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[RP] Écris l'histoire dans ma mémoire, mais ...

Maryah
Elle relit la missive, encore et encore. C'qu'elle aime bien chez Eliance c'est qu'elle pose toujours les questions auxquelles elle ne s'attend pas. Elle a ce petit côté surprenant, qui vient colorer sa douceur ; et parfois son innocence.
Eliance, c'est l'genre de personne qu'on croit fréquentable de prime abord, pis on s'rend vite compte que les convenances et elle ça fait deux.
Et ça, ça en fait une amie fiable pour Maryah.
Elle a ses bosses et ses aspérités, ses joies et ses contrariétés, mais elle ose questionner et s'interroger.


Citation:
Maryah,

Pardonne le manque de conviction qui transparaît dans mes mots. C'est pas que je ne pense pas que tu t'en sortiras réellement bien, mais l'absence d'assurance que tu as ressenti vient de moi, pas de ce que je pense. Bref. Je m'embrouille. Tout ça pour dire que je sais que tu as besoin de personne pour t'en sortir. T'es si forte. Parfois, j'aimerais avoir cette force.
Et puis ne te fie pas aux apparences qui sont si souvent trompeuses. Je vais bien. Dans quelques jours on quitte mon frère pour rejoindre Dijon et Aphro. Les soirées sont agréables ces derniers jours. Pas d'engueulades à déplorer hier, en tout cas. On progresse, n'est-ce pas !

T'as donc lu l'article des Cosaques. Je suis contente qu'il t'ait plu. En réalité, je vais t'expliquer pourquoi je l'ai écrit, et pourquoi je voudrais écrire ton histoire. Les gens ne voient en les autres que les côtés les plus sombres, les plus inavouables. Un type m'a dit un jour que je suis une rêveuse pour voir de la beauté là où les autres ne voient que de la pénombre, de l'espoir là où il n'y a plus que la misère. Je préfère penser que je sais mieux regarder au fond des gens, que je sais mettre de côté ce qui est inintéressant pour me pencher sur ce qui l'est vraiment. C'est ce que je veux faire avec vous. Toi comme le Cosaque, vous êtes perçus comme des brigands sans états d'âme. Je veux montrer aux gens ce qui se cache derrière vous. Alors, bien sûr, je ne nomme personne, je me débrouille pour généraliser la chose à un peuple ou une condition. Ça a fonctionné pour Torvar au pays des Cosaques. Je voudrais faire la même chose pour toi, Maryah, la déplacée, l'enchaînée.

Je voudrais montrer que ce que tu es, c'est eux qui l'ont créé, que s'ils t'avaient bien traitée, tu n'aurais pas eu de côté obscur, tu aurais été une femme banalement formidable au lieu d'être formidable et tourmentée. Peu importe que tu ne te souviennes plus de ton peuple. Je voudrais raconter comment ils t'ont enlevé à eux. Comment ils ont dû arracher tant de jeunes filles comme toi à leurs racines. Je sais ça douloureux à raconter. Je t'ai expliqué mes raisons, tu as le droit de ne rien en faire. J'aimerais juste montrer qui tu es. Que ton fils puisse être fier d'entendre parler de sa maman autrement. J'espère que tu accepteras, un jour.

Je vais finir par une question qui me trotte dans la tête depuis quelques jours.
Maryah, est-ce que t'as déjà eu envie de mourir ? Est-ce qu'aujourd'hui ton fils t'empêche d'y penser ?
Je t'expliquerais le pourquoi si tu le demandes, mais réponds-y, s'il te plaît.

Prends soin de toi.

Eliance


Une humaniste cette Eliance, avant l'heure. Et les précurseurs ont toujours la vie plus dure que les autres. Ce qui taraude Maryah, c'est de ne pas savoir ce qui se cache sous cette humilité, cette discrétion et toute cette intelligence. Peut être une enfance bafouée. Tout en eliance semble dire : "ne me regardez pas, faites comme si je n'existais pas". Et pourtant, c'est une perle rare qu'on devrait exposer partout pour que les autres en prennent de la graine !

Bref, c'est l'heure de la sieste de Percy, et donc l'heure des courriers de Maryah. Réponse.


Citation:
Eliance,

Une fois de plus, je ne peux que constater que tu fais tout pour éviter de parler de toi. N'empêche que j'suis contente que tu quittes les comtois, ils ne sont pas fréquentables. Tu m'laisses entendre que Diego et toi, vous vous êtes pas mal disputés. J'avoue que j'ai du mal à te voir te disputer avec quelqu'un, et encore moins avec lui. Je suis bien curieuse de savoir quel est le sujet de vos disputes. Et puis toi, si douce, si calme ... Étrange, oui. Me diras tu si tu es en Bourgogne, et enfin ce que tu y vis ? Tu sais, ta vie est intéressante au même titre que les autres, et ta personnalité bien plus que toutes celles de ceux qui se revendiquent brigands, tueurs, assassins, ou je n'sais quoi d'autres pour cacher leur faiblesse.

J'ai un ami maure, Sal, il dit une chose sage : "tous pareils, et tous dans la même galère. Soit tu gâches ton énergie à te cacher de toi et tu meurs, soit tu montres qui tu es et tu vis."

Bref. J'aime ta façon de voir les choses pour l'écriture des articles ; mais je doute malheureusement que quoique ce soit de mon histoire puisse atténuer les horreurs d'aujourd'hui. Au contraire. Bien au contraire. Crier partout que je suis une ancienne esclave ou galérienne, pourrait donner des idées à certains. Et franchement, je n'y tiens pas. Les massacres, les poursuites, l'enfermement, les chaînes, tout ça c'est un temps bien révolu.
Comme tu le disais, il n'y en a qu'un à qui je veux confier mon histoire, c'est mon fils ; parce que c'est aussi son histoire.

D'ailleurs que c'est pour ça que nous sommes venus en Provence. Je l'ai déjà amené au port, au détour d'un débarquement je lui ai montré des galériens, et puis un autre jour nous sommes allés au marché de Arles. Il y avait des tas de victuailles, des bestiaux, des armes ... Le lendemain, je l'ai amené au marché aux esclaves. C'était dur, mais il a vu comment certains hommes se permettent d'en palper d'autres, de tâter leurs chairs, de vérifier l'état de leurs dents, ou encore de tester la robustesse de leur dos en les écrasant de charges. Il a vu comment certains hommes en battent d'autres, parce qu'ils ne comprennent pas leur langue et les ordres donnés.
Il a vu comment certains hommes en fouettaient d'autres parce qu'ils n'avaient pas la même couleur de peau qu'eux.
Enfin, il a vu ces Hommes torturés, être emmenés enchaînés, en échange de quelques écus.
Quand il a eu vu tout ça j'ai pu le lui dire. Moi aussi un jour de mer déchaînée, je suis arrivée enchaînée au port d'Arles. Je ne peux pas changer les Royaumes, mais je peux changer ma vie et faire de celle de mon fils un jardin des délices, respectueux de la vie des autres.
C'est chouette c'que tu fais Eliance, mais ce n'est pas un article qui changera les esprits esclavagistes, dominateurs et sadiques.

Quant à ta dernière question, je dois dire que tu y es allée fort. On ne demande pas aux gens s'ils ont déjà voulu mourir. Mais j'vais te répondre, parce que tu m'inquiètes avec tout ça.
Oui, oui j'ai déjà voulu mourir tout un tas de fois. Toujours parce que je souffrais tellement que je me disais que seule la mort me libérerait. Souvent je me suis rendue compte que le temps qui passait, permettait de repousser tout ça loin dans nos têtes.
Mais quand Dolgar est parti, brisant tous nos rêves, j'ai cru mourir oui. J'étais morte en dedans et je voulais faire mourir le contenant. Voilà pourquoi je suis allée en Savoie ; je voulais confier Percy à son père. Et puis, ces salo** de Lotharingiens me sont tombés dessus, et j'ai du quitter la Savoie, pendant que le père de Percy veillait sur sa fille malade en Savoie.
Alors oui, j'ai continué à vivre pour percy, et cette petite boule de chair et de joie m'incite à vivre chaque jour qui passe. J'ai envie de faire pour lui, ce qu'on n'a pas pu faire pour moi. J'ai envie de lui donner le meilleur, le plus de chances pour réussir. Devenir quelqu'un de bien, qui, lui, ne pensera jamais à la mort.
J'ai répondu, à toi de me dire maintenant pourquoi cette question, car non seulement ça m'intrigue mais surtout ça m'inquiète. Penses tu à la mort ? faut il que j'écrive à Diego pour te surveiller ? Tu sais que rien ne m'arrête ...

Je dois te laisser,
mais réponds moi vite, sinon je vais voir pas mal de nuits blanches passer.

Douces pensées,

Maryah


_________________
Eliance
Les journées sont calmes, se ressemblant sans réellement être identiques. Quelques légers détails viennent les différencier. C'est parfois une discussion en taverne, un moment privilégié avec l'Italien quand les jumeaux ne jouent pas avec leurs cordes vocales stridentes, un égarement de frère dans la nature, un haussement de ton avec une qui se prend pour ce qu'elle n'est pas, ou simplement une lettre. Parfois, une simple lettre peut changer le cours d'une journée. Parce que les mots sont lus à l'écart du tourbillon quotidien, encore et encore pour s'en imprégner au mieux, pour s'imaginer en face de la personne chère qui a couché les mots sur le papier, pour se souvenir au mieux de son visage, de sa voix, de ses rires. Les réceptions de courriers sont ainsi ritualisées à chaque fois.

Ne dérogeant pas à la règle, Eliance est rapidement sortie de taverne, abandonnant là quelques bougres à leurs choppes désespérément asséchées, pour se chercher un coin tranquille. En ce début d'été, elle a jeté son dévolu sur les abords du lavoir d'Annecy, vide à cette heure chaude de la journée, et plus particulièrement un pilier qui supporte le toit, abritant l'eau du soleil tapant. Elle s'y adosse et fait balayer ses yeux pour bien apprivoiser l'ambiance. L'endroit est silencieux, habité simplement de quelques abeilles qui viennent s'abreuver à tour de rôle, emplissant l'air d'un léger bourdonnement.

