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[RP ouvert]L'hôtel de Culan.

Terwagne_mericourt
Petit sourire de circonstance... Ensuite, les mots que l'on cherche, en les trouvant tous plus vides les uns que les autres, soit stupides, soit d'un banal évident.

Pourquoi au juste était-elle venue, encore? Elle ne savait plus très bien...

Pour prévenir de leur arrivée, oui, voila! Et bien, c'était fait, non? Elle pouvait s'en aller...

Après tout, la jeune fille devait être déçue que ce soit une "étrangère éternelle fiancée d'un fantôme" qui vienne se charger de cela et non son parrain. Sans doute aussi déçue que la Dame de Thauvenay elle-même l'était.

Elle aurait voulu lui dire qu'il n'était même pas excusable, que des excuses de manque de temps, tout le monde pouvait en trouver, que à sa place elle même se serait arrangée pour au moins faire passer un peu sa famille et la bienséance avant le reste, mais que...

Se mordant la lèvre, comme pour s'empêcher de laisser sa colère et sa tristesse sortir en un flot de mots qu'elle se sentait de moins en moins capable de retenir, elle observa Anne durant quelques secondes.

Comme elle ressemblait à sa tante Mentaig! Comme certains traits de ce visage lui rappelaient son amie!

L'idée étrange que dans d'autres circonstances, dans d'autres lieux, si peut-être elles s'étaient rencontrées en dehors de sa relation avec Hugo, elle aurait certainement lié des liens d'amitié avec la jeune femme, lui traversa l'esprit, au moment où quelque chose la frappa... La pâleur de sa vis-à-vis...

Etait-ce sa visite qui la mettait dans cet état? Avait-elle elle aussi craint leur première rencontre après les missives échangées au sujet du meurtre de son père, de la confession de Mentaig, et de ce que la Dame de Thauvenay était la seule à savoir?

Terwagne mourrait d'envie de fuir, tout à coup... Mais il lui fallait au moins répondre un peu aux paroles de convenance prononcées par la demoiselle.


Bon voyage? Oui, assez bon, dirons-nous, sous bonne escorte dans tous les cas.

Quant à mes bagages, je n'en ai que très très peu, n'ayant jamais été préoccupée par le matériel, et les seules choses auxquelles je tienne vraiment tenant dans ma tête, sous la forme de souvenirs... Mais le peu que j'aie emporté en quittant le Berry se trouve à l'auberge...

Norf! L'auberge.... Je ne sais plus son nom... Norf de norf! Celle tenue par la Mairie.

Mais j'ignore si votre parrain comptait que nous nous installions ici même, à vrai dire. Vous a-t-il fait part de ses projets à ce sujet? C'est que je ne voudrai pas déranger, non plus... Après tout, je ne fais pas vraiment partie de votre famille, et je peux...


Les mots lui avaient échappés, et elle s'en voulait. Comment faire diversion, maintenant? La pâleur de la demoiselle? Oui, après tout, c'était mieux que rien...

Mais dites-moi, Anne, vous allez bien? Vous semblez un peu pâle, et fatiguée...
_________________
Anne_blanche
La Dame de Thauvenay semblait aussi peu à son aise qu'Anne elle-même. Encore cette dernière était-elle chez elle. Elle vit passer dans les yeux de son interlocutrice une colère qui l'effraya quelque peu. Involontairement, son regard se porta sur le rouleau de parchemin, toujours sur le lutrin : il parlait d'enquête, d'assassinat... Se pouvait-il que Dame Terwagne en voulût à la Vicomtesse et à ses enfants d'avoir réveillé ces histoires vieilles de près de treize années ?
Sentant sur elle le poids d'un regard, elle revint à sa vis-à-vis, qui l'observait, une expression de tristesse, ou à tout le moins de nostalgie, sur le visage. Tous ceux qui avaient connu Valatar s'accordaient à dire que sa fille lui ressemblait. Sans doute la dame se souvenait-elle d'une époque révolue.


Bon voyage? Oui, assez bon, dirons-nous, sous bonne escorte dans tous les cas.

Hum... Oncle Hugo n'avait pas dû être le parfait compagnon de voyage qu'on est en droit d'attendre d'un fiancé. Anne l'imaginait fort bien profitant des longs trajets en coche pour étudier un point de droit un peu obscur, ou des étapes en taverne pour peaufiner un attendu, tandis que la pauvre dame Terwagne se morfondait en attendant vainement le bouclage d'un dossier. Décidément ... Tandis que la fiancée de son parrain évoquait son attachement à ses souvenirs, la jeune fille se projetait dans un avenir encore lointain, et formulait des vœux muets pour ne jamais tomber sous le charme de quelque galant.

Norf! L'auberge.... Je ne sais plus son nom... Norf de norf! Celle tenue par la Mairie.

Mais j'ignore si votre parrain comptait que nous nous installions ici même, à vrai dire. Vous a-t-il fait part de ses projets à ce sujet? C'est que je ne voudrai pas déranger, non plus... Après tout, je ne fais pas vraiment partie de votre famille, et je peux...

