Anne_blanche
Anne avait écouté, passionnément.
Votre Père, "Val' ", était quelqu'un de bien ma demoiselle... Il était l'ami le plus précieux que j'eu en Berry et même en ce Royaume... J'avais pour Val une confiance aveugle et une loyauté sans faille. Nous avons livré plusieurs batailles ensemble sur des fronts différents et à nos manières propres mais ensemble nous avons fait de belles et grandes choses...
Toutes les bribes qu'elle pouvait obtenir sur son père lui étaient pain bénit. Et jusqu'à présent, personne, jamais, n'avait parlé de lui en mal.
Cependant, quelque chose la gênait, dans le discours du soldat assis en face d'elle, qui parlait avec une nostalgie mal dissimulée d'un temps révolu, tout en faisant honneur à la collation.
Pourquoi Dame Terwagne, ou Parrain, ou Messire d'Aupic, ne m'ont-ils jamais parlé de Messire Valric, puisqu'il semblait si proche de Père ?
La question lui trottait dans la tête, mais il eût été fort malvenu de la poser à voix haute.
Val lui était un fin parleur... Un politicien et un Diplomate de grande classe et d'excellence sur... Devant ces foules qui l'écoutaient avec attention, il savait atisé leur flamme et soulever les gens... Moi j'oeuvrais et j'oeuvre encore dans l'ombre...
La réponse était peut-être là ... Anne, malgré son jeune âge, était désormais suffisamment férue en politique pour savoir qu'il y a un devant de la scène, et des coulisses. Son père avait été sous les feux de la rampe. Peut-être son filleul était-il un de ces hommes dévoués qui exécutent à la place de leur mentor les tâches interdites aux grands. Se dessinaient des aspects plus sombres, les premières craquelures dans le portrait du père. Fidèle à son habitude, Anne rangeait soigneusement dans un coin de sa tête les réflexions qui crevaient la surface, pour mieux se concentrer sur les propos de son interlocuteur. Elle ressortirait tout ça plus tard, la nuit, quand elle faisait le bilan de sa journée, entre prière et endormissement.
Vous ne le savez certainement pas mais si je suis dans le coin c'était bien pour protèger le Dauphiné à ma manière... Demanderez à Pénélope...
Oui, elle demanderait. Elle avait déjà demandé, en fait, au détour d'un couloir de Pierre-Scize. Et elle savait. Mais cela non plus, elle ne le dirait pas.
Votre Père croyait en ce qu'il faisait... Ce qu'il faisait était alors tout à son honneur et je peux vous jurer que jamais votre Père de s'est contredit en parjure et en tromperie... Honnête et juste... Ne doutez jamais que votre Père était homme un bon et remplit d'honneur, ne doutez jamais!
Les paroles se gravaient dans la mémoire de la jeune fille à l'orée de sa vie.
Le temps passait, le visiteur dut prendre congé, repartir.
Anne resta un moment perdue dans ses songes, jouant machinalement avec une miette de pain, qui prenait entre ses doigts fins l'aspect d'une boulette d'argile.
Un courrier de Messire Baron, Demoiselle.
Enfin ! Depuis que HdB était parti pour le Berry, afin d'assister aux obsèques d'un ami, Anne s'inquiétait. Elle savait ce qui était en train de se produire, là-bas. Son parrain Hugo allait partir aussi, malgré sa santé chancelante, fidèle à son serment vassalique, accomplissant sans état d'âme apparent son devoir.
Elle décacheta rapidement la missive, très brève, bien dans la manière concise habituelle du baron.
Votre Père, "Val' ", était quelqu'un de bien ma demoiselle... Il était l'ami le plus précieux que j'eu en Berry et même en ce Royaume... J'avais pour Val une confiance aveugle et une loyauté sans faille. Nous avons livré plusieurs batailles ensemble sur des fronts différents et à nos manières propres mais ensemble nous avons fait de belles et grandes choses...
Toutes les bribes qu'elle pouvait obtenir sur son père lui étaient pain bénit. Et jusqu'à présent, personne, jamais, n'avait parlé de lui en mal.
Cependant, quelque chose la gênait, dans le discours du soldat assis en face d'elle, qui parlait avec une nostalgie mal dissimulée d'un temps révolu, tout en faisant honneur à la collation.
Pourquoi Dame Terwagne, ou Parrain, ou Messire d'Aupic, ne m'ont-ils jamais parlé de Messire Valric, puisqu'il semblait si proche de Père ?
La question lui trottait dans la tête, mais il eût été fort malvenu de la poser à voix haute.