Ainsi, elle sera tout entière à Maryah, connue depuis peu et pourtant si proche d'elle. Eliance a peu de relations de confiance. Mais étrangement, lorsqu'elle l'accorde à quelqu'un, c'est rapidement. Ce qui a aidé Maryah en leur début, ça a été de connaître l'Italien sans avoir couché avec lui. Une première pour la Ménudière ! À cet instant, elle a su qu'elle pourrait lui faire confiance. Et puis leurs conversations ont été diverses et variées, drôle parfois, sérieuses souvent. Torvar a beau lui écrire de se méfier des amitiés trop excessives de l'Étrangère, Eliance a une amie. Et elle en profite. Ou du moins elle savoure de pouvoir écrire ces choses sans peur de la réaction de celle qui les lira. Torvar... Les pensées allant à Maryah et Torvar se mêlent. Des jours qu'elle n'a pas de nouvelles du Cosaque. Mais elle lui a promis d'être patiente et de laisser Maryah en dehors de sa vie. Elle n'évoquera pas ce coup-ci le sujet de ses inquiétudes. La fois prochaine peut-être. Elle ne saurait se résoudre à imaginer trop longtemps l'homme agonisant dans un fossé.


Citation:

    Maryah,

    Tu me demandes de parler de moi. J'avais fait un effort dans la lettre précédente avec Dijon. Si ça ne suffit pas, je vais essayer d'en dire plus. Exercice particulièrement difficile puisqu'il n'y a pas grand chose à en dire. On est parti, accroche-toi !

    Dijon. Ville où on doit retrouver la mère indigne des jumeaux pour fêter leur 1 an de vie, âge dont ils se rappelleront toujours puisque c'est le temps mémorable qu'il aura fallu à leur génitrice pour se souvenir d'eux. Ville où tout va être compliqué étant donné que la dernière fois que j'ai vu Aphro, elle se trimbalait à poil en taverne dans l'espoir saugrenu de reconquérir Diego. Et tu connais les faiblesses de l'Italien... Mais c'est pas pour tout de suite. Les jours se rallongent, on a à faire avant.

    L'Auvergne. Voilà ce qu'on a à faire entre temps. Ça fera un an qu'on s'est mariés, avec Diego. Tu le verrais, il est tout heureux en ce moment de savoir qu'il est parvenu à ça. Il est rieur comme jamais, toujours de bonne humeur, si agréable à vivre. Il dit qu'on est une famille, avec les jumeaux. Il devient sentimental ! On va donc en Auvergne puisque c'est là qu'on s'est mariés. Mais c'est pas le seul but de la visite, on a accepté de participer à une « fête » de Kachina. Je sais que Torvar la déteste, ou du moins j'ai cru le comprendre l'autre fois quand j'ai dit son nom et qu'il a tiré une tronche de six pieds de long (tu te souviens ?), mais je l'aime bien, moi, cette femme. Je t'en dirais plus quand on y sera.

    Les disputes. Tu m'étonnes à penser que je suis si douce et calme. Enfin, si, je le suis un peu, mais disons qu'on a tous notre part d'ombre. Nos disputes sont rarement violentes. On est plus dans la vexation, tu vois. La dernière en date a vu Diego me lancer à la tronche que je suis une allumeuse pour avoir séduit deux types en si peu de temps. J'ai eu beau lui dire que j'ai jamais cherché ça, que même j'ai refusé de charmer Torvar comme tu m'avais demandé de le faire, rien à faire, je suis une allumeuse. Il a fallu que je lui écrive une longue lettre où je me dévoile pour qu'il comprenne et arrête de jouer au jaloux ! Les autres sujets de dispute récurrents sont sa sœur et les femmes en général. Et puis on serait pas mariés si tout allait toujours bien.

    Les jumeaux. J'essaie de m'attacher à eux. Enfin, non. Pour être plus précise et honnête, j'essaie de ne plus avoir peur d'eux. J'aide donc Diego pour les faire manger, maintenant. Ça lui tient à cœur que je sois quelqu'un pour eux. Je serais jamais leur mère, lui comme moi ne voulons pas ça, mais il dit que j'ai un trou à me creuser dans leur vie. Donc je m'efforce à les connaître. Ma plus grande avancée concerne Manolito. Il est très mignon, le portrait craché de son père. Avec l'Autre, j'ai plus de mal, le portrait craché de sa mère... ça promet...

    La mort. Ne t'inquiète pas de cette question. N'alerte pas Diego, c'est inutile. Il sait tout de moi. Je vais t'expliquer pourquoi je t'ai demandé ça ou du moins essayer de t'expliquer.
    Bon. La mort et moi, on est de grandes voisines. Ou du moins, je sais qu'elle sera là en cas de besoin. J'y ai déjà pensé, je te le cache pas, à plusieurs reprises. Chaque tentative ayant lamentablement échouée par ma maladresse, la dernière datant de quand Diego s'est barré sans un mot au début de l'année. Mais le pourquoi du comment je te pose cette question a une portée plus prévisionnelle. Je combats ma peur des mioches en m'entraînant sur les jumeaux, surtout pour m'habituer à l'idée de n'être pas qu'une incapable.

    À ça, une seule raison : Diego veut un enfant de moi. Ne crois pas que j'en veuille pas et que sa demande soit purement égoïste. C'est plus compliqué. J'en ai perdu beaucoup, jusqu'à arriver à croire que je porte la poisse à ces mioches. Je me suis mis à les détester pour éviter de mener ma malédiction sur d'autres. Diego dit que c'est stupide, que c'est pas ma faute si ils sont tous morts. J'ai du mal à le croire. J'envisage difficilement qu'un enfant vivant puisse sortir de moi. Et puis, quand on a décidé d'affronter mes peurs idiotes, j'ai pensé à ça, à ce vide qui me rassure souvent dans mes moments difficiles. Je me suis demandée si j'y penserais toujours, avec un enfant. Je me suis demandée si je le précipiterais pas avec moi. Et comme je connais peu de femmes qui ont un enfant et ma confiance à la fois, pour ne pas dire que tu es la seule, je voulais savoir si Percy t'a éloigné de ça. Parce que je voudrais pas faire mourir à nouveau un enfant. Tu comprends ?


    Je crois que t'es servie, là, toi qui voulais que je me raconte !
    Passons à toi maintenant, parce que si, c'est nettement plus intéressant.


    Raconter ton histoire ne fera pas devenir les bourreaux des bonnes du curé, ni les cons d'intelligents érudits. Mais ça pourrait faire savoir aux ignorants comme moi ce qui se trame réellement sous des visages comme le tien. Parce que c'est réellement eux qui auraient pu alléger tes souffrances en t'aidant un peu. C'est eux qui auraient pu te considérer mieux et ne pas te cracher dessus comme si tu étais la fille du Sans-Nom. Ces gens-là doivent se rendre compte que sous ta peau foncée et tes yeux étirés se cache un cœur comme le leur, une âme qui souffre et aime, du sang qui cogne et te fait vivre. Ils doivent savoir que tu es une mère comme les autres, que tu as les mêmes envies que n'importe quelle femme, qu'ils n'auraient jamais dû laisser faire ça, que ça pourrait arriver à leurs propres filles si les tiens venaient dans nos royaumes et nous imitaient. Et non, ça ne diminuera pas tes tourments, ça n'allégera pas ton passé, ça ne supprimera pas tes cicatrices, mais si avec quelques mots une seule petite personne se réveille un jour en regardant différemment un étranger et s'en vient à lui offrir une choppe, j'en serais heureuse.

    Ton histoire t'appartient. Je n'écrirais rien sans ton accord. Sois en assurée. Mais songe à ton fils. Il mérite une belle vie et risque pourtant d'affronter les mêmes regards que toi. Il est peut-être né ici, mais il a ton visage, Maryah. C'est ça que les gens voient en lui. Il sera toujours un étranger pour eux, à moins qu'ils ne comprennent qu'ils ont un intérêt à l'accepter et à le respecter. Tu as raison, sans doute. Une simple suite de mots de fera pas changer tout ça. Et pourtant, j'ai espoir que ça le soit. Torvar a été touché par ce que j'ai écrit sur les Cosaques. Il a revu son peuple, il est revenu sur ses terres à travers les mots. C'est ce que je voulais lui offrir. Ça et une certaine fierté à dire dorénavant qu'il est cosaque. Tu vas trouver ça idiot, mais ça me suffit. Comme ça me suffirait de t'entendre raconter fièrement d'où tu viens et qui tu es.

    J'espère t'avoir répondu assez vite pour t'épargner des nuits blanches inutiles.
    Je vais bien. Toujours. Ne t'en fais pas.

    Je t'embrasse.

    Eliance

_________________
Maryah
Citation:
Eliance,

Enfin du temps libre pour te répondre. Ma petite boule de dynamisme dort comme une souche, l'air d'icy lui réussit et la mer le remplit d'une bonne fatigue. Et justement nous allons en parler des enfants, mais tout d'abord je voulais te remercier de la confiance et d'l'amitié que tu m'accordes. J'sais que tout ça c'est pas facile, qu'avoir un enfant ça fait r'monter tous les démons du passé, et ceux de l'avenir. Comme je te comprends. Et sans oublier qu'on doit porter le regard des autres, et remplir les conditions pour être "une bonne mère". J'vais te dire s'il y avait une recette pour être une bonne mère, y aurait plus un seul orphelin dans ce royaume !

Comme si on n'avait d'jà pas assez de peur à affronter quand faut s'occuper d'un enfant, et d'changement à imposer, faut en plus supporter le poids qu'les aut'nous mettent sur les épaules, parc'qu'on est maman.
Tu sais ... que les jumeaux ne soient pas sortis d'tes entrailles, ça change rien. Si tu t'occupes d'eux, s'ils se font une place dans ton cœur, tu s'ras leur mère. Moi j'crois pas qu'ce sont les parents qui choisissent ou adoptent leurs enfants, c'est les enfants qui choisissent dans quelle famille ils viendront, ou quelle personne pourra les adopter. Dans mon Royaume, on dit qu'il n'y a pas de hasard.

