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[RP ouvert]L'hôtel de Culan.

Walan
Un sourire accueilli la première partie de la réponse d'Anne, le seigneur de Meyrieu étant toujours heureux de constater à quel point le jeune fille prenait à cœur les divers tâhces qui lui étaient confiées. Cependant, la conclusion lui rappela toutes les raisons qui l'avaient éloigné de la politique ducale, assombrissant brièvement le visage de Sans Repos.

Néanmoins, une apparente impatience de son hôtesse rappela Walan à la réalité présente, l'amenant à se rendre compte qu'ils se tenaient toujours tous trois à l'entrée de ce qui devait être la grande salle de l'hôtel.
La jeune fille proposant de faire porter de l'eau, le vicomte d'Ancelle n'hésita qu'une fraction de seconde avant de lancer avec un sourire taquin à la vicomtesse.


J'aurai pourtant parié que vous auriez fait amener du vin chaud par tonnelets entiers.
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pnj
« J'aurai pourtant parié que vous auriez fait amener du vin chaud par tonnelets entiers. »


Groumpf !!
Voilà, à peu de chose près, l’interjection qu’aurait laissée échapper la Vicomtesse, si elle n’avait eu cet autre réflexe, autrement plus fort, de se redresser et de relever le menton avec toute la dignité dont elle était capable.

Offrant un regard pers plein d’espièglerie au Bourgmestre, Maryan laissa échapper ces mots :


« J’ignorais que le lavage des mains au vin chaud faisait partie de vos traditions, messire Bourgmestre. Cela me rappelle la coutume d’une peuplade germanique dont je ne me rappelle plus le nom. Les barbares qui la composaient avaient pour rite de s’inonder de vinasse à n’en point finir, avant le repas. Je ne sais pourquoi ils faisaient cela, mais enfin, après tout, faut-il une raison pour être un rustre ? »


La question, qui n’attendait pas réponse, se ponctua d’un sourire onctueux, puis la Vicomtesse entraîna son hôte vers l’intérieur de la grand-salle.


« Il faut absolument que je vous fasse goûter les rissoles confectionnées tantôt par Flamenque. Elles sont exquises, croyez-le bien ! Cela nous fera une mise en bouche agréable. »


Les mots furent prononcés tandis que Maryan se dirigeait vers la grande table à tréteaux où se situaient les dites rissoles. Le Vicomte d’Ancelle la suivait, et alors qu’elle s’apprêtait à se saisir du coutelas pour couper les rissoles –que Flamenque avait faites énormes- , Maryan se tourna gracieusement vers son hôte, ajoutant d’une voix suave, la tête légèrement penchée et les iris percés d’éclats rieurs :


« Et nous aurons du vin chaud pour accompagner ceci. »


Puis elle s’en retourna à son coutelas et aux rissoles, n’offrant plus que son cou au regard du bourgmestre, ainsi que ses mains fines et blanches manipulant l’outil tant bien que mal.
Plutôt mal, en fin de compte, car l’objet échappa à la Vicomtesse d’une manière qu’elle ne s’expliqua pas, faisant une entaille légère sur la peau laiteuse de Maryan.



« Diablerie ! Quelle sotte je fais ! »


La blessure n’était pas profonde, mais assez tout de même pour faire couler un peu de sang, ce qui eût le don d’agacer la Vicomtesse, et de la faire pester plus encore sur sa gaucherie.
Anne_blanche
J'aurai pourtant parié que vous auriez fait amener du vin chaud par tonnelets entiers.

Anne s'empressa de tourner le dos avant de sourire. Elle ouvrit la porte pour demander qu'on amène l'eau, faillit recevoir dans l'estomac la tête de Matheline, qui manifestement écoutait, l'oreille collée à l'huis.

Pardon, Demoiselle Anne. Faites excuse. Y'avait comme une saleté à la clanche.

La camérière regardait avec insistance par-dessus l'épaule d'Anne, ce qui n'était pas bien difficile, vu la petite taille de la jeune fille. Plus offusquée par l'œil humide dont la servante contemplait le vicomte que par son indiscrétion, Anne se redressa au maximum.


Allez donc quérir l'eau, Matheline. Puis vous trierez le linge de mon coffre. Quelques-uns de mes linceuls présentent des jours.


Cela avait été dit d'une voix froide, propre à ramener la camérière aux devoirs de sa tâche - qu'elle n'avait que trop tendance à négliger - mais basse, pour ne pas accabler l'hôte de considérations domestiques dont il n'avait que faire.
Anne reporta son attention sur la salle.