Val lui était un fin parleur... Un politicien et un Diplomate de grande classe et d'excellence sur... Devant ces foules qui l'écoutaient avec attention, il savait atisé leur flamme et soulever les gens... Moi j'oeuvrais et j'oeuvre encore dans l'ombre...
La réponse était peut-être là ... Anne, malgré son jeune âge, était désormais suffisamment férue en politique pour savoir qu'il y a un devant de la scène, et des coulisses. Son père avait été sous les feux de la rampe. Peut-être son filleul était-il un de ces hommes dévoués qui exécutent à la place de leur mentor les tâches interdites aux grands. Se dessinaient des aspects plus sombres, les premières craquelures dans le portrait du père. Fidèle à son habitude, Anne rangeait soigneusement dans un coin de sa tête les réflexions qui crevaient la surface, pour mieux se concentrer sur les propos de son interlocuteur. Elle ressortirait tout ça plus tard, la nuit, quand elle faisait le bilan de sa journée, entre prière et endormissement.
Vous ne le savez certainement pas mais si je suis dans le coin c'était bien pour protèger le Dauphiné à ma manière... Demanderez à Pénélope...
Oui, elle demanderait. Elle avait déjà demandé, en fait, au détour d'un couloir de Pierre-Scize. Et elle savait. Mais cela non plus, elle ne le dirait pas.
Votre Père croyait en ce qu'il faisait... Ce qu'il faisait était alors tout à son honneur et je peux vous jurer que jamais votre Père de s'est contredit en parjure et en tromperie... Honnête et juste... Ne doutez jamais que votre Père était homme un bon et remplit d'honneur, ne doutez jamais!
Les paroles se gravaient dans la mémoire de la jeune fille à l'orée de sa vie.
Le temps passait, le visiteur dut prendre congé, repartir.
Anne resta un moment perdue dans ses songes, jouant machinalement avec une miette de pain, qui prenait entre ses doigts fins l'aspect d'une boulette d'argile.
Un courrier de Messire Baron, Demoiselle.
Enfin ! Depuis que HdB était parti pour le Berry, afin d'assister aux obsèques d'un ami, Anne s'inquiétait. Elle savait ce qui était en train de se produire, là-bas. Son parrain Hugo allait partir aussi, malgré sa santé chancelante, fidèle à son serment vassalique, accomplissant sans état d'âme apparent son devoir.
Elle décacheta rapidement la missive, très brève, bien dans la manière concise habituelle du baron.
Citation:
Ma très chère nièce,
Voilà bien longtemps que je devais prendre la plume pour t'écrire, mais les évènements se sont tellement précipités que j'ai manqué de temps.
Je suis aujourd'hui à Bourges, au coté du Duc, pour défendre le Berry. J'ignore nombre de choses sur cette guerre qui couve, mais mon serment me lie au Berry et j'ai donc pris les armes afin de le respecter.
Je vous envoie bientôt des nouvelles que j'espère meilleures.
Votre oncle dévoué
HDB
Voilà bien longtemps que je devais prendre la plume pour t'écrire, mais les évènements se sont tellement précipités que j'ai manqué de temps.
Je suis aujourd'hui à Bourges, au coté du Duc, pour défendre le Berry. J'ignore nombre de choses sur cette guerre qui couve, mais mon serment me lie au Berry et j'ai donc pris les armes afin de le respecter.
Je vous envoie bientôt des nouvelles que j'espère meilleures.
Votre oncle dévoué
HDB
Anne hésita. Elle savait, elle ce qui se tramait sous cette guerre-là. Mais avait-elle le droit de dire à HdB que son suzerain était un monstre avide d'une gloire à laquelle il était prêt à sacrifier un peuple de moutons bêlants ? Elle décida que non seulement elle en avait le droit, mais aussi le devoir. HdB devait au duc de Berry le consilium : on ne peut conseiller utilement quand on ne sait pas.
Matheline n'avait pas encore fini de débarrasser les reliefs du repas qu'Anne achevait déjà son courrier.
Citation:
Mon oncle,
Les rumeurs de ce qui se passe en Berry sont parvenues jusqu'à nous. Notre diplomatie s'est fort activée, j'ai joué de mes contacts avec les membres de ma famille, en particulier dans l'estoc maternel, un peu partout dans le Royaume, et je ne crains pas de dire que mon grand-oncle d'Aigurande est, une fois de plus, à l'origine d'une manipulation à grande échelle, qui vise non seulement le rattachement de Loches au Berry, mais encore la destruction de Domaine Royal.
Il s'est fait le complice de Sa Grandeur Chuichian, comte du Poitou, et compte nombre d'amis en Bretagne, Anjou,Artois. Son Eminence Ingeburge elle-même serait partie prenante dans l'affaire.