Tu veux qu'j'te dise ? J'étais complètement flippée quand j'portais Percy. J'savais pas c'qui m'arrivait, c'est les filles autour d'moi qui m'ont dit qu'j'étais grosse. J'en voulais pas, j'pouvais pas ... J'me disais qu'il avait pas le droit d'arriver là, qu'j'avais pas choisi, qu'j'étais trop jeune, pas prête, seule, qu'j'avais dix mille choses à faire, qu'il allait m'en empêcher. A cause de lui j'allais perdre mon travail, mon amour, ma passion, ma jeunesse ; j'allais m'retrouver une fois d'plus à la rue, et j'le maudissais pour toutes ces raisons.
Des mois plus tard, il sortait de mon ventre énorme et endolori ; j'avais traversé les nausées, les saute d'humeurs, les sensibleries incompréhensibles, les envies débiles. J'étais mourante, lui aussi. Quand on m'a dit qu'il n'allait pas vivre, j'm'en suis voulue. N'avais-je pas tout fait pour qu'il ne soit pas ? Combien de fois l'avais je haïs ? maudis ? menacé ? Des journées à cheval à trotter pour espérer le perdre, aux beuveries pour oublier qu'il était là ... et j'te passe les gueules de bois d'autant plus nauséeuses.
Mais il était là. Et sans savoir pourquoi je l'aimais.
Oui je l'aimais et malgré ça, il allait mourir.
Déos allait me le reprendre pour me punir.
Le curé l'a pris, il a dit qu'il le baptiserait et qu'il en ferait un petit ange, avec des ailes et tout ça, et qu'il siégerait au coté d'Aristote en personne.

Quand j'ai pu marcher, j'suis repartie, la mort dans l'âme, les entrailles déchirées. On m'avait dit qu'vu le désastre, j'en n'aurai jamais d'autres. J'venais de perdre le seul enfant que j'aurai jamais. J'avais d'jà perdu mon p'tit frère quand j'étais enfant, et j'en avais vu tellement naître et mourir sur les galères. C't'ingrat un enfant, tu lui donnes tout, tu l'protèges, tu l'nourris ... et il crève, en t'laissant seule et vide, sans raison d'exister.
Pour survivre, j'ai fait comme toi ; j'm'étais interdis d'aimer ces p'tits bouts d'Hommes. Surtout les p'tits garçons. Les p'tites filles encore ça m'faisait penser à moi petite et j'arrivais pas trop à les rembarrer, mais les garçons ... comme mon fils, mon frère ... j'pouvais plus les voir, même en peinture.

Pourtant l'année dernière quand j'ai appris qu' il était vivant et qu'y avait un p'tit bridé retenu en otage par d'horribles chevaliers, j'ai pas hésité un instant. Et tu sais combien je l'aime depuis. Il est toute ma vie, tout ce qu'il me reste. C'est pour lui que j'ai quitté la FC, pour lui que j'ai déposé les armes, pour lui que j'suis revenue en Arles là où j'ai débarqué avec les chaines, .... J'crois qu'un enfant, ça nous libère. De nos peines, de notre ombre, de nos cauchemars. Quelque part ... un enfant ça répare.

Dis toi qu'un enfant, c'est certain'ment l'plus beau cadeau qu'puisse te faire Diego. Mais fait le pour toi, les papas ça part toujours, et ça t'laisse seule avec les enfants. Après, c'est tellement prenant les enfants, ça t'laisse pas beaucoup de temps, mais c'est ... 'fin tout en contraste. ça déclenche des émotions qui t'font sentir vivant. Pis si t'en as déjà perdu, alors ça ne t'arrivera plus ! ça devait pas être le bon père, remercie Déos. Un enfant de Diego et toi, il ou elle s'ra magnifique. Tu d'vrais pas hésiter Eliance. T'es douce, gentille, aimante, tu s'ras une parfaite maman. Et l'enfant t'aidera à réparer tout le reste. Faut juste que tu te prépares à changer de vie.
Tu mangeras et dormiras à son rythme, des fois il te cassera les oreilles, mais toujours il t'offrira cette tendresse qu'aucune personne sur Terre ne t'offrira, crois moi. Tu l'aimeras toujours plus que tu n'en souffriras.
Je le sais, je le vis.
Il me rend meilleure, chaque jour qui passe, même si les tentations de mon ancienne vie sont nombreuses, et ma colère jamais loin.
Quand j'pense à Percy, tout s'éclaire.
Il est ma plus grande peur ... et ma plus grande joie !

J'aim'rai bien t'voir avec les jumeaux. Un parfait tableau. Et puis, quand tu seras grosse, tu feras un magnifique article sur les Enfants, ces petits-nous, ces mini-nous, qui nous rendent fous !

Bref ... l'Auvergne tu dis ? J'passerai bien t'y voir pour parler de tout ça, et de Kachina ..; Moi c'clan j'en ai gros contre eux, mais j'ai pas froid aux yeux. Si j'suis calme de surface, la panthère n'est jamais loin et ma haine n'est jamais loin. Ils ont comploté avec l'Empire, tout ça pour un peu d'écus, z'ont pas d'face ces gens là, méfie toi. C'est tout ce que je peux te dire. 'fin voilà.

Pour le reste, mon histoire j'la trouve si moche ... Percy m'aide à en parler, je lui dois bien ça. Mais des fois j'me dis que si je l'écrivais, personne n'y croirait tell'ment c'est pourri ... euh désolée pour le mot, mais percy dit ça à tout bout de champs, et ça m'influence ! Tu vois un peu !
Pour les dernières nouvelles, Torvar fait la gueule mais se charge de faire venir un ch'val mongol de chez lui pour Percy. Il fait la gueule parce que j'ai reparlé de Niallan et Lexianne, respectivement le père et la soeur de Percy. J'affronte les difficultés seule, une à une, à chaque jour suffit sa peine comme on dit. J'ai vendu mon armure pour payer le cheval quand il sera là et tous les frais afférents. Pas sûr que ça suffise, je ferai de mon mieux.
Je comptais sur la venue de Niallan pour m'aider un peu, au moins financièrement ; son fils vaut mieux qu'une dose d'opium ou une catin, mais il ne viendra pas. Il ... comment dire ... démissionne de ses fonctions de père. Il veut qu'on l'oublie. faut que je trouve un truc pour Percy, j'suis mal avec cette histoire. Tu vois aussi bonne mère qu'on veut être, autant la vie nous en empêche. Je serai prête à voler pour subvenir au besoin de Percy, sans m'faire détruire ou quitter à tout moment par un gars qui dit le meilleur au début et saccage tout. C'est la dure loi des mamans. Faut compter que sur soi, pour faire vivre ces petites boules de chairs et d'amour. J'ai p't'êt'trouvé un truc pour commercer et gagner de l'argent légalement ; mais c'est pas sans risque non plus.
Enfin, on verra, un plan après l'autre !

Tiens moi au courant d'où tu vas, et si ton ventre s'arrondi,

Je t'embrasse, jolie maman en devenir !
Embrasse les jumeaux de ma part,


Maryah

_________________
Eliance
Une sombre journée commence, journée idéale pour écrire à la Lointaine, pour s'y confier, pour soulager ses peines.
La plume est lourde mais salvatrice.


Citation:

    Maryah,

    La jolie maman possiblement en devenir en a gros sur la patate ce matin. Je sais pas comment tu fais pour être si lumineuse dans tes lettres en parlant de ton fils. Je connais quelques-unes des angoisses qui t'habitent, tes soucis avec les hommes (généralisons, hein, parce que que ce soit Torvar ou Niallan, aucun n'est rose bonbon), et pourtant, tu arrives à me transmettre une petite force, une lueur de gaieté non négligeable.

    Tu vois, hier je me suis engueulée avec Diego. Et pas qu'un peu. Les jumeaux ont été confiés y a quelques jours à leur mère indigne qui sait même pas leur donner à bouffer, qui va sans doute tuer le nourrisson qu'elle a dans le coco, tout ça en criant sur tous les toits qu'elle promet et ambitionne de faire flancher mon mari et de le foutre dans son pieu, mais c'est pas grave selon lui. Alors j'ai dit haut et fort ce qu'elle est : une putain sans cœur, une bonne femme ignoble qui mérite pas de vivre. J'en ai marre qu'il lui trouve toutes les excuses du monde parce que « la pauvre, avec tout ce qu'elle a vécu »... Elle m'insulte à qui mieux mieux dans mon dos et moi, je devrais jamais rien dire sur elle. Quelqu'un y pense à ce que j'ai vécu, moi ? Je parle jamais d'elle devant ses mioches et je trouve ça déjà bien.

    Pour couronner le tout, le fiancé (jusqu'à hier) de madame est un type qui sait tout de moi sans même que je le connaisse. Il connaît mes faiblesses, Maryah. Il a vu ce qu'il n'aurait jamais dû voir de ce que j'ai vécu quand j'étais enfant. Il s'en souvient. Il s'en servira. Il est persuadé qu'il couchera avec moi et n'a de cesse de rabâcher combien je suis belle, sublime... Et pourtant, je me sens comme obligée d'apprendre à le connaître, à dénicher ses faiblesses à lui aussi. Comme si j'avais pas le choix.

    Je m'enflamme... pardonne-moi. J'ai mal dormi. On dort toujours mal sur une table de taverne pour éviter de rejoindre un mari qui vous regardera comme si vous étiez la pire épouse du royaume.

    J'ai sans doute trouver une alternative au vide, à mon saut de falaise. Me faire démolir la tronche pourrait être bien, tu crois pas ? Plus personne voudrait me sauter, plus personne tomberait amoureux par inadvertance de ma tronche. Ceux qui s'intéresseraient à moi le feraient en découvrant qui je suis vraiment. Mon seul soucis, c'est que j'ai beau traîner avec des mercenaires, pas un ne veut s'y coller. J'ai pensé demander à Niallan la prochaine fois qu'on se croise. T'en pense quoi ? C'est bien, non ? Il peut pas me piffer, il sera sûrement d'accord.

    Quant à un mioche, plus j'y pense et plus je me dis que c'est une mauvaise idée, malgré ce que tu me dis. Tous ceux auxquels je tiens, je finis par les décevoir et ils finissent par souffrir. Et si j'en crois ce que tu me dis, un mioche, on s'y attache sévère. Alors c'est dangereux.

