Gray.
- Dans son bureau, Anne, de son allure fébrile d'un instant d'angoisse montant lentement en son esprit, prit plume et vélin afin de commencer un écrit. Sous l'éclairage douce d'une bougie instable, elle agite la plume tout contre son nez retroussé dans la réflexion de quelques mots qui pourront toucher le destinataire d'une telle lettre. Elle reste un instant, visage fermé, à donner un sens à cela, à toute sa vie, et ce qui passe avec ce temps fétide. Elle soupire alors longuement, ne parvenant à trouver les formes, se heurtant à sa sensibilité pourtant bien souvent recroquevillée à l'intérieur d'elle-même. Elle regarde le papier, ses yeux s'humidifiant terriblement. Elle ressent comme un désespoir. Comme une cause perdue. Comme quelque chose qui pourrait alors l'anéantir brusquement pour toujours. Une perte d'elle-même et d'un reflet qui ne fait qu'un.
Elle pleure. Tâche le bureau, le papier de ses larmes misérables. Elle se sent faible. Elle tremble. Elle couine étrangement, mordillant sa lèvre inférieure. Des choses lui passent à l'intérieur de son esprit. Des choses qu'elle n'apprécie pas. Qu'elle n'aime pas. Son coeur fait quelques bonds en elle. Elle souffre horriblement. Continuellement. Et, pourtant, elle paraît, de l'extérieur, toujours aussi fière et forte à n'importe quelle occasion pour le peu qu'il y ait de la compagnie. Comme en taverne, puis dans la rue, dans une soirée mondaine, en présence de la présence dans sa chambrée. Cependant, dernièrement, elle ne cesse d'exploser d'une vive colère et de se porter sur la boisson plus que de raison. Elle se perd dans une folie douce ayant pour but de la détruire, elle-même. Autodestruction déclenchée.
Elle prend alors son courage à deux mains, inspire fortement avant d'expirer cet air saccadé entre deux sanglots. La plume prend forme et trace l'encre sur le parchemin sans se stopper. Sans discontinuer. Laissant l'entière sincérité de son coeur s'exprimer, peut-être maladroitement.
- Léopoldine,
Ma soeur,
Je sais que toute cette situation est purement une faute de ma part. De mes mains viennent le fléau qui ravage nôtre existence depuis que nous sommes arrivés à Limoges, depuis que nous nous sommes installés ici-même avec nos projets, nos idées et idéaux. Je sais que je n'ai nullement été satisfaisante à ton égard et que je me suis écartée pour de nouveaux amis, pour de nouvelles compagnies, oubliant nos origines et nos liens pourtant si forts. Je sais que je suis une sombre idiote, comme tu ne cesses de me le dire, de temps en temps, pour m'aider à remettre mes pieds sur terre. Dieu sait que je divague souvent et que j'aime à prendre de la hauteur et me montrer condescendante. Surtout avec toi.
Je sais parfaitement que je suis une sombre idiote, et je le vois un peu plus chaque jour lorsque tu t'éloignes de moi, à raison. Je veux que tu saches que cette situation me fait souffrance. M'angoisse. Me terrifie. Je veux que tu comprennes que tu es mienne, ou miens selon les circonstances. Je veux que tu n'oublie jamais que je suis toute à toi, que je suis tienne et que je t'aime d'un amour qui dépasse l'entendement. Malgré mes bêtises, mes pensées ne sont tournées que vers toi, continuellement, pour toujours. Tu es ma soeur. Mon frère. Mon amour. Tu es tout cela mélangés en une seule et belle personne. Tu es mon reflet. Nous sommes un miroir pour l'un et pour l'autre. Sans l'un, l'autre n'est rien. Et mon coeur se détache de ma raison de ne jamais plus te voir.
Je suis triste. C'est égoïste, je le sais. Peut-être que, toi, tu es heureuse où tu vas. Peut-être que tu es comblée d'avoir trouvé une belle compagnie qui pourrait alors me remplacer. Non. Je ne peux pas le concevoir. Je pourrais en mourir. Je me meurs. Je sombre dans l'apocalypse d'une âme torturée. Je me suis fourvoyée et cela me détruit à petit feu. Peux-tu me pardonner? Peux-tu me revenir? Tendre ta douce main vers moi et me gratifier à nouveau d'un sourire merveilleux? Tout ton être est absent, et toute ta présence me manque. Je suffoque tout en écrivant cette lettre, tant je me sens bête d'être la cause de cet éloignement.
