Eliance
Un départ brusque, puis un retour, inespéré.
L'italien est revenu. Eliance, elle, s'était faite une raison plutôt que de l'attendre désespérément. C'est du moins ce qu'elle disait à qui voulait l'entendre. Fuir, elle connait bien. Elle l'a déjà fait tant de fois. Alors, même si elle n'a pas tout compris de son italien, elle comprend que c'était une manière pour lui de survivre, et a respecté sa décision, dans la limite de ce que sa cervelle lui a accordé.
Elle a voulu qu'il meure. Elle l'avoue. La souffrance amène à des pensées ignobles, injustes. Elle s'en veut, maintenant qu'il est revenu. Elle regrette. Il est son mari. Même loin, même mort, il serait resté son mari, celui qu'elle a choisi. Le seul.
Mais l'éloignement et les tourments ont laissé des stigmates en eux. En elle surtout. Elle est encore plus craintive et peureuse qu'avant. Lui dit avoir changé. Et à le voir s'occuper de ses mouflets, c'est vrai qu'il est différent, l'italien. Elle les trouverait presque mignons tous les trois. Mais elle ne l'avouera jamais. Non. Elle doit rester la femme qui n'aime pas les enfants. C'est mieux ainsi.
Les retrouvailles sont étranges. Un soulagement, mais une certaine angoisse s'est aussi invitée. Pas d'effusion, pas de mots doux, pas de tendresse. Simplement des paroles franches, des aveux et l'apaisement de voir l'autre en face, bien vivant. Parce que c'est ce qui les séparerait réellement, la faucheuse. Loin, ils l'appellent chacun leur tour. Réunis, ils n'y songent plus.
Ces retrouvailles ont un goût de commencement. L'italien sait qu'il faudra du temps à sa femme. Il semble prêt à prendre patience. Il devra détruire les murailles qu'elle a érigé une nouvelle fois. Tout est fait avec lenteur pour regagner sa confiance. Il a toujours fait les choses bien, l'italien. Dès le début, rien n'était précipité. Tout était réfléchi, pesé au gramme près sur la balance des sentiments.
Ce qui a surtout changé chez la rousse, et qui hurle son trouble, c'est son corps. Elle n'est plus qu'un fantôme, une ombre. Son appétit et son sommeil se sont enfuis peu après l'italien. Mais il ne les a pas ramené avec lui, il semblerait. Les rares fois où elle ferme les yeux, des cauchemars la submergent et elle les réouvre bien vite, préférant s'affaiblir que de devoir les surmonter. Du coup, son estomac est perdu dans ces journées sans fin et ne réclame plus son dû. Déjà pas épaisse, elle devient transparente. Sa peau aussi est plus que diafane. Ses yeux ont perdu l'éclat qui les animait. Ses gestes se font plus lents. Pourtant, une chaleur l'a regagnée, un peu. Elle a retrouvé un semblant de sourire, devant l'italien. Mais si ça continue, elle n'aura plus la force de se lever, peinant déjà à se traîner en taverne. L'inquiétude du lendemain la ronge encore. L'incertitude ne la quitte pas. Tiraillée, elle ne sait plus si elle doit écouter son cur ou sa raison. Elle voudrait se perdre dans ses bras, mais elle n'ose pas. Comme elle n'ose pas non plus le regarder longuement sans rougir. La seul brève étreinte qu'elle lui ait offerte est due à un trop-plein de bières. Flancher, se montrer faible sont devenus sa hantise. Et pourtant, elle l'est tellement, faible, chétive, insignifiante, anodine. Ménudière* tout simplement...
Et puis, entre deux conversations, elle lui a raconté sa rencontre avec ce drôle de bonhomme qui prétendait que pour bien dormir, il faut dormir à deux. Qu'une présence apaise. Peu importe qui soit à côté, femme, enfant, chien..., ça apaise. Alors non, la rousse n'a pas tenté de dormir avec ce bonhomme, trouvant ça bizarre comme situation, même si il garantissait que ce serait en tout bien tout honneur, sans contact. Elle avait plutôt pensé à Diego, à ce moment-là. Elle s'était rappelé qu'elle dormait bien, contre lui. De cette histoire racontée, l'italien a semblé peu convaincu. Pour lui, nuit à deux rime avec nuit agitée. Mais il n'a pas écarté la solution. L 'abus de bière, la fatigue des lieues parcourues, les herbes infusées, rien ne ramène décidément ce sommeil tant recherché. Et l'opium, l'italien ne veut pas. Il est catégorique, c'est pas pour elle. L'idée de cet accompagnement nocturne est resté en l'air jusqu'à ce pli, concret.
« Si vous voulez je viendrais dormir avec vous, ce soir, en espérant que vous arriviez enfin à trouver le sommeil... »
La perceptive d'une nuit douce, d'une proximité avec l'italien éveille une vieille étincelle.
Le coursier est rapidement renvoyé avec un simple mot à répéter, « Oui », tandis qu'elle, allongée sur sa paillasse d'auberge, ressasse les doux souvenirs des premiers mois, qui, seuls, parviennent à l'apaiser.