    L'Auvergne s'est transformée en Champagne figure-toi. Tu sais, moi, les histoires de qui fait quoi, à qui, pourquoi j'en ai que faire. Kachina a dit que ça me ferait revivre, frissonner. Voilà pourquoi on les accompagne. Le reste, je m'en fous. Je veux essayer. Une fois. C'est tout.

    Tout est si instable, Maryah. Un jour tout va, le lendemain tout manque. La joie, les mioches, Diego. Tout part en vrille et je laisse faire. Je lui en veux de penser qu'Aphro peut s'occuper de ses mouflets. Elle peut pas. Elle sait pas. Elle va jouer avec pendant deux jours et les abandonner encore quand elle en aura marre qu'ils braillent. Je lui en veux qu'elle soit quelque chose pour lui. Sa soeur et Aphro, il dit que c'est sa famille, qu'il peut pas faire sans. Je voudrais qu'elles crèvent toutes les deux. Je m'y suis fait à ces enfoirés de marmots, c'est pas pour que cette blondasse ramène sa poire et me les enlève quand ça lui chante.

    Et alors ce cheval ? Torvar m'a écrit qu'il s'en sort bien ton Percy. Je pense qu'il aime bien ce qu'il se passe entre eux deux. Et je pense qu'il est ce qui ressemble le plus à un père pour ton gamin. J'ai rencontré Niallan une fois. Une fois, ça suffit pas à connaître quelqu'un. Mais là, il ressemblait à un sale type, même de loin. Pique lui des écus, mais n'attends rien de lui. Il t'apportera rien. Et démerde-toi pour pas te prendre le bourrichon avec le Cosaque. Je suis sûre que ça peut le faire. Tu sais de quoi je parle.

    J'aimerais tant vous revoir, tous les trois. Je pense souvent à ces quelques jours passés à vos côtés. Je les ai appréciés à leur juste valeur.

    Fais gaffe à toi.

    Eliance


    PS : Cette lettre est brouillonne, comme mon esprit ce matin. La prochaine, je la ferait belle pour toi.

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Maryah
Le petit jour est là et l'odeur d'iode marine s'infiltre par la maigre fenêtre de l'humble chambrée d'auberge. Regard pour Percy qui dort désormais dans un lit séparé. Douceur d'un sourire maternel, avant que l'Epicée ne s'étire et se retire de sa paillasse. Un morceau de couronne à l'anis vient réveiller les papilles de la bridée, et une gorgée de tisane froide les rincer si tôt fait. Le matin est là, et Maryah cherche une activité qui ne réveillera pas le petit. Son regard se pose sur la couleur du ciel, les oiseaux qui batifolent dehors, et l'énorme paquet de lettres laissées à l'abandon dans un coin. Elle s'approche lascivement, et d'un doigt en regarde les écritures. Elle les passe en revue, une à une et s'arrête sur l'écriture cursive. Son regard parcourt la pièce, Percy, Eliance, Eliance, Percy ... comment raconter la plénitude maternelle ? Un homme c'est ingrat, ça vous dévalorise toujours et ça part sans prévenir. Mais ... un enfant ... ça vous décroche un rêve, un bout d'éternité, ça vous ramène à vous ; tout simplement. Oui, oui c'est ça qu'il faut qu'elle lui écrive, il faut qu'elle sache, qu'elle ne passe pas à côté du seul bonheur, du seul véritable amour ; celui d'une mère à son enfant.

Citation:
Eliance,

Je tarde à répondre, parce que j'observe Percy et notre relation, pour toi. Pour pouvoir te dire, t'expliquer, la douceur d'être mère, le bonheur, l'intensité du lien.
A la douleur, de m'être vue tout arraché, succède le bonheur de l'avoir lui auprès de moi. Je me réveille à l'instant, il est là, pelotonné sous sa petite couverture qu'il a tenu à acheter à une vieille femme sans le sou. Les enfants sont différents de nous, ils ont cette sensibilité à fleur de peau, cette lecture simple de la vie et de leurs envies, tout ce que nous avons oublié et remplacé par la méfiance, la dureté, l'exigence.
Un enfant, c'est un luciole au milieu des ténèbres,
c'est LA lumière qu'il manque à nos vies si stériles, si inutiles, si sombres.

Je comprends tellement ta douleur. Si je pouvais un instant prendre ta douleur, la jeter à terre, la piétiner, et je finirai par la noyer dans la Mer. Alors tu saurais la douceur, la plénitude, la sérénité. Ne laisse personne te dire qui tu es, personne. Tu dois apprendre que tu ne peux pas forcément faire pour les enfants des autres, mais tu peux faire pour le tien. Celui-là, personne ne te le prendra. Avec lui tu deviendras meilleure, il sera ta motivation pour ne jamais le décevoir. Tu sais laisser tomber toutes mes sombres activités n'a pas été simple, j'ai encore le goût du sang dans la bouche et certaine nuit cela me réveille. J'ai encore dans la tête les combines pour s'infiltrer dans les belles demeures, et celles pour faire les poches au détour d'une ruelle. J'ai toujours ce regard envieux, empreint d'un besoin de prendre ma revanche sur la vie. Mais il est là, et j'oublie tout.
Je le regarde grandir, se façonner au gré des événements, des rencontres. J'aime à l'entendre rire aux éclats, et à le réconforter quand il pleure. L'enfant, comme diraient les alchimistes, c'est comme un révélateur de ce qu'il y a au plus profond de nous.

Que s'est-il passé dans ton enfance ? Raconte-moi et dis moi qui est cet homme qui voudrait s'en servir ? Si je ne me salis plus les mains, je côtoie toujours ceux prêts à le faire. Il pourrait arriver malheur à cet homme ... un poison, une langue coupée au hasard d'une mauvaise ruelle ... Comme tu le disais, ce royaume est si incertain ! D'ailleurs en ce moment, ça me titille d'écrire au nain pour le lui rappeler. Moi l'exclue, l'impure, la bannie, je regarde de loin la disparition du cardinal Aristokolès, et la mort précoce de l'Empereur. Mes chers ennemis, il semblerait que Déos ai choisi de vous porter dans ses bras, loin de moi. Nous en avions longuement parlé avec les Corleone, j'ai testé une nouvelle méthode : je me suis assise au bord de la mer, et j'ai attendu de voir leurs cadavres passer. Je les salue chaque matin. Ainsi va la vie. Tu pourrais v'nir t'asseoir avec moi ...

Hum pardon, je dérive.
Je t'interdis de te faire du mal. Les tables de taverne ne méritent pas de recueillir ton joli corps ; ton visage fin et tes cheveux de feu resteront intact. Si Niallan lève la main sur toi, il le paiera cher ; et crois moi, en matière de paiement, il est déjà pris à la gorge. Moi quand j'étais petite, Tord Fer me disait deux choses :
1- Laisse aux gens le droit de penser que tu aies sotte, tu viendras les tuer la nuit quand tous les chats sont gris ;
2- Tout se paie un jour ou l'autre, question de patience.

Sois patiente, Eliance. Donne-moi les noms de ceux qui t'importunent, je les confierai à Déos. Bientôt tu les regarderas passer toi aussi, les pieds devant. Je te le jure.

Pour te parler d'icy, la vie passe doucement. Je travaille quelques plans de loin pour assurer un bel avenir à Percy. C'est bon de jouer la sotte, l'innocente. Les gens sont si sûrs d'eux, terrible erreur. M'enfin ...
Comme tu l'as lu, Percy et Torvar ont développé une certaine complicité. Si tu savais comme ça me fait peur ... J'ai tellement peur que l'histoire "Dolgar" se répète. Percy m'en parle encore, il me demande s'il est parti rejoindre sa maman qui était montée au ciel. J'sais jamais quoi répondre dans les cas là. C'est comme pour Niallan, il m'a demandé par courrier de l'oublier ; comment faire comprendre à un gamin de 5 ans que son père veut qu'il l'oublie ? Là j'ai pas de réponse.
Torvar, lui, il a toujours des réponses pour Percy. Je suis bien consciente que Percy a besoin d'hommes à ses côtés, et je suis bien embêtée avec tout ça, moi qui ne fréquente plus d'hommes depuis belle lurette !
Le cosaque c'est un bon compromis, même si j'ai toujours peur qu'il me rende Percy en miettes ou en pleurs. Je connais la dureté de Torvar, ses remarques acérées envoyées avec violence, et je redoute toujours le pire pour Percy. Il pourrait me le briser d'un craquement d'os. Mais je crois que Percy a su l'attendrir un peu. J'ai compris que Torvar restait pour lui, et honnêtement je m'en réjouis. Il se passe quelque chose d'indéfinissable et de beau entre eux, j'veux pas m'en mêler. Tu les aurais vu chahuter dans l'eau à la rivière, c'était bouleversant. Y a des images de mon enfance qui sont revenus, quand mon frère et mon père jouaient à la rivière. C'était quelques instants magiques. Fragiles, mais magiques.

Nous étions fâchés avec Torvar, et je préférai l'éviter, quand il est venu il y a peu me demander un service. C'est la première fois qu'il ose ça depuis que nous nous connaissons. Tu vois un peu comment un enfant ça peut changer les choses ? les gens ? Je m'en étonne encore. Bref, dans quelques jours, quelques heures, devrait arriver au port d'Arles un bateau venu de l'Est, avec de la famille de Torvar et surtout des chevaux mongols. Il y a un poulain pour Percy, ça sera son cadeau pour devenir un homme. Et puis, il va bientôt fêter ses 6 ans, au mois d'octobre. Torvar va négocier le prix, je devrais à peu près m'en sortir. J'ai hâte !

Ah mon petit trésor vient de se réveiller ! Je vais finir là cette lettre,
Garde courage Eliance,
Et si l'ennui te gagne, vient nous rejoindre. Tu verras toute une tripotée de cosaques !

Je t'embrasse,
Prends soin de toi,

Pas de bêtise ...


Maryah

_________________
Eliance
La nuit est agitée. Pas faute aux assauts de l'Italien, non. Les temps étant mouvementés entre eux, la distance est de mise sur la paillasse. Ce sont bien les cogitations qui troublent la Ménudière, dans la pénombre. La faute à des lettres, aussi, causes initiales de tout.

