Matvei
- Quelque part très à l'Est de ce royaume -
- Yuri, prépare les hommes. Nous allons faire un long voyage !
Les mots avaient claqués au vent, le temps, lui, avait suspendu son vol. Les regards sétaient alors tournés dans la direction du jeune homme qui venait de prononcer ces quelques mots. Étonnés quils étaient mais inquiets aussi. Lorsque le camp se levait cétait quune guerre sannonçait. Les cosaques ne se déplaçaient jamais pour rien. Promesse futile de défendre un territoire ou serment de mourir pour leur foi, derrière chaque guerre dans cette partie du pays se cachaient des cosaques. Mais pas aujourdhui. Non, aujourdhui soufflait un vent de renouveau et de liberté. Aujourdhui, aucune guerre à lhorizon mais juste une réponse à un appel.
Matveï était dans sa tente à ranger soigneusement quelques cartes lorsque la peau tendue qui obstruait lentrée se souleva. Un homme dune quarantaine dannées venait de pénétrer dans ce sanctuaire dédié à la guerre et au plaisir. Des peaux dours tannées trônaient ça et là sur le sol autour de ce qui servait de lit, quelques coussins aux couleurs chatoyantes et chamarrées, jonchaient sur le sol et sur le lit, invitaient au voyage les occupants des lieux, un plateau dor finement ciselé était posé sur une petite table de bois et sur lequel quelques gobelets détain séparpillaient autour dune bouteille contenant un liquide clair, du miel, quelques fruits secs posés dans une coupelle dargent. Le regard se portait rapidement sur la table qui servait de conseil de guerre. Des cartes y avaient trouvé refuge. Des plans étaient dessinés sur des vélins, un poignard à la lame recourbée sétait perdu entre loral et le Don et au milieu, un chandelier dor dont la bougie avait fondu jusquà ne devenir quune infime partie dun rien. Plus loin, vers le fond de la tente se reposaient deux épées, suspendues dans leur fourreau respectif et prêtes à être maniées. Un manteau de peau avait été abandonnées ainsi que des bottes de cuir aux boucles dor finement travaillées qui nattendaient plus quà retrouver la poussière des chemins tout respirait laisance et la richesse en ces lieux et pourtant, aucune maison, aucun domaine ou château pour accueillir lhomme qui tournait le dos à celui qui osait le déranger. La main tirait sur la barbe qui mangeait le bas du visage du jeune homme et pourtant il ne se retournait toujours pas.
- Quy a-t-il encore ? Aurais-tu une objection à formuler ?
- Non... tu sais que je te suivrais les yeux fermés mais les hommes eux ils veulent savoir pourquoi ils doivent abandonner leur famille. Doit-on redouter un nouvel ennemi ?
Le rire profond qui séchappa de la gorge de Matveï ne pouvait que faire frissonner ce pauvre Yuri. Il connaissait bien son chef pour savoir que même la guerre lamusait alors partir en expédition on ne savait où était pour lui un jeu denfant mais pour les hommes cétait autre chose. Finalement, Matveï se retourna tout en posant une main sur lépaule de son homme de confiance.
- As-tu un jour eu à te plaindre de mes choix Yuri ? Ne vous ai-je pas conduit jusquà maintenant sans perte ni trop de casse ? Me crois-tu assez fou pour faire la guerre à nos ennemis alors que nous sortons de longs mois daffrontements avec quelques bandes mongols qui prenaient notre territoire pour le leur ?
Lâchant lépaule de son ainé, Matveï prit la direction de la table des cartes puis souleva le poignard pour prendre possession dun courrier quil lui fit lire. Dabord hésitant, le jeune homme insista lourdement avant de prendre la direction des coussins et de sy vautrer. Et tandis que Yuri lisait, Matveï servait deux verres. Et lunique phrase qui tomba dans le silence de la tente saccompagna dune levée de coude en bonne et due forme.
- Il est vivant !
Lénorme éclat de rire qui sen suivit retenti dans le campement. Deuxième fois de la journée que le temps suspendait son vol. Si cela continuait ainsi, il finirait par avoir du retard mais le cours des choses semblaient vouloir reprendre sa route. Yuri sortit rapidement et dun pas déterminé se rendit à lenclos des poulains. Il avait à faire désormais et tout devait être prêt pour la fin de journée. Pendant ce temps, Matveï lissait sa barbe, les yeux dans le vague. Le voyage ne faisait que commençait et cétait ici et maintenant. Une vague de nostalgie le prit si fort quil ne résista pas au désir de boire encore et encore, en souvenir du bon vieux temps.