*menudièr en occitan : insignifiant, chiche, menue.
L'italien est revenu. Eliance, elle, s'était faite une raison plutôt que de l'attendre désespérément. C'est du moins ce qu'elle disait à qui voulait l'entendre. Fuir, elle connait bien. Elle l'a déjà fait tant de fois. Alors, même si elle n'a pas tout compris de son italien, elle comprend que c'était une manière pour lui de survivre, et a respecté sa décision, dans la limite de ce que sa cervelle lui a accordé.
Elle a voulu qu'il meure. Elle l'avoue. La souffrance amène à des pensées ignobles, injustes. Elle s'en veut, maintenant qu'il est revenu. Elle regrette. Il est son mari. Même loin, même mort, il serait resté son mari, celui qu'elle a choisi. Le seul.
Mais l'éloignement et les tourments ont laissé des stigmates en eux. En elle surtout. Elle est encore plus craintive et peureuse qu'avant. Lui dit avoir changé. Et à le voir s'occuper de ses mouflets, c'est vrai qu'il est différent, l'italien. Elle les trouverait presque mignons tous les trois. Mais elle ne l'avouera jamais. Non. Elle doit rester la femme qui n'aime pas les enfants. C'est mieux ainsi.
Les retrouvailles sont étranges. Un soulagement, mais une certaine angoisse s'est aussi invitée. Pas d'effusion, pas de mots doux, pas de tendresse. Simplement des paroles franches, des aveux et l'apaisement de voir l'autre en face, bien vivant. Parce que c'est ce qui les séparerait réellement, la faucheuse. Loin, ils l'appellent chacun leur tour. Réunis, ils n'y songent plus.
Ces retrouvailles ont un goût de commencement. L'italien sait qu'il faudra du temps à sa femme. Il semble prêt à prendre patience. Il devra détruire les murailles qu'elle a érigé une nouvelle fois. Tout est fait avec lenteur pour regagner sa confiance. Il a toujours fait les choses bien, l'italien. Dès le début, rien n'était précipité. Tout était réfléchi, pesé au gramme près sur la balance des sentiments.
Ce qui a surtout changé chez la rousse, et qui hurle son trouble, c'est son corps. Elle n'est plus qu'un fantôme, une ombre. Son appétit et son sommeil se sont enfuis peu après l'italien. Mais il ne les a pas ramené avec lui, il semblerait. Les rares fois où elle ferme les yeux, des cauchemars la submergent et elle les réouvre bien vite, préférant s'affaiblir que de devoir les surmonter. Du coup, son estomac est perdu dans ces journées sans fin et ne réclame plus son dû. Déjà pas épaisse, elle devient transparente. Sa peau aussi est plus que diafane. Ses yeux ont perdu l'éclat qui les animait. Ses gestes se font plus lents. Pourtant, une chaleur l'a regagnée, un peu. Elle a retrouvé un semblant de sourire, devant l'italien. Mais si ça continue, elle n'aura plus la force de se lever, peinant déjà à se traîner en taverne. L'inquiétude du lendemain la ronge encore. L'incertitude ne la quitte pas. Tiraillée, elle ne sait plus si elle doit écouter son cur ou sa raison. Elle voudrait se perdre dans ses bras, mais elle n'ose pas. Comme elle n'ose pas non plus le regarder longuement sans rougir. La seul brève étreinte qu'elle lui ait offerte est due à un trop-plein de bières. Flancher, se montrer faible sont devenus sa hantise. Et pourtant, elle l'est tellement, faible, chétive, insignifiante, anodine. Ménudière* tout simplement...
Et puis, entre deux conversations, elle lui a raconté sa rencontre avec ce drôle de bonhomme qui prétendait que pour bien dormir, il faut dormir à deux. Qu'une présence apaise. Peu importe qui soit à côté, femme, enfant, chien..., ça apaise. Alors non, la rousse n'a pas tenté de dormir avec ce bonhomme, trouvant ça bizarre comme situation, même si il garantissait que ce serait en tout bien tout honneur, sans contact. Elle avait plutôt pensé à Diego, à ce moment-là. Elle s'était rappelé qu'elle dormait bien, contre lui. De cette histoire racontée, l'italien a semblé peu convaincu. Pour lui, nuit à deux rime avec nuit agitée. Mais il n'a pas écarté la solution. L 'abus de bière, la fatigue des lieues parcourues, les herbes infusées, rien ne ramène décidément ce sommeil tant recherché. Et l'opium, l'italien ne veut pas. Il est catégorique, c'est pas pour elle. L'idée de cet accompagnement nocturne est resté en l'air jusqu'à ce pli, concret.
« Si vous voulez je viendrais dormir avec vous, ce soir, en espérant que vous arriviez enfin à trouver le sommeil... »
La perceptive d'une nuit douce, d'une proximité avec l'italien éveille une vieille étincelle.
Le coursier est rapidement renvoyé avec un simple mot à répéter, « Oui », tandis qu'elle, allongée sur sa paillasse d'auberge, ressasse les doux souvenirs des premiers mois, qui, seuls, parviennent à l'apaiser.
*menudièr en occitan : insignifiant, chiche, menue.