Eliance
L'italien s'est emparée de la Ménudière comme un troubadour d'une chansonnette. Il a fallu d'abord un temps d'apprentissage, mais, bien vite, la rengaine s'est emprisonnée dans sa tête à jamais. À la différence que la chansonnette n'a pas eu son mot à dire, Eliance l'a eu. Sans détour, ils se sont racontés leurs passés respectifs, leurs écarts, leurs faiblesses. Il ne lui a jamais caché l'homme qu'il est, la mettant au courant des risques, comme il dit. Le choix s'est fait en tout connaissance de cause, sciemment. Elle l'aime, et l'a toujours aimé ; quand on aime ainsi une personne, on l'aime telle qu'elle est et non telle qu'on la voudrait. La Ménudière a aimé, choisi, souffert. Elle le savait, s'y attendait. Elle avait moins prévu de ne pas s'en relever, comme les autres fois.
Parce que même avec Diego de retour, il faut avouer qu'elle n'est pas franchement sereine et la privation de repas et de sommeil n'est pas là pour l'aider. Le pardon a bien du mal à s'imposer, cette fois-ci. Elle voudrait saccommoder du présent, tout oublier de cet abandon. En vain.
Affaiblie, elle a commencé à avoir du mal à se mouvoir ; la tête lui tourne par moments ; des taches apparaissent et troublent sa vision ; le souffle est court au moindre effort ; son corps frissonne tantôt de chaud, tantôt de froid ; elle voit en regardant son frère ou l'italien, dans de furtives hallucinations, le visage menaçant de feu son premier mari resurgir de nul part. Y a pas à dire, elle est salement amochée. Pourtant, elle ne s'inquiète pas de ces signaux et ne les révèle à personne, trop occupée à savourer la présence de ses deux hommes. Elle pense que la solution est en Diego précisément. Elle est persuadée que lui seul pourra lui rendre son souffle perdu, ses envies de liberté, sa confiance, un sens à sa vie. Cette vie qu'ils ont pu créer à deux, engendrant ce sentiment si précieux d'exister enfin, cette étincelle pleine de vie.
En ce début de soirée pluvieuse, elle s'est finalement décidée à quitter la pénombre tranquille de sa chambre d'auberge et a entrepris de descendre la ruelle. Quitter la paillasse aura été sa première épreuve : les vertiges l'envahissant au moindre mouvement, la stabilisation est rude, mais pas insurmontable. La descente de l'escalier se fait tout aussi prudemment, cramponnée des deux mains à la rambarde. Puis la ruelle s'ouvre devant elle, toujours plus inquiétante, toujours plus longue que la fois précédente. L'avancée se fait péniblement, les arrêts pour chercher le soutien d'un mur le temps de se ressaisir sont nombreux. Le but à atteindre est la taverne au coin de la rue, où elle retrouve d'ordinaire l'italien ou son frère, ou les deux, seul lieu à accueillir ses quelques risettes, seul lieu où l'apaisement peut être de mise, où la vie essaie de poursuivre son cours.
Mais aujourd'hui, la quiétude ne sera pas atteinte. La taverne non plus d'ailleurs. Eliance reste quelques instants la main posée sur la poignée de la porte rejointe au prix de tant d'efforts, immobile, incapable à présent du moindre mouvement, et finit par s'effondrer lourdement sur le sol boueux. Dans sa chute, la porte s'est ouverte, lentement, laissant apparaître impudiquement son corps inerte à la vue de tous les soiffards présents. Les gouttes de l'averse s'acharnent sans pitié aucune sur la Ménudière avachie sur le seuil, trempant sa tignasse, ses vêtements, jusqu'à sa peau sans teint. Son corps est bien là, étendu en vrac, barrant l'accès à la taverne ; son esprit, lui, se voit chuter interminablement d'une falaise, le sol restant constamment à la même distance malgré les mètres dévalés.
Parce que même avec Diego de retour, il faut avouer qu'elle n'est pas franchement sereine et la privation de repas et de sommeil n'est pas là pour l'aider. Le pardon a bien du mal à s'imposer, cette fois-ci. Elle voudrait saccommoder du présent, tout oublier de cet abandon. En vain.
Affaiblie, elle a commencé à avoir du mal à se mouvoir ; la tête lui tourne par moments ; des taches apparaissent et troublent sa vision ; le souffle est court au moindre effort ; son corps frissonne tantôt de chaud, tantôt de froid ; elle voit en regardant son frère ou l'italien, dans de furtives hallucinations, le visage menaçant de feu son premier mari resurgir de nul part. Y a pas à dire, elle est salement amochée. Pourtant, elle ne s'inquiète pas de ces signaux et ne les révèle à personne, trop occupée à savourer la présence de ses deux hommes. Elle pense que la solution est en Diego précisément. Elle est persuadée que lui seul pourra lui rendre son souffle perdu, ses envies de liberté, sa confiance, un sens à sa vie. Cette vie qu'ils ont pu créer à deux, engendrant ce sentiment si précieux d'exister enfin, cette étincelle pleine de vie.
En ce début de soirée pluvieuse, elle s'est finalement décidée à quitter la pénombre tranquille de sa chambre d'auberge et a entrepris de descendre la ruelle. Quitter la paillasse aura été sa première épreuve : les vertiges l'envahissant au moindre mouvement, la stabilisation est rude, mais pas insurmontable. La descente de l'escalier se fait tout aussi prudemment, cramponnée des deux mains à la rambarde. Puis la ruelle s'ouvre devant elle, toujours plus inquiétante, toujours plus longue que la fois précédente. L'avancée se fait péniblement, les arrêts pour chercher le soutien d'un mur le temps de se ressaisir sont nombreux. Le but à atteindre est la taverne au coin de la rue, où elle retrouve d'ordinaire l'italien ou son frère, ou les deux, seul lieu à accueillir ses quelques risettes, seul lieu où l'apaisement peut être de mise, où la vie essaie de poursuivre son cours.
Mais aujourd'hui, la quiétude ne sera pas atteinte. La taverne non plus d'ailleurs. Eliance reste quelques instants la main posée sur la poignée de la porte rejointe au prix de tant d'efforts, immobile, incapable à présent du moindre mouvement, et finit par s'effondrer lourdement sur le sol boueux. Dans sa chute, la porte s'est ouverte, lentement, laissant apparaître impudiquement son corps inerte à la vue de tous les soiffards présents. Les gouttes de l'averse s'acharnent sans pitié aucune sur la Ménudière avachie sur le seuil, trempant sa tignasse, ses vêtements, jusqu'à sa peau sans teint. Son corps est bien là, étendu en vrac, barrant l'accès à la taverne ; son esprit, lui, se voit chuter interminablement d'une falaise, le sol restant constamment à la même distance malgré les mètres dévalés.
- « Donne-moi ta force, et cette force me sauvera. » Shakespeare
« Une chute sans fin dans une nuit sans fond »
Extrait de La Vision de Dante
Extrait de La Vision de Dante