Anne_blanche
Matheline ! Eh ! la Matheline ! Annonce Dame Aryan ! Et un peu vite !
Anne, occupée à calculer sur son abaque les implications d'une modification des salaires miniers, sursauta. Les perles soigneusement rangées se déplacèrent, amenant une moue de dépit aux lèvres de la jeune fille.
Eh bien, Matheline !
Mais la servante dormait. La foudre tombant à ses pieds aurait seule pu la réveiller, et encore.
Pourquoi Bacchus hurle-t-il comme ça pour annoncer Mère ?
Anne avait compris "Dame Maryan". Résignée, elle se leva, traversa l'antichambre, et ouvrit elle-même la porte donnant sur l'escalier extérieur. En bas, sous le porche, une jeune femme portant un enfant sur un bras enlaçait de l'autre le gros Bacchus. Mais la chose était si malaisée que l'étreinte ne dura qu'un bref instant. Anne comprit son erreur en reconnaissant Dame Aryan. Elle l'avait vue dans la journée à la taverne, et l'avait reconnue pour l'avoir croisée, dans son enfance, en Berry.
L'homme qui se tenait derrière elle, portant non pas un, mais deux enfants, devait être son compagnon.
La jeune fille rougit en se souvenant des paroles de la dame. Nul prêtre n'avait consacré son union avec le père des enfants. Instinctivement, elle jeta un coup d'il par-dessus son épaule, pour vérifier que Gabriel n'avait pas été attiré par la voix tonitruante de Bacchus. Peut-être n'était-il même pas dans la maison, d'ailleurs.
Bacchus, peut être faudrait il d'abord trouver un endroit où on pourrait mettre la carriole et un endroit pour coucher les enfants au calme, ils sont fatigués et ne vont pas tarder à être affamés.
Et elle qui restait figée en haut de l'escalier !
Anne dévala les marches aussi rapidement que le lui permettait sa dignité, et salua les arrivants.
Bienvenue, Dame, Messire.
Bacchus, montez secouer Matheline, je vous prie. Je crois qu'elle devient un peu sourde, elle ne vous a pas entendu. Elle a fait préparer les chambres de Dame Aryan et sa famille.
Elle jeta un rapide regard sur la carriole qui encombrait le passage.
Et faites mener cet attelage aux écuries.
Au moins, avec Bacchus, elle était sûre d'être comprise, et obéie sur-le-champ.
Elle ne savait trop que dire à ces visiteurs quasi inconnus. Mais sa mère lui avait appris que, en pareil cas, le plus simple est d'offrir le boire et le manger. Aussi, d'un geste gracieux copié sur ceux - bien plus naturels - de la vicomtesse, désigna-t-elle l'étage.
Nous serons mieux dans la grand-salle, n'est-ce pas ? Matheline nous y fera porter collation. Vous pouvez lui confier sans remords vos enfants, c'est elle qui m'a élevée.
Elle n'ajouta pas que Matheline avait bien souvent oublié de lui faire porter ses repas, à l'époque où Mère n'était pas encore à Vienne, ni que les soins prodigués par la servante s'étaient bornés au strict minimum.
Elle précéda ses hôtes dans la grand-salle, désigna des sièges.
Le voyage depuis Sancerre n'a-t-il point été trop pénible ? Que vous semble de Vienne ?