... Je ne sais pourquoi ils faisaient cela, mais enfin, après tout, faut-il une raison pour être un rustre ?

Elle n'avait pas suivi. De quoi donc parlait sa mère ? Toujours est-il qu'elle avait dans les yeux des étincelles de bonheur. Interdite, Anne se figea, l'espace de deux ou trois secondes. La vicomtesse regardait le vicomte, sourire aux lèvres. Un sourire comme sa fille ne lui en avait jamais vu. Anne avait toujours considéré sa mère comme une dame d'un certain âge. Du haut de ses douze ans, tout ce qui en dépassait dix-huit ou vingt lui paraissait déjà un peu ... vieux. Mais ce soir-là, Mère avait, répandu sur toute sa personne, comme un air de printemps.
Ne pas y penser... Ranger cela dans un coin de sa mémoire, et se pencher dessus plus tard, quand elle aurait le temps, et que l'angoisse qu'elle sentait naître à ce constat se serait un peu atténuée.


Et nous aurons du vin chaud pour accompagner ceci.

Anne n'eut pas le temps de retirer le couteau des mains de sa mère. Elle la savait si peu adroite ! De toutes façons, elle avait, hélas, hérité cette propension maternelle à se fâcher avec le moindre outil.


Diablerie ! Quelle sotte je fais !

Anne porta les deux mains à son visage, ses yeux s'ouvrirent tout grand. Mère était blessée ! Le sang qui coulait de ses doigts sur la nappe immaculée lui sembla un flot irrépressible. Elle se sentit pâlir, les pires images de son père, aperçues trop souvent dans ses cauchemars nocturnes, remontèrent en masse. Tétanisée, elle avait l'impression que plus jamais elle ne pourrait bouger, que ses pieds resteraient collés pour l'éternité à la même dalle de la grand-salle.
Walan
Walan se figea un instant à la réponse que lui fit la vicomtesse, ne sachant si elle tentait de répondre à sa pique ou s'il avait véritablement commis cet impair. Rustre, encore une à utiliser ce qualificatif à son encontre ... cela commençait à être quelque peu redondant que de s'entendre désigner ainsi. Sans Repos allait répliquer sur le fait qu'après tout, sa province natale n'était pas si éloignée que cela des peuplades germaniques en question, mais n'en eut pas le temps -ni guère l'envie à la vue du sourire et du regard qui lui étaient adressés- avant d'être entrainé vers l'intérieur de la pièce, de laquelle provenait un fumet particulièrement agréable. Entre temps, c'est à peine s'il avait remarqué la scène qui s'était jouée entre Anne et la domestique, tout à son attention pour son hôtesse.

Un haussement de sourcil étonné apparu lorsqu'il remarqua la source des agréables odeurs en question. Effectivement, la dénommé Flamenque paraissait être une cuisinière fort douée à en voir les rissoles qui ornaient la table. Un bref sourire répondit au commentaire qui lui était fait sur le vin chaud, avant que Maryan ne se détourne pour couper les mets. La vue de la blanche et fine nuque de la jeune femme sembla gêner le bourgmestre qui en détourna rapidement le regard vers ses mains. Avisant la manière dont la jeune femme se servait du coutelas, Walan s'apprêtait à proposer son aide lorsque la vicomtesse se coupa, laissant échapper une exclamation irritée.

Sans vraiment se rendre compte de ce qu'il risquait de provoquer, le seigneur de Meyrieu prit doucement la main blessée de son hôtesse avec un simple
Laissez moi voir. Le contraste était assez saisissant, de voir le membre fin et blanc s'ornant d'une tache écarlate entre les mains brunes ornées de cicatrices et de cals du soldat qu'était le seigneur de Meyrieu.
Examinant doucement la plaie, il s'excusa d'une voix à peine audible pour la rudesse de ses doigts avant de tourner la tête vers Anne qui regardait sa mère d'un air horrifié.


Ce n'est qu'une petit coupure. Un peu de plantain et de thym ou de sauge en onguent et il n'y paraitra plus. Vous pourriez aller en chercher Anne ?

Fixant à nouveau son hôtesse, tout en ayant toujours sa main entre les siennes, Walan compléta sa demande de quelques explications.

