant ledit mercredi, pour laisser le temps du voyage, qu'aux abords de Rennes le soir du conte serait sous le signe de la divine prune de Gautier qui devait, à l'heure qu'il était, déjà être en train de préparer ses godets.
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