Pas un œil n'a réussi à se fermer. Ou plutôt si. Parfois, le sommeil l'a vaincue et l'a absorbée toute entière. Mais l'inconscience reste de courte durée.
Certaines choses passent d'un coin de la cervelle à un rêve et ce n'est parfois pas supportable. C'est ce qui arrive, cette nuit. Les images, les sons, les odeurs perçues par Eliance dans son sommeil lui sont fatales. À se réveiller pour oublier, enfin, pour tenter. La chose étant impossible, cette fois, elle s'est contentée de réfléchir à pourquoi, comment. Réfléchir et se perdre un peu plus. Elle en est là.

Alors elle s'est levée, l'Abîmée, comme l'appelle Kachina, avec son nez tordu et sa trogne enflée, et elle est allée poser sa chemise et ses fesses sur le tabouret devant la table de l'auberge qui abrite la « famille ». Sans trop de bruit, la chandelle est allumée, les lettres sorties de sa bourse. Deux paquets bien distincts, chacun dans une main. Elle regarde longuement celui de gauche, ficelé soigneusement, avant de se résoudre à le poser, préférant relire la dernière lettre de Maryah qui trône en haut du paquet de droite, plus petit, conservé plus en vrac qu'autre chose. Mais les lettres ficelées, précédemment posées, semblent la surveiller. Elle leur jette des regards furtifs, accusateurs.
Elle leur en veut. Aux lettres. Aux mots. À celui qui a écrit.

Des épaisses mèches ambrées tombent en travers de son visage, semblant vouloir camoufler le désastre pourtant voulu, demandé et désiré. La lettre est relue, accompagnée d'un sourire, sûrement la seule chose avec ses yeux d'à peu près intacts encore, et le crayon se met à s'agiter fébrilement sur un papier vierge.

Elle aimerait qu'elle lui dise quoi faire. Mais comment parler de tout ça à la Lointaine ?
Elle ne peut pas. Ne s'y résout pas. Le temps fera son affaire. Ou pas.


Citation:

    Maryah,

    Ce que tu écris, c'est beau. Je crois que c'est ton Percy qui est merveilleux. Je crois que c'est pas un mioche normal, ton gamin. Je crois que le mien sera jamais comme ça. Je crois qu'il y aura jamais de « mien », d'ailleurs. J'ai trop peur. Je suis trop perdue. J'ai pas le courage. Ta lettre, je la garderai et je lui montrerai, un jour, à ton fils. Je lui dirai toutes les belles choses que tu as écrites sur lui, pour lui. Il faudra qu'il sache tout ça.

    Tu ne m'avais jamais parlé de ce goût du sang. Diego m'avait raconté, vite fait, rapport à Sarah, ce qui vous avait rapproché, d'où vous veniez toutes les deux. Mais tu vois, j'avais oublié. Je t'imagines pas comme ça. Même en te lisant, j'y arrive pas. C'est idiot, hein ! Et pourtant, je perçois pas ça de toi. Ça veut peut-être dire que t'as réussi à changer. Que même si ça sommeille, tu parviens à faire déguerpir et à assommer ces pensées, à les ensevelir sous un tas de cervelles remplies d'images de Percy. Il est magique ce gosse, moi je dis !

    Moi, j'ai rien de magique. Il est trop tard pour t'écouter et prendre en compte tes conseils judicieux. J'ai trouvé un brave blond pour me démolir le portrait sans poser de question. Je n'ai pas attendu Niallan. Et c'est mieux ainsi. Rapide, bref, efficace. Et douloureux. Mais parfois, il faut ce qu'il faut. Je sais que c'est con, tout le monde le dit. Mais c'est fait. Ne revenons pas dessus. J'ai un nez tordu, mais le reste commence à dégonfler, d'après ce que les gens en disent.

    Par contre, venir saluer les cadavres au petit matin en bord de mer me tente bien. Même si c'est pas possible de suite. Je pars pour l'Orléanais ce soir. Diego me suit. Et pourtant, j'ai envie d'être seule. Tu sais, de pouvoir réfléchir, pour une fois. Réfléchir à qui je suis, ce que j'ai envie. Quelqu'un m'a dit que c'est pas normal de pas avoir de rêve. Alors il faut que je creuse, je dois bien pouvoir en trouver enterrés quelque part. Je crois qu'il y en a un qui a essayé de pointer son nez, hier, mais c'est un homme. Et puis le nez est pas resté longtemps. Et puis ça ferait trop de mal autour. Je l'ai laissé tombé. Je vais bien en trouver d'autres, des rêves, tu crois pas ? C'est quoi, toi, tes rêves, Maryah, tes envies ?

    En fait, je voudrais m'endormir et me réveiller sur le sable, par chez toi. J'aimerais bien fuir ce qui est ici. J'aimerais bien me reposer un peu. Tout oublier. Être rien qu'avec toi. Regarder l'eau, les vagues, l'écume, et rien d'autre. On aurait même pas besoin de parler. Regarder et puis boire. C'est de ça que j'ai envie, là, maintenant. Comme je t'ai pas toi, ni les vagues, ni le sable, je me contente des godets. Sauf que j'ai la boisson causante. Déjà que je parle trop d'ordinaire, là, c'est pire que tout. Les gens finissent par en savoir trop sur moi, dans le coin. Va falloir que je me barre. Quand je parle des gens du coin, je parle de ceux du clan, t'avais compris. Tu dois en connaître. Bon, ben ils en savent trop. J'ai envie de repartir. Je suis pas comme eux, moi. Diego veut rester et les suivre. Tu crois qu'il se fâcherait si je lui disait de faire ça pendant que je me fais une promenade de santé par chez toi ? Non. Et puis c'est une mauvaise idée. T'as le Cosaque avec toi et il veut pas me voir.

    Tiens, puisqu'on cause Cosaque, t'inquiète pas pour ton Percy. Si Torvar partait, ton gamin apprendrait juste que les gens restent jamais au même endroit. Il apprendrait qu'on fait pas toujours ce qu'on veut, que les gens manquent, quand ils s'en vont. Il comprendrait aussi que c'est pas parce qu'on est loin qu'on aime pas. C'est toi qui m'a dit qu'un gamin a pas besoin de père tant que toi t'es là. Niallan, il t'a donné le corps de Percy. Dolgar, il t'a donné je sais pas quoi, mais un autre truc, sûrement, pour toi et ton gamin. Torvar, il lui donne tout un savoir, il lui offre l'amour d'un cheval. T'inquiète pas comme ça, Maryah. Tu es la seule personne qui ne devra jamais partir pour lui. Les autres ne sont là que pour le faire grandir. Et il va être sacrément grand, ton gamin, crois-moi.

    Quant à mon histoire, quelqu'un m'a fait comprendre il y a peu que ça sert à rien de ressasser le passé et de se cacher derrière. Que je me plains beaucoup trop pour peu de décisions prises au final, ou quelque chose comme ça. Alors je t'épargne ce couplet-là. Et puis cet homme, je me méfie juste. Qu'il sache autant de choses m'effraie, mais il est parti. Loin. Fin de l'affaire. Je le tiens à distance avec des lettres.

    Six ans... Déjà. Je me débrouillerais pour passer vous voir avant son anniversaire. Pour voir ce cheval. Le fameux.

    Je t'avais promis une lettre mieux. Bon. Ben, j'avais menti.
    Ma phase euphorique aura été de courte durée cette fois-ci. Me voilà repartie dans le néant.

    Prends soin de toi et sois heureuse.

    Eliance

_________________
Maryah
Les préparatifs des départs et le fait d'avoir mis les courriers tout au fond de la malle, pour éviter des lecteurs indiscrets, avaient empêché Maryah de répondre plus tôt au courrier d'Eliance. Elle en avait profité également pour poser innocemment quelques questions au Cosaque, et se mettre au fait de leur correspondance. Lui et elle avaient une vision différente sur Eliance, mais elle était un peu certainement tout ça.

Profitant que les hommes soient partis visiter les parages, Maryah était donc seule au campement et elle allait pouvoir s'activer à répondre. Un dernier coup d'œil pour vérifier qu'aucun Cosaque n'était dans les parages, et ce fut bon !


Citation:
Eliance,

Les Cosaques sont arrivés hier au port d'Arles et nous voilà déjà en mouvement du côté de Nîmes. Autant te dire que je préfère les occuper plutôt que de rester sous leurs regards sauvages et inquisiteurs. Dans ces moments là, je dirai pas non à un peu de soutien et de présences féminines. Torvar me l'avait dit et je voulais pas le croire, mais un groupe de Cosaques qui débarquent, ça impressionne et ça fout un peu les chocottes. Heureusement, qu'ils sont venus pour le petit cheval de Percy, et que Torvar me fait passer pour son épouse, sinon je crois que je serai déjà morte.
C'est pas facile de cohabiter avec des gens qui pensent et vivent différemment. Bref, pour le moment, je survis au milieu de tous ces hommes et chevaux. Et je regarde Percy qui en est ravi !

Venons en à toi ! Te faire démonter le portrait ? M'enfin, quelle idée ! Et quel est ce con qui a accepté de tabasser une femme ? Non mais franchement, faut revoir tes fréquentations. Tu m'inquiètes Eliance, et si j'en avais pas parlé avec Torvar, Diego aurait déjà un courrier avec la liste de mes inquiétudes. Parait que ça me regarde pas. Mais vraiment qu'est c'qui t'a pris ? Tu crois vraiment qu'en ayant le portrait abîmé, ça va donner encore plus envie à ton homme de t'aimer ? Moi j'crois que ça va lui donner plus envie d'aller voir ailleurs, un parce que tu dois pas être belle, deux parce que tu dois complètement être siphonnée pour faire ça ! Ravagée dans tous les sens du terme. Et je s'rai bien curieuse de savoir quel sens tu y mets.
Non parc'que déjà qu'ton gars c'est pas un as de la fidélité, mais c'est à s'demander si tu lui fournis pas des prétextes pour aller voir ailleurs ? Genre ... "c'est normal qu'il m'est trompé, parce que c'est la période où j'étais défigurée !". Tu me fais penser aux femmes battues qui disent "non non c'était pas sa faute, c'est moi, je l'avais bien cherché". Comme s'il existait des excuses à un cognage ... m'enfin, c'est toi qui voit. Si t'as envie de te faire mal, et d'êt'aussi laide que les mégères de la cour des miracles ... c'est toi qui voit. N'empêche que j'suis curieuse de lire ton interprétation.