Le plantain pour que ça s'arrête de saigner et pour que vous ayez une cicatrice si fine qu'elle ne se verra même pas ; le thym pour éviter qu'une mauvaise maladie n'en profite.
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pnj
Elle allait se saisir du carré de tissu blanc enfoui dans son corsage dont elle ne se séparait jamais, lorsque le Seigneur de Meyrieu prit les devants, et lui déroba sa main blessée pour l’examiner de plus près.
Un instant, le souffle lui manqua. Un éclair de surprise traversa le regard azuré de la jeune femme : la stupéfaction ravie de voir s’exaucer un souhait muet n’ayant pas même eu le temps de franchir la barrière de sa conscience.

Derrière, la petite Anne arborait un air effrayé, sur lequel la Vicomtesse ne prit pas la peine de s’attarder. Ses grands yeux pers bordés de longs cils noirs restaient fixés sur sa main, sur leurs deux mains.
Elle sentait la rugosité de la peau légèrement tannée du Vicomte d’Ancelle sur la chair délicate de sa main, dont les tons ivoirins rappelaient les matins brumeux de Bretagne.

Jamais encore, auparavant, elle n’avait remarqué ces fines cicatrices qui s’éparpillaient ça et là sur les mains brunes du Bourgmestre.
Jamais encore elle n’avait ressenti ce désir déconcertant de les parcourir de ses iris clairs, d’en détailler les moindres contours, et d’en imaginer l’origine comme s’il se fût agit de la chose la plus passionnante qu’on eût pu voir en ce monde.

Un trouble certain s’empara de la jeune noble, et tandis que son hôte se tournait vers sa fille pour lui demander Le Très-Haut savait quoi, Maryan sentit un léger tremblement la parcourir.

Ah, misère ! Fallait-il que cette agitation-là l’atteigne encore ?! Par deux fois déjà, elle avait laissé ce bouleversement de l’âme l’envahir.
Par deux fois déjà, elle s’était laissé aller à cette faiblesse qui emprisonne tous les cœurs au moins un instant dans leur vie.
Tout ce bel emballement des sens… et pour quelle issue ?
La déception, le musèlement, le désespoir devenu habitude, et un certain regard lointain capable de ne voir que de la mélancolie dans tout ce qui l’entoure…
Les poètes ont bien tort de chanter les louanges d’un tel émoi.

Et pourtant…
Le regard que la Vicomtesse posa sur son hôte fût on ne peut plus loin d’exprimer ces pensées. Son visage clair et lisse s’était animé d’un sourire tremblant, et sur ses pommettes rondes comme un reste d’enfance s’égrenaient déjà de légères rougeurs à l’effet charmant.
Dans ses iris aux couleurs de l’océan se lisait l’espoir d’un destin enfin chargé de soleil. Des envies de chansons, de caroles et de prosodie envahissaient ses prunelles, et c’est toute son âme qui réclamait le retour d’un naturel passionné trop souvent passé sous silence.

Mais il fallait pourtant se contenir, et modérer cet enivrement des sens autant que faire se pouvait.
Au reste, Maryan ne se départait pas de sa peur. Plus qu’à n’importe quel instant de sa vie, elle redoutait la blessure terrible d’une désillusion. Elle savait ce que c’était que d’en sortir. Assez pour deviner comment il était possible qu’on n’en sortît pas.
C’est donc avec toute la mesure dont elle était capable qu’elle reprit la parole.



« Je suis bien heureuse, Monseigneur, que vos connaissances générales en les choses de ce Monde s’étendent également au domaine de la cure.
Sans vous, j’aurais crains de souffrir de cette légère entaille plus que de mesure. »


Elle n’hésita qu’une seconde avant de rajouter :

« Au vrai, vous allez bientôt me rendre votre présence indispensable à mes côtés. »
Anne_blanche
La vue du sang n'effrayait pas le bourgmestre. Une parcelle de l'esprit d'Anne se reprochait l'idiotie de cette réflexion. Une autre lui reprochait de rester plantée là, alors que sa mère saignait. Une autre encore ne lui pardonnait pas sa fascination pour la main de la vicomtesse dans celles du vicomte.
Blême, mortifiée à l'idée qu'on puisse prendre son immobilité pour un manque de courage, elle ne pouvait cependant se résoudre à faire le pas qui la rapprocherait de la table. Elle se sentait de trop.
Le seigneur de Meyrieu murmurait on-ne-savait-quoi à l'oreille de sa mère.