Je me souviens, alors, des bons moments que nous avons passés ensemble. Des actes manqués que nous avons faits. Des problèmes que nous avons causé envers Hector. Souviens-toi le premier jour de ta transformation. Il était en train de prendre le déjeuner, il a bien failli s'étrangler de son bout de pain rassis. Je me suis beaucoup amusée de cette situation et nous avons partagé, ensemble, des rires merveilleux. Cette douce époque où beaucoup de choses se passaient. De bonnes comme de mauvaises. De mes caprices débordants de furie pour ma cause qui est simplement mienne et que tu ne peux peut-être pas comprendre. Tu ne cherches pas à comprendre, tu agis comme un frère protecteur envers moi. Et c'est cela que j'aime le plus en toi. J'aimerais que nous repartions de nos caresses et de nos baisers, que nos échanges prennent un nouveau départ et un goût merveilleux sur nos lèvres partagées. Je veux que nous fassions à nouveau, à deux, les quatre-cents coups qui ont valu nôtre surnom de Jumeaux Infernaux.
Le veux-tu bien, mon Amour?
Je te veux, Leopold. Je t'aime, Leopoldine.
Je m'excuse au point même que tu ne puisse le concevoir.
Ne me rejète pas.
Pardonne moi.
Tu me manques,
Anne.
- La relecture fut faite, de nombreuses fois. Elle voulu chiffonner le vélin et recommencer encore et toujours, mais ne fit rien tout en se disant qu'elle ne pourrait mieux que ces premiers sentiments venus, complètement mélangés, s'emboîter les uns sur les autres. C'est alors, essuyant ses dernières larmes, qu'elle se leva. La bougie fut prise d'une main pour éclairer son passage dans la nuit noire. Elle se dirigea dans le long couloir étroit menant jusqu'à la chambre de son autre. Elle tremblait encore et se sentait partir dans une défaillance notable. Plus elle approchait, plus elle sentait son coeur battre à en rompre toutes ces côtes. Elle ne parvenait même plus à respirer. Ce qu'elle voulait, simplement, c'était d'entrer dans les bras de sa soeur, de sentir son odeur, de sentir son doux palpitant, et de lui dire à quel point elle l'aime. De lui avouer tout ce qu'elle a marqué sur ce bout de papier sans réelle valeur, à haute voix. Mais elle avait fauté. Par son irrégularité dans ses sentiments, dans ses actes, dans ses paroles. Elle ne pouvait décemment trouver autres moyens de faire ses excuses que de lui écrire et lui communiquer ses sentiments par la plume.
La voici, dans l'ombre de sa bougie vacillante, devant la porte de Leopold. Elle passa une main sur le bois qui faisait entrave entre elle et son âme soeur. Elle resta un long moment ainsi, prête à gratter cet obstacle de ses ongles longs. Elle se laissa tomber. S'adossant à la boiserie, les larmes coulant à nouveau le long de ses joues. Elle ne pouvait plus vivre sans lui. Plus jamais. Elle l'aimait trop pour le voir partir et lui en vouloir de toutes ses erreurs. De longues minutes passèrent alors qu'elle sanglotait allègrement.
Enfin, la lettre fut passée sous la porte et se releva difficilement. Prenant ses dernières forces en main, elle prit fuite en direction de sa chambrée pour se jeter sauvagement sur sa literie et perdre la tête dans un coussin devenu alors humide.
- -Idiote. Idiote. Sale sotte. Sombre fiente. Je suis désolée, je suis désolée, je suis désolée...
- Vision de veines entrouvertes. Envie d'un peu de sanglant. Envie d'un repos éternel. Envie d'en terminer, une fois pour toute. Envie de suicide. Si elle ne se montre. Si elle ne revient. Si elle ne lui pardonne. Envie d'elle. Envie de sourire à nouveau. Beaucoup d'envies dans une petite cervelle. Des choses réalisables, en outre, mais tellement difficile à vivre en l'état. La brune insolente sombre petit à petite, prenant maturité face à ses actes décadents.
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