La phrase prit Anne au dépourvu. Depuis le temps que Dame Terwagne était la fiancée d'Oncle Hugo, elle faisait partie de la famille, du moins dans l'esprit de la jeune fille. Elle allait répondre en ce sens quand la dame poursuivit :

Mais dites-moi, Anne, vous allez bien? Vous semblez un peu pâle, et fatiguée...

Je ...


Percée à jour, elle détourna les yeux.


Je vais envoyer Bacchus quérir vos malles à la Taverne Municipale.


Le temps de donner l'ordre, et elle avait déjà résolu, en son for intérieur, de ne rien celer à Dame Terwagne. Une confiance spontanée la poussait vers elle, à laquelle elle décida de s'abandonner. Elle avait parfois de ces élans irraisonnés, plus conformes à son âge, sans doute, que les charges qu'elle exerçait. Elle désigna de la main un des coussins de l'embrasure, s'installa elle-même en prenant son temps, bien en face de la visiteuse.


Je ne sais rien des desseins de Messire mon parrain, Dame. Mais il serait fort malséant qu'une Cornedrue en laissât un autre à l'auberge, et bien peu en rapport avec l'idée que je me fais de notre famille.


Elle avait légèrement insisté sur le mot, pour bien faire entendre à la dame qu'elle l'incluait dans cette famille, tout comme le baron d'Aupic, qu'elle considérait comme son oncle.


Oui, Dame, je suis fatiguée. Très fatiguée, même. Je mentirais si j'affirmais le contraire... Je crois que...


Elle avala sa salive, affermit sa voix.


Vous ne pouvez être au courant de la situation, les faits sont intervenus pendant votre voyage. Madame ma mère est ... au plus mal.


Les mots sortaient difficilement. Ils portaient en eux tant de cruauté qu'Anne ne se résolvait à les prononcer que par devoir.

Notre intendant de Culan nous a fait tenir céans la nouvelle, et depuis, je ne dors guère.

Les yeux bleus se voilèrent, la lèvre se mit à trembler. Anne crispait les doigts dans son giron, en une parodie de prière dont elle savait qu'elle ne serait pas entendue. Elle se leva, prit sur le lutrin la missive de Paris.


Et puis il y a ceci...
Terwagne_mericourt
Suite à l'invitation silencieuse et gestuelle, la Dame de Thauvenay avait prit place à son tour sur un des coussins, ne quittant pas la demoiselle des yeux, non pas pour la fixer, mais parce qu'elle n'avait pas pour habitude de détourner le regard, sauf pour cacher sa tristesse ou la flamme éteinte en elle. Cette flamme que pour l'instant elle avait oubliée, trop préoccupée par l'air étrange de celle à qui elle était venue rendre visite.

Une ébauche de sourire de gratitude apparut au coin gauche de ses lèvres fines, tandis que la demoiselle de Culan sous-entendait qu'elle faisait bel et bien partie de leur famille...

Pour sûr, Anne ne se doutait pas le moins du monde de la déception toujours grandissante en elle de voir que treize ans après sa demande, Hugo ne l'avait toujours pas menée devant le prêtre... Pas plus qu'elle ne pouvait se douter que de plus en plus souvent Terwagne se demandait si il avait renoncé à officialiser un jour leur relation, si il regrettait son coup de foudre pour une ancienne troubadour, qui ne lui apporterait aucun titre, aucune gloire, comme cela aurait pu être le cas avec une de ces femmes qu'il fréquentait dans d'autres lieux, de bonne famille, ou que savait-elle encore...

Ses pensées l'emmenèrent à nouveau un instant vers un monde de tristesse et de déception, mais elle fit un effort pour revenir au présent, et aux propos de la jeune fille.

Un instant, le "Je crois que je..." lui fit penser que celle-ci allait lui annoncer qu'elle était tombée sous le charme d'un homme, sans doute parce qu'elle même savait que rien ne vous empêche plus de dormir que la passion naissante, sauf peut-être le chagrin d'amour, mais lorsque les mots suivants sortir des lèvres de son interlocutrice, la Dame de Thauvenay, d'un bond, qui la surprit elle-même, se leva, en palissant.

Un silence lourd, qui sembla durer une éternité...
Les idées qui se bousculent...
La main qui se tend vers la missive...

Et enfin, une question! Celle qu'elle aurait tellement aimé être capable de retenir.


Croyez-vous qu'on aura voulu se débarrasser d'elle aussi?
_________________
Gabriel_de_culan
C'est à ce moment précis que Gabriel entra dans la pièce.

Croyez-vous qu'on aura voulu se débarrasser d'elle aussi?

Cette phrase le troubla profondément. Il savait les affaires qui avaient occupé Anne et Terwagne, et en entendant cette phrase de la bouche de cette dernière, il ne put supporter l'idée que l'on ait voulu du mal à sa mère. Poussé par un instinct primaire de déni, il entreprit de changer de sujet, sans se rendre compte qu'il y revenait.

Bonjour, madame ma tante.

Elle n'était pas véritablement sa tante, puisque Hugoruth semblait toujours éprouver des difficultés à la demander en mariage. Mais d'aussi loin qu'il se souvienne, il l'avait toujours connue comme quelqu'un de sa famille. Elle avait longtemps veillé à l'entretien de Culan en son absence et celle de Maryan, elle avait repris en main l'oeuvre politique de Valatar, son père, et Hugoruth, et méritait bien cette appellation de "tante". En espérant simplement qu'elle ne s'en sente pas offensée.

