Les yeux fixés sur la laie, je n'ose regarder si Azzera m'a obéi... IL le faut... le ton employé ne laisse planer aucun doute à ce sujet.. Elle sert un Ordre, elle sait quand il faut obéir... Je prie Dana pour qu'elle ait obtempéré.. La laie l'a vue... c'est certain.
Bigre... l'animal est plus gros que je le pensais - au moins cent vingt livres - et sa blessure ne semble pas l'avoir affectée... La flèche d'Azz est fichée dans son flanc et vibre aux pulsations de sa respiration.
Je sais qu'elle aura encore la force de charger... ses petits sont derrière moi ... elle n'aura de cesse de les rejoindre... et je suis à présent sur son passage.
Je n'ai plus le choix... c'est elle ou moi !
Bon sang, j'eus préféré affronter un ours... au ras du sol, c'est elle qui a l'avantage... même blessée elle est capable de m'éventrer.
La bête secoue la tête... je ne la quitte pas des yeux... j'essaie d'entrer en elle... Que ferais-je à sa place... Une seule réponse : FONCER !...
Et elle galope... Elle fonce, en effet... par Lug... elle va vite, elle semble même moins atteinte que je ne le pense tant sa vigueur est grande... mais, à mesure qu'elle se rapproche, j'entends son souffle de plus en plus rauque...
Le temps parait s'étirer... mais ce n'est qu'illusion... je l'attends et je sais que je ne pourrai l'arrêter... elle est bien trop puissante et, lancée à cette vitesse, elle me culbutera, à tous les coups... il me faut user d'un autre stratagème pour en venir à bout... l'attaquer de front ne sert à rien...
J'ai serré la dague dans ma senestre, par habitude... mais cette fois, j'aurai besoin de bien plus de précision... rapidement la dague passe de sénestre en dextre, tenue à présent comme un poignard ... pointe vers le bas...
L'animal ne peut savoir ce que cela signifie.
Tout cela se passe si vite... car le fauve est déjà sur moi... je ne l'ai pas quitté des yeux... je sais qu'il vise mon abdomen... instinctivement...
Ramassé sur moi même, jarrets pliés, tendus comme des arcs, tous muscles bandés, je m'apprête à faire la seule chose sensée : l'éviter !
Presque à genoux, à la hauteur de la bête, j'ai pris appui sur la main gauche et lorsque je la sens près, au point de me toucher, d'un bond vigoureux, je saute pour me retrouver à califourchon sur elle... Je lui passe le bras autour du garrot et m'agrippe à sa fourrure rèche.
Immédiatement, ma dextre s'abat dans sa gorge... Dans le même temps, une douleur vive me labourer le flanc... Douleur aigûe et sourde à la fois... pas le temps d'y regarder !...
De tout mon poids, je pèse sur elle... mon bras gauche enserré autour de son cou puissant, la dague plongée dans sa gorge jusqu'à la garde...
L'animal tente de me désarçonner... Tenir... tenir... Elle est morte, mais elle ne le sait pas encore...
Elle lutte pour se débarrasser de cette sangsue humaine...
En vain...
Plus affaiblie par la flèche que je l'imaginais finalement, elle souffle bruyamment... s'affaiblit à vue d'oeil... mon flanc douloureux m'arrache une plainte rauque...
Par Dana... elle ne m'a pas raté...
Vicieuse la bête... au moment où je bondissais, elle a brusquement relevé la tête anticipant de peu mon bond... au passage un de ses crocs a entaillé mon flanc sous les dernières côtes...
Mais il n'est pas encore temps de faire le bilan... d'autres plaies ?... je n'en ai cure... Dans un brouillard, au bord de la perte de conscience, je n'ai qu'une idée... TENIR !
Chacun de ses bonds m'arrache une douleur vive... Tenir !
Elle cabriole... Tenir... Virevolte lourdement en grognant... Tenir !!!
Combien de temps restons nous soudés ainsi... je ne sais... Une éternité pour moi...
Soudain... toujours sur ses pattes, la bête s'immobilise... Tenir... Comme hébétée... Tenir... Je la sens vaciller... Tenir encore... Puis d'un coup... elle s'effondre sous moi... Tenir...toujours...
Je n'arrive pas à me détacher d'elle... Et si ?... Non... elle ne bouge plus... ses flancs, dans un ultime sursaut s'affaissent ... C'est fini...
Péniblement, enfin, je me dégage... L'animal dont je serre encore le cou s'est écroulé sur ma jambe droite...
En grimaçant de douleur... je me relève... essoufflé... les tempes battantes, le côté en feu...
Machinalement, j'y pose la main et la retire rouge de mon sang dont une large tache s'étale sur la blancheur de ma chemise...
Coup d'oeil rapide ... By Jove... elle ne m'a pas raté ! Je n'en mourrai pas... mais il faut me soigner au plus vite...
Machinalement, je me penche et récupère ma dague dans un chuintement sinistre lorsque je l'extrait de la gorge de l'animal. Je l'essuie à un bouquet de fougères... tout à l'heure, j'irai la laver dans la rivière.
Un instant, je regarde la pauvre bête dont l'unique faute a été de se trouver sur notre chemin et, selon une vieille tradition, je remercie Birgit pour cette provende inespérée...
Respect du chasseur pour ce pauvre animal...
La laie s'est battue... courageusement... jusqu'au bout...
Soudain... un bruit dans mon dos... OH non ! ... pas le mâle cette fois !...
Je me retourne vivement, dague pointée... Azzera est là... descendue de son arbre... à deux pas de moi.. pâle comme jamais... elle tremble... des pépites dans les yeux...
Larmes ?... ou simplement la fierté ?... les deux sans doute...
Je me détend soudain, Le bras armé retombe le long de mon corps...
Puis, prestement dans un geste discret, je replace mon tartan sur l'épaule gauche espérant que ma Sirène n'ait pas remarqué la tache de sang qui va en s'élargissant sous mon sein gauche...
- Là, mon ange... c'est fini... voici votre dîner...
Une grimace que je masque par une petite révérence, comique à dessein :
- Madame est servie.
Merci infiniment à Peguiiiiiiiiii... c'est promis, je ne mangerai plus jamais de gigue de marcassin