Ce n'est qu'une petit coupure. Un peu de plantain et de thym ou de sauge en onguent et il n'y paraitra plus. Vous pourriez aller en chercher Anne ?

Elle réagit immédiatement, hocha vivement la tête, et s'enfuit dans le couloir, à la recherche de l'onguent demandé. Elle houspilla Matheline, qui se trouvait encore derrière la porte, comme par hasard, et attendit que la servante lui rapporta le remède, debout dos au mur, écoutant résonner dans sa tête les battements désordonnés de son cœur.
Elle ressentait, à l'égard du vicomte, un mélange de gratitude, pour lui avoir donné une bonne raison de sortir de la grand-salle, et de rancune. Elle n'avait pas aimé voir la main de sa mère dans la sienne. Elle avait même détesté cela. Qu'en penserait Gabriel ? Devait-elle lui dire ? Lui dire quoi, d'ailleurs ? Que le bourgmestre avait été d'un grand secours quand Mère s'était blessée ?


Pour une fois, Matheline ne traîna pas en chemin, et avant qu'Anne n'ait pu l'arrêter, elle pénétra dans la salle, brandissant comme un trophée un petit pot de grès. Un valet suivait de près, porteur d'un bassin d'eau parfumée, son visage lunaire reflétant sa satisfaction d'assister à la sotie qui se jouait dans la grand-salle.
Anne n'eut d'autre choix que de les suivre.


Au vrai, vous allez bientôt me rendre votre présence indispensable à mes côtés.

Il faisait bon, dans la salle. Mais Anne se sentit glacée de la tête aux pieds.

L'onguent, Messire Bourgmestre. Mère, nous pouvons nous attabler, si nous souhaitons manger chaud. Matheline, allez donc chercher un linge pour bander la blessure. Où avez-vous la tête ?


L'aigreur de son ton la mit encore plus en colère contre elle-même. Elle n'avait plus faim, plus envie de rien, sauf de se réfugier sous son édredon, de se rouler en boule autour de Vignol, et de dormir. Mais l'hôte était là, et la fille de Valatar releva le menton, éteignit dans son regard toute lueur mauvaise, et présenta un visage presque souriant.
Walan
Les yeux fixés sur les mains de la vicomtesse, Sans Repos ne remarqua pas l'expression que celle ci lui adressait. Peut être était-ce aussi bien d'ailleurs, sans quoi le trouble qu'il ressentait déjà n'aurait vraisemblablement fait qu'augmenter. Plongé dans sa contemplation, c'est tout juste s'il remarqua qu'Anne faisait ce qu'il lui avait demandé car il venait de constater que son hôtesse tremblait et ne savait exactement quelle en était la cause. Alors que le seigneur de Meyrieu se préparait à lâcher -à contrecœur- la main de Maryan en se demandant si c'était lui qui provoquait ces tremblements, la domesticité de l'hôtel fit son apparition, des sourires sans équivoque sur le visage, tandis que la déclaration de la jeune femme plongeait Walan dans ses pensées.

Sans qu'il ne le sache, celles-ci prirent un cours assez semblable à celles de la blonde vicomtesse. Lui qui s'était plusieurs fois demandé si le Très Haut n'avait pas pour volonté de le voir rester seul, voire s'Il ne le punissait pas pour ses erreurs en rappelant à Lui toutes les femmes qu'il aimait -même d'un amour fraternel-, voilà qu'à nouveau il commençait à éprouver des sentiments pour quelqu'un. La culpabilité et la douleur se mêlaient au plaisir qu'il ressentait en compagnie de Maryan, quand bien même avait-il suffisamment connu Eléanor et Alyanne pour savoir pertinemment qu'elles n'auraient pas souhaité le voir rester seul.
C'est d'ailleurs tout juste s'il n'entendait pas leurs voix à toutes deux, accompagnées de celle de Freyelda, cette soeur en tout points sauf par le sang, l'encourager dans ce chemin au début duquel il se trouvait.


Ce ne sont que quelques connaissances que j'ai acquises par la force des choses et par une grande amitié avec une physicienne. Je ne doute pas que vous auriez pu fort bien vous débrouiller sans moi.

