Gabriele.
- « Des jours qui ne ressemblent qu'à l'ombre des nuits
Des silences qui résonnent à l'âme comme un cri
Quand les paupières n'ont même plus la force des orages
Quand porté par les flots je ne vois plus rivage »
**
Des étincelles. Je vois des flammes, des flammes partout. Que se passe-t-il ? Suis-je mort ? Je ne ressens plus mon corps. Ici, tout semble presque doux. Il fait chaud, il fait froid. Je ne sais plus. Les serpentines enflammées lèchent ma peau pourtant sans la brûler. Je suis une entité, plus tout à fait moi, pas vraiment un autre non plus. Je flotte...Ou bien est-ce que je glisse ?
Où suis-je ?
Ici, ailleurs. Partout. Nulle part...Vaporeux, je m'avance dans un monde que je ne connais pas. Au fond de moi, ce sentiment d'inconnu, mais quelque part, je me sens rassuré. Je ne suis pas seul. Ectoplasme aux relents de forme humaine, je la vois, sa chevelure blonde et son air fier, son il tatoué qui fait écho au mien. Est-elle venue m'accueillir en Enfer ? C'est étrange...Je devais la retrouver, car tout homme est voué à mourir, mais je n'étais pas censé venir ici seul. Je me souviens des serments échangés, de ces quelques mots qui pourtant n'ont de sens que pour Elle et moi. Nous devions mourir ensemble, et pourtant elle m'a abandonné. Je ne devais pas mourir pour les protéger, et pourtant je suis ici, face à la Matriarche qui m'a plus d'une fois donné la force de me relever pour continuer. Son sourire est doux, j'ai envie de la rejoindre pour veiller sur le Clan en devenant réellement un ange.
« - Mi manchi... »
Elle ne me répond pas, mais son sourire s'élargit. Elle m'ouvre les bras, et je m'y refuge, comme un enfant retrouvant le contact apaisant de sa mère. Je me sens jeune, d'un coup. Incroyablement jeune. Je réalise que le poids des années s'est dissipé, je me sens libéré, presque comme si je pouvais voler. Les ailes tatouées dans mon dos étaient peut-être juste un avant goût.
Dans les bras de ma tante, je ne suis qu'un bambin, à peine plus âgé que Romeo, et je me complets de retrouver sa douceur, sa force, et la lumière qui se dégage d'elle. Elle est la chaleur dans un paysage glacial. Elle est le souffle frais dans un désert aride. Je sais qu'à ses côtés, il n'y a plus de souffrance ni de malchance. Il n'y a que le confort d'une nouvelle vie à parler italien, à observer d'un sourire bienveillant notre monde qui continue de tourner. Une simplicité que je n'avais plus connu depuis mon enfance à me laisser porter par quelque chose de plus grand que moi. A juste attendre...
A subir.
- « S'il te plaît prends ma main
Ne te fais plus attendre
Il est temps de s'étreindre
Il est temps de s'éteindre »**
Corleone ne subit pas. Un regard en arrière et c'est tout ceux que j'ai laissé que j'aperçois. Mes frères et surs, mon père, mes cousines, et surtout...Ma femme et mon fils. Si tout a toujours été compliqué, ils sont tous mon évidence. J'avais oublié que le tatouage de mon dos n'est que pour eux. Qui suis-je pour prétendre abandonner si facilement ? L'étreinte se dégage, ma tante me repousse doucement d'un sourire bienveillant. Ce n'est pas encore l'heure...Je ne sais plus où je suis. Perdu entre deux mondes. Les deux s'éloignent à chaque seconde de moi, et j'ai l'impression que pour réussir à rejoindre l'un ou l'autre, l'effort demandé sera inhumain. Mes jambes me paraissent peser un monde entier à elles seules, profondément ancrées dans le sol inexistant sous elles. Mes deux univers se sont tant éloignés à présent que je ne les distingue même plus. Dans quelle direction dois-je me tourner pour espérer pouvoir retrouver l'un ou l'autre ?
Il est temps d'errer un peu.
- « Au travers les tempêtes
Moi je cherche le jour
Moi je cherche la flamme
Qui viendra méclairer
Lâme »**
Plus bas, sur terre, là où les choses ne se sont pas arrêtées...Un champ de bataille. Une terre dévastée et tout ça pour un seul homme. Dire que je ne m'y attendais pas aurait été mentir. Après tout je ne les avais pas laissé en arrière pour rien. Je voulais m'assurer que la route serait libre, et c'est pour cette raison que j'y étais allé seul, assumant la responsabilité du groupe qui m'a été confié.
Je ne m'attendais malgré tout pas à un tel accueil.
Une armée entière rien que pour moi. En arrivant devant elle, il était déjà trop tard. Ils m'attendaient, épée au poing, et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, ils m'avaient encerclé. J'avais sifflé entre mes dents, me faisant aussi menaçant que possible, mais tellement dérisoire face à cette force qui s'apprêtait à s'abattre sur moi. Un ras-de-marée humain entièrement dévoué à mon funeste sort. Les légendes au moins ne raconteraient pas l'histoire d'un homme désoeuvré priant pour qu'on l'épargne.
Le Cerbère s'était dressé de toute sa rage, lame au clair, pour tenter de défaire un adversaire présent en trop grand nombre. J'avais fait mon possible pour rendre coup pour coup, et profitais de ma hauteur pour garder une allonge considérable. Plusieurs adversaires furent défaits avant que la vague humaine ne m'engloutisse.
