Eamon....
Mille et une questions soudain.
Une bombarde eut explosé dans la forge que ça n'aurait pas fait autant d'effet que les révélations de Mère.
D'abord, je m'attendais à un refus, car, chaque fois qu'il avait été fait allusion à ce symbole celte, le visage de Maman se fermait... ses yeux s'assombrissait... je l'avais vu même essuyer une larme à son évocation...
Que signifiait-il donc pour elle... souvenirs douloureux ... sans aucun doute... On a beau être un enfant, on ressent ces choses-là, surtout lorsqu'elles affectent un être cher... et le Très Haut sait combien j'aime ma Mère !
Triskel... Ami irlandais... Aengus... Sa lame !... Tout cela tournait dans ma tête à la vitesse de Zébulon au galop - et il courait vite, le bougre - Je devinais des réponses... qui induisaient d'autres questions...
Je percevais qu'un grand mystère, un grand secret enveloppait cette arme et ce symbole... Je percevais aussi, plus subtilement, que le silence de mes parents n'avait pour but que de me protéger... mais de quoi ?
Ils savaient des choses que j'ignorais sur ce passé... sur ces choses précises.
Mais alors, pourquoi en ressentais-je depuis toujours des effets étranges... comme si... Non !... c'était trop invraisemblable, même pour un enfant à l'imagination fertile... Mais , comme si je 'savais" ces choses moi aussi !
L'épée et la longue dague me fascinaient... malgré la poussière, elles luisaient d'un éclat quasi irréel... j'en sentais l'âme... ces lames étaient... vivantes... Oui... vivantes.
Le tissus à carreaux, étrangement familier lui aussi me "parle"...
Je ferme un instant les yeux et alors... J'entends... J'entends la voix de mon ami caché... Aengus !... C'est lui... je suis dans ses bras, sur le parvis de notre église... Il me regarde avec une lueur émouvante dans les yeux... je crois y déceler une larme... Visage ravagé mais d'une telle douceur qu'il le transcende... Un ange !
Qui murmure à mon oreille :
- Un jour... un jour tu sauras la vérité... un jour, tu recevras ton héritage... Et, quoi qu'il arrive, aimes et respectes tes parents... Tu ne pouvais en avoir de meilleurs... Va, mais saches que je serai toujours en ton coeur... à jamais. Comme tu es dans le mien... au-delà de la Mort, même.
Je m'en souviens.. Oh... comme si c'était hier... Il m'a serré dans ses bras et a posé les lèvres sur mon front... comme si c'était la dernière fois qu'on se voyait.. comme un adieu...
A ce moment, je n'avais rien compris... sauf que c'était bien lui mon ami caché.
La Maman de Margaut vint alors me chercher et, lorsque je me retournai pour lui faire un dernier signe d'adieu, il s'en allait, tournant le dos, la main levée en guise d'au revoir... Longue silhouette sombre qui se perdait dans la foule...
Je rouvres les yeux, les levai sur mes parents... Un silence profond seulement troublé par le battements de nos coeurs... Je sens une tension palpable qui alourdit l'atmosphère de la forge...
Un voile va se déchirer, je le sais, je le sens.... mais je n'en perçois pas encore les conséquences.
Tout mon jeune passé me revient en mémoire et je comprends que mon avenir va basculer... Ce qui se passe ici et maintenant est la croisée de mon chemin...
Le regard de Maman est métamorphosé... transcendé... malgré ce pli soucieux, presque douloureux, malgré cette perle qui roule le long de sa joue...son visage est serein, calme.
Je comprends, en la regardant comme on regarde les êtres chers, que quelque chose en elle a changé...
Autrefois, parler de Triskel, d'épée, eût déclenché en elle courroux et réprobation... là... Elle semble résignée, mais soulagée en même temps... Comme si dévoiler un secret allégeait son âme.
Père, quant à lui, l'entoure de son bras protecteur... Il "sait", lui aussi... et la gravité de son sourire me laisse penser que ce qui se passe ici lui est douloureux.
Cependant son regard posé tantôt sur Mère, tantôt sur moi ne se départit pas de bonté et de tendresse... Cet homme-là n'est qu'Amour dans le sens le plus noble du terme et ma gorge se noue d'émotion en le réalisant.
Que le Très-Haut me pardonne, mais il me semblait vivre alors des instant magiques, surnaturels... je visitais des sphères inconnues...celles des âmes des êtres qui comptaient le plus pour moi... celles de l'Au-delà aussi...
A travers ces armes, Aengus me parlait... mon ami caché ne m'avait pas menti... J'avais là des parents exceptionnels.
Le silence s'installe, lourd, presque palpable... Maman jette un regard suppliant vers Papa... L'émotion l 'étreint... Instinctivement, je m'approche d'eux je les sens si proches dans cette épreuve et je me sens si concerné... je me dois de faire corps avec ceux qui représentent ce que j'ai de plus cher au monde.
Oser poser la main sur le métal froid... ressentir en un éclair une myriade d'impressions, de sentiments... entrevoir l'espace d'une seconde des images de combats, sentir le goût du sang... crainte, orgueil et euphorie mélangées dans ce contact quasi-charnel...
Oser porter le regard sur cette lame qui me fascine, m'attire inexorablement et y découvrir ces mots :
"Onoraig agus dilis"... Honneur et Fidélité !
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