Lâchant cette fois ci bel et bien -toujours à contrecœur- la main de la vicomtesse pour permettre à Matheline de lui appliquer l'onguent, le vicomte d'Ancelle resta silencieux. Mais l'intervention d'Anne chassa ses douces pensées pour lui faire poser son regard sur la jeune fille. Il sentait certaines réticences en elle depuis quelque temps et commençait petit à petit -à mesure qu'il acceptait ses propres sentiments ?- avoir une idée sur leurs causes. Un peu mal à l'aise, le baron de Charpey ne pu qu'obtempérer à sa demande de passer à table.
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pnj
Elle avait confié sa blessure aux soins de Matheline avec un certain regret, le premier physicien improvisé lui plaisant beaucoup plus.
Un simple signe de tête de la maîtresse de maison confirma que l’on pouvait se mettre à table. Et ce fût fait, effectivement, dès que la camérière eût resserré le bandage à l’aide d’un petit morceau de taffetas gommé.

Tout à son émoi, la Vicomtesse n’avait absolument pas perçu l’agitation s’étant emparée soudainement de sa fille. Il faut dire qu’elle s’était estompée aussi vite qu’elle était survenue. Du moins en apparence.
La jeune damoiselle donnait le change à merveilles, et offrait à ses interlocuteurs un visage passablement neutre. Le sourire était un tantinet crispé, mais pas assez néanmoins pour retenir l’attention d’une Maryan envoûtée et obnubilée par le brasier qui ne cessait de croître en son âme.

Par contre, la Vicomtesse surprit aisément le regard licencieux de sa camériste à l’attention du Seigneur de Meyrieu. Le valet qui accompagnait la domestique avait un air benêt qui finit d’agacer Maryan, et, sitôt que les mains de ces messire et dames furent passées dans l’eau parfumée du petit bassin, la maîtresse des lieux renvoya la domesticité à d’autres occupations.
La présence seule de Flamenque serait bien suffisante pour satisfaire les besoins des attablés.

La cuisinière, d’ailleurs, fit son entrée tout juste après la sortie des autres, et disposa sur la tablée une série de mets à l’aspect succulent.
Le dîner fût consommé avec délice, et ponctué de quelques regards en biais, sourires ébauchés, et autre rêvasseries inopportunes.

Vint le triste moment de se séparer pourtant, le Vicomte devant s’en retourner sur ses terres. Le voile de dépit qui couvrit alors le regard de Maryan ne passa certainement pas inaperçu, mais les adieux se firent pourtant. Il le fallait bien.
Au reste, la seule idée de retrouvailles qui ne tarderaient pas à arriver suffisait à la Vicomtesse pour garder une mine joviale et absorbée.
Gabriel_de_culan
[Loin de là, dans un monastère]

Mon Père, dites-moi, est-ce mal d'être attiré par le service de Dieu? Je sens en moi la vocation que vous avez dû sentir avant moi.

Tout d'abord, je puis vous dire que ce n'est jamais mal. Le Très-Haut a voulu de vous que vous deveniez Son serviteur entre les hommes, et les choix du Très-Haut ne sont pas à remettre en cause. Quant à ma vocation, je ne m'étendrai pas dessus. Disons, pour faire vite, qu'elle m'est venue plus tard que mon entrée dans les ordres.

Vous ne vouliez pas devenir clerc?

J'étais second de famille, voilà tout. La question ne s'est jamais posée, puisque c'est le dessein qu'avait le Seigneur pour moi.

Mais pourquoi donc m'a-t-Il fait naître aîné, pour me donner ensuite cette vocation?

Les voies du Seigneurs sont impénétrables. Maintenant j'ai à faire. Merci.

Le moine en question était plutôt âgé, et Gabriel, qui pensait trouver en lui un puits de sagesse était assez déçu. Il fit quelques pas, et frappa à la porte d'un autre moine. Heureusement qu'il n'était pas dans un monastère où le vœux de silence était respecté, il n'aurait tout simplement pas tenu!

Qui est-ce?

Je suis Gabriel Cornedrue, vicomte de Culan, en retraite pour quelques jours ici, car je cherche des réponses. Pouvez-vous m'aider?

Entre.

La cellule était toute petite, décorée d'une simple croix aristotélicienne et d'un lit de pierre. Ce moine, visiblement, était de ceux qui croient à la pauvreté comme vertu. Assurément, Gabriel ne ferait jamais partie de ceux-ci.

Mon père, je ne comprends pas pourquoi le Seigneur a fait naître en moi la vocation absolue de le servir au sein de l'Église, alors que je suis la primogéniture d'une famille vicomtale.

Le Très-Haut se soucie peu de ta vicomté, mon fils.

