Shirine
- Mi-octobre 1462,
- Nîmes en Languedoc
A la lueur d'une bougie dégoulinante de larmes de cire, Shirine assise à son bureau laisse glisser une plume sur un vélin. Seul le grattement de la pointe sur le papier rompt le silence pesant. Quelques coups dil rapides au petit garçon de 18 mois qui dort profondément, au milieu des phrases qui senchaînent rageusement. L'ombre de la rousse projetée sur le mur semble affaissée, accablée, bossue et difforme, comme le reflet de ce qui se passe à l'intérieur, à la place béante d'un cur auparavant palpitant de passion pour un homme qui semblait ne pas en mériter tant. Désormais l'organe vital s'en est allé, arraché sans ménagement de son écrin, brûler au purgatoire.
Et maintenant il neige en Enfer...
Citation:
- Ma Très Chère Fleur, Ma Très Chère Âme,
- Je n'oublierai jamais, non, jamais... Je prépare ma vengeance et chaque jour qui passe renforce ma détermination. Chaque fois que je le vois, chaque fois que j'entend sa voix, chaque fois qu'il me frôle, je n'ai qu'une seule envie, qu'il disparaisse à jamais. S'il ne peut être à moi Fleur, il ne sera à aucune autre. Et puisque m'épouser fut la pire erreur de sa vie, je vais l'envoyer directement là où il regrettera de m'avoir dit ces mots. En Enfer, et il préférera cent fois être mon mari plutôt que mon frère. Parce que j'aurais pu être une épouse dévouée, mais je serais une sur impitoyable, puisque c'est ce qu'il préfère...
J'ai besoin de ton aide, mon amie. Pourrais-tu nous accueillir quelques temps en ton Auberge de la Cours des Miracles ? Deux chambres, puisque Moran refusera de dormir avec moi, bien entendu...
Nous n'avons plus de nouvelles de notre petite sur Lastèle qui se trouve être la chère protégée de Moran. Je vais lui faire croire que tu m'as écrit pour me dire que tu avais croisé une jeune fille, à la Cours des Miracles, correspondant à sa description, en compagnie de gens peu fréquentables et visiblement malmenée. Si tu pouvais d'ailleurs me rédiger un faux courrier en ce sens, cela m'aiderait encore plus à crédibiliser mon histoire. Je pense que cela devrait suffire à le faire accourir jusqu'à Paris.
Je t'expliquerai plus tard ce que j'ai en tête, mais pourrais-tu également me concocter une potion aphrodisiaque et un poison qui permettrait d'immobiliser totalement quelqu'un sans lui faire perdre conscience ? Je compte les administrer à un homme de grande stature, à quelques heures d'intervalle. Crois-tu que cela serait possible ?
Il va me falloir aussi un puissant somnifère si jamais je devais empêcher quelqu'un de se mêler de mes affaires...
Je suis désolée de t'en demander tant. Je te paierai les chambres et les poisons, bien évidemment, et je te revaudrai tout ceci au centuple. Tout doit être parfait et précis, je n'ai pas le droit à l'erreur...
Et toi qui t'y connait si bien, existe-t-il une substance dans laquelle il est possible de conserver un organe pendant de longues années ?
Je t'aime aussi, au delà de tout.
S.
Le vélin est soigneusement plié et scellé, puis envoyé dès le lendemain jusqu'à la capitale. Dans la prénombre, Shirine observe une fois de plus son fils, l'innocent héritier d'un amour incestueux et déchirant.
Tout sera bientôt terminé, lui souffle-t-elle, quand bien même il ne l'entend pas. Et je pourrai renaître alors...
Quelques jours plus tard, c'est la même rousse, tachant d'être toujours plus belle et plus féminine que jamais dans des robes qu'elle ose s'offrir maintenant qu'elle gagne bien sa vie, qui toque à la porte de la chambre de Moran.
Hermano* ? Est-ce que tu as eu des nouvelles de Lastèle ? Je crois qu'elle a des ennuis...
Elle plisse sa robe de damas rouge et tente d'afficher une mine soucieuse avant que la porte ne s'ouvre.
- Zoé Lisreux, voici l'Acte I, scène 1, de LA pièce de théâtre de ta vie. Éblouie-les tous !
*Frère
_________________