Gray.
- « Sans le duel, on ferait de l'escrime tranquillement. » - Jules Renard
- Le gant fut jeté.
C'est là, durant une boutade lancée lors d'une accolade amicale autour d'un godet de Prune d'un Limoges merveilleux que la plaisanterie tourna en une sorte de drame magnifique. Une tonitruante façon de se divertir d'un temps long et ennuyeux, sortant de l'ordinaire afin de perpétuer une éternelle aventure sans fin et sans lassitude aucune. À discuter des duels qui pourraient s'en suivre d'un éventuel colosse contre une sorte de fruit de mer fin et rachitique - surtout blond - la bourrique brune se prit de compassion à proposer un entraînement afin de rassurer les compétences fortes d'une élégante noble. Rassurer sans doute plus la Royauté au regard de l'infortuné destin qui attend les impétueux qui s'étranglent parfois d'hardiesse dans le lancé de gant. Par vengeance, sans doute, ou simplement afin de prouver, de montrer, de faire valoir la force et le courage ainsi que la volonté et la motivation. Avoir le dessus sur un ennemi, ou un ami, peut-être encourageant pour l'avenir et le regard que les autres peuvent alors porter sur les vainqueurs représente un petit qualificatif affriolant. Anne fut donc prise d'une énergie qui peut tout à fait la qualifier sur plusieurs niveaux, elle déborda un instant d'un large sourire à l'encontre d'une blonde Victorieuse et, paraît-il d'après quelques rumeurs, plutôt sanguinaire. Elle jeta le gant. L'autre le souleva d'une entente partagée sous les yeux vairons et meurtris d'un frère aux traits efféminés qui s'inquiète tout bonnement de la bonne santé mentale et physique de sa chère soeur. Des menaces furent proférées à l'encontre de la Comtesse de Brive. Des menaces sans queue ni tête, tout comme Leopold qui n'a que la moitié de cela. C'est ainsi que l'histoire commença, d'un quiproquo et d'un bout de tissu balancé au gré du vent jusqu'aux pieds d'une combattante avérée.
- -Leopold. Était-il réellement nécessaire de me réveiller aux aurores afin de parfaire ma condition physique au maintient d'une arme blanche? Non pas que je doute de l'utilité d'un tel entraînement, j'en conçois bien évidemment le nécessaire, mais par ce froid et ce brouillard intense d'une saison automnale humide, fraîche, frileuse et horrifiante, je doute que je ne sois clairement efficace en la chose. De plus, la rosée me fait friser. Vous comprenez que je ne puis décemment me présenter aux bonnes âmes du Limousin avec une coiffure pareille.
Anne soupira fortement tandis que son frère d'apparat la délogea de force d'un confort absolu d'une nouvelle demeure délicieuse. Elle se força donc à bouger, plus par désir de faire plaisir à Leopold plutôt qu'en la croyance d'une réalité sur la condition des Gens d'Armes. Elle maugréa en enfilant une tenue de braies de cuir délicat ainsi qu'un pardessus de la même pièce. Figée devant le miroir, elle se contempla quelques instants, refaisant même sa coiffure tout en sachant pertinemment qu'il était peine perdue avec ce brouillard qui guette les instants à venir en dehors. Anne soupira de nouveau, puis se retourna vers son autre, illusion d'optique tant la ressemblance était flagrante malgré les turpitudes de la vie qui séparent les désirs de chacun, ainsi que leurs vocations.
- -J'ai l'impression de vous ressembler ainsi vêtue. Comme si j'étais moi-même travestie. C'est une idée cinglante que j'ai pu avoir en proférant les mots d'appel d'un duel si c'est pour ressembler ainsi à un garçon manqué en mal d'éducation. C'est laid, Leopold. Fortement laid. Je ressemble à une vache Limousine. C'est affreux. Et ça colle à la peau, c'est indélicat. Ne puis-je, au moins, mettre le moindre corset? Non? Bon.
L'automne.