Du reste, je ne me souviens de rien. Le premier choc à la tête avait dû m'entailler assez profondément le cuir chevelu pour que je perde connaissance pratiquement sur le coup et rejoigne le sol pour gorger la terre de mon sang. Une autre blessure sérieuse à la cuisse saignait assez pour être inquiétante. Pas de médecin sur place...du moins, pas un qui soit en état de pratiquer des soins, et la vie qui s'écoule lentement de moi. Les soldats me laissent ainsi, pour mort, à la vue de tous pour que chacun puisse voir ce qu'il en coûte de croiser la puissante armée tourangelle, qui avait fait montre de sa toute-puissance contre une seule personne.
Des contusions sur tout le corps, des entailles peu profondes réparties sur l'ensemble de ma peau, je semble en effet plus mort que vif.
Mais quelque part, faiblement, continue de briller l'étincelle de vie.
Je ne sais pas qui a pris la peine de s'arrêter sur son chemin pour venir vérifier si j'avais ou non bien rejoint les Enfers. Un religieux peut-être, ou bien un homme simplement bienveillant, toujours est-il qu'il réussit à arrêter l'hémorragie de ma tête et de ma cuisse, et qu'il me chargea dans sa charrette, aux côtés de ses marchandises. C'est à Saint-Aignan qu'il s'arrêta, et dans cette ville également qu'il prit connaissance d'un morceau de parchemin que je gardais dans la doublure de mon gilet de cuir, parchemin pour le coup tâché de sang, mais où quelques noms étaient encore lisibles.
Puisque j'étais toujours inconscient, il prit le parti d'écrire à ces personnes, pour qui sait découvrir mon identité, ou à défaut, pouvoir prévenir mes proches de l'endroit où je me trouvais.
Citation:
A Daeneryss C.
D'un humble représentant de la Foi,
Il fallait que vous le sachiez.
Rédigé à Saint-Aignan, Auberge du Berry Libre.
D'un humble représentant de la Foi,
- Je vous écris ce jour afin de vous transmettre une funeste nouvelle. Un homme dont j'ignore l'identité, mais qui présente un tatouage remarquable autour de l'oeil, a été laissé pour mort sur la route entre Chinon et Lôches. Il portait sur lui une liste où votre nom était présent. J'imagine que cela signifie que vous êtes importante pour lui, d'autant que j'ai vu un autre tatouage de votre prénom sur lui.
Cet homme a subi de multiples blessures et je ne suis pas sûr que mes maigres connaissances suffisent à le sauver. Il est, depuis que je l'ai retrouvé, inconscient, et entre la vie et la mort. Il a perdu beaucoup de sang, je ne suis pas sûr d'être intervenu à temps. Je crains qu'il ne faille vous attendre à sa perte.
Il fallait que vous le sachiez.
Rédigé à Saint-Aignan, Auberge du Berry Libre.
Citation:
A Arsène C.
D'un humble représentant de la Foi,
Voilà qui est fait.
Rédigé à Saint-Aignan, Auberge du Berry Libre.
D'un humble représentant de la Foi,
- Noires ailes, noires nouvelles dit-on. Navré de n'avoir que ce corbeau à vous envoyer. Mes autres volatiles de transmission épistolaire sont déjà occupés. J'ai retrouvé sur la route entre Chinon et Lôches un homme portant un tatouage remarquable autour de l'oeil gauche. Celui-ci a de toute évidence subi une attaque de l'armée sur place.
Je crains pour sa vie. Les maigres soins que j'ai pu lui apporter n'auront pas suffit à le sortir de l'inconscience. Il a perdu beaucoup de sang. Je ne sais si cet homme était un criminel ou non, mais personne n'a le droit de mourir sans que les siens ne soient au courant, heureusement il portait sur lui une note où votre nom était présent.
Voilà qui est fait.
Rédigé à Saint-Aignan, Auberge du Berry Libre.
Citation:
A Lili et Azurine C.
D'un humble représentant de la Foi,
Rédigé à Saint-Aignan, Auberge du Berry Libre.
A Lili et Azurine C.
D'un humble représentant de la Foi,
- Vos deux noms étaient présents ensemble sur un mot que j'ai retrouvé. Il était porté par un homme laissé pour mort. Un homme tatoué. Il a perdu beaucoup de sang et je crains pour ses jours. Je pense qu'il n'y survivra pas.
Il me semblait important de prévenir ses proches, et j'imagine que cette liste les réunit. Rassurez-vous, s'il meurt, il aura une cérémonie lui permettant d'absoudre ses péchés et de monter au Paradis Solaire.
Rédigé à Saint-Aignan, Auberge du Berry Libre.
Citation:
A Amalio C.
D'un humble représentant de la Foi,
Je vous souhaite de garder courage dans cette épreuve.
Rédigé à Saint-Aignan, Auberge du Berry Libre.
D'un humble représentant de la Foi,
- J'ai un homme tatoué chez moi. Il portait sur lui une note où votre nom était présent. Cheveux sombre, tatouage autour de l'oeil gauche, peau halée, sûrement pas du coin. Toujours est-il que vous devez le connaître et qu'il est entre la vie et la mort, dans une auberge du Berry où je l'ai ramené. Plutôt mort que vif, d'ailleurs. Il n'a toujours pas repris connaissance depuis que je l'y ai ramené.
Je lui administrerai les derniers sacrements lorsqu'il expirera, soyez en assuré.
Vous devez être un de ses proches.
Je vous souhaite de garder courage dans cette épreuve.
Rédigé à Saint-Aignan, Auberge du Berry Libre.
Ainsi, la liste s'achevait. Ou du moins l'étrange homme avait-il écris à toutes les personnes dont il avait pu déchiffrer les noms à travers le carmin. Le pessimisme n'était pas de trop, à en juger mon état végétatif, et l'étendue de mes blessures.
*Stendhal
**Saez
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