Je vous souhaite la bienvenue à Culan.

Il tenta de garder le visage le plus neutre possible.

Pourtant, je crains de n'avoir pas de bonnes nouvelles.

Il se demandait d'où lui venait cette facilité à se dévoiler devant une personne qu'il n'avait pas vue depuis longtemps, et se souvint d'une image fugace de son enfance: Mentaïg lui faisant visiter Sancerre, et lui présentant son amie Terwagne. Un sentiment de chaleur et de réconfort lui permit d'aller plus loin dans son explication.

Permettez-moi de m'asseoir.

Il le fit sans attendre un quelconque assentiment de ses interlocutrices.

Cette nuit, j'ai fait un rêve étrange et...

Il chercha ses mots, et ce fut comme si l'ancêtre de Verlaine était venu le visiter, puisque le mot qu'il choisit fut:

pénétrant.

J'y voyais Madame ma mère en souffrance, m'appelant à l'aide. Derrière elle, une ombre ne cessait pas de la suivre, où qu'elle aille. Comme je venais pour l'assister, je comprenais que c'était cette ombre qui provoquait ses souffrances. Alors, je tentai de l'écraser, mais elle partit d'un rire maléfique que mes coups ne semblaient pas ébranler. De peur, Mère tenta de courir pour échapper à l'ombre effrayante qui riait toujours, mais celle-ci la suivait, et laissait tomber, sur son passage, des boules de poils à n'en plus finir. Alors que je voulais prévenir Mère du danger qui la suivait, je m'en trouvais incapable, car aucun nom ne parvenait à sortir de ma bouche pour évoquer cette ombre. Ainsi, devant cet ennemi invisible et poilu qui n'avait pas de nom, j'étais incapable d'arrêter les souffrances de Madame.


Il marqua un long temps d'arrêt, visiblement très ému par le rêve qu'il venait de raconter.

J'en frissonne encore.

Puis, secouant la tête comme pour se ressaisir, il dit d'une voix qui voulait retrouver sa neutralité habituelle.

Pardonnez-moi cette odieuse interruption, vous étiez en train de parler et je vous ai dérangées.
Anne_blanche
Croyez-vous qu'on aura voulu se débarrasser d'elle aussi ?

Bonjour, madame ma tante.

La main d'Anne, qui tendait le parchemin, resta en suspens. Son frère l'avait fait sursauter. Quoi de plus naturel, cependant, que son entrée dans la grand-salle ?

Je vous souhaite la bienvenue à Culan.

Culan... Culan où se mourait leur mère, Culan qui occupait jour et nuit toutes leurs pensées, au point que Gabriel souhaitât la bienvenue à Culan, au lieu de l'hôtel de Culan.
Anne ramena dans son giron le parchemin qui lui brûlait les doigts. Elle ne l'avait pas encore montré à son frère, elle n'en avait pas eu le temps.


Pourtant, je crains de n'avoir pas de bonnes nouvelles.

Anne se figea instantanément. Gabriel avait-il reçu une nouvelle missive ? Il s'assit, Anne l'imita, son parchemin sur les genoux.

Cette nuit, j'ai fait un rêve étrange et... pénétrant.

Il se mit à raconter son rêve, à la grande surprise de sa sœur. C'était si peu dans ses habitudes, de s'épancher ainsi ! Lui, diacre habitué à recevoir les confessions les plus difficiles, n'était à la maison guère disert. D'autre part, Anne avait un jour raconté à son frère un rêve qu'elle avait fait, enfant, dans lequel son père lui était apparu. Il n'avait pas semblé y attacher le moindre crédit, malgré le dessin laissé à son chevet. Or, à mesure qu'il racontait, on le voyait s'émouvoir. Il était sous le coup des images de la nuit. Des images horribles, qui bouleversaient la jeune fille, comme elles avaient bouleversé le rêveur.
Le parchemin dans son giron tremblait sous ses doigts.


J'en frissonne encore.

Anne s'interrogeait. Devait-elle donner le parchemin à lire à son frère ? Des boules de poil... Il ne voyait qu'un rêve, né de ses angoisses quant à la santé de leur mère ; elle croyait aux rêves : elle trouvait là confirmation de ses pires doutes.

Pardonnez-moi cette odieuse interruption, vous étiez en train de parler et je vous ai dérangées.

Odieuse, oui. Mais pas pour la raison implicitement évoquée par Gabriel. Odieuse, parce qu'elle évoquait les souffrances de Mère. Odieuse, parce que sa propre culpabilité trouvait un reflet dans celle de Gabriel. Odieuse, parce qu'en arrière-plan du rêve de Gabriel, il y avait la mort de sa mère, dans toute son horreur.
Et parce que son esprit se refusait à accepter la brutalité de l'inéluctable , elle se réfugia dans les circonstances. Aussi pâle que devait l'être en cette heure la vicomtesse Maryan, et bien plus que ne l'était Gabriel, qui se drapait dans sa dignité comme elle-même dans l'action, elle exhiba le parchemin.


Voyez, mon frère, ma tante, ce que je reçus ce matin.



