Anaon
Absence.
Silence.
Résignation.
Citation:
J'imagine que tu ne voudras pas mais... Il fait plus chaud chez moi.
Et puis tu ne seras pas en retard pour la première leçon.
J.
Et puis tu ne seras pas en retard pour la première leçon.
J.
Réticence.
Le papier se froisse pensivement entre ses doigts. Elle rodera encore longtemps dans les rues noires et glaciales de Verneuil, s'éclairant de temps à autre au seul rougeoiement de sa pipe qu'elle rallumera plusieurs fois en se brûlant les doigts.
La nuit est noire. A peine un ersatz de lune découpe les silhouettes massives des bâtisses qui font le bourg. Un muret qui se distingue. Elle y prend son assise. Le mot se recroqueville contre sa paume alors qu'elle joue encore du briquet et de l'amadou. Une paillette ignée. Un embrasement au bout de son allumette de soufre. L'inspiration calme qui gonfle ses poumons depuis des jours et qui lui amène au palet un goût d'herbes brûlées. La pipe est rallumée et la sicaire savoure à nouveau ces bouffées mécaniques qui lui apportent ce qu'elle n'a plus pour plus rien d'autre : le goût. L'allumette qui se consume est négligemment jetée sur le côté, et la tête se penche à un peu à contre coup pour s'assurer qu'elle n'a pas embrasée le foin de quelconques bêtes qui doivent être parquées dans l'enclo. Assurée, elle se redresse alors sur son muret. Et elle attend.
Elle ne pense pas, ni ne médite réellement sur les mots tenus entre ses mains. Son impassibilité est grande, et à l'intérieur, elle en apprécie la présence. Elle attend placidement que l'Envie vienne pointer le bout de son nez dans son esprit trop calme.
Elle ne viendra pas.
Alors, quand ses os se seront suffisamment gorgés de froid, elle rentera à Moulicent, sans répondre à la demande du Seigneur. Même fidèle, le chien est toujours réticent à l'idée de rejoindre le maître qui lui a si souvent donné du bâton.
Arrivée, elle ne gagnera pas de suite son sommeil. Dans l'ombre des couloirs, elle se dirige, sans chercher, par politesse presque, à les apprendre par cur. La phobique de l'oublie se cantonne ici à ne connaître que les passages qui lui sont utiles, soucieuse de ne pas rôder de trop dans l'hospitalité du Vicomte Renard. Sous sa main, une porte se pousse. Paris ne l'avait jamais autant exténuée. Galvanisée, plus terrible que jamais, elle avait sué plus de sang que d'eau avant de se retrouver immensément vide. Vide, comme on se sent apaisé après s'être défoulé dans un effort intense. Un vide, qui n'est que cette cotonneuse tranquillité qui vous rend inébranlable. Loin de tout.
Un pas s'avance dans la pièce qui se découvre par ses odeurs qui trahissent encore la chaleur et les saveurs du repas du soir. C'est ici, que l'Anaon prend soin de choyer sa sérénité. Dans ces cuisines, où elle avait récupéré de son dernier voyage de Bretagne. Où elle avait décidé encore de passer le plus clair de son temps pour les quelques jours qui la verront en Alençon. Elle aime à préparer tout ce qui lui est possible de faire, pour ravir Renard, pour se ravir elle-même, quand tout Moulicent dort où que les matrones ont à faire ailleurs. Les mains dans la pâte elle ne pense à rien d'autre.
Banalité de femme qui lui rappelle sa jeunesse et qui lui fait croire qu'elle a la vie la plus classique du monde. Oui, elle trouve dans ces simples cuisines tout l'apaisement qui lui manque cruellement, et qu'elle n'avait jamais retrouvé depuis Petit Bolchen... si ce n'est dans la rare présence d'un Slave.
La sicaire s'avance, et la main pioche presque à l'aveuglette un petit chou parmi d'autre, garni de confiture, qu'elle a préparé la nuit précédente. Une dent pour une fois gourmande s'y plante tranquillement, en songeant qu'il faudra préparer du salé au Renard, demain. Puis son petit passage fait, la mercenaire gagne sa couche, dans la chambre la plus modeste trouvée chez Moulicent. Elle lui avait promis qu'elle serait discrète. Et on ne la voit pas. On ne voit d'elle que les petits mets qu'elle laisse sur une table de la cuisine ou l'eau d'un baquet devenue froide d'avoir été délaissée de toute présence.
Pourtant, le lendemain, rien de plus n'échouera sur les tables pour le petit-déjeuner de la maisonnée. Avant même les premières lueurs de l'aube, l'Anaon sera-là, devant les portes du domaine du Von Frayner. Juchée sur sa monture, sans oser pénétrer dans l'enceinte. Sans même songer à y penser. Étrangère. Elle ne se sent ni familière de ses pierres ni de ses gens bien qu'elle ait pu y vivre quelques jours. Elle laisse le domaine au rang des anonymes. Car son esprit, bien malgré elle, refuse d'associer ces murs à Judas où à son fils, où à quoique ce soit d'autre qui ait pu jadis la rendre heureuse.
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De Retour tout doux. Anaon se prononce "Anaonne"