« C'était le moyen, surtout, de ne pas avoir tort », manque grincer Kermorial, prévenue dès longtemps contre ce genre de ressorts. Allons, allons, tout doux ! La réponse vient trop vite aux lèvres pour n'être pas suspecte. D'ailleurs : n'eût-elle pas été moins vive, si le nom avait été autre ? En toutes choses, prendre son temps. Remonter le fil. Tout reprendre. On rembobine...
Replay :« Quel est ton nom, enfant ? »
« Deimné. »
« Non. C'est Finn. »
Ce nom, bon sang ! Blonde ne s'y fera jamais. Ironiquement, elle songe que c'est bien le fin mot de l'histoire : les noms sont magiques. Ils ravivent, mots-souffle, qui insufflent et balaient. Ils ramifient, mots-branches, où l'on s'accroche et ou se cogne. Le plus simple, sans doute, consisterait à en choisir un autre ; mais Finn ou un autre, c'est justement le problème.
Nouvel essai.« Quel est ton nom, enfant ? »
« Deimné. »
« Non. C'est Finn. »
« Allons bon. »
« Oui. »
« Euh... non ? »
« Si. »
« Ah. Mais... »
« C'est écrit. »
« Ah. »
Pas concluant. Vous auriez répondu quoi, vous, au maître indigne ? Kermorial tire en silence sur le noeud du problème :« Quel est ton nom ? »
« ... Deimné. Comme hier. Comme avant-hier. Genre, je suis ton disciple. On se connaît depuis combien de temps, déjà ? »
« Oui, non, mais chut. Tu t'appelles Finn. »
« Ça fait toujours plaisir... »
Sauf si.
Le menton pâle valide discrètement la piste, et par là-même, les tâtonnements juvéniles. Qu'est-ce qu'un nom ? Les druides n'en donnent-ils pas, n'en révèlent-ils pas un autre ? Adenora-Kistin ne s'y trompe guère, fille des deux fois et rompue aux noms doux, quand Dame herméneute les manipule avec tant de précautions.« Quel est ton nom ? »
« Elisabeth. »
« Oui. »
« Lizzie. »
« Souvent. »
« Elsa. »
« Parfois. »
« Lisa... »
« Naguère. Et puis... »
« Tais-toi... »
« Eli. »
« Il y a longtemps... »
« Toujours. Veux-tu mieux ? »
« Non. »
« ... C'est aussi... »
« Non ! »
« ... Finn ? »
« Certainement pas ! »
La musique a cessé depuis longtemps. Finn-Déimné contemple le monde, un doigt dans la bouche. Ou est-ce pour se consoler de savoir ? Tétant comme un enfant ? Massant la gencive douloureuse ? Ou mordant, sous l'angoisse ? Maître cruel, n'as-tu donc nulle pitié, pour charger tel fardeau sur les épaules de ton fils ?
« Disciple. »
« Fils ! Fils en l'esprit, le plus vrai de tous. »
« Dit celle des deux dont sa mère s'est débarrassée. »
« Qui sait, donc, de première main. »
« Et aime savoir. »
« Ou n'aime pas. »
« Mais souffrirait mille morts... »
« Il faut... »
« ... avant de refuser une miette du saumon. »
« La vérité les vaut. »
« Et Taillevent en eût tiré une recette. »Il n'est pas doux, le silence d'après les histoires. Il tournoie dans sa bulle.-
Finegas savait, confirme-t-elle à mi-voix. Secret ? Non pas ! L'évidence, même, croit-elle : et que, sans doute, il tâcha de rendre le mets propre à la consommation. Peut-être même de le détruire, qui sait ? Quel monstre ne songerait pas à perpétrer le sacrilège impossible, pour l'amour d'un gamin ? Et qu'importe, si l'on sait toujours déjà qu'à la fin, il faudrait quand même lui abandonner le poisson. Ou l'inverse.
Ça crève les yeux. Ça crève le cur. Finegas savait, et ne pouvait rien. Mettre en garde, seulement. Exhorter l'enfant à traiter avec la plus grande prudence le met divin, dangereux du savoir. Et ce qu'il pouvait, il le fit ; quant à savoir si ce fut vain... Littérature. La princesse se pique le doigt au rouet, Deimné se brûle le doigt sur l'écaille d'un bon sang de poisson sacré, Alix s'éloigne, Lys déraille, les enfants grandissent. Et parfois, ça se passe mal.
Mais parfois, parfois... ça se passe bien.« Ton nom, ma fille... »
« ... est Finegas. Je sais. »
« Oui. »
« L'âge, sûrement. »
Elle brûle, ton histoire, refusent de dire les lèvres bientôt plongées dans un verre de prune. L'incendie de l'alcool éteindra celui des souvenirs. Ce soir, jusqu'à une heure tardive, Kermorial interrogera le sort de Déimné et disséquera le moindre mouvement du maître ; pour l'heure :-
Il savait, bien sûr. À quel point... c'est la question. Mais il savait. N'est-il pas le dépositaire de la prophétie ? Et il n'ignore pas ne pas s'appeler...La phrase meurt, un revers de main balaie le nom, comme si ce n'était rien, vraiment, de ne pas le prononcer. Comme si.-
Quant à Déimné... il y a au moins une troisième possibilité. Étant entendu que l'une n'exclue aucune des autres. Pause. Non pour appuyer le propos, somme toute banal, ni pour ménager l'effet ; mais le temps d'arranger la meilleure réponse qu'elle puisse fournir. Parce qu'en vérité, elle ne sait faire que ça. Et de river son regard dans celui de la jeune fille.
Interro surprise. À quel moment reçoit-il ce nouveau nom ?Parce que... prophétie, prophétie, c'est bien gentil, mais aux chevaliers du Libre Arbitre, le destin file de l'eczéma._________________