Leandre a rapidement pris ses marques dans l'endroit où il allait passer au minimum une nuit. Oui, minimum, mais sans doute deux. Enfin il ne sait pas trop, vu qu'on ne lui dit pas grand chose, à part "tais toi et avance". Ou "tais toi et dors". L'impérial est donc couché sur sa paillasse, se contentant du peu qu'on lui offre, et vient de fermer les yeux.
Mais il n'a pas vraiment envie de dormir. Surtout que son cerveau bouillonne toujours autant qu'en pleine journée, et des sujets plus importants que d'autres se sont faufilés au premier plan. Du genre... est-ce qu'il retournerait un jour en Franche-Comté, là où il s'était déjà fait deux ennemis - si ce n'est pas malheureux pour un enfant de dix ans - ou bien encore s'il reverrait Louve, Mabelle et Maeve de si tôt, mais surtout, et c'est là sa préoccupation principale du moment, est-ce que Soeli est la maîtresse de son père, le comte Jontas ? Intéressante question pour un gamin de son âge, qui ne comprend pas encore tout des choses de la vie. Il sait juste qu'il a l'occasion de vérifier cela cette nuit. Bah oui, une maîtresse, ça va dans la chambre de son amant en cachette et en pleine nuit. Pour quoi faire ? Il ne préfère pas trop imaginer, mais il se doute bien que ça se bisouille dans tous les sens, et pas seulement. Il frissonne en repensant à ce que Angelram lui a expliqué sur les rapports charnels entre un homme et une femme. Encore plus dégoutant que tout ce qu'il a pu imaginer. Mais c'est la vie, parait-il. Et comme on lui a dit en ville peu de temps auparavant, à lui aussi cela lui arriverait, un jour ou l'autre.
Le jeune Valfrey saute de sa paillasse, et quitte la chambre le plus silencieusement du monde, ou presque. Il est décidé à savoir enfin, et d'ailleurs cela se voit sur son visage : concentration extrême, yeux plissés pour mieux cerner son environnement malgré l'obscurité ambiante, et un grand sourire satisfait orne sa frimousse de chevalier en devenir. Espionner son père, est-ce digne d'un futur chevalier ? Certainement pas, mais ça l'est bien évidemment pour un enfant un peu trop curieux.
Il parcoure les quelques mètres qui le séparent de la pièce attribuée au comte de Beaufort, et s'arrête juste devant, l'air méfiant. Un coup d'il à droite, un autre à gauche, et il peut enfin plaquer une de ses oreilles (Bah oui, z'avez déjà essayé de plaquer les deux contre une porte, vous ?) contre le bois de l'entrée. Quelques secondes de silence s'écoulent, et le Valfrey retire son esgourde, puisqu'il n'y a rien à esgourder, justement. Pas même les ronflements paternels. Ahah, c'est donc qu'il ne dort pas, le bougre ! Nouveau sourire, nouveaux coups d'il là où il faut, et cette fois il entreprend de regarder carrément ce qu'il se passe dans la chambre comtale improvisée.
Poussant avec une dextérité remarquable la porte, il passe la tête par l'entrebâillement, les yeux fermés. Etrange mais compréhensible : il ouvrira les yeux lorsqu'il se sentira prêt. Peut être qu'il risque d'être choqué, alors mieux vaut ne pas trop brusquer les choses dans sa petite tête enfantine. Il reprend sa respiration, souffle comme un buf, puis entrouvre les paupières, pour finalement laisser paraître ses pupilles sombres. C'est un soupir de soulagement qui s'échappe d'entre les lèvres de l'héritier, lorsqu'il constate que son père semble seul et que les draps ne bougent pas. Pas qu'il n'aime pas Soeli... Ni qu'il ne l'aimerait pas comme maîtresse de son père... Mais inconsciemment il ne veux certainement pas savoir comment et avec qui son père peut bien s'occuper en l'absence de sa mère. Et puis si véritablement Soeli s'était faite maîtresse de Jontas, la moindre des choses aurait été de lui dire, namého ! Vu que ce n'est pas le cas, le garçon se laisse aller à s'affaler contre la porte, satisfait et soulagé, ce qui a pour effet de provoquer un grincement capable de réveiller l'auberge toute entière.
L'heure de filer sans doute. Sans demander son reste, il fait volte-face, oubliant de refermer la porte, et fonce à toute allure jusqu'à celle de sa propre chambre. Souhaiter que personne ne l'ai entendu est bien inutile, puisque assurément même les bâtiments voisins ont tremblé. L'impérial enfant se vautre sur sa paillasse, le coeur qui bat la chamade, et ferme les yeux, priant, pour la première fois de sa vie, pour que son père ne vienne lui tirer les oreilles.
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Leandre Lazare de Valfrey
Chevalier servant de sa p'tite princesse