TYCHÉS comme Serpent ou Samaritain, selon comme on le prend.
S comme sonate aux quatre vents.
S comme bien d'autres mots encore, serpentants.
Mais avant tout,
S comme.....
Statue .
Devant le mur sombre, la silhouette se distingue à peine. La statue de bronze aux reflets mordorés tient dans sa main gauche un cierge dont la mèche allumée dispense un léger halo éclairant à peine son visage aux yeux bandés. L'incarnation de Tyché, déesse grecque, protectrice, qui décide du destin des mortels, comme jouant avec une balle, rebondissant, de bas en haut, symbolisant l'insécurité de leurs décisions. Nul ne doit donc se vanter de sa bonne fortune ou négliger d'en remercier les dieux.
Suspendue à son épaule, une corne d'abondance, tandis que sur sa chevelure une couronne ceint sa tête. La longue robe drapée tombe en plis jusqu'à ses pieds dans l'élan de mouvements figés par le temps. Le bras droit, touchant presque le mur, cache une drôle de lettre argentée, un
S qui semble la marquer et qu'elle se garde bien de montrer tant qu'elle sera figée.
Tenir la pose sans bouger, sans que le moindre souffle ne sorte de sa bouche, ou même qu'un léger soulèvement de sa poitrine ne trahisse sa respiration, devient une torture autant qu'un défi qu'elle s'est lancé. Jouer les déesses statufiées.
L'après-midi même, quand elle dût s'immerger dans le bac aux teintures appropriées et choisies par la tisserande comme se rapprochant le plus de la couleur du bronze, elle avait eu un mouvement de recul. Méfiante, la jeune femme demanda même à ce que l'on teste avant elle l'eau teintée , en y plongeant une main innocente qui ne ressorte pas brûlée.
Combien de temps cela fera effet sur ma peau?Le temps qu'il faudra au soleil pour accomplir son parcours, et à la lune de le croiser sans détour.Un sourcil se lève sur le front arrondie dont les mèches déjà teintées commencent à onduler.
Le temps de faire le tour du cadran... Bien. Ca sera suffisant. Et le corps nu de la nymphe s'immerge dans les eaux troubles et glacées, parfumées aux senteurs d'ambre et d'épices d'orient dans lesquelles se mêlent les pigments de la terre de sienne et l'or en fusion. La tunique qui l'attend présente la même couleur bronze irisé.
Vous êtes certaine que ce voile posé sur mes yeux ne m'empêchera pas de voir?Non ma dame. Vous pourrez regarder sans être vue. Du moins, votre regard sera voilé contre toute intrusion.S constate que la femme avait raison. Derrière le ruban en voile, ses yeux contemplent les allées et venues, détaillent les costumes, les attitudes, dans les jeux d'ombres qui par moment s'éclairent d'une étoile au bout d'une bougie, quand la nuit peu à peu s'anime d'autres flammes naissantes.
C'est un jeu pour elle. Un jeu d'observation. Mais ce n'est pas encore assez. Son ouïe n'est pas assez aiguisée. Alors elle ferme les yeux, en appelant à ce sens pour expérimenter un peu plus. Aller encore plus loin. Au bout d'un moment, les sons lui arrivent plus nettement. Des bribes de conversation, d'échange. Elle surprend une phrase et se mord l'intérieur des lèvres pour s'empêcher de sourire, ni qu'aucun trait de son visage ne trahisse sa présence par son expression amusée. Se vêtir de l'apparence d'une autre, même une déesse ne peut la changer entièrement. C'est comme de se retourner sur soi même, comme un gant de peau. L'empreinte de son moi restera toujours là. Mais tant qu'à faire, autant jouer un peu avec cette Océanide qu'elle choisit d'incarner, avant de se transformer en citrouille quand le temps lui sera compté.
Alors, Tyché prend lentement vie. Son corps engourdi se meut par gestes lents qui lui donnent l'impression de flotter sur les eaux de l'océan. Et en parlant d'océan, une petite soif lui fait passer un bout de langue sur les lèvres. Le cierge, que lui a donné une servante à l'entrée de l'Aphrodite, contre son invitation, et qui ressemble à présent à une bougie surmontée d'un feu follet, va se planter sur un candélabre au passage. Un adorable et rafraichissant lutin se tient non loin, enroulé dans la faune et la flore. Plus loin un fragile papillon aux prises avec un minotaure impressionnant. La jeune femme glisse et esquive le croisement d'un autre papillon qui palabre avec un masque bleuté intéressant.
Au comptoir elle demande, d'une voix claire mais suave :
Est-ce qu'une bonne âme charitable, ou bien même une mauvaise, saurait me commander de quoi me désaltérer?Au fou du Roi qui semble animé de prouesses et de prompte joyeuseté, Typhé plisse les yeux pour mieux le cerner, et profite de ce tour d'horizon, dont la trajectoire lui était auparavant cachée, pour découvrir d'autres personnages incarnés, dont un loup qui la laisse bouche bée. Elle cligne des yeux puis se retourne vers le comptoir pour happer de la main s'il le faut un verre qui se ferait trop désirer.