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[RP] Abstinence

Anaon



      Absence.
      Silence.
      Résignation.


    Citation:
    J'imagine que tu ne voudras pas mais... Il fait plus chaud chez moi.

    Et puis tu ne seras pas en retard pour la première leçon.

    J.



      Réticence.

    Le papier se froisse pensivement entre ses doigts. Elle rodera encore longtemps dans les rues noires et glaciales de Verneuil, s'éclairant de temps à autre au seul rougeoiement de sa pipe qu'elle rallumera plusieurs fois en se brûlant les doigts.
    La nuit est noire. A peine un ersatz de lune découpe les silhouettes massives des bâtisses qui font le bourg. Un muret qui se distingue. Elle y prend son assise. Le mot se recroqueville contre sa paume alors qu'elle joue encore du briquet et de l'amadou. Une paillette ignée. Un embrasement au bout de son allumette de soufre. L'inspiration calme qui gonfle ses poumons depuis des jours et qui lui amène au palet un goût d'herbes brûlées. La pipe est rallumée et la sicaire savoure à nouveau ces bouffées mécaniques qui lui apportent ce qu'elle n'a plus pour plus rien d'autre : le goût. L'allumette qui se consume est négligemment jetée sur le côté, et la tête se penche à un peu à contre coup pour s'assurer qu'elle n'a pas embrasée le foin de quelconques bêtes qui doivent être parquées dans l'enclo. Assurée, elle se redresse alors sur son muret. Et elle attend.

    Elle ne pense pas, ni ne médite réellement sur les mots tenus entre ses mains. Son impassibilité est grande, et à l'intérieur, elle en apprécie la présence. Elle attend placidement que l'Envie vienne pointer le bout de son nez dans son esprit trop calme.
    Elle ne viendra pas.

    Alors, quand ses os se seront suffisamment gorgés de froid, elle rentera à Moulicent, sans répondre à la demande du Seigneur. Même fidèle, le chien est toujours réticent à l'idée de rejoindre le maître qui lui a si souvent donné du bâton.

    Arrivée, elle ne gagnera pas de suite son sommeil. Dans l'ombre des couloirs, elle se dirige, sans chercher, par politesse presque, à les apprendre par cœur. La phobique de l'oublie se cantonne ici à ne connaître que les passages qui lui sont utiles, soucieuse de ne pas rôder de trop dans l'hospitalité du Vicomte Renard. Sous sa main, une porte se pousse. Paris ne l'avait jamais autant exténuée. Galvanisée, plus terrible que jamais, elle avait sué plus de sang que d'eau avant de se retrouver immensément vide. Vide, comme on se sent apaisé après s'être défoulé dans un effort intense. Un vide, qui n'est que cette cotonneuse tranquillité qui vous rend inébranlable. Loin de tout.

    Un pas s'avance dans la pièce qui se découvre par ses odeurs qui trahissent encore la chaleur et les saveurs du repas du soir. C'est ici, que l'Anaon prend soin de choyer sa sérénité. Dans ces cuisines, où elle avait récupéré de son dernier voyage de Bretagne. Où elle avait décidé encore de passer le plus clair de son temps pour les quelques jours qui la verront en Alençon. Elle aime à préparer tout ce qui lui est possible de faire, pour ravir Renard, pour se ravir elle-même, quand tout Moulicent dort où que les matrones ont à faire ailleurs. Les mains dans la pâte elle ne pense à rien d'autre.
    Banalité de femme qui lui rappelle sa jeunesse et qui lui fait croire qu'elle a la vie la plus classique du monde. Oui, elle trouve dans ces simples cuisines tout l'apaisement qui lui manque cruellement, et qu'elle n'avait jamais retrouvé depuis Petit Bolchen... si ce n'est dans la rare présence d'un Slave.

    La sicaire s'avance, et la main pioche presque à l'aveuglette un petit chou parmi d'autre, garni de confiture, qu'elle a préparé la nuit précédente. Une dent pour une fois gourmande s'y plante tranquillement, en songeant qu'il faudra préparer du salé au Renard, demain. Puis son petit passage fait, la mercenaire gagne sa couche, dans la chambre la plus modeste trouvée chez Moulicent. Elle lui avait promis qu'elle serait discrète. Et on ne la voit pas. On ne voit d'elle que les petits mets qu'elle laisse sur une table de la cuisine ou l'eau d'un baquet devenue froide d'avoir été délaissée de toute présence.


    Pourtant, le lendemain, rien de plus n'échouera sur les tables pour le petit-déjeuner de la maisonnée. Avant même les premières lueurs de l'aube, l'Anaon sera-là, devant les portes du domaine du Von Frayner. Juchée sur sa monture, sans oser pénétrer dans l'enceinte. Sans même songer à y penser. Étrangère. Elle ne se sent ni familière de ses pierres ni de ses gens bien qu'elle ait pu y vivre quelques jours. Elle laisse le domaine au rang des anonymes. Car son esprit, bien malgré elle, refuse d'associer ces murs à Judas où à son fils, où à quoique ce soit d'autre qui ait pu jadis la rendre heureuse.

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De Retour tout doux. Anaon se prononce "Anaonne"






















Judas
    Absence.
      Silence.
      Résignation.