Il m'est parvenu ce matin que deux armées campent désormais sous les murs de Loches. Il ne fait de doute pour personne que lesdites armées sont berrichonnes, même si elles arborent des pavillons non marqués. Une fois de plus, mon grand-oncle se terre, se pose en victime et n'assume pas ses provocations. J'ai appris qu'il en appelait à l'Histoire pour mobiliser les Berrichons. Or, vous savez, mieux que moi sans doute, ce qui fut à l'origine de la guerre de 1455. Vous savez, mieux que moi, les accointances de mon grand-oncle avec la Taupe-du-Marais, alias Decirce. Vous savez de quelle odieuse machination fut victime feu mon père en cette affaire.
Mon frère Gabriel est au plus mal. Un ami de passage à Genève a réussi a obtenir quelques informations de la bouche du frère tourier du couvent où il est soigné. Hélas, les nouvelles sont mauvaises, fort mauvaises. Je prie chaque heure Aristote d'intercéder pour lui auprès du Très-haut. Ma seule consolation, c'est que mon pauvre frère n'aura pas à se ranger aux côtés d'Aigurande en cette triste guerre où ce monstre d'égoïsme entraîne son peuple.
Gardez-vous bien, mon oncle. Que Saint Arnvald, qui doit se retourner en sa tombe en voyant à quelles extrémités d'Aigurande pousse le Berry, et Sainte Boulasse vous protègent.
Votre nièce affectionnée,
Anne de Culan, dame de La Mure
Mon oncle,
Les rumeurs de ce qui se passe en Berry sont parvenues jusqu'à nous. Notre diplomatie s'est fort activée, j'ai joué de mes contacts avec les membres de ma famille, en particulier dans l'estoc maternel, un peu partout dans le Royaume, et je ne crains pas de dire que mon grand-oncle d'Aigurande est, une fois de plus, à l'origine d'une manipulation à grande échelle, qui vise non seulement le rattachement de Loches au Berry, mais encore la destruction de Domaine Royal.
Il s'est fait le complice de Sa Grandeur Chuichian, comte du Poitou, et compte nombre d'amis en Bretagne, Anjou,Artois. Son Eminence Ingeburge elle-même serait partie prenante dans l'affaire.
Il m'est parvenu ce matin que deux armées campent désormais sous les murs de Loches. Il ne fait de doute pour personne que lesdites armées sont berrichonnes, même si elles arborent des pavillons non marqués. Une fois de plus, mon grand-oncle se terre, se pose en victime et n'assume pas ses provocations. J'ai appris qu'il en appelait à l'Histoire pour mobiliser les Berrichons. Or, vous savez, mieux que moi sans doute, ce qui fut à l'origine de la guerre de 1455. Vous savez, mieux que moi, les accointances de mon grand-oncle avec la Taupe-du-Marais, alias Decirce. Vous savez de quelle odieuse machination fut victime feu mon père en cette affaire.
Mon frère Gabriel est au plus mal. Un ami de passage à Genève a réussi a obtenir quelques informations de la bouche du frère tourier du couvent où il est soigné. Hélas, les nouvelles sont mauvaises, fort mauvaises. Je prie chaque heure Aristote d'intercéder pour lui auprès du Très-haut. Ma seule consolation, c'est que mon pauvre frère n'aura pas à se ranger aux côtés d'Aigurande en cette triste guerre où ce monstre d'égoïsme entraîne son peuple.
Gardez-vous bien, mon oncle. Que Saint Arnvald, qui doit se retourner en sa tombe en voyant à quelles extrémités d'Aigurande pousse le Berry, et Sainte Boulasse vous protègent.
Votre nièce affectionnée,
Anne de Culan, dame de La Mure
La lettre tomberait peut-être en des mains malintentionnées. Anne n'en avait cure. Elle ne scella point, son anoblissement étant encore trop récent pour qu'elle ait eu le temps de se faire confectionner un scel.
Le silence était retombé sur l'hôtel de Culan, douloureux.
Anne se réfugia dans sa chambre, tomba à genoux sur le prie-dieu de sa mère. Elle se sentait seule, abandonnée des hommes et du Très-haut. Elle priait pour qu'Il ramène la santé à Gabriel et le garde de l'acédie, pour qu'Il garde vie à ses oncles, pour le Berry et ses malheureux habitants, pour l'âme de ses parents et la sauvegarde de Messire Valric. Les mots se mêlaient sur ses lèvres aux larmes qui coulaient sans discontinuer.
Elle savait qu'elle aurait dû pardonner à tous leur défection, se lever, et reprendre le collier. Elle ne trouvait plus la force.
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