Citation:
A Anne Cornedrue de Culan,

Bonjour,


Je me présente, Althiof de Marigny, Prévost de l’Hostel du Roy et de ce fait Adjoint au Grand Prévost de France, Sa Grasce Pisan d’Harcourt. Elle a bien reçu votre missive et m’a donc chargé de vous contacter au sujet de votre demande d’enquête sur la mort de votre père.

Dans un premier temps mon but sera de déterminer si l’enquête relève de la Grande Prévosté de France ou d’une Prévosté locale, et si vus les protagonistes il y aurait éventuellement matière à instruction auprès de la Haute Cour de Justice ou si cela serait renvoyé auprès d’un tribunal local. Dans un second temps, nous transmettrons l’enquête aux personnes concernées.

La Haute Cour de Justice est compétente pour se substituer aux cours locales dans le jugement des Comtes, Ducs, et Gouverneurs en exercice, ainsi que des Cardinaux, Pairs et Grands Officiers, si une infraction aux droits locaux ou royaux relevant du crime est décelée.

La Grande Prévosté est requérante pour les affaires concernant les Ducs ou Comtes en exercice et pour tout enquête relevant de la sécurité du Royaume de France. Elle peut mener enquête selon son souhait pour tout autre affaire dans le Domaine Royal ou sur demande dans le reste du Royaume, car elle ne saurait ingérer dans les affaires des provinces vassales.

J’aurais donc besoin d’un certain nombre d’informations afin d’évaluer la situation.

Tout d’abord, j’ai bien peur de n’avoir connu votre père que de nom. Je sais seulement qu’il était Berrichon et qu’il a malheureusement été assassiné. Sans vouloir ressasser des souvenirs douloureux, pourriez vous me dire qui était votre père Valatar, ses titres et principales fonctions occupées, ainsi que les circonstances de sa mort. Savez vous notamment qui l’a assassiné ? Si oui, cette personne a t-elle été arrêtée ?

Je suppose, vue votre missive, que vous avez des éléments nouveaux à me présenter sur les circonstances de son assassinat. Pouvez vous me les présenter en précisant le nom des protagonistes et leur(s) fonction(s) principale(s), dans le but de déterminer les personnes compétentes pour la suite. Afin d’établir un pré-dossier il me faudrait également l’ensemble des preuves que vous auriez à votre disposition et qui viendraient étayer votre soupçon, ainsi qu’une liste des témoins que l’enquêteur serait amené à contacter au début ce son enquête.

Si vous avez d’autres éléments auxquels je n’aurais pas pensés et que vous jugeriez utiles, n’hésitez pas à m’en faire part.

Je reste également à votre entière disposition pour toute remarque ou question.

Bien cordialement,


Faict à Paris le 3 de juin de l’an de grasce MCDLVII,

Althiof de Marigny,
Prévost de l’Hostel du Roy.


Gabriel_de_culan
Voyez, mon frère, ma tante, ce que je reçus ce matin.

Le tout jeune homme releva la tête, cherchant à afficher un visage aussi distant que possible. Habitué à recevoir les confessions, il l'était, ainsi qu'à recevoir des inconnus en larmes venus se confier à lui parce que, dans les cas les plus désespérés, l'église reste la maison toujours ouverte vers qui se tourner. Mais se confier comme il venait de le faire, s'exposer, parler de lui et de ses frissons, il n'en avait pas coutume.

Anne lut de sa voix claire la lettre. Elle lui rappelait les histoires qu'on lui racontait sur son père, quand il était enfant. On disait qu'il parlait bien, et qu'il avait d'ailleurs commencé sa carrière comme porte-parole de celui qui aura fini par le tuer. On lui disait comme il avait fait de beaux discours à son peuple, lorsqu'il dirigeait le Berry. Certains, moins sympathiques, disaient aussi qu'il se servait de son charisme pour plaire aux femmes. De ce dernier point, Gabriel ne croyait pas un mot. Mais pour le reste, il lui semblait parfois retrouver cette flamme tant décrite lorsque sa sœur lui parlait de politique. A l'évidence, elle était brillante dans ce domaine, et son avenir devrait le prouver.

Malgré ces pensées distraites, il avait bien écouté, avec la plus grande attention, la lettre protocolaire du prévôt qui allait prendre en chrage l'enquête qui ne manquerait pas d'avoir lieu après les dernières révélations concernant la mort de son père. Mais il fallait reconnaître que les souvenirs allaient être douloureux à remuer. Quand elle eut fini, pourtant, il voulut prendre en charge ce dossier, pour montrer à Anne qu'elle n'était pas seule, et aussi parce qu'il était, malgré ses joues imberbes, ses bras maigres paraissant sans muscles, et sa petite taille qui l'avait tant fait rager quand il avait 13 ans, le chef de famille.


Anne, nous devons faire quelque chose. Il faut répondre à ce baron dans les termes les plus précis possibles pour qu'il puisse nous éclairer sur cette affaire.

Alors qu'il allait se pencher sur le parchemin pour relire de lui-même certains passages, Bacchus entra.

Y'a le courrier de l'aut'fois qu'est là, Monsieur, est-ce que...