Gabriel se leva, l'air à la fois scandalisé et méprisant, il quitta la pièce, et se dirigea vers un troisième moine qui passait.

Mon Père, j'aimerais comprendre pourquoi le Très-Haut m'a insufflé la vocation ecclésiastique quand il m'a donné la naissance d'un chevalier.

Le moine en question paraissait plus enclin à répondre que le premier, et de façon plus correcte que le second.

Mon fils, c'est à toi de trouver la réponse à cette question. Quiconque prétendra te la donner sera un imposteur, car tu es maître de ton rapport à Dieu, et aucun moine ne peut te comprendre et te connaître comme Dieu te comprend et te connaît. Suis-moi.

Un petit peu inquiet, Gabriel suivit le moine jusqu'à une petite cellule, guère plus décorée que la précédente. Le moine l'y fit entrer, et fouilla quelques longues minutes dans un coffre. Pour finir, il en sortit un parchemin usé et une clef.

Mon enfant, cette clef est celle d'un vieux moulin viennois dont je n'ai plus l'utilité. Je crois que tu y trouveras le contact de la nature, la solitude et le calme propices à tous tes questionnements. Sur ce parchemin, le plan d'accès au moulin depuis le monastère est indiqué. J'ai moi-même plusieurs fois, dans ma jeunesse, dû m'abandonner à ce vieux moulin pour décider de ma vie. Je te le cède, puisque de toutes façons il n'est plus en état de marche, et je t'invite à y passer tout le temps qu'il te faudra avant, à ton tour, de le céder à qui en aura besoin.

Et c'est ainsi que, sans même s'en apercevoir, Gabriel fut poliment exclu du monastère où plus aucun moine ne le supportait.
--Bacchus
Bacchus trait les vaches du sieur Sgi. Le front appuyé sur le flanc chaud de la bête, il laisse courir sur les pis ses gros doigts malhabiles. C'est là métier de femme, et Bacchus sait bien qu'il va essuyer, ce soir, les quolibets de ses compagnons de taverne. Il n'en a cure. Il faut bien s'occuper.
Hier, Bacchus a donné la main chez Mère Aurore, la nouvelle abbesse. Il restait des poireaux à mettre en jauge, leur carré à bêcher. Ça a rappelé à Bacchus le bon temps d'avant, quand la petite Anne le tirait par la manche pour lui demander de l'aider en son courtil. Elle n'avait point alors la force de bêcher, mais il fallait la voir, houe en mains ! Elle y mettait son cœur, se plaisait à voir grossir, à fleur de terre, l'oignon nouveau, cherchait, en mai, la première feuille de la fasole, taillait de main de maître thyms et framboisiers. Et Bacchus avait plaisir à la regarder faire.
Elle n'a plus le temps.
Le front de Bacchus, sur le flanc de la vache, se plisse de dépit. La bête tourne vers lui sa grosse tête, le regarde de ses grands yeux humides fardés des premières mouches. Une tape sur la croupe, pour la remercier de son lait, et Bacchus passe à la suivante.


A nous, la belle !

Ce n'est pas bien difficile, de traire une vache. C'est pour cela que Bacchus n'aime guère ça. Quand il laboure, brique ses harnais ou fauche le blé, il ne pense qu'à sa tâche. Tirer un sillon bien droit - surtout quand on a dans la panse cinq à six bières - ça nécessite une attention de chaque instant.
Traire une vache, c'est mécanique. C'est régulier, le bruit du lait qui gicle dans la seille de bois vous berce, les pensées s'envolent.
Vers ce vieux moulin où le jeune vicomte s'enferme des jours entiers, au lieu de penser à ses terres ; vers la taverne où la vicomtesse laisse le bourgmestre lui prendre la main, au lieu de tenir celle de sa fille pour la guider ; vers le castel de Lyon où ladite fille côtoie le gouverneur, les archevêques, et ce Messire Phelim que Dame Mentaïg tenait en estime, le Très-Haut seul sait pourquoi.
A l'évocation de celui qui est désormais seigneur de Tassin, Bacchus s'échauffe. Sa main serre trop fort le pis. La vache s'agite, proteste, son sabot frappe la terre battue de l'étable.


Holà, la belle ! Ne va point verser le lait !


La bête se calme. Mais pas Bacchus. Il reprend la traite, grommelle pour lui-même.

Quel bâsin ! Non mais quel bâsin ! V'là qu'i' va m'faire gâter l' lait, aneu ! L'a tous les vices, c'ui-là...

