Eamon....
A partir de quand devient-on... "adulte" ?
A mesure que toutes ces choses cachées m'étaient révélées, je mesurais combien l'Homme est fragile... Que, à bien peu de choses, finalement, la vie lui donnait une importance.
Et que, trop souvent, on passait à côté des choses réellement importantes. Je souhaitais vivement ne jamais devenir adulte.
Pourquoi, dans l'esprit d'un enfant de presque sept ans, la vision de certaines réalités semblait plus lucide que dans l'esprit des adultes ?
Plus lucides, moins dramatiques surtout, car il me semblait, en ce jour particulier, que ces réalités faisaient partie de la Vie... du Destin de chaque être.
Pour moi, il ne faisait aucun doute que si Aengus O'Sullivan était mon père naturel, Gil était celui à qui je devais d'être celui que j'étais. Bien sûr, Maman n'y était pas étrangère, bien au contraire et c'est sans doute le curieux trio que formait ces êtres qui forgea mon caractère... L'un, aussi paradoxal que cela paraisse, par son absence, l'autre par sa présence et la troisième par sa rigueur.
Pour moi... cette Trinité, ce Tout était indissociable.
Mes origines m'étaient à présent connues et la seule qui semblait en être cruellement affectée, c'était ma Mère.
Le malaise de Papounet ne venait pas de ces révélations, mais plutôt du fait de les avoir tues si longtemps... Au fond de moi, je savais que le moment était bien choisi... Du moins, il me semblait que le Destin avait joué son rôle de manière judicieuse.
J'étais en âge de comprendre ces choses... en tous cas, si l'âge n'y fait rien, la vie m'avait mis sur le chemin de la maturité de façon un peu précoce, certes, mais ô combien éclairée. Je devais cette ouverture d'esprit à Papounet, sans aucun doute, mais il me revenait ces "rêves" dans lesquels m'apparaissait mon Père... cet Irlandais fier et mystérieux dont j'apprenais aujourd'hui que Maman avait été éperdument amoureuse, au point de tout quitter pour le suivre.
Tout cela ne me choquait pas, en fin de compte.
Il m'arrivait souvent de rêver que j'enlevais ma Princesse pour l'emmener chevaucher les Licornes dans des Landes Magiques... Mais comme tous les rêves d'enfant, au matin, j'en souriais, réalisant que la vérité serait sans aucun doute bien plus prosaïque.
Pourtant, l'attitude de Maman me laissait penser qu'elle avait réalisé ce rêve avec mon Père et que sa disparition devait l'avoir affectée tellement profondément me donnant la sensation que jamais elle ne s'en remettrait. Je n'en voulais pour preuve que son attitude présente.
Aengus mort, la Sirène Mimizanaise rentrait dans le rang des femmes... banales, ordinaires... tout comme si cet Irlandais avait réussi à la transcender. Elle retombait dès lors dans un quotidien ordinaire... sans grandes peines, mais sans autre joie que celle de voir grandir son enfant. Partagée entre ses missions et son foyer, elle ne s'étiolait pas, non... pire, elle s'aigrissait.
Cela se ressentait même au travers de l'Amour qu'elle me portait. Même l'Amour qu'elle partageait avec Papounet était empreint d'une réserve pudique... Sincère, elle l'était, à n'en pas douter, mais, même si mon Diacre de Père n'était pas dénué de fantaisie et de gaieté, la passion manquait au rendez-vous de leur amour.
Jusqu'ici, j'avais pris ses rebuffades pour une trop grande rigueur, je m'apercevais aujourd'hui que la mémoire d'Aengus O'Sullivan restait gravée en elle au fer rouge, jusqu'à travers l'amour qu'elle portait à Papounet également.
Sa vie, à la limite de la résignation, avait pris cette tournure un peu fade, manquant de piment, mais d'un confort rassurant que mon Père n'aurait jamais pu lui offrir... Car ce que je pressentais de lui me laissait penser qu'il était un aventurier, une espèce de barde-guerrier celte entraînant avec lui une cohorte de passions. Tourbillon de combats et de voyages mouvementés...
En fermant les yeux, je pouvais l'imaginer faisant face à cette laie... dague au poing, l'oeil brillant, un rictus sauvage aux lèvres... Offrant sa poitrine pour sauver sa belle !
Oui... c'est comme cela qu'il m'apparut dans mes songes et même à l'église.
Trop jeune pour le réaliser alors, je me souvenais aujourd'hui de cette flamme intense qui brillait au fond de ses yeux tristes... au point que je n'aperçus pas sa laideur, ses cicatrices... Oui... inconsciemment, Aengus O'Sullivan, mon ami caché, était devenu un Héros de Légendes dans mon imaginaire enfantin.
Cette vérité d'aujourd'hui... j'y étais préparé... à mon insu... à l'insu de mon plein gré.
Pourtant, l' attitude de Maman envers Papounet, en ce jour, me laissa quelque peu pantois....
Comment ?... Pourquoi lui en vouloir ?... Le mensonge ne faisait pas partie des défauts du Diacre, loin s'en faut... son honnêteté ne pouvait être mise en cause ici. Mais, lui aussi devait savoir ce que ces révélations, dévoilées au mauvais moment, pouvaient avoir comme conséquences sur l'intégrité sentimentale de Maman.
Le mauvais moment !... C'est toujours le mauvais moment d'étaler des vérités douloureuses... La conscience torturée par son silence, Papounet ne pouvait attendre davantage pour laisser éclater la vérité sur Aengus.
Et c'est moi, avec cette incorrigible curiosité qui m'animait qui avait provoqué tout ceci.
- Il y a peu ... quand cela?
Souffrez-vous dignorer que tout est maintenant différent?
Que cette missive que vous avez pris soin de me cacher informe qu'Il est toujours en vie?
Je ne me pardonnerai jamais de l'avoir laissé en Bourgogne.
Qui serais-je si je ne pars pas illico à sa recherche?
Je m'en voulus soudain !
Mon Père, toujours vivant... écrivant à Papounet... rongé par le remords... tourmenté par cette vie manquée... torturé par l'amour avorté... abattu par cet implacable supplice le condamnant au silence et à ne jamais voir son fils... meurtri dans sa chair et dans son âme... il demandait pardon et se confessait à un homme qu'il respectait...
Je sus immédiatement après la lecture de cette lettre d'outre-tombe que Papounet avait bien agi en se taisant jusqu'ici et c'est moi, soudain, qui me sentais mal... si mal...
- Puisque vous êtes si fort pour vous occuper des enfants, faites-le!
Amusez vous bien!
Pardon Eamon je
Et, lorsque, sur ces mots tranchants comme des lames, Mère se leva pour saisir sa besace, "CETTE" besace... celle des voyages dont on se sait si elle reviendra... Je me précipitai vers elle :
- MAMAN... NON... !!!.....
Elle ne m'entendit pas sans doute, car l'instant d'après, elle s'écroulait... sans vie !
_________________