Gabriel ne le laissa pas terminer sa phrase, et hurla presque:

Qu'il entre vite!
Terwagne_mericourt
Toujours debout et pâle, la Dame de Thauvenay était restée un instant en arrêt sur les traits du visage de celui qui venait d'entrer dans la pièce. Si sa soeur ressemblait beaucoup à leur tante défunte à tous deux, lui avait quelque chose qui la fit penser non pas uniquement à son père, mais aussi à son oncle Hugoruth...

Quoi au juste? Elle n'aurait su le dire avec précision... Peut-être n'était-ce pas dans les traits au fond... Peut-être était-ce cette même façon maladroite et innocente, mais pourtant pleine de bonnes intentions à n'en point douter, de mettre les pieds dans le plat en l'appelant "tante"? A moins que ça ne soit cette façon de changer de sujet de conversation quand quelque chose le touchait plus qu'il ne voulait bien le montrer?

Le mouvement que le jeune homme fit pour s'assoir la ramena à l'instant présent, et elle l'imita en reprenant place là où elle était quelques instants plus tôt, l'écoutant avec attention, tentant de ne pas laisser la peur qui l'avait empêchée de répondre aux questions d'Anne ressurgir en elle, en même temps que l'envie de fuir en emportant son secret, et celui de Mentaig.

Pourtant, il aurait suffi de regarder ses doigts qui se crispaient autour du tissus de sa robe pour comprendre que ses efforts étaient vains, que la peur était là, ainsi que l'envie de disparaitre à nouveau de leur vie à tous, avant qu'ils ne soient encore plus en danger eux aussi.

Certains détails du rêve du jeune homme en rajoutèrent encore un peu à sa nervosité, et cette histoire de boule de poils la fit frissonner... Des poils... Poilu... Lepoilu...

Mais ce n'était qu'un rêve, sans doute influencé par le subconscient du jeune homme, rien de plus... Elle tentait de s'en convaincre, en tous cas, lorsque sa soeur exhiba un parchemin dont elle ne tarda pas à faire la lecture... Lecture au cours de laquelle le visage de Terwagne se décomposa de plus en plus, tandis que le tissus de sa robe souffrait le martyre.

Pas un mot ne sortit de ses lèvres, pas une réaction ne se fit entendre de sa part...

Pourquoi était-elle venue? Pourquoi n'avait-elle pas emporté cette histoire avec elle comme elle l'avait pourtant décidé au départ? Parce qu'elle l'aimait, plus que tout, plus qu'il ne s'en doutait, plus qu'elle ne se l'expliquait.

Profitant de la diversion faite par l'entrée de Bacchus, elle se leva à nouveau, décidée à prendre congé sous un faux prétexte, mais un léger vertige la prit alors qu'elle faisait un pas.

Se rattrapant à l'accoudoir d'un siège, elle resta là, attendant que cela passe.

_________________
Anne_blanche
Tout en donnant lecture de la missive du Prévôt, Anne se contraignait à ne regarder ni son frère, ni la dame de Thauvenay. Cette dernière, elle savait par l'échange de courriers qu'elles avaient eu qu'elle ne désirait pas témoigner. Elle s'avisant seulement en la donnant que sa lecture à voix haute, en présence de son frère, était une façon bien peu élégante de lui forcer la main. Aussi son teint vira-t-il peu à peu au carmin, sous l'effet de la honte.
Du côté de Gabriel, elle craignait le regard qu'elle sentait peser sur elle. Il avait connu leur père, contrairement à elle, née posthume. Alors qu'un père avait manqué à son enfance, c'est son père qu'avait pleuré Gabriel. Mais il écoutait, attentivement.


Anne, nous devons faire quelque chose. Il faut répondre à ce baron dans les termes les plus précis possibles pour qu'il puisse nous éclairer sur cette affaire.


Anne poussa un discret soupir de soulagement. Gabriel prenait les choses en mains, en digne chef de famille. Elle s'autorisa un regard vers son frère, en lui tendant le parchemin qui semblait le fasciner, puis vers Dame Terwagne, mais sans oser toutefois lever les yeux vers son visage. Elle tomba en arrêt sur ses mains, agrippées à sa robe. Entre les doigts nerveux, le tissu se froissait.

Elle est en colère contre moi...

A ses joues, le rouge s'accentua. Comment lui faire admettre que ... ?

Y'a le courrier de l'aut'fois qu'est là, Monsieur, est-ce que...

Qu'il entre vite!

Gabriel avait répondu à Bacchus d'une voix si forte qu'Anne en prit peur. Un courrier de Culan, cela pouvait signifier une chose si inacceptable que la jeune fille se convainquait sans peine que la voix de son frère était responsable de ses battements de cœur désordonnés, de la boule empêchait tout son de sortir de sa gorge, du froid qui gagnait ses membres, faisant tomber au sol la lettre de Messire Althiof.
Dame Terwagne se leva, chancela imperceptiblement, se rattrapa à un fauteuil. Anne n'eut pas la force de lui venir en aide, n'y songea même pas.
Elle contemplait la nuque de son frère, dont la silhouette lui masquait partiellement l'entrebâillement de la porte.
Elle devait toujours se souvenir de cette scène, figée comme un mauvais tableau, du tissu chiffonné, sur la robe de Dame Terwagne, de la moustache en berne du cocher, de la claire lumière de juin qui dorait la chevelure de son frère. Le temps s'était arrêté, alors que le pas lourd d'un courrier fatigué et indifférent résonnait sur les marches de pierre.
--Alexandre_le_messager
Au départ, c'était Culan. Pas le village, le château. Si ça avait été le village, il aurait au moins été épargné de la boue. Mais avec la pluie diluvienne qui s'abattait sur le Berry, descendre la côte du château avec le cheval, ce n'était pas une mince affaire. La bête était nerveuse comme jamais à cause de l'orage, et elle n'arrêtait pas de glisser sur la boue.