La tâche s'achève. Bacchus touchera ce soir ses vingt écus, avec le sentiment amer de ne les avoir point gagnés.

Bacchus, mon ami, faut qu'tu lui parles !

Oui, il faut qu'il parle au vicomte. Enfin, il faudrait ... Bacchus se frictionne le scalp. Il faudrait... Sauf que le vicomte ne l'écoutera pas. L'autre vicomte, Valatar, le père du vicomte Gabriel, aurait au moins fait semblant. Celui-ci passera outre, sans entendre.


Faut pourtant bien que j'lui dise !

L'oreille basse, oubliant jusqu'à la taverne, Bacchus rentre à l'hôtel de Culan.
Gabriel_de_culan
Quelle belle journée annonciatrice du printemps! Pour Gabriel, ce retour du moulin était un jour plein d'espoir et d'allégresse. Il assumait enfin son désir, et ne regrettait rien de son ambition ni de sa naissance. Le Très-Haut avait pour lui une mission particulière qu'il se devait de suivre sans questionner. Quelle plaisir de se sentir choisi par le Seigneur pour Le servir comme Il le demande! Ce soleil si présent en ce jour de retour n'est-il pas une preuve que son interprétation est la bonne, qu'il a entendu et compris le message du Très-Haut?

En rentrant à l'hôtel, un léger sourire au lèvres, et un immense soulagement dans le cœur, il tomba justement sur Bacchus, les souliers crottés et les mains sales, qui rentrait au même moment. Pris d'une allégresse qui ne lui ressemblait pas, il dit au valet:


Bonjour à toi!


Il n'alla pas plus loin, car saluer un valet était déjà un acte de charité peu commun pour le vicomte, et il attendit que celui-ci lui ouvre la porte principale de l'hôtel.
--Bacchus
Bonjour à toi!

Bacchus sursaute. Il n'a pas vu venir le vicomte. Le plus étonnant, ce n'est pas cela : quand on se frotte le scalp, l'œil fixé sur les pavés, on ne voit pas les gens, forcément. Seulement leurs chausses ou leurs bottes, et encore.
Mais le vicomte l'a salué !
Bacchus, l'œil plus rond que lune en son plein, contemple bouche ouverte le maître de céans. Heureusement qu'il a des usages, le Bacchus, sérieusement rodés au Castel des Ambassades de Bourges. Il n'est pas encore remis de sa fabuleuse surprise que déjà il s'incline, sans égard pour sa pauvre bedaine qui se met à plisser sous son bliaud.


Mon Seigneur ...

Le jeune vicomte attend. Bacchus se redresse, se hâte majestueusement vers la porte piétonne, s'apprête à l'ouvrir.

Mon Seigneur, je ...

Bacchus n'a même pas osé se retourner. Avec Dame Mentaïg, il parlait sans retenue. Même avec Messire Valatar. Avec son rejeton, ce n'est point si simple. Bacchus se liquéfie sous le regard froid qu'il sent dans son dos. Mais il s'agit de la demoiselle. Quand faut y aller ...
Bacchus fait volte-face, s'efface cependant pour laisser passer le maître.


Mon Seigneur, faites excuse si je demande pardon à Votre Grandeur... Votre Grandeur est très occupée, mais ... Ben v'là : j'me d'mandais coum ça si Votre Grandeur pourrait pas m'entendre un brin... Oh ! pas longtemps, hein ?! Juste un brin.

Il tremble de sa propre audace. S'il le pouvait, il rapetisserait d'un coup, pour ne pas voir le sommet du crâne du jeune vicomte. La sueur lui coule dans le dos.


Juste un brin, murmure-t-il encore.
Gabriel_de_culan
Mon Seigneur, faites excuse si je demande pardon à Votre Grandeur... Votre Grandeur est très occupée, mais ... Ben v'là : j'me d'mandais coum ça si Votre Grandeur pourrait pas m'entendre un brin... Oh ! pas longtemps, hein ?! Juste un brin.

Gabriel, qui était dépassé d'au moins deux têtes par Bacchus, plissa les yeux, leva le menton, et le regarda d'un air sévère. L'espace d'un instant, il se rappela pourquoi il avait coutume de ne pas saluer les gens insignifiants: ils s'en imaginaient importants. Mais le ciel était si beau, ce jour là, que Gabriel était disposé à tout accepter sans violence. Aussi fut-il d'une gentillesse exceptionnelle avec le valet, en lui répondant:

Hum?

