Anaon
- "Ne me faites pas attendre, je déteste attendre."
- - G. -
Les Halles, en fin d'après-midi du six Septembre. Les dernières heures deffusions avant la journée Sainte du Seigneur. Comme durant les hauts jours de liesses, les marchés couverts ont vomi leur trop plein d'étalages dans les rues avoisinantes. Les artères sont bouchées, lardées par les mats dressés supportant les toiles qui chapeautent de bigarrures chaque étale s'entassant le long des avenues. Il ne semble pas y avoir ici la rigide organisation qui régit l'occupation des places dans le marché couvert. Toutes les branches s'entremêlent, les merciers font face aux vendeurs de volailles, les cordonniers se tapent les coudes avec les marchandes de navets, et au détour du fin tramage d'un négociant d'étoffes, on découvre l'odeur gourmande d'une faiseuse de tartes et de fouaces.
C'est quelque chose, le quartier des halles dans ses apparats moins nobles. Un attentat pour les sens. Un gavage de stimulus qui ne laisse de paix ni à la vue ni aux tympans. Et que dire de l'odeur.
Appuyée conte le guillochis d'un porche ouvragé, l'Anaon darde cet imbroglio d'agitation les bras croisés. Le quartier est loin d'être vide, elle a pourtant pu le connaître bien plus bouffi que cela. L'heure est parfaite, le monde sait être là sans se faire étouffant. Laissant ses prunelles vaquer d'une silhouette à l'autre, elle se tord le cerveau de circonvolutions qu'elle sait pourtant inutiles. Car le destin du jour n'est pas entre ses mains.
Décidant de sonner la fin de sa contemplation tranquille, la femme se détache paresseusement de son appui. Elle débouche de l'arrière d'une échoppe d'hypocras, pour gagner le cur de la rue d'un pas décidé. Les muscles se dérouillent d'être restés trop longtemps figés dans leur pose d'affût. Une inspiration profonde, et elle se tapisse les poumons de cette improbable alliage de senteurs. Les azurites se tournent pour se poser sur la haute stature de lHôtel du Commerce. Elles en observent les pierres avant de décider qu'elles n'iront pas poser un pas sous sa carrure. Voilà qui rajoutera un peu de défi pour celui qui s'en charge. Car là est tout le cur de l'affaire...
Le visage se détourne, et la sicaire entreprend un lent tour des étalages. Au milieu des matrones et des beaux bourgeois endimanchés, il a la mercenaire en tenue d'homme, pareille à une petite tache noire dans ce décor singulier. Elle balaye de discrets regards chaque personne qui passe, et se faisant, elle ne peut réussir à se départir de la légère tension qui lui vrille la nuque. Paranoïaque, la sicaire n'a jamais pu se sentir pleinement tranquille en arpentant les quartiers marchands. Lieu dexcellences des petites rapines, l'endroit à toujours grouillé de gardes en tout genre et de petites canailles aux mains trop lestes. Ce n'est alors pas par simple hasard que l'Anaon se rend dans ce haut-lieu déchanges, et aujourd'hui, en plus des petites méfiances habituelles, une autre source de contrarié se fait sentir.
De par sa profession, la sicaire a l'habitude de traquer l'Homme et de rencontrer des visages issus de toutes les couches sociales. Et même si elle ne connaît pas toujours l'exacte identité de ceux qu'elle retrouve, elle a toujours au moins une vague description pouvant les identifier parmi la foule de badauds. Aujourd'hui, elle doit rencontrer quelqu'un. Mais aujourd'hui, elle ne sait rien. L'Anaon est la consentante Ignorante d'un rendez-vous donner à une personne dont de l'apparence elle n'a pas connaissance. Savoir que l'on est connue sans pouvoir reconnaître à quelque chose... d'excitant. Mais aussi de quelque peu frustrant quand on connaît le carafon de la balafrée. Car décidément, c'est bien là être soumise au bon vouloir de celui censé la retrouver.
Qui peut-il être... Serait-ce petit homme mal dégrossi ramassé sur la bourse qu'il tient jalousement contre sa poitrine ? Ou peut-être celui-ci, là, aussi grand et efflanqué qu'une vieille haridelle ? A moins que ce ne soit cet élégant soldat qui la frôle de sa monture ? Elle n'en sait rien. Les azurites sont incapables de déduire quoique ce soit des mots reçus. Le regard se résout à quitter les passants pour couvrir les étales qui défilent à ses côtés. Il est seul capable de la retrouver, à lui donc d'y arriver.
La sicaire flâne, quand ses narines sont soudain titillées par le rude d'une odeur caractéristique. Elle se laisse guider par la senteur du cuir, s'approchant des présentoirs de ceinture ou de pièce brutes, jusqu'à dévier son regard sur les marchandises d'un armurier juste à coté.
Les lames étalent leur métal qui se moire dans la lumière du jour, et le dévolu de la mercenaire se jette immédiatement sur une dague à la garde noire. L'arme est délicatement saisie et la balafrée se surprend à chercher son reflet dans son plat lustré. L'Anjou l'avait vu dans un état frôlant le catastrophique, mais par nécessité, et aussi mue par l'étrange envie de se faire présentable, l'Anaon s'était acharnée à regagner du poil de la bête. A coup de nuits forcées elle avait estompé les signes de sa fatigue, et elle avait imposé à son ventre d'avaler tout nourriture présentée pour regagner au mieux le plein charnue de ses chairs. Une santé presque retrouvée, ça pourrait mériter récompense.
Les prunelles glissent calmement d'une lame à l'autre. La pulpe des doigts frôle pommeaux et gouttières de gestes qu'on croirait tendres. Voilà... Ses parures et ses bijoux. Cela fait bien longtemps que femme, elle a troqué ses perles. Et dans sa contemplation, l'Anaon en oublierait de se questionner sur l'allure que peut avoir son mystérieux correspondant.
Allons donc, ne soyez pas tardif mon Inconnu. Moi aussi je n'aime pas le retard.
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Anaon se prononce «Anaonne».