C'que je constate dans la lettre c'est que tu sais exactement ce que tu voudrais bien être ou faire, et tu fais tout l'inverse. C'est comme si tu t'punissais toi même en fait. Que tu te muselais, que tu t'enchainais, comme si profondément tu t'prenais pour une mauvaise fille et qu'tu t'en faisais baver. J'ai jamais vu ça. Pourquoi t'écoutes pas tes envies ? Pourquoi t'écoutes pas ton instinct ? Pourquoi tu crois qu'un gars peut mieux choisir pour toi c'qui te rendra libre et heureuse ? J'avoue qu'j'ai du mal à comprendre ça. Quand il m'est arrivé de le vivre, j'étais esclave. Si j'faisais pas c'qu'on me disait, on m'battait, on m'fouettait, on m'rbûlait et tout ça. Toi tu t'infliges ta propre sentence, c'est terrible. Bourreau de soi même !
Etre soi n'a pas de prix. Tu dis qu'ça fera du mal autour de toi ? Et alors ?! Chacun sa merde ma grande, personne n'a attendu d'te connaître pour vivre ou survivre. Et quand les gens prennent leur décision, m'est avis qu'ils n'en ont rien à faire de ce que tu penses.
Tu veux être seule ? Barre toi seule !
Tu veux voyager ? Voyage !
Tu veux aimer ? Aime !
Tu veux faire de nouvelles expériences ? Expérimente !
Tu veux rêver ? Rêve !

Agir c'est vivre ! Ne laisse personne te dire qui tu es ou ce que tu dois faire. Ecoute-Toi.
Oui j'ai des rêves, mais ils ne te serviront à rien, parce qu'ils sont issus de mes échecs, de mes peurs, de mes blessures. Un besoin de revanche sur la vie, un besoin de vivre. Rapproche toi des tiens, donne toi le droit de tout faire, de tout vivre. De toute façon, quoique tu fasses, y aura toujours des gens pour te critiquer ou te le reprocher. La seule façon d'être heureuse, c'est de faire ce qu'on aime, ce qu'on a décidé pour soi.

Pour le clan de Kachi, c'pas un problème ; ils sont avides. Tu peux acheter leur silence comme leur avis. Ils te disent oui, tu veux entendre non ? Paie les pour qu'ils te disent non, le lendemain ils te diront non. Ils sont achetables à merci, un peu de fric t'en f'ras ce que t'en veux. Les écus, c'est leur langage. Paie, tu seras exaucée.
Franch'ment Eliance, fais ce que tu veux. On s'en fout des autres. Te d'mande pas si ça leur fait plaisir ou pas de te voir ou autre, prends c'que tu veux, fais c'que tu veux. Pas par méchanceté ou par vengeance, juste par respect pour toi !
Déos t'a faite entière, alors il veut que tu vives entièrement !
Un jour Torvar m'a gueulé d'sus, en disant qu'il fallait que j'arrête de penser pour lui ou à sa place ; il avait raison, on s'plante toujours. Not'façon de penser n'est pas celle des autres et inversement. ON n'peut penser que pour soi même, on n'peut agir que pour soi même. Si ça plait les gens restent, si ça plait pas les gens se barrent. Des gens, t'en rencontreras toujours d'autres. La seule personne qui doit compter pour toi, c'est TOI.

Le gars dont tu m'parles qui t'as dit d'arrêter d'penser au passé et tout ça, j'le trouve assez juste. Moi j'crois qu'tu t'en méfies parce qu'instinctivement tu sais qu'il a raison ; la seule décision qu't'es prise ces derniers temps c'est d'suivre comme un mouton et d'te faire casser la gueule. T'avoueras que c'est pas grandiose, et c'est pas fait par amour pour toi ça. C'est pas grave que les gens sachent des choses sur toi, si t'as fait la paix avec ça, avec toi. Ouvre les yeux, tu sais qui tu es au fond, arrête de te museler, de t'étouffer ou encore de t'faire taper d'sus. Aime-toi Eliance, plutôt que d'aimer les autres. Et les gens qui sauront qui tu es et verront que tu t'apprécies telle que tu es, viendront naturellement vers toi.

Tu sais, j'te demande pas des courriers euphoriques, j'préfère les authentiques. Comme disait Massou, un compagnon esclave, "tous dans la même galère". On n'est pas si différent les uns des autres, même si on cherche tous à le faire croire. C'est c'que tu mets en avant dans tes articles. Tu peux pas saisir la beauté des autres, et tout faire pour t'enlaidir toi. Et c'est pas aux autres de te dire que tu es belle, c'est à toi de l'affirmer haut et fort, parce que tu sais, parce que tu te connais.

Tu termines ta lettre en m'disant "sois heureuse", comme si c'était un état, comme si on pouvait de droit l'être toujours, tout l'temps ... bah moi j'te dirai "travaille à être heureuse", ça s'construit, ça s'vit, parfois ça s'effrite, d'autre fois nettement ça se casse la gueule, bah c'est pas grave on r'commence. De solides fondations, des murs élevés petit à petit, peut être même des fortifications ... c'est toi qui voit, c'est toi l'architecte. Lentement, mais sûrement. Un travail de longue haleine qui fatigue le corps et détend l'esprit.

C'est bon d'parler avec toi, ça m'remet les idées en place. ça m'montre par où j'suis passée aussi et où j'veux pas retomber. Comme dit l'adage, après la pluie le beau temps. Et tout n'est qu'un éternel recommencement. Alors l'orage viendra ébranlera tout ça, à nous de consolider, fortifier, encore et toujours.

Profites des jours heureux ma belle,
Que Déos t'aide à te libérer de tes chaines invisibles !


Maryah

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Eliance
Sur les chemins, les pigeons se perdent, tournent, vont de pigeonniers en pigeonniers, renvoyés chaque fois que le destinataire n'est pas trouvé à l'endroit choisi par le volatile. Alors le temps est long, entre un pigeon envoyé et un pigeon reçu. Le temps est long et l'impatience grandit.

La Ménudière a toujours aimé écrire. C'était là sa grande activité. La seule, étant enfant. Aujourd'hui, les mots gardent encore une place importante dans sa vie. Elle aime le crissement de la mine de plomb sur le papier, elle aime déchiffrer les courbes des autres. Maryah, Kachina, Torvar... Peu de destinataires à ses lettres et des destinataires qui s'amenuisent toujours plus. Le Cosaque lui refusant désormais tout retour, toute attention, la concentration est donc portée sur les deux seules qu'il reste, et non des moindres, ou du moins sur les deux seules régulières, à la façon des amants réguliers.

Une pointe de jalousie a accompagné la lecture. Les lèvres fines se sont pincées, serrées, en une moue contractée. Son épouse. Elle est donc son épouse. Les derniers mots rédigés quelques jours plus tôt par le Cosaque lui reviennent en pleine face.
« Personnellement, je préfère les vraies femmes qui ont du répondant même si elles m’en foutent plein la gueule. À cela, vous n’arrivez pas à la cheville de Maryah. »
Maryah. Qui se fait passer pour sa femme. Maryah. Même si la chose est pour un service, la nouvelle est blessante. Et pourtant, c'était bien le but que s'était fixé intérieurement la Ménudière, en acceptant la mission de Maryah. L'Épicée voulait que le vieux loup tombe à nouveau amoureux, qu'il se sente vivre. Eliance avait refusé toute séduction mais avait accepté de lui parler dans l'espoir de l'envoyer directement dans les bras de Maryah. L'échec avait été fulgurant. Le Cosaque avait bien ri, mais il n'était pas revenu dans les bras de Maryah et avait été séduit par la non-séduction de la rousse. Bref, le bordel complet.

Elle aurait été contente, un autre jour, de cette nouvelle. Mais aujourd'hui, les choses ont changé. Aujourd'hui, les lettres du Cosaque l'ont changées. Aujourd'hui, elle est jalouse mais n'ose pas se l'avouer. Jalouse d'être ici et pas là-bas. Jalouse de Maryah qui sait prendre des décisions, écouter ses désirs, vivre tout simplement.

Mais Maryah reste Maryah. Alors après un soupire lâché, le crayon est tenu, un moment en l'air, avant de venir courir sur la feuille.

Maryah... Maryah... si tu savais...

Citation:

    Maryah,

    Toi, impressionnée par de simples Cosaques ? Tu me fais rire, là ! Tu as réussi à apprivoiser Torvar, les autres ne peuvent pas être pires. Souviens-toi de mes débuts et de mon approche difficile sur lui, d'ailleurs. Tu m'avais conseillé. Tu te souviens ? Parle-leur « cheval », il n'y a que ça qu'ils entendent. Et tu le sais bien. Je t'apporte bien mon soutien inconditionnel de femelle, mais seulement de loin. Je n'ai aucune envie de me faire trucider par une foule de Cosaques en colère. Avec un peu de chance, ils ne resteront pas longtemps, laisseront un magnifique canasson à Percy et les jours pénibles seront oubliés rapidement.

    Tu parles de ma tronche. Et avec Torvar, s'il te plaît... Je pense que parler de moi avec lui n'est pas une bonne idée, réellement, sauf si tu cherches à le fiche de mauvaise humeur. En tout cas, rassure-toi, les dégâts ne sont pas à la hauteur de mes espérances. C'était douloureux et moche. Mais ça a un peu dégonflé, j'ai repris un visage presque normal. Et Diego a eu la formidable idée hier de me refoutre le nez droit. Ça fait un mal de chien, il a tiré dessus comme un barbare. J'aurais nettement préféré un pain, c'est plus bref, comme douleur, un coup. Mais il m'a pas laissé le temps d'exposer mon avis. Tu vois, tout rentre dans l'ordre. Tu n'y verras que du feu la prochaine fois qu'on se verra.

