La nuit me fut pénible. Le froid semblait sintensifier, à moins que ce ne soit mon corps qui, affaiblit, ne parvienne plus à se défendre. Mes pieds, en particulier, me causaient des souffrances terribles. Seulement protégés par une fine couche de bandages crasseux, ils foulaient depuis plusieurs jours déjà les routes du sud de la France. Et, nayant connu quun espace restreint et couvert de paille, le choc fut rude. Lhumidité et le froid avaient fini par me donner des engelures, et les pierres de la route avaient percés ma peau fragilisée si bien que je laissais des empreintes sanglantes derrière moi.
Epuisée, affamée et fortement endolorie, je peinais à avancer et déjà le jour se levait dans la campagne avant que je nai atteint une ville. Chaque nouveau pas métait plus difficile que le précédent, et maintes fois jenvisageais de me blottir dans un fossé pour dormir. Pourtant, mû par une volonté que je ne me connaissais pas, je résistais à cette morbide tentation et poursuivait ma route, trébuchant à chaque pas. Et, le soleil se levant à lhorizon, lair réchauffé, je gagnais un peu plus en énergie, dautant plus que japercevais enfin une ville. Les derniers mètres furent les plus difficiles mais je parvins tout de même à entrer dans une taverne dans laquelle je mécroulais presque, près dun feu salvateur. Le sang suintait de mes bandages boueux et mes jambes courbaturées me faisaient beaucoup souffrir.
La chance ne mavait pourtant pas abandonnée, puisque rapidement, une dame que javais déjà rencontrée à Castelnaudary pris soin de moi et me donna de leau chaude pour me nettoyer un peu. Je navais jamais été lavée quà leau froide, et la sensation que je découvrais me plut beaucoup. Je me débarrassais de mes bandes sales, dévoilant mes jambes grêles et couvertes decchymoses. Rassurée par la gentillesse de la dame, je me laissais manipuler tandis quelle me baignait, posait de longuent et pansait mes plaies aux pieds et aux jambes, posant de nouvelles bandes propres. Je portais les miennes depuis fort longtemps et trouvait étrange la sensation que ce changement provoquait.
Elle me dit alors que je devais rester à Narbonne, où je me trouvais, afin de laisser mes pieds guérir, meffrayant en me disant que si je ne le faisais pas, mes pieds pourriraient comme de la paille. Je ne voulais certes pas que cela arrive, aussi, je décidais de ne pas bouger du sol de la taverne, bien au chaud près du feu. Cest là que je rencontrais une autre bienfaitrice qui me fit don dune paire de chausses après avoir que je lui ai raconté ma mésaventure. On mavait déjà donné à manger et à boire, on avait pansé mes plaies, on mavait proposé des lits et des bains chauds, mais jamais on ne mavait donné quelque chose, à part des petits choses rondes et plates de couleurs différentes avec des signes bizarres dessus et dont je ne savais que faire. Je les avais gardés dans une petite poche de ma cape et ny pensais à vrai dire plus.
Les chausses étaient jolies, de couleur claire, et quand je mis mes pieds dedans, je restais un moment surprise par cette sensation nouvelle, mes membres se réchauffant. Mes premiers pas sous les yeux amusés de ma donatrice furent bien hésitants et je chutais presque immédiatement, me prenant les pieds dans les lacets. Javais beaucoup à apprendre sur la marche chaussée, mais, encore gênée par la douleur, je me rasseyais près du feu, remerciant la jeune femme qui mavait fait un si beau cadeau.
Après une journée faite de chaleur et de rencontres, je mendormais paisiblement devant la cheminée dune taverne dans un lit gentiment proposé par les propriétaires, bien emmitouflée dans ma cape, la main serrée sur le fourreau de la dague que lon mavait offert, goutant au confort du matelas de paille, pensant rester un peu dans cette ville où les gens étaient si gentils avec moi, le ventre plein de biscuits et de bière. Cétait la première fois de ma vie que je mallongeais dans un lit et je dormais du sommeil du juste, plus légère que je ne lavais jamais été.
Mais je ne devais pas être destinée à me trouver une place en ce monde. En effet, mon sommeil fut troublé par lentrée terrifiante dun homme à la peau rouge, chauve aux traits sans rides, qui tenait entre ses larges mains, une hache gigantesques. Sans un mot, il sapprocha de moi, et abattit sont terrible outil sur mes jambes qui se séparèrent net de mon corps dans une gerbe de sang épais et un gargouillis immonde. Bien sûr javais tenté de fuir, mais je semblais menfoncer dans le matelas, et malgré mes hurlements et mes efforts désespérés, je restais à la merci de lhomme qui se saisit de mes jambes et se mit à les dévorer sous mes yeux.
Au comble de lhorreur, le cur tambourinant douloureusement dans ma frêle poitrine, je me levais en sueur et, la vision floue, la tête me tournant, je me jetais hors de la taverne en trébuchant, et saisie par le froid extérieur, les yeux dégoulinants de larmes, je chutais sur le sol glacé. Terrorisée, persuadée que lhomme rouge allait me poursuivre, je me relevais promptement, et me mis à courir, faisant presque choir ma capuche, quittant ce lieu maudit sans un regard en arrière pour me retrouver à nouveau sur la route.