Ce brouillard épais formé de quelques gouttelettes d'eau en suspension dans l'air environnant, formant ainsi une sorte de mur qui empêche une douce visibilité. Le tout se rajoutant à un possible état de fatigue qui ne permet aucunement de voir bien mieux encore. La rosée fait éclater la couleur froide de l'herbe qui pousse aisément plus vite par cette humidité et la fraîcheur de cette saison affreuse s'éprend sur le corps poinçonné de quelques grains de chair de poule de la légère Anne qui peste violemment tout au long de la marche qui les sépare d'une place libre d'une passe d'armes. Limoges plongé alors dans une forme d'étrangeté, d'un imaginaire insalubre d'où les formes s'épanouissement difficilement dans les tranchées d'une vision obscurcit, Limoges acceptera les sifflements des armes dans le vent, tranchant l'air et frappant contre l'acier. Une sonorité appelant à une suite logique qui s'en suivra ce vingt-huit octobre à dix-heure précise. Jusque là, la frêle brunette se perdra dans la difficulté de l'exercice et s'épuisera à tenter de vaincre l'entraînement plus farouche de soeur à la musculature puissante d'un homme carnassier en rage de vaincre tous les ennemis sur dressant sur son chemin. Elle souffla encore et encore tout en la regardant tenir sa lame d'une main forte et ferme tandis qu'elle-même laisse traîner son arme encore enclenchée dans son fourreau sans avoir l'idée même de la porter plus légère et à nue.
Lascive, elle n'ose réellement se mettre à exécution et se contente, plutôt, à regarde de gauche à droite cet horizon invisible. Ce qui aura, sans doute, l'effet d'agacer ce Leopold prêt à en découdre alors que lui-même ne désirait réellement ce combat. Plutôt prêt à émettre quelques supputations ardues sur l'inutilité d'un tel duel, tout comme les deux comparses en avaient discuté la veille.
- -Pardon. Je ne suis point bien éveillée que mes yeux ne se permettent à se laisser ancrer dans une seule fournaise de vôtre regard inquisiteur. Je crains de brûler mon âme en vous regardant ainsi de bonne matinée.
Elle souleva alors son épée, la regardant de ses yeux mi-clos.
- -Bon. Puisque nous sommes ici. Comment doit-on utiliser convenable ce... truc? Je suis bien plus habituée aux légères dagues permettant l'extraction aisée de quelques membranes internes au corps humain que la barbarie qui extasie certains par la force se dégageant d'une chose de destruction comme celle-ci. Je préfère nettement la minutie à la barbarie. Je laisse cette chose à vos dents, mon cher.
Comme une enfant trop écoutée, elle coupa court à l'entrevue, ayant vu ne personne en son champ, non loin de là, portant fourche et traînant derrière lui un animal puissant tractant une lame de labourage. Étonnée, elle s'en alla à son encontre.
- -Ola! Vous, là! Messire Gueux! Du moins, veuillez pardonner mon effronterie. Vous êtes certainement plus cul-terreux que gueux. Un niveau un poil au-dessus, j'en consens, puisque vous parvenez à nourrir des personnes comme nous pendant que vous vous mettez en connivence avec Mère Nature et ce... boeuf. Cette espèce animale impassible et d'une ossature imposante. Veuillez me pardonner dans cette intrusion en vôtre sphère privative et pendant que vous semblez vous amuser avec vôtre bâtonnet du Diable. Je souhaitais simplement m'extraire d'une activité ennuyeuse. Pensez-vous que mes cheveux ont trop frisés? N'est-ce pas? Je le savais. Damné soit Leopold.
Le paysan la regarde l'air hagard, se demandant bien ce que ce franc parler a bien à dire à ses oreilles chastes de communications nobles et éduquées. Il se contente donc de lever ses épaules, de cracher à terre et de brailler à l'attention de son puissant boeuf limousin une injonction à poursuivre l'activité pré-établie.
- -Je vois, je vois. Je fais peur à voir.
Et d'hurler à l'attention de son autre.
- -Tout est de vôtre faute, Leopold! Tout! Attendez donc que je comprenne comment retirer protection de cette lame que je vienne vous rosser.
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