    Puisque tu veux connaître les raisons profondes de cet acte sombrement stupide, je vais essayer de te les donner le plus clairement possible. Je n'avais pas pensé au côté femme moche - mari dégoûté - infidélité. Mon cocktail ressemblait plus à femme moche - non convoitée - mari heureux. C'est aussi simple que ça. Ma réflexion a été que ma tronche m'a toujours fait défaut. Que tout ce qui m'arrive ne serait probablement pas arrivé avec une autre tronche. J'ai voulu changer ça. J'étais persuadé que ça simplifierait tout, d'être amochée, tordue. Que ça éloignerait les hommes de moi en ne laissant que Diego. C'était ça, mon but. Au final, ça n'a éloigné personne, sauf Diego, pendant un instant. Il m'en a voulu, m'a détesté, sans doute. Mais il ne m'a pas trompé. Et puis il m'a pardonné. Les gens souvent jugent mal. Mais c'est un mec bien, tu sais.

    Je pense pas être un bourreau. Ni pour moi ni pour personne d'autre. Je suis comme je suis. Tu l'as dit toi-même, que les gens doivent m'accepter comme je suis. Voilà. Je suis comme je suis. J'ai des idées complètements connes, mais je pense pas me punir moi-même. Deux coups de poing ont jamais tué personne...

    Tu me conseilles d'écouter mon instinct. Mais tout le monde s'accorde pour dire qu'il est pourri jusqu'à la moelle, mon instinct. Le tabassage en résulte. J'ai écouté quelqu'un qui m'a conseillé de suivre mes envies. C'est ce que j'ai fait. Ce quelqu'un n'a pas manqué de me dire combien je suis débile, que c'est pas à ces désirs-là que je devais penser. Mais c'était le seul que j'avais, tu sais. Du coup, depuis, je réfléchis, jour et nuit, mais je trouve pas. Des jours à essayer, à chercher ce que j'ai en moi comme envie. Rien. À part m'éloigner un peu plus de Diego parce que je m'entêtais à être seule, c'est tout ce qui en est ressorti. J'abandonne. Je n'ai pas d'envies, pas de rêves c'est comme ça. Et c'est pas grave si j'ai pas pris de grandes décisions. Celle que je retiens, c'est le jour où j'ai dit oui à Diego. C'en est une, ça non, de décision. Voilà. Donc je persiste dans mon choix et fais en sorte de le rendre heureux, désormais. Je sais pas si on peut appeler ça un désir. Mais je fais ça. Je l'ai décidé. J'arrête de réfléchir, je souris et puis c'est tout. Au final, on est plus heureux sans penser de trop.

    Si au moins mes idées débiles peuvent te servir à te sentir mieux que moi. Tant mieux. Tu l'es.

    Je suis tes conseils et travaille à être heureuse. Ou plutôt, je laisse flotter autour de moi sans chercher particulièrement. Et puis c'est mieux. Ça marche, je crois.
    Je crois que je suis heureuse. Là. Tout de suite. Aujourd'hui. À t'écrire.

    Je t'embrasse. Et embrasse petit Percy pour moi.

    Eliance

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Maryah
Citation:
Eliance, Eliance ...

Que rajouter à ce tissu de mensonges que tu te brodes jour après jour ? Le pire j'crois, c'est qu't'arrives tellement à te le faire croire, qu'tu voudrais aussi m'le faire gober. Raté ! ... Mouarf tu m'laisses sur le cul. A un moment, j'me dis, elle va s'relire, elle va comprendre ses incohérences ... bah non, tu m'écris tout ça tranquillement pour finir sur le "j'suis heureuse". Et j'suis censée te l'ach'ter ? Pffff ... t'aurais vraiment fait une mauvaise marchande !

Ma pauvre fille, tu es rongée d'Amour pour Diego. Tu t'rends même pas compte que tout ce que tu tentes, et tout c'que tu tentes pas, c'est pour lui plaire, qu'il continue à te regarder, à t'aimer, à te garder. Tu n'vis qu'à travers lui. Y a des tas de femmes qui t'diraient, c'est normal. Pas moi. Tu sais c'que j'dis souvent, j'vais te le répéter : tu vivais avant lui, tu vivras après lui. Dur hein ? Et pourtant si vrai.
J'ai rien contre Diego, j'l'aime bien pour l'peu de fois que j'l'ai vu. Mais bon sang, faudrait qu'tu penses à toi et qu't'arrêtes de faire la Soumise. Un jour, il te détestera pour ça. Il veut une femme, pas une enfant capricieuse dont il doit à tout bout de champ s'inquiéter.
C'que je comprends pas dans ce royaume, c'est pourquoi les femmes cherchent à se faire remarquer en parlant coups, maladies, morts ? ça m'échappe. Dans mon royaume de Majapahit, il nous arrive ce qu'on attire. Alors, aucune femme, et encore moins en phase de séduction, ne parle de ces choses là. On se fait belle, on se parfume, on chante, on danse, on rit, on se montre sous nos meilleurs aspects.
On n'enchaine pas nos hommes en leur faisant pitié ...
M'est avis que si tu veux l'garder, tu f'rais mieux de te rendre jolie, lui préparer des p'tits plats, et tenir des conversations aussi sucrées que les douceurs que tu lui réserveras la nuit venue.

Diego ne sera jamais fidèle, c'est comme Niallan. Pas pour rien qu'ils s'entendent les deux là. Pour eux, les femmes sont comme des gâteaux ...Tient, par exemple, moi j'ai mangé pendant un mois des gâteaux à l'anis en Provence, bah je vais te dire quand j'suis arrivée au palais de Grenade et qu'on m'a servi des gâteaux à la cannelle et à la fleur d''oranger ... j'étais la plus heureuse des femmes ! J'en pouvais plus des gâteaux à l'anis ! Pis quand j'suis arrivée sur Narbonne, qu'on m'a proposé de la tarte aux fruits, et sur Castelnaudary avec un biscuit à la crème ... clairement j'ai pas résisté !
Et pourtant, les gâteaux à l'anis étaient parfaits ! Mais les makrout avec la tisane à la menthe c'est quelque chose, la tarte aux fruits avec la gnole un régal, le gâteau crémeux avec l'hypocras un délice ... C'est juste ça, tu vois ! Alors si en plus, mon gâteau à l'anis s'était fait mettre en miettes, bah j'y serai pas revenu, préférant les autres tout aussi succulent et bien plus présentables. Tu comprends ?

Pis si les autres hommes ont envie de goûter à toi, c'est très bien ! Sois en fière, et Diego aussi. D'une part, ça l'obligera à faire plus attention à toi, et d'autre part ça lui prouve qu'il a bon goût et que c'est un p'tit veinard de t'avoir.


Bon ça c'est fait. Si j't'écris c'soir, c'est parce que j'ai le cafard, du coup j'ai envie de taper et de tuer. Quand j'suis en colère, j'vois rouge ... et j'ai l'goût du sang qui m'revient en bouche. C'pas facile. Surtout que là, j'suis à Toulouse, où je fais connaissance avec la communauté réformée et j'peux vraiment pas me permettre de vriller. J'me raccroche à Percy et à Deos ... non j'suis un peu en colère contre Deos aussi. J'sais que je devrais pas, mais ça m'dépasse.
Hier matin, j'ai reçu une missive de Niallan ... l'pigeon avait pas mal tourné, vu qu'on a bougé. J'sais pas trop d'puis combien de temps c'est parti, mais voilà ... Il m'apprenait que sa fille, Lexianne, était morte. J'sais pas quand, où, ni comment, mais à quoi bon ... La petite étoile est morte. 10 ans à peine, ça m'fout les boules. Pis j'm'en veux, terriblement. J'ai b'soin de parler d'elle ... s'il te plait ...

J'peux pas m'empêcher de repenser à ces nuits en Savoie, quand on s'est retrouvés Niallan et sa gamine, moi et notre fils. Les p'tits se sont plus tout de suite, Percy est fou de sa sœur. Elle l'appelait son p'tit soleil, il l'avait appelé sa p'tite étoile. Il me faisait rire quand il disait que quand il serait grand il l'épouserait. Elle lui avait offert un lance pierre et un cheval de bois ; il en est fou, il ne s'en défait pas. Quand on est arrivés sur les plages de Provence, Percy n'avait de cesse de ramasser des coquillages, de lui en faire des colliers, des bracelets. Et au port, il m'avait fait acheter un livre très cher sur les contes des mer. Y avait celui d'un petit garçon qui devenait chef de clan, avec des coquillages. Il me l'a fait envoyé à Lexi, en lui demandant si elle voudrait être se Reyne ... C'est pas mignon ça ?
Moi ça m'fend le cœur. Parce qu'à cause de ces foutus impériaux j'ai pas pu rester en Savoie, avec elle.
Parce que Niallan, qui devait soi disant faire les allers retours entre elle à Bourg (elle était blessée et ne pouvait être déplacée), et nous à Mâcon, s'est fait la malle pour aller voir une soi disant amie en détresse, et que l'connaissant j'me doute bien qu'c'était pour la foutre dans sa couche, avec une ribambelle d'autres nanas.
Parce que dans son dernier courrier, Lexi me disait qu'elle était seule. Pas de Niallan sur le retour, et sa mère adoptive aucune nouvelle ... Alors qu'on m'avait joliment évincé du tableau. Lexi était seule avec ses grenouilles, et vivait comme une petite sauvage. J'ai envoyé un courrier pour lui dire que j'allais envoyer quelqu'un la chercher, et qu'elle viendrait vivre avec nous. J'me suis même fait engueuler par Torvar, parce que j'avais pas à m'occuper d'tous les bâtards du royaume. Mais c'est la sœur de Percy. Et elle était touchante cette gamine. Forte et fébrile, plein d'assurances et de doutes à la fois, j'adorais caresser ses cheveux d'or. Elle était si belle, courageuse, et vrai qu'elle n'avait pas sa langue dans sa poche ! Elle avait déjà vécu des choses terribles, et Deos dans sa grande générosité avait fait en sorte qu'elle perde la mémoire. Elle était redevenue une enfant insouciante. Et mon cœur battait pour elle. Je l'aurai élevée comme ma propre famille, et Percy et elle, se seraient régalés. Avant de perdre la mémoire, elle avait dit qu'elle deviendrait bonne pour son frère, elle était prête à changer pour ce p'tit bonhomme à l'opposé d'elle. Juste parce que c'était son frère.