Alexandre, brave courrier, s'était taillé une réputation de flèche grâce à sa vitesse, et se permettait de prendre une rémunération en conséquence: 17 écus pour 30 lieues, avec un supplément de 5 pour les frontières fermées, et sans compter le pourboire. Un peu plus cher que les autres, peut-être, mais lui, on ne l'a jamais trouvé en train de roupiller en taverne, laissant traîner ses messages à la portée de tous, ni à s'égarer en route et se retrouver dans les Flandres quand il faut être en Italie. Aucun douanier ne lui résistait, aucun brigand ne le défiait, et ni la nuit, ni la neige ne l'avaient jamais forcé à s'arrêter. Alors forcément, il valait bien ses 17 écus par jour.

Pour la deuxième fois en quelques semaines, il s'était retrouvé à cavaler entre Culan (le château, pas le village) et Vienne. Là, il n'était pas très content, à cause de la pluie, et parce qu'il savait que le curé l'avait mal reçu, la dernière fois, et avait presque rien laissé pour boire. Mais le valet qui écrivait les lettres (a-t-on jamais vu ça, un valet qui sait écrire?) était plutôt aimable. Un peu sourd et vieux-jeu, mais toujours cordial, et il payait bien. Forcément, ce n'était pas son argent, alors il pouvait bien payer.

Un villageois de Culan lui avait raconté toute l'histoire: c'était la Douairière qui était agonisante. Par en-bas, ils n'aimaient pas bien le nouveau vicomte, qui n'était presque jamais là, et ils regrettaient l'ancien qui venait de la roture, feu le mari de celle qui mourait. Une vieille avait même soutenu à notre brave Alexandre que depuis que c'était le jeune curé aux affaires, les corbeaux étaient revenus embêter les champs.

Toujours est-il qu'en arrivant à l'adresse, à Vienne, le courrier espérait être mieux reçu que la fois précédente. Il s'était arrêté de pleuvoir, et il faisait même assez lourd, dans le sud, mais il en avait quand même bien bavé sur le trajet.

Le domestique, un gros bourru au nez rouge, qui l'avait accueilli, revint le trouver après l'avoir annoncé. Visiblement, il s'était fait bien recevoir, vu sa tête. C'est vrai qu'il n'avait pas l'air commode, ce vicomte. Alexandre entra dans le salon.

En guise de vicomte, c'était vraiment un gamin, et à part la jeune femme qui se tenait là (et qui faisait bien envie à notre courrier), il y avait une autre gamine, encore plus petite. Pouah! Qu'il détestait quand il arrivait en pleine réunion de famille! A tous les coups, son courrier les ferait gémir et il ne saurait pas quoi faire...


'Jour M'seigneur, 'jour m'dames, un message du château de Culan pour vous. On m'a dit en mains propres.
Gabriel_de_culan
'Jour M'seigneur, 'jour m'dames, un message du château de Culan pour vous. On m'a dit en mains propres.

Excédé par ce qui lui semblait une incommensurable lenteur, le vicomte fit montre de son agacement en soufflant comme un boeuf.

Allez, donnez-moi ça, déjà.

Il décacheta la cire à toute allure, et lut pour lui le message en entier avant d'en faire part à sa soeur et à Terwagne. Il eut même le temps de songer qu'alors qu'il lisait, elles devaient s'impatienter et mourir de savoir ce qui était écrit. Aussi ne fit-il pas durer le calvaire. La lettre était très évasive, mais suffisamment claire. Avant même de la lire à voix haute, il appela les valets.

Matheline! Faites préparer nos effets pour plusieurs jours!
Bacchus, faites préparer les chevaux pour une voiture! Nous partons sur l'heure!


Devant le regard effrayé d'Anne, et sous les yeux suppliants de Terwagne, il entama la lecture du très court, mais ô combien significatif, message.

Nous allons devoir partir. Jugez vous-même:

Citation:
Monsieur,

Je crois bon, sans vouloir déranger Monsieur dans ses offices viennois, de lui faire savoir que l'état de santé de Madame se dégrade péniblement, et que la présence de ses enfants pourrait s'avérer un réconfort. Je crois, Monsieur, qu'il serait judicieux que vous veniez la voir au château.

Que Monsieur daigne croire à ma profonde solidarité dans le malheur qui l'accable ainsi que sa famille.

Votre dévoué,
Anicet.
Anne_blanche
'Jour M'seigneur, 'jour m'dames, un message du château de Culan pour vous. On m'a dit en mains propres.

Il arrive parfois qu'une personne, totalement inconnue, prononce certains mots, d'apparence anodine, et que ces mots impriment en celui qui les entend une marque indélébile. Non pour ce qu'ils disent, pas même pour ce qu'ils sous-entendent. Simplement parce qu'ils sont prononcés à un moment clef.
Ce fut ce qui arriva ce jour-là. Ce courrier à la mine mi-réjouie, mi-résignée, qui délivrait son message comme il devait le faire pour n'importe quel autre, bouleversa la vie de la jeune fille. Elle ne s'en rendit compte que des années plus tard, quand la maturité l'eut rattrapée, et qu'elle parvint à l'âge où l'on s'interroge sur ce qui a fait qu'on est ce que l'on est.
Ce jour-là, cela se traduisit simplement par une profonde inspiration, suivie d'un interminable soupir qui tenait du gémissement, en réponse au souffle soudain plus lourd de son frère.


Allez, donnez-moi ça, déjà.

Alors même que Gabriel décachetait fébrilement la missive, alors même qu'il lisait sans plus tenir compte de la présence de la dame de Thauvenay et de sa sœur, le teint de cette dernière passait du rouge au blanc crayeux, tandis qu'elle se surprenait à accepter l'inacceptable.

Matheline! Faites préparer nos effets pour plusieurs jours!
Bacchus, faites préparer les chevaux pour une voiture! Nous partons sur l'heure!


Bien sûr... Nous partons sur l'heure, toutes affaires cessantes. Arriverons-nous à temps ? A temps pour quoi, quand le temps n'existe plus ? La main d'Anne se posa, légère, sur celle de la dame de Thauvenay. Elle avait peur.
Gabriel donna lecture de sa lettre. Près de la porte, le courrier contemplait la scène avec intérêt. Anne se redressa, très droite, tira de sa bougette quelques pièces que Bacchus s'empressa de recueillir pour les fourrer dans la main de l'intrus. Au passage, la grosse pogne calleuse s'attarda sur les doigts fins.
Alors que, quelques minutes plus tôt, Anne repoussait de toutes ses forces l'éventualité du décès de sa mère, elle la mettait désormais en avant, l'envisageait froidement.


Gabriel, avant que de partir, il nous faut avertir mon parrain, le vôtre, et nous assurer que Blanche sait.

Elle ramassa le parchemin du baron Althiof, le remit à Terwagne, le regard grave.

Dame, je vous confie ceci. Je garde en mémoire votre dernière réponse à mes courriers. Mais vous voyez désormais que les termes en sont caducs.
Terwagne_mericourt
De la scène qui se déroulait en ce moment, la Dame de Thauvenay garderait en elle des souvenirs précis, qui la hanteraient longtemps... Le visage d'Anne, les mots de Gabriel, chaque intonation de sa voix à la lecture de la lettre, la main de la jeune fille se posant sur la sienne...

Elle se surprit à se dire qu'elle aurait voulu aux moins pour eux que leur oncle Hugo soit là en ce moment, qu'il les soutienne, qu'il les accompagne même. Mais à quoi bon penser à cela? Il devait être à cent lieues d'imaginer les évènements qui les touchaient, et sans urgence pas de Hugoruth.

Elle, elle ne trouvait rien à dire, rien à faire, à part... Faisant pivoter la main sur laquelle Anne avait posé la sienne, elle entoura celle-ci de ses doigts, marque de soutien silencieux, geste affectueux dans la douleur et la peur...

Sa voix ne s'exprima que plus tard, lorsque Anne s'adressa directement à elle, lui remettant la lettre du baron Althiof, qu'elle prit et glissa dans son corsage.


Je suis venue, depuis ma dernière réponse à vos courriers, Anne...
Peut-être n'aurais-je pas dû?

Mais une chose est certaine : aujourd'hui il est de toute façon trop tard pour tenter de vous protéger... Vous êtes bel et bien en danger.

Trop de monde sait, vous avez mis le pied dans une fourmilière... Il est trop tard!


Se rendant compte que sans doute ces mots allaient donner l'impression à la demoiselle qu'elle la rendait responsable, l'accusait d'avoir été trop curieuse et trop bavarde, elle posa à nouveau ses doigts autour des siens, et ajouta d'autres mots, d'une voix plus douce.

J'aurais sans doute fait la même chose à votre place, voulu savoir...

Je vous comprends, j'aurais juste voulu vous protéger, rien de plus, Anne.

Nous reparlerons de cela plus tard, pour l'heure votre place est auprès de votre mère... Je vous laisse avertir votre parrain, je crois que cela est préférable par contre.

Moi, je ne puis que prier Aristote et être avec vous en pensées, ce que je ne manquerai pas de faire, soyez-en certains tous les deux.

_________________
Gabriel_de_culan
Gabriel, avant que de partir, il nous faut avertir mon parrain, le vôtre, et nous assurer que Blanche sait.

Elle avait bien raison! Diable! Et lui qui allait partir sans prévenir personne! Gabriel pensa à son parrain, l'espace d'un instant. Quelle tristesse allait l'affliger quand il entendrait la nouvelle! Et pourtant, il fallait bien qu'il sache que son filleul allait se rendre auprès de sa compagne mourante.

Oui, oui! Anne, c'est ce que j'allais faire. Prévenez Monsieur notre oncle, j'écris à mon parrain.

Il n'allait tout de même pas admettre qu'il n'y avait pas pensé... Dans sa précipitation, le jeune garçon n'écouta pas la suite de la conversation entre Anne et Terwagne. Il prit un papier d'Italie (bien moins cher que le parchemin, quoique moins répandu), et écrivit rapidement:

Citation:
Monsieur mon parrain, je vous écris précipitamment car je viens de recevoir des nouvelles de la santé de Madame la vicomtesse douairière de Culan. A mon grand regret, celles-ci ne sont guère bonnes, et je vous fais savoir par la présente que je me rends immédiatement avec Anne en mon château où Madame est alitée. Il va de soi que si Monseigneur veut nous y rejoindre, il y sera toujours le bienvenu, et que des appartements lui y seront réservés.

Que Dieu vous garde.
Gabriel Cornedrue
Vicomte de Culan


Il ne prit pas la peine de sceller, et fit déjà savoir à Jannequin qu'il devrait remettre le pli à Monseigneur Walan au plus vite. Puis, se tournant vers Anne, il voulut l'appeler, mais entendit justement Terwagne lui dire:

Nous reparlerons de cela plus tard, pour l'heure votre place est auprès de votre mère... Je vous laisse avertir votre parrain, je crois que cela est préférable par contre.

Comment, Anne, ce n'est pas encore fait? Hâtez-vous donc!
Anne_blanche
Oui, oui! Anne, c'est ce que j'allais faire. Prévenez Monsieur notre oncle, j'écris à mon parrain.

Tandis que Gabriel s'absorbait dans la rédaction de sa missive, Anne sentit les doigts de Terwagne se refermer autour des siens. Sa propre main, inerte, accepta l'étreinte, mais sans y répondre. Elle avait besoin de ne rien faire, de n'être à l'initiative de rien, de se laisser simplement guider ; besoin de n'être qu'une enfant malheureuse.
Mais l'enfance était loin. Elle l'avait repoussée, avec quelque dégout, depuis déjà trop longtemps pour pouvoir en endosser de nouveau la pelisse duveteuse.


...aujourd'hui il est de toute façon trop tard pour tenter de vous protéger... Vous êtes bel et bien en danger.

Dame Terwagne confirmait.

Trop de monde sait, vous avez mis le pied dans une fourmilière... Il est trop tard!


Grand Dieu ! Qu'aurait-elle pu faire d'autre ? Une fois de plus, Anne se débattait entre tant de sentiments contradictoires qu'elle en était paralysée. Elle sentait monter en elle une furieuse envie de hurler sa détresse, son dégout de ce monde où les enfants perdent trop tôt leur mère, où les Grands veulent l'être encore plus, et n'hésitent pas à tuer pour y parvenir. Gabriel écrivait, très vite, sans réfléchir. Messire Walan aurait la missive dans l'heure. Quelle ne serait pas sa détresse, à lui aussi ? Et Terwagne, dont les doigts se serraient de nouveau autour des siens, quelle était la sienne, pour si bien comprendre ?

Je vous laisse avertir votre parrain, je crois que cela est préférable par contre.

Comment, Anne, ce n'est pas encore fait? Hâtez-vous donc!

Alors que son naturel l'aurait portée à ne pas obtempérer, en temps ordinaire, à une injonction aussi peu diplomatique, Anne fut reconnaissante à son frère de la bousculer. Il prenait les choses en mains, à sa façon. Elle hocha la tête, hésita à prendre une plume, renonça aussitôt. Elle ferait encore des pâtés. Tant pis, Oncle Hugo ne s'offusquerait pas de recevoir de sa filleule une missive rédigée au calame. L'on disait, dans les communs de Culan, que le vicomte de La Chapelle-Angillon avait, dans ses jeunes années, beaucoup apprécié la compagnie de celle qui devait devenir l'épouse de son cousin, bien avant sa rencontre avec la Dame de Thauvenay. Il aurait fallu réfléchir, peser les mots. Anne en était incapable.

Un instant, Jannequin !

Citation:
Messire mon parrain,

De bien mauvaises nouvelles nous parviennent à l'instant de Culan.
Gabriel et moi nous y rendons sur l'heure, au chevet de Mère.
Mon cher Parrain, plus que jamais, votre filleule a besoin de votre présence. J'espère que vos obligations vous laisseront un peu de temps pour me venir assister.

Recevez, Messire mon parrain, toute mon affection,

Anne


Jannequin, donnez ceci au valet de Messire Hugo. Il saura où le trouver. Vous ferez ensuite avertir Messire Tazspike de mon absence, puis Sa Grasce.

Elle attendit que le valet fût sorti pour se tourner de nouveau vers Terwagne.

Dame, s'il vous plaît d'avertir votre suzerain, Matheline vous désignera sa chambre. Il n'en sort plus guère, depuis qu'il est à Vienne.


Elle ajouta, de cette voix mate dont elle ne devait plus se départir avant de longues semaines, et qui lui faisait comme un masque :

Je tiendrai à honneur que vous vous joigniez à nous.
Messire mon frère, je suis prête.
Gabriel_de_culan
la suite ici.
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