J'étais si concentrée sur la main de la devineresse et le symbole tatoué que j'en aurais presque oublié Maryah, immobile à mes cotés. Lorsque sa voix s'éleva, je sursautai et me tournai vivement vers elle.
Dame Hildegarde ? Depuis quand me donnait elle du "dame" ? Et puis que lui prenait il de précipiter les choses ainsi ?
Une vague de contrariété m'envahit alors qu'elle continuait en faisant allusion à mes coups de blues de ces derniers temps. Même si je supposais que tout ceci était le résultat de mon état, ces nerfs à fleur de peau me faisaient perdre patience pour des riens et tout prenait une ampleur démesurée. Je sentis une bouffée de colère colorer mes joues, ce qui accrut mon malaise.
La voix de la devineresse brisa le silence qui s'était installé à nouveau et elle referma ses doigts avec force, retira sa main brusquement. Il me sembla que l'espace se réduisait autour de nous et que l'air devenait plus lourd. Je mis ça sur le compte de l'encens qui saturait l'oxygène et étouffait mes poumons. La capuche se leva pour laisser apparaître deux yeux étincelants qui me fixèrent un instant avant de s'ancrer sur Maryah. Un fourmillement parcourut ma nuque et je sentis mes cheveux se hérisser.
Par nos remarques innocentes, nous avions heurté la susceptibilité de la femme et la réaction ne tarda pas. Elle n'était donc pas dépourvue de sentiments, ce qui me rassura. Son culte lui donnait la force mais était aussi sa faiblesse.
Maryah avait bien joué son coup.
Nous pouvions continuer...
Respecte ce lieu comme tu respectes tes lieux de culte. Tire donc maintenant cinq runes.
Ce serait donc des runes. Soit.
Je plongeai ma main dans le sac à la suite de l'encapuchonnée et y rencontrais les petits cailloux lisses et ronds que je fis rouler entre mes doigts. Au toucher, rien ne les différenciaient les uns des autres et j'en tirai cinq que je fis tomber sur le plateau de la table.
Aussitôt l'Enchanteresse s'anima et déplaça les symboles selon un code dont j'ignorai la signification.
J'eus une pensée pour celui qui partageait ma vie depuis plus de deux ans maintenant. Pendant que la femme fermait les yeux et se penchait sur les runes, je me remémorais les moments importants de notre vie commune, nos coups de sang, nos coups de coeur, les coups du sort, toujours vaincus ensemble, l'un soutenant l'autre dans les moments difficiles.
J'eus une pensée pour Poum, notre fille adoptive qui avait su devenir indispensable à notre quotidien et notre précieux trésor malgré une schizophrénie souvent destructrice et difficile à contenir.
La voix de la femme s'éleva alors dans la tente enfumée et elle enchaina les prédictions, tout en passant d'un caillou à l'autre avec agilité.
Tout alla très vite, ma cervelle n'eut pas le temps de tout analyser bien qu'enregistrant chaque mot. Cela donna ça :
Patience... On m'appelait Patience parfois, pour se moquer. Cependant je le devenais de plus en plus, patiente.
Frustration et un accident violent. Ce voyage vers Alexandrie était périlleux, je le savais. Mais la vie, elle même l'était, alors qu'importaient les dangers, j'étais prête à aller au bout du monde pour acheter une robe à Poum !
Une naissance difficile. Tu parles ! Je serrais les fesses depuis que j'avais appris que j'étais enceinte, refusant presque mon état, alors c'est clair que cet enfant allait m'en faire chier jusqu'au bout en digne héritier du Serpent et de sa putain de Vipère qu'il était !
Pas le choix... Une protection ? J'avais déjà la plus belle des protections en la personne de ma Cali, ma muse, mon étoile du berger qui veillait sur Cobra et moi bien mieux qu'aucun Dieu ne le ferait jamais.
Quant à faire des sacrifices... humains... J'avais été capable de butter une bonne femme par fierté idiote alors s'il fallait le faire pour le bien de la famille... ce serait sans la moindre hésitation, ni remord.
J'ancrai mon regard trouble et rougi par les fumerolles de l'encens dans celui de l'enchanteresse et déglutis, tout de même estomaquée par les révélations de l'encapuchonnée.
J'entends, j'entends, Ô Divine Devineresse,
Par ta bouche, les Dieux parlent et te rendent prêtresse.
Oracle ! Tends moi ta main que j'y pose la caresse
D'un baiser, d'une langue. A ton caprice, Ogresse ! Je saisis la main osseuse et glacée et fut surprise de la trouver douce. Je m'inclinai révérencieusement, tout en la caressant du pouce et, tendant mon cou au-dessus du poignet, laissai couler un mince filet de salive qui vint s'écraser sur la peau veinelée de routes bleues. Ensuite, de mon index droit, tandis que je gardais toujours la main prisonnière de la mienne, je traçais deux ou trois petits cercles pour étaler la salive sur le symbole satanique.
Puis, sans plus d'hésitations et dans un profond respect, je vins lécher la peau et la salive d'un coup de langue humide.
J'ignorais si Maryah servirait de vecteur pour m'indiquer le sacrifice ou si elle n'était là qu'à titre de témoin. Je relâchai la main de l'enchanteresse et me redresssai lentement et lui adressai un sourire de remerciement.
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