Bacchus, qui avait connu Gabriel bébé, savait bien ce que ce "Hum" voulait dire, et ce qu'il valait. Le vicomte l'autorisait à dire ce qu'il avait à dire, mais à la condition que ce fut bref, et point trop ennuyeux. Il savait à quelle ire il s'exposait s'il l'importunait vraiment. D'ailleurs, au fond de lui, Gabriel espérait que ce fut pour conter quelque ragot au sujet d'Anne ou de Maryan, ou quelque histoire concernant tante Mentaïg. Bien entendu, il lui reprocherait son indiscrétion, mais il serait ravi d'en entendre. Toujours était-il qu'en passant la porte, il jeta un regard glacial à son valet sans même s'en apercevoir.
--Bacchus
Est-ce le printemps qui met le jeune vicomte de si belle humeur ? Bacchus n'en sait rien. A vrai dire, il ne se pose même pas la question. Il voit seulement que le maître, au lieu de passer son chemin comme de coutume, le regarde et lui répond.

Hum ?

Bacchus en reste comme deux ronds de flan. Il était tellement sûr que celui que Dame Mentaïg appelait "ma mab" ("mon fils") ne l'entendrait même pas ! Ah ben ouiche ! Bacchus, mon gars, tu t'es ben trompé !
Il ne barguigne pas davantage. Le jeune maître a beau le regarder comme s'il tombait de la Lune, et marcher vers l'escalier de la grand-salle, Bacchus sait qu'il l'écoute. Il sait aussi que ça ne durera pas. Il suit donc, et parle en triturant son bonnet entre ses doigts.


C'est rapport à la demoiselle, Votre Grandeur. Ça m'inquiète d'la voir si pâlotte. Ya d'tout, du bon comme du pire, dans c'te castel de Lyon. M'est avis qu'elle va y laisser l'peu d'santé que le Très-Haut li a baillé.

Voilà. Il a dit ce qu'il avait à dire. Il regarde la nuque vicomtale, où le blond de l'enfance a laissé place à un châtain très clair, retrouve dans le port de tête celui du feu Vicomte. Il craint la réaction à venir. Il se répète, comme une litanie :

C'est son frère, et elle n'a pu qu'lui, morbleu !
Gabriel_de_culan
C'est rapport à la demoiselle, Votre Grandeur. Ça m'inquiète d'la voir si pâlotte. Ya d'tout, du bon comme du pire, dans c'te castel de Lyon. M'est avis qu'elle va y laisser l'peu d'santé que le Très-Haut li a baillé.

Le problème avec les pauvres, c'est qu'ils ne savent pas s'exprimer, pensa Gabriel. Facile à dire, lorsqu'on était fils d'un académicien, mais plus difficile quand on était né au fin fond du Berry, dans une famille de valets et servantes. Et encore, Bacchus était plutôt bien loti, puisque Mentaïg de Baugy, son ancienne maîtresse (et tutrice de Gabriel) lui avait appris les rudiments de tout un tas de matières dont la plupart de ses amis de taverne n'avaient même jamais entendu parler. Le vicomte s'arrêta net, mais sans se retourner. Il voulait que Bacchus frémisse. Il voulait sentir son empire sur ce grand homme d'au moins 25 ans son aîné. Il savait, en s'arrêtant ainsi à la première marche de l'escalier de la grande salle, qu'il laissait à son interlocuteur l'impossibilité de savoir, en n'ayant vue que sur sa nuque, s'il allait l'approuver et le remercier, ou au contraire le blâmer à coups de trique.

Te voilà médecin, vieil ivrogne?

Dit le vicomte d'une voix qui laissait transparaître un sourire insupportablement méprisant.

Allons bon. J'irai la voir ce soir, pour m'assurer que tout va bien. Ne crains rien, Anne est bien plus forte que je ne le suis, j'ai toute confiance en elle.

Il se doutait qu'ainsi, il avait très largement rassuré son interlocuteur. Aussi ne jugea-t-il pas nécessaire de se tourner vers lui. Néanmoins, parce qu'il éprouvait une réelle affection pour cet homme qu'il connaissait depuis toujours, il voulut créer un lien de connivence. C'est pour cela qu'il ajouta:

Tu sais, les femmes ne sont pas toujours spirituelles, mais elles surpassent beaucoup d'hommes dans l'art de s'en sortir.
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