La nuit passe d'un fard moribond sur la silhouette de laine engoncée dans les épaisseurs de la couche seigneuriale. La demeure a cessé depuis quelques jours de relayer les suppliques de sa Maitresse, accablant presque ses gens du silence dérangeant qui s'y est installé.

L'homme n'est-il jamais heureux que de ce qu'il n'aura jamais? Sa satisfaction s'émousse-t-elle donc dans son accomplissement, déjà à la recherche d'un autre lorsqu'elle s'évanouit? Les craquements des arbres au dehors laissent l'oreille de Judas s'y attarder dans l'espoir vain d'y reconnaître les pas attendus. Les doigts froissent les draps, exaspérés, se joignant bientôt pour une ultime prière de trouver le repos du sommeil. Ce repos de l'esprit que Judas n'embrasse jamais. Colères, desseins, angoisses, toujours ont été les pièces aux rouages composant l'inflexible machine Von Frayner. Infatigable jusque dans ses cauchemars... Et pourtant usé. Elle ne viendra pas.

L'envie lui a manqué. Comme elle lui manque il le sait depuis longtemps. Depuis la Bretagne sans doute, depuis que Chimera a consumé. Judas sait. Anaon a perdu de son éclat depuis qu'il s'est retranché dans l'ombre. L'usure ne se cache pas indéfiniment, même sous le beau cuir reluisant. Il y a mis du recul, de la distance pour dissimuler... Seigneur sybarite a laissé les brises souffler sur ses cendres. Eteignant sans lutter les dernières braises de la Roide. Elle ne l'aime plus comme avant, craignant ses décisions, redoutant ses absences, répugnant ses états-d'âmes allant toujours en vents contraires. Sa proposition d'être le Maitre d'armes de son fils n'était qu'un pas détourné. Légitimer sa présence constante auprès de l'enfant, lui permettre de s'en occuper convenablement. Plus convenablement que lui. Ce soir il l'a compris, elle ne viendra pas.

Les muscles noueux tiquent au moment d'embrasser le repos, les réflexes nerveux retenus inconsciemment lors de cette longue journée cherchent à s'exprimer, archaïques. Une main qui se crispe, un pied qui sursaute. Dans les moindres tréfonds de son subconscient, tout le ramène à l'évidence. Quelque chose est mort, ici ou ailleurs, et Anaon ne se privera plus jamais d'en porter le linceul. Indifférente à lui lorsqu'apres avoir supporté le saccage de ses tempêtes intérieures, plus rien ne semblait s'émouvoir. Dans quelques jours il quittera le domaine, fidèle à ce qu'il est devenu dans ses épousailles et ses adultères : l'absence incarnée. Il retourna sur ses terres retrouver Rosalinde, comme on reprend une bouffée d'air. Cette idée ridicule de retrouver en cette figure du passé, un peu de ce qu'il avait été. De ce qui ne subsistait. Volage, séducteur, passionné. Rire des autres en aparté, l'écouter se plaindre de ses amants dépassés. Rosalinde raviverait peut-être le panache qu'il se cherchait de quelques pirouettes dont elle avait le secret. L'amie à défaut de l'amante dont il n'arrivait plus à saisir les nuances. Impalpable Anaon au silence qu'elle semblait lui avoir emprunté. Résignée.

Il avait effleuré l'idée que d'être fidèle à Anaon, d'avoir besoin de temps, le rendrait intact à son entourage le plus intime. L'idée que de donner son fils à la Roide la lui rendrait, lui redonnant cette confiance qu'elle ne respirait plus. Il s'était imaginé que la mort d'Isaure arrangerait tout. Ne plus toucher à personne. Rendre Amadeus. Se défaire coûte que coûte de ses engagements. Mais sa liberté retrouvée, l'insipide perdurait. La fidélité physique ne suffirait jamais. L'amante n'en avait plus que le nom, lassée de lui et de ses tourments indéfectibles. Elle ne franchirait pas sa porte cette nuit, le laissant seul comme pour le punir de toutes les fois où il l'avait laissée. Anaon semblait définitivement blessée, et chaque retour de Paris la rendait plus imperméable. Judas se résignait. Incapable de la prendre dans ses bras, laissant cela aux autres qui le faisaient mieux qu'il n'y parviendrait jamais. Ce soir, où était-elle? Chez Moulicent. Ce Renard qui l'avait sans doute mieux écoutée que lui, cet ami avec qui elle partageait avec bien plus de facilités une sorte d'intimité. Des confidences que le Duc était trop maladroit à dissimuler. Il finit par s'endormir dans l'insatisfaction la plus totale, toujours déçu de ses incapacités et de sa propension à ne savoir s'épancher. Et comme si l'aube ne lui importait que peu, au petit matin il ne se leva pas. Son fils le fit pour lui, quittant son lit pour prendre possession du sien, à la recherche sans doute de la chaleur qu'il manquait au Manoir.

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"you're not really a little boy--are you? you're one of them."
Anaon
    " J'ai cherché sur les visages des dieux... les moyens de te plaire, de te rendre fier. Un seul mot tendre, une seule étreinte où tu m'aurais pressé contre ton cœur et serré très fort aurait été comme un soleil dans mon cœur pour des siècles et des siècles. Mais qu'est-ce qu'il y a en moi que tu hais tant ? "
      - Commode, Gladiator -



      Elle s'est assise contre l'arbre le plus en face de la grille, laissant à Visgrade le loisir de brouter l'herbe sèche et éparse qu'il arrive à dénicher aux pieds des troncs noueux. L'aurore chasse l'encre qui embourbait le ciel pour laisser poindre un petit soleil blanc et brumeux qui font les matins d'automne. L'Anaon attend, en contemplant le nez mobile de sa monture que quelqu'un la remarque et l'enjoigne à entrer. Et dès lors que les premiers rayons ont balayé les premières ombres, une silhouette ne manque pas de se détacher des murs du domaine et de s'intriguer de sa présence. Valetaille chargée de récupérer les premiers œufs du jour ou d'apporter l'eau la plus fraîche, qu'importe, la sicaire se relève à son approche. Elle explique simplement que le Seigneur l'a fait venir concernant l'éducation de son fils. On lui explique sobrement que le Seigneur dort encore. Les azurites se relèvent sur les fenêtres obstruées du manoir.

    _ D'accord... Et bien... Ne le réveillez pas alors... mais j'aimerais simplement pouvoir mettre mon cheval à l'écurie.

    Et c'est ce qu'on lui accorde de faire. Comme toujours alors, elle entreprend de panser à nouveau soigneusement sa monture, éternisant le geste de savoir qu'elle n'est pas attendue. Moment privilégié qu'elle n'a jamais voulu déléguer. Et l'Anaon s'apaise encore un peu des simples gestes au contact de l'étalon. Fidèle qui vieillit sans qu'elle ne veuille le voir, refusant obstinément de penser que le dernier reste de sa vie passée puisse un jour disparaître après avoir vécu plus de dix-sept à ses côtés. La tâche achevée, le poil plus que luisant, la sicaire consent enfin à quitter l'écurie devant laquelle elle se poste dans l'attente encore de croiser quelqu'un d'autre.

    Elle ne veut pas passer seule les portes du manoir. Elle n'y a pas le droit. Ici, elle est une étrangère. Mais au fond d'elle, sans doute, sous ces monceaux d'épaisse tranquillité, l'Anaon a peur de ce que peut représenter ce simple geste. Oui, elle a été blessée, comme elle ne l'avait jamais été. Elle a enfermé cette blessure dans une solide carcasse de fausses indifférences. Et comme rien n'est venu la panser, elle la laisse sourdre son pus et son sang dans cette armure qui la mure au silence. Bretagne a été un choc. Encore. Et cette fois, seule, elle n'a pu recoller les morceaux pour deux comme elle l'avait toujours fait. Cette fois-là, l'Anaon a éprouvé réellement ce qu'elle n'avait jamais voulu ressentir. La jalousie. Sentiment détestable qu'elle trouve si peu honorable, rodée à l'idée qu'une femme doit être la parfaite obligée sans reproche de son homme, et qu'à l'âge de la sagesse, on n'a plus à se laisser malmener par pareil état d'âme. Mais l'Anaon a été jalouse, envieuse, et ça n'a été pourtant que la pâle manifestation de la peur panique qui la broyait. Oui, pour la toute première fois de sa vie, l'Anaon a été terrifiée à l'idée de perdre Judas. Une angoisse sans pareille. Une terreur impalpable qui n'a rien changé. Elle l'a senti lui glisser entre les doigts. Elle l'a vu s'éloigner. Se faire aussi morne que vide. L'Anaon le sait, elle a perdu Judas quelque part sur les falaises de Bretagne.

    Et l'Après a pourtant été plus redoutable encore. L'Anjou a fini de l'achever. Elle s'est mise des œillères au cœur pour ne pas voir que Judas se délitait pour la nostalgie d'une autre. Des autres. Elle a enfoui dans une abnégation terrible sa propre souffrance pour tenter de le relever, lui, qui la rendait malade de se laisser mourir. Elle a été effacée, présente, tendre, silence. Elle s'est faite oreille et épaule. Elle a essayé de parler ou de se taire, de se tordre à l'image que Judas se faisait d'elle. Mais rien n'y a fait. Il l'a repoussé. Il l'a délaissé. La rendant impuissance, étrangère à ses douleurs. La Roide est restée sur le carreau.

    Et elle est restée sur son carreau. Sage d'abord. Résignée ensuite. Dévouée convaincue que la pitance finirait bien par tomber. N'osant seulement quémander de temps à autre qu'avec une pudeur absolue des nouvelles auprès du Renard qui n'en avait jamais. Les semaines passant, le silence se creusant, l'Anaon avait alors compris qu'une fois de plus elle serait seule dans l'épreuve que lui imposait son bourreau. Et sur les falaises de Normandie, elle avait décidé qu'elle ne reviendrait pas s'enterrer en Alençon.

    La voici pourtant là où elle ne se voyait pas être. Sans savoir si cela signifie qu'elle offrira encore cœur et âme aux coups de hache incessants des erreurs de Judas. Sa désinvolture est grande. Elle ne semble pourtant pas voiler la provocation qui s'y cachait toujours il y a quelques années encore quand elle errait sur les pavés de Petit Bolchen.

    L'oeil bleu reste rivé sur les murs dont les ombres se meuvent subtilement au fur et à mesure que le soleil s'élève. Personne ne vient à nouveau, et dans sa grande patience, la mercenaire trouve tout de même que le temps se fait long. Elle tourne sur elle-même de quelques pas, piétine un peu, avant de se résoudre dans un élan de courage à pousser les portes du manoir.

    A l'intérieur, seul le vide la reçoit dans le silence propre aux maisonnées en deuil. Isaure est morte. La nouvelle lui paraît encore si brutale et invraisemblable qu'elle ne se grave pas complètement dans son esprit. Son regard fouille la grande salle qui s'ouvre au devant d'elle. Un domestique au loin passe comme un fantôme sans l'apercevoir. Le visage se tourne. La mercenaire se plie à faire chemin seule. Et alors qu'elle se dirige par les couloirs qui devraient la mener à la chambre de Judas, elle craint de croiser la silhouette frêle et redoutée qui a pourtant posé une ombre si grande sur sa vie.

    Elle compte. Si sa mémoire est bonne, la chambre de Judas est derrière cette porte-là. Elle la découvre par ailleurs entrouverte. Avec une précaution infime, le dos de sa main se pose sur le bois, et avec une certaine appréhension elle agrandit légèrement l'ouverture dans le silence le plus absolu. Ce qu'elle y découvre la frappe droit au cœur.

    Une petite tête brune s'est nichée contre la plus grande. La pièce lourde de sommeil étale sous ses yeux le tableau paisible de la Famille qui lui est si chère et si douloureuse. Les traits de l'Anaon s'affaissent. Dans sa poitrine, le calme mortuaire qui avait pris place s'ébroue subitement comme des bulles éclatant à la surface d'un marécage. L'image lui renvoie en pleine face ses deux années d'absence. Elle n'a pas été là. Elle n'a rien vécu. Elle prend brutalement la mesure de tout ce qu'elle a manqué, tout ce qu'elle a désiré sans pouvoir le frôler. Et là, devant le spectacle le plus banal du monde, l'Anaon se met à trembler.

    Sa main se retire de la porte. Une part d'elle voudrait les rejoindre, mais dans une retenue impitoyable, la sicaire s'éloigne d'un pas. Ses mains s'attrapent l'une et l'autre comme si elles étaient soudainement gelées, et elle plaque les pauvresses contre sa poitrine qui ne distille pourtant pas bien de chaleur. Elle s'arrache à la vision en tournant le dos et son regard soudainement affolé saute d'un dallage à un autre dans l'espoir incongru que ce sol lui donne la réponse sur la conduite à suivre.

      Débâcle cardiaque.
      Et la fuite de la sicaire qui signe toujours ces instants troublés dont elle ne sait se démêler.

    Dieux... Serais-je donc à jamais incapable de crever cet amour pour de bon ?

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De Retour tout doux. Anaon se prononce "Anaonne"
Judas
    "Anaon - Comment vas tu?
    Judas - Isaure est morte."



Le matin se terminait, dans le grand lit l'enfant ne s'agitait pas, occupé à observer la découpe de ses mains sur le plafond, à jouer du pied sur les pans épais du baldaquin. Judas s'éveilla et l'observa en silence, absorbé par son image comme souvent ses derniers temps. Le seigneur s'était surpris à aimer l'épier, dissimulé ou non loin de son attention, décrypter ses mimiques, disséquer ses gestes et ses attitudes. Les cheveux noirs corbeaux qu'il lui reconnaissait, les yeux cobalts dont toutes les nuances revenaient à sa mère. La peau laiteuse, les mains curieuses. Tout en son fils lui rappelait combien il avait été lui aussi jeune et fringuant, gonflé d'un orgueil qu'il pensait éternel.

Il brisa les rêveries enfantines en le ramenant à lui, d'une main paternelle toujours autoritaire mais empreinte d'enseignement. Amadeus ne broncha pas, les yeux si bleus grands ouverts sur son père. Judas ôta soigneusement les vêtements de son fils, se saisissant d'une tenue déposée au pied de la couche par une suivante au fait des habitudes du garçon à échouer au petit matin dans les draps Judéens depuis l'absence d'Isaure. Le corps nu se contorsionna un peu, réticent à ce moment qu'il n'affectionnait pas, se vêtir et se dévêtir semblait être une perte de temps précieuse sur ses jeux cabotins. Pour autant aucune plainte ne franchit ses lèvres, Amadeus avait développé une sérieuse capacité à communiquer par les yeux plus qu'à se fatiguer à prouver qu'il savait parler. L'éloquence se lisait sur son visage, tantôt rieur tantôt rouge d'impatience. Une senestre paternelle vint ajuster sur sa petite poitrine et son ventre rebondi un épais pourpoint brodé aux incrustations de pierres, tandis qu'il s'évertuait à tenter d'attraper le collier de gemmes de son pater. Des collants clair couvrirent ses fesses et l'enfant se résigna à attendre la fin de cette toilette pour s'échapper des mains seigneuriales quoi que l'exercice fût rapide.. Lorsqu'en signal de fin un petit chapeau assorti à sa tenue d'apparat vint surmonter ses crins de suie, il fila sauter sur les coussins, laissant Judas songeur. Frayner le laissa jouer, vacant à sa propre tardive toilette et lorsqu'elle fut terminée arracha délicatement son fils à ses jeux insensés pour le porter à ses bras. Un léger bruit se fit entendre dans le couloir, sans qu'il n'y prête attention. Un chien aventureux sans doute.

Sa tenue était celle de tous les jours, contrastant avec la richesse de celle d'Amadeus, ses cheveux simplement ramenés en catogan, et à ses mains point de gants. Une bague pour tout vêtement, et certainement pas à l'annulaire qui s'était dépouillé sans remords voilà quelques jours de son anneau licencieux. Il décida de sortir de sa chambre pour rejoindre le rez de chaussée, bientôt vite rejoint par une horde de lévriers joueurs et heureux de voir sa sèche silhouette réapparaitre chaque jour comme la première fois. Amadeus s'agita, toujours désireux d'attraper l'une de ces turbulentes créature. Le seigneur savait que la brune serait dans les parages malgré l'heure avancée. Car si Anaon n'avait pas daigné répondre à l'appel de Judas, il avait une certitude: jamais elle ne restait muette à l'appel de son enfant. Les écuries étaient sans doute déjà habitées de son aura.

L'ombre du Maitre des lieux arpenta les couloirs et se figea dans la grand salle face à son apparition presque irréelle. Surpris de la présence de la Roide au sein même de ses murs. Pudique et peu encline à s'aventurer chez Judas il avait depuis longtemps pris cette distance pour une simple non-envie de tomber sur un profil inopportun. De son vivant, son épouse. Désormais sans doute une illusoire maitresse. Amante. Fille de joie. Ou qui sait, le seigneur lui même. Comme si quelque soit la configuration, Anaon ne se trouverait jamais une place dans la vie quotidienne du satrape , condamnée aux soirées ou aux voyages. d'approcher le VF aux tavernes et par les lucarnes de Moulicent.

Pris de court, Judas bégaya détestablement.


- Je...Tu... Ha.

Il finit par sortir de son mutisme, reprenant sa progression vers elle.


- Bonjour.

Il n'aborderai pas la lettre morte, constatant que finalement elle ne l'était restée qu'à demi. Et puis sans l'envie de connaitre les causes exactes de l'absence qu'il avait prévue il était inutile de chercher un moment propice à en discuter, mais plutôt se concentrer sur la place qu'elle souhaitait prendre ou non dans le Manoir Vernolien et auprès de l'enfant qu'il lui tendit d'ailleurs, pour qui elle serait sans doute plus qu'un maitre d'enseignement.


- Dis Bonjour.

Et l'enfant s'exécuta gaiement, trop content d'aller enfin voir un peu de verdure et de se dégourdir les jambes.
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"you're not really a little boy--are you? you're one of them."
Anaon

      Et puisque que le sol n'a livré aucune réponse, elle a compté les pierres.
    Les mains jointes sagement contre son ventre, elles ont refusé de toucher la moindre tapisserie ou le moindre pan de mur. Cloitrée tout contre elle, par un blocage inexplicable. Celle qui a toujours découvert dans le toucher s'aveugle aujourd'hui de son sens le plus prégnant. Elle a calmé les remous de son crâne sur le défiler de roche grise, comme on poncerait les arrêtes d'un marbre trop brute jusqu'à le rendre aussi lisse et clair qu'une plaque de verre. Elle ne se concentre que sur cela, sur les couloirs qui défilent et les portes qui les jalonnent, sans prêter attention aux domestiques effacés qui s'illuminent dans le halo pâle s'infiltrant par les fenêtres qui les voient passer et s'arrêter. On se surprend de sa présence. On la reconnaît peut-être. Mais l'Anaon les dépassent comme s'ils n'étaient qu'une pierre de plus dans l'agencement qui font les murs.

    Elle ne s'oriente pas, elle erre. Au gré des dalles et des marches qui la mènent presque avec surprise sous le plafond de la Grand-salle. Elle s'y arrête alors, contemplant la hauteur déjà connue. Puis elle s'amuse à faire claquer ses bottes sur son sol, avant d'en amoindrir le bruit, comme si comprendre l'écho de la pièce était soudainement devenu d'un intérêt existentiel. Trompe-temps émoussé, la sicaire se fige encore, laissant ses doigts jouer pensivement avec la longue tresse qui pend sur son épaule. Et alors elle entend Judas arriver avant même de le voir.

    Un cortège de petits claquements secs et bien connus se fait entendre, de ceux que font les pattes griffues quand elles courent sur le sol. Elle voit débouler dans la pièce une meute de chiens arachnéens, hissés sur de longues jambes, et l'image a cela de troublant qu'elle lui est habituelle mais terriblement lointaine. Les plus hardis hésitent une seconde avant de venir rôder autour d'elle, s'empressant d'identifier l'odeur de ce congénère canin qui imprègne désormais les habits de la mercenaire. Les plus réservés, en retrait, jappent dans l'expectative, mais bien vite l'intérêt du troupeau revient au chambranle où le regard de la mercenaire s'est aussi scellé, sachant pertinemment, que la silhouette du Maître va en émerger.

    Quand elle le voit apparaître, l'Anaon ne s'émeut point, ni quand elle constate sa surprise, son attention déjà tout accaparée par le petit homme qu'il tient entre les bras. Quand son fils s'approche, les lèvres de la mère-cenaire s'assouplissent d'un sourire tendre. Froide face à son enfant, elle ne se le sera jamais, et toujours cette vision arrivera à percer ses armures pour se nicher au plus doux de sa poitrine. Il est beau comme un vrai petit seigneur, et comme toute mère aimante elle est farouchement convaincue que son enfant est le plus beau du monde. Quand Judas le tend à elle, elle le prend sans attendre, recevant son petit « Bonjour » empressé et lui tendant la joue pour qui l'embrasse, avant d'embrasser elle-même sa petite tempe avec amour. Mais sentant que l'enfant ne voudra pas tenir dans ses bras, elle ne le retient pas, et le pose au sol, réajustant son petit chapeau avant de le laisser filer, sans qu'il ne lui accorde plus d'intérêt, et sans qu'elle ne s'en offusque pour autant.

    Elle se redresse et le regarde folâtrer à droite et à gauche. Petit bout plein de vie qui la fait se sentir tellement plus jeune et à la fois doucement nostalgique. Ce n'est qu'au bout d'un moment qu'elle s'adresse à Judas, sobrement, les prunelles rivées sur sa progéniture, dans une surveillance instinctive et perpétuelle qui est toujours celle des mères.

    _ Tu n'as pas le tableau ?

    Simple constatation.

    Plus tard, Judas lui dira « Pardon ». Un simple mot. Ce simple petit mot que l'Anaon a langui d'entendre depuis tellement longtemps... Ces quelques petites lettres, qu'elle a souffert de ne jamais voir prononcées sur les lèvres aimées. Qui ne sont jamais venues panser les blessures qui se sont infectées ne n'avoir jamais été regrettées. Suspendue à lui, à ses retours, elle a toujours attendu qu'il ne lui dise que cela... Juste cela, pour évincer les discours inutiles. Effacer, tout ce qui l'avait mortifié. Ce simple mot, qui aurait pu désamorcer tellement de choses, tellement de fois, si seulement il avait été employé au bon moment. Ce simple mot, qui désamorcera tant...

    Mais aujourd'hui, il n'a pas encore été prononcé, et l'Anaon est aussi refermée qu'une huître dont aucun couteau ne pourrait venir perforer le nerf.

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De Retour tout doux. Anaon se prononce "Anaonne"
Judas
Judas Gabryel Von Frayner regarde la Roide

- Le tableau

Anaon ne tourne toujours pas les yeux, ses sourcils se froissant pourtant légèrement.


- Je pensais que tu l'aurais depuis. Depuis Février... C'est tout.
- Je l'ai. J'ai trouvé indécent de remplacer celui d'Isaure par celui-ci, quelques jours après sa... Mort. Mais je l'ai.


Judas aurait pu dire assassinat, mais Ann de toute façon et malgré toutes apparences n'est pas née de la dernière pluie. Anaon détache son regard de son fils un bref instant, pour trouver Judas, comme si de cette simple œillade elle pouvait assouvir sa curieuse sur l'œuvre. Les azurites se fixent ensuite dans le vide, puis reviennent à l'enfant.

- Je me doute.

Anaon hausse les épaules.

- Je me demandais seulement.
- Je te l'offrirai un jour.

Judas Gabryel Von Frayner va à la rencontre d'Amadeus et remet son chapeau droit sur sa petite tête, maniaque.


- Bref, parlons bien...


Judas se retourne vers elle.


- Ce que j'attends d'un Maitre d'Armes n'a rien à voir avec ce que tu feras de ton rôle de Maitre d'Armes , je le sais déjà. Pour autant. Deux choses doivent être concrètement abordées..

Judas voyant l'enfant aller à droite quand il va à gauche finit par jouer avec un chien , pour ne pas regarder la Roide. Anaon écarquille les yeux quand il lui parle de lui offrir le tableau, se demandant dans un pragmatisme réflexe se qu'elle pourrait en faire, elle, qui ne connait que les chambres d'auberges dépouillées de toutes décorations personnelles. Puis à voir Judas accourir pour jouer les maniaques, l'Anaon retient un simple sourire, bien décidée à n'afficher aucune émotion quand elle a pu trop s'émouvoir. Sa contemplation est pourtant presque douce, vite rappelée à l'ordre pourtant quand Judas se retourne pour parler « affaire ». Alors sans un mot, à l'écoute pourtant, elle prête l'oreille. Une narine frémit, un coin de lèvres se tire avec retenue à la scène de son fils fuyard et d'un père visiblement... Dépassé. Regard à nouveau embrasse le vide du sol. Contenance revient.


- Ce que tu vas lui apprendre pour ses trois ans, et combien je vais te payer pour le faire.

Frayner se redresse, croisant les bras sur sa poitrine au collier tapageur. Anaon croise par habitude ses poings contre ses reins, comme à chaque fois qu'elle se fait "employer" face à un commanditaire.

- J'écoute...
- Je pensais à une rente mensuelle de 150 écus, gîte et couvert . Je ne te ferai pas l'affront de te faire laver tes robes...

Frayner la taquine, elle qui n'en porte pas.


- L'enfant a besoin d"une présence constante à ses cotés sur le domaine, et nous savons parfaitement que...
Il inspire. - ... Je ne suis pas un modèle en ce domaine. J'ai renvoyé ses nourrices.

Frayner murmure en regardant le chien:


- Elles étaient trop endeuillées pour garder les idées claires. Cest Hugo, mon jeune limier qui s'en occupe en mon absence. Disons une présence cinq jour semaine.


Il l'interroge du regard pour approbation, Anaon fait pensivement tourner la bague à son index, avant de serrer brièvement les dents, convaincue que le renvoi des nourrices et la présence d'Hugo n'est qu'un moyen pour Judas de mettre en avant la solitude de leur fils et de la prendre par les sentiments. Là, sont des stratagèmes qui font toujours tiquer la mercenaire... Mais qui ont au moins le mérite d'attirer la pleine attention de la Balafrée sur le seigneur. Une inspiration.


- Oublions la rente. Mais j'accepte à la condition de juger moi-même ce qui est à faire pour lui et ce qui ne l'est pas.


Anaon murmure alors:

- Je veux l'éduquer comme une mère... et pas uniquement comme un simple maitre d'arme.


Anaon reprend à voix plus haute:

- Cinq jours par semaine... Ou plus. Je veux le plein de choix de mon... emploi du temps. Et le droit de choisir, quand ma présence ou non.


Anaon sait bien qu'elle fera en sorte d'être là le plus possible. Mais vivre pleinement au domaine et encore une chose qui lui semble inconcevable. Judas reprend, avec le maximum de flegme possible.


- L'octroi de la rente n'est pas négociable. Je dois justifier de ta présence perpétuelle auprès de lui n'étant aux yeux de ceux qui l'ont vu grandir ... Pas de son sang.


Il ne s'attarde pas sur cet état de fait, tous les deux sachant à quoi s'en tenir malgré la vérité dissimulée.


- Donc , 150 écus donnés de la main d'une suivante pour attester si besoin un jour, que tu rends un service sur le Domaine pour le jeune Amadeus.

Il regarde l'enfant et ajoute plus bas:


- Du reste, tu feras ce que tu voudras. De Kenan.


Il poursuit.


- Pour conclure , je dirais que tu as mal interprété mes dires. Je disais qu'il fallait aborder le contenu de ses leçons. Pas que j'allais te le dicter. Je veux juste savoir ce qu'il fait de ses journées. Et ta présence à ses cotés 5 jours semaine est un minimum souhaité, qu'il soit ici ou ailleurs . En aucun cas une limite.

Anaon pince les lèvres. La sicaire pour l'heure, reste dans une retenue glaciale et une méfiance absolue. Chien battu ne voit dans le lien qu'une laisse prompte à lui briser la nuque. Et l'argent sonne pour elle comme une dépendance qu'elle ne veut pas avoir. La sicaire se tord l'esprit sur ce détail pourtant anodin, jusqu'à ce que Judas ne trouble ses traits sur un simple mot. Le regard de la mercenaire se tourne sur leur fils. C'est la première fois qu'il l'appelle Kenan. Anaon , adoucie murmure alors :


- Tu sauras... Tout ce qu'il fera.
- Bien.

Frayner fait quelques pas pour caresser les cheveux du petit en guise de bonne journée et hausse une épaule.

- Si le fait de recevoir de l'argent de ma part te déplais, à défaut de pouvoir changer cet état de fait, trouve comment le dépenser agréablement.


Il lance un regard de la mère-cenaire à l'enfant. Qui sera sans doute gâté. Anaon ne répond pas, se sentant quelque peu vexée que son malaise ait été si explicite. Mais oui...Elle trouve bien vite ce qu'elle pourra faire avec cet argent.

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"you're not really a little boy--are you? you're one of them."
Anaon

 ↬ Quelques jours plus tard ↫



      *

      " Judas : Si demain je devais te tuer de mes mains par amour, ne doute pas un seul instant que je le ferai.
      Anaon : Je sais... "


      Des mots. Des mots pour ceux qui en mettent si peu sur les maux. Des petits discours pour enfin paver les longs silences. Se défaire pudiquement de ce qui n'est plus d'or depuis longtemps et qui est devenu monceau de frustrations et d'accumulations. Non-dits infectieux.


      " Judas : L'ironie c'est qu'au yeux des autres, c'était toi l'écart. Alors qu'aux miens... tu as toujours été...
      ...et tu le sais.
      Anaon : Je ne le sais plus assez... sans doute. "


    L'avare de mot a besoin d'entendre. Quand la certitude n'est plus assez forte pour maintenir sa charpente, elle a besoin de se raccrocher à la moindre saillis pour ne pas laisser s'effondrer à jamais ce qui a pu être construis. Trouver une raison à s'épuiser de rester debout, redresser les épaules sous les madriers qu'il s'est plu à lui laisser tomber sur le crâne. Voilà un monument bien atypique que celui de leur histoire. Biscornu, aux poutres pourrie, grignoté par une myriade de petits rats et pourtant jalonné de vieilles pièces somptueuses, aux statues superbes, érigées par des mains fiévreuses et passionnées. Le tout figé dans une nappe de poussière qu'il faut prendre le temps de retirer.
    On se demande quand est-ce que leur édifice s'écroulera pour de bon. Certain n'attende que cela. Beaucoup. Et pourtant... il tient encore.


      " Anaon : Tu m'as asséné un coup de grâce et m'as laissé à l'écart comme une bête à l'agonie dont on ne se préoccupe pas.
      Judas : Oui, peut-être.
         Judas : Pardon. "



      Bien des choses à penser qui effleurent lointainement son esprit lorsqu'il s'étire paresseusement au seuil de l'éveil. Les paupières désireuses de garder encore un peu de langueur refusent de s'ouvrir. Les pensées tournant en toile de fond semblent ne pas avoir troublé le sommeil apaisé qui l'a emporté. Elle laisse ses sens sortir doucement de leur torpeur sans pour autant faire quitter son regard de son cocon sombre. Entendre le bruit du vent au dehors. Les pas feutrés des petites gents traversant les couloirs. Sentir le divin moelleux du coussin sous sa joue. Réveil de velours. Puis sans qu'elle ne sache pourquoi, quelque que chose la dérange dans ce qu'elle perçoit de l'autre côté de ses paupières. Comme un manque. Ou un froid soudain. Les azurites s'ouvrent mollement sur le décor. A côté d'elle, la couche est vide. La tête se redresse un peu pour apercevoir la porte entrebâillée. Un brin de déception. Puis la compréhension. L'Anaon replonge la tête sous l'agréable chaleur des couvertures.

    Elle se fait chat nonchalant qui refuse de se lever et elle ferme à nouveau les yeux pour savourer les dernières bribes de ce sommeil de plomb qui la prend si rarement. Que Morphée est salvateur quand il veut bien lui écarter les bras... Mais la sicaire, une fois la conscience pleinement éveillée ne tient pas bien longtemps dans l'indolence du lit. Elle s'offre alors au froid de la chambre, posant ses pieds nus sur le sol rafraichi par l'hiver approchant. Elle sort dans le couloir, sachant pertinemment qu'elle trouvera la prochaine porte tout autant entrouverte que la sienne. Un regard s'y glisse. Son fil a quitté sa couche pour rejoindre celle de son père, comme ce petit matin où elle s'est présentée à Judas. Anaon reste là.

    Elle n'avait pas encore voulu retrouver le lit de Judas. Mais elle avait voulu profiter d'un sommeil avec son fils. Et en tous les cas... elle était là. Cette nuit. Une chose qu'elle n'aurait pas fait de sitôt si Judas n'avait pas dit "Pardon". Pour la toute première fois, il a posé un cataplasme sur son cœur. L'inespéré accompli. Enfin. Elle qui est restée si longtemps affamée n'y pas cru quand la pitance a béni ses lèvres. Une bouffé d'oxygène gorgeant enfin des poumons asphyxiés. Il l'a dit pour son absence. L'Anaon l'a considéré pour tout le reste. Elle a fait table rase de tout ce qui s'est passé avant ce soir-là. Elle a tout pardonné. Tout. Et ce qui lui a semblé le plus inexcusable, ce qui lui a été le plus blessant, irréparable, elle l'a enfoui au plus profond de ses pensées. Cela ne rendra pas les prochaines blessures plus douces. Cela ne la rendra pas acquise. Ni n'amoindrira ses froideurs s' il vient à la bafouer encore. Mais il a dit que Bretagne, s'était fini... Il a dit pardon. La mercenaire veut le croire.
    Elle a envie de retrouver l'Envie.

    Par un simple petit mot, l'espoir d'une entente plus saine se profile. Et parce qu'Anaon est Miséricorde plus que Bourreau elle ose tout miser sur un renouveau. Ses mains passent calmement dans ses cheveux, s'immobilisent alors qu'elle contemple le couloir, puis entreprennent de les nouer en chignon. Précautionneusement, l'Anaon va revenir à Judas. Espérant simplement qu'il en fera de même. Pour l'heure, elle tente tant bien que mal à s'habituer au domaine. Et habituer à nouveau sa présence auprès du seigneur. Sans doute, va-t-elle aller voir ce qu'elle peur préparer en cuisine avant de retrouver les écuries tant appréciés.
    Trouver un brin de familiarité.


Musique : "Je te promets" de Zaho
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De Retour tout doux. Anaon se prononce "Anaonne"
Judas
Quelques jours plus tard, le Frayner prend la route pour le Maine avec Hugo. Courceriers, un rendez-vous avec le passé et peut-être l'avenir. Laisser la Roide au domaine avec Amadeus scelle l'entente proposée. La mère peut jouir de son enfant, tandis que Judas jouit de sa liberté retrouvée, encore maladroit de ne savoir trop quoi en faire... Au petit matin sur le lit qu'a choisi la Roide, un présent est déposé de la part du Maitre des lieux. Une zibeline, cache épaule piqué d'une fibule d'aigle à deux tête, symbole Von Frayner. De quoi utiliser de façon utile les deniers d'une rente maritale qu'il n'avait plus à verser... Et marquer Anaon du symbole familial pour qui viendrait à mettre en doute sa légitimité auprès de l'enfant confié.

Les cheveux noirs sont ramenés sur la nuque par une tresse dont seule la Roide a le secret. Les faveurs passées du bain ne sont pas encore revenues, loin s'en faut, mais le contact bref d'une main sur un vêtement à ajuster, la passation du garçon des bras aux autres et des repas laissés aux cuisines pour qui saurait les trouver au bon moment ont aidé à apaiser. Anaon savait cuisiner le gibier, une idée qu'il n'aurait pas effleuré. Le seigneur connaissait ses carences. Il n'avait jamais cherché à savoir. A trop la cantonner à son rôle passionnel, tout ce qui avait attrait au quotidien avait été laissé en désuétude d'intérêt.

C'est ainsi que l'on devient cet inconnu. Etranger malgré soi . Perdu seul au milieu de la foule.

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