Trop tard. Elle est morte. Je suis triste, en colère et désemparée. Déjà je n'ai pas eu le courage d'annoncer à Percy que son père se foutait la malle et ne voulait plus jamais entendre parler de lui. Alors avoir le cran de lui annoncer que sa petite Etoile est morte ... j'peux pas ... c'est trop dur. Moi j'voulais qu'il ait une famille, un père, une mère, un sœur ; la vie lui avait tout apporté ... pour tout lui reprendre. C'est terrible et terriblement douloureux. J'essaie d'être une mère potable, et j'peux même pas lui éviter toutes ses souffrances. Si je peux ... en lui mentant. Mais le pasteur me disait que je ne ferai qu'ajouter la colère à la tristesse, quand il le découvrirait. Du coup, j'attends un peu d'avaler la nouvelle, et de trouver comment lui présenter les choses.
J'en veux terriblement à Niallan, qui n'a pas à affronter ces deux grands yeux noirs, curieux de tout, et la tristesse qui va l'abattre quand il comprendra qu'il ne reverra jamais sa sœur. J'me demande comment j'ai pu avoir des sentiments pour un tel homme, aussi lâche, aussi fuyant. J'm'en veux d'avoir cru qu'il aurait pu faire un bon père.

J'ai un double deuil à faire dans cette histoire : Lexi n'est plus, mon rêve de famille pour Percy non plus. C'est fini, j'arrête les frais. Percy n'aura que sa mère, et il grandira avec ça tant bien que mal. Comme la cruauté des hommes est toujours sans borne, dès que j'ai su, j'ai fait prévenir Torvar. J'avais besoin de lui parler de ma peine, de ma vie, de ce qui fait ma souffrance la plus profonde, car si Percy a perdu sa sœur récemment retrouvée, j'ai perdu un frère, un bébé si fragile ... si ... mort. Et puis Torvar a perdu sa fille, je me suis dit qu'il pourrait comprendre. Oui quand on est conne hein ... pis moi j'fais pas semblant de l'être, j'le suis viscéralement ! Conne ! D'ailleurs, il doit partir avec sa horde de Cosaques sur la tombe de Kallista. J'ai voulu partager. Il n'en avait rien à faire. Froid, distant, il m'a demandé si je n'avais que ça à lui dire ? J'ai répondu oui. Il a dit qu'il avait mieux à faire, et il est parti en claquant la porte. Et dire que dans ma profonde connerie, j'allais lui demander, comme s'il était père, comment il pensait que je devrais aborder l'annonce auprès de Percy. Tu vois, j'suis profondément conne. Pas contente de m'être lamentablement foiré dans l'illusion familiale avec Niallan, voilà que je recommençais avec Torvar. D'façon, c'est simple, comme pour Dolgar, dès qu'j'y crois les mecs se barrent. Et au final j'comprends ... J'ai pas à leur demander de jouer les pères de substitution pour Percy. Et puis faut que j'accepte l'idée que ma famille est morte au royaume de Majapahit depuis bien longtemps, et qu'il n'y en aura jamais d'autres. ça commence à devenir clair.
D'un côté, il y aura mon cœur, avec mon fils, pour qui je ferai tout.
D'un autre côté, il y aura mon corps, pour quelques hommes avec qui je ferai des galipettes quand ça m'chantera, et basta. Et ceux là ne connaitront pas mon fils.
Si les caprices de la vie sont ainsi, je m'y plierai.

Bah tu sais quoi ? ça m'fait du bien d'en avoir parlé avec toi. J't'assure. Je respire mieux. Tu vois ma Belle, les hommes, faut pas compter dessus. Ce sont des êtres incapables de renouer avec leurs émotions, faut pas qu'on leur en demande autant. Même un peu d'empathie ou de sympathie, pour certains, c'est déjà demandé trop. Non, faut juste leur demander un bout de nuit. Un peu d'ombre pour qu'ils nous rappellent comme la Lumière est belle. Un simple jeu de contrastes, mais la vie n'est pas avec eux.

Sur ces douces paroles, je vais aller me défouler et me recentrer. La cause réformée et mon fils m'attendent, ce seront peut être les deux choses de bien que j'aurai réussi à faire.

Je t'embrasse, sur ton p'tit bout de nez, remis droit !

Maryah



L'Epicée pose la plume, se relit à peine. Des passages l'interpellent, elle pourrait les reprendre. Non, elle ne veut pas. Elle n'est pas toujours juste, elle y va parfois un peu fort ... et alors ? Peut on cacher à vie ce que l'on est ? Le feu de la colère la ronge, il faut qu'elle aille au lac. Il faut qu'elle continue ce que Dolgar et Torvar ont fait pour Percy, lui apprendre à vivre par ses propres moyens. Aujourd'hui ce sera la pêche. Elle n'a pas encore trouvé de professeur de lettres, pour remplacer le provençal Jaume. De jolis poissons pour introduire la foy dans l'esprit de son fils.
Oui il faut qu'elle lui parle de Déos, du commencement et de la fin, du Jardin des Délices ... avant de devoir lui annoncer la mort de Lexi. Et peut être s'employer à la Mort du père ...

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Eliance
Une claque. Elle aurait préféré nettement prendre un vraie claque, une grosse claque, plutôt que de lire les mots de Maryah. Et pourtant, elle n'a pas tort sur tout, l'Épicée. Eliance le sait. Mais c'est ainsi. Elle a l'espoir dans la peau. On ne lui enlèvera pas.

L'écriture se fait hâtive, fébrile, les lettres moins bien dessinées que d'ordinaire. L'émotion se ressent dans ses traits. L'émotion de ce qui a été lu, l'émotion de ce qui est écrit, l'émotion de la distance, de l'impuissance. Et puis aussi l'émotion d'évoquer encore une fois avec Maryah celui qui lui refuse son amitié, celui qui l'a sans doute blessé comme personne avant, celui qui avait réveillé un premier rêve soudain, celui qui l'a piétiné, à peine sorti de l’œuf.


Citation:

    Maryah,

    Ta dernière lettre est épouvantable. Sans doute écrite sous le coup de la colère que tu décris plus bas. J'ai lu, encaissé et digéré avant de reprendre le crayon à mon tour et te répondre. Remarque, je commence à avoir l'habitude du refrain « pauvre fille », « soumise » et j'en passe et des meilleurs. Mais tu vois, la dernière personne à m'avoir balancé ça, juste avant toi, a fini par écouter mon histoire, toute mon histoire, ainsi que ce que je vis, tout ce que je vis. Et elle a eu d'autres mots, soudain. Des mots qui m'ont étonnés, puis qui m'ont fait plaisir et que je suis fière de te répéter ici. « Forte », « courageuse », « couillue ». Crois-moi, ces mots ne sortent pas de la bouche de la dernière des pimbêches, bien au contraire. Plutôt d'une fille comme toi, avec une vie pas facile, un caractère pas facile. Alors je prends ça comme un compliment et je me dis qu'un jour, tu me verras comme ça, toi aussi.

    Tu es intransigeante, Maryah. J'ai fait une erreur, ça arrive. Ça arrive à tout le monde. Ça arrive à tout le monde de douter, de vouloir faire des choses stupides. Certains ne font qu'y penser, moi je les mets en pratique. C'est là la seule différence. Je suis pas plus conne qu'une autre. Je me revendique pas lumière, mais t'as pas le droit de me juger juste parce que j'ai voulu me faire défoncer la tronche. Et ta comparaison avec les gâteaux est flippante. Niallan et Diego sont différents. D'abord parce que j'aime l'un autant que je déteste l'autre. Et puis parce que Diego a jamais abandonné ses mioches, lui. Il est un bon père. Il est un bon mari, aussi. Il fait tout pour, crois-moi. Ils sont différents, bien différents. Diego a de l'espoir. Il a changé de vie et même si parfois il le regrette au milieu d'une engueulade, il est toujours là le lendemain. Niallan est juste un pauvre type qui s'enfonce dans sa pauvre vie tous les jours un peu plus sans même essayer d'en sortir. Diego ne me trompe plus. Je lui ai pardonné certaines choses. Certains pensent que le pardon est la voie de la facilité, d'autres que c'est courageux. Je pense juste que c'était nécessaire. Douloureux, mais nécessaire.

    Tu sais, Maryah, je vais pas te causer de mon passé parce que ça sert à rien, mais je suis comme un chiot qui vient de voir le jour. Je viens de naître. Et c'est Diego qui m'a donné la vie. Alors non, je ne vivais pas avant lui et, non, je ne vivrais pas sans lui après. Les chiots, ça se prend des gamelles et ça apprend comme ça à comprendre qui ils sont et le sens de leur vie. Je suis ça, un chiot qui découvre le monde.
    Kachina m'a dit un jour qu'une femme amoureuse choisie ses propres chaînes. Quand je lis ta colère, dans cette lettre, je lis une Maryah seule, seule avec son Percy, mais sans personne sur qui compter. C'est ton choix. Ce n'est pas le mien. J'ai simplement choisi un autre chemin, j'ai choisi mes propres chaînes, parce que je ne peux pas être seule comme toi, j'en ai pas la force. Ne me reproche pas ma faiblesse, s'il te plaît. tu es unique, et moi faible. Voilà tout.

    Lexi, je l'ai rencontrée, une fois. Je vais pas te dire que je l'ai apprécié, ce serait un mensonge. Je l'ai regardé avec mépris comme tous les mioches que je croise, histoire d'être sûre que les distances réglementaires seront respectées. Mais ça reste triste, cette mort. Niallan est un pauvre type. Arrête de penser à lui, sors-le de ta vie. Il n'est pas le père de Percy. Il est juste le pauvre type qui était là pour aider à le faire exister. Torvar se rapproche plus du père, même si ils ont pas le même sang. Et puis arrête de chercher un père à ton gosse. Moi aussi je pourrais t'engueuler. Je te dirais juste que ce mioche a pas de père. Il a une mère et c'est largement suffisant. Il s'en rendra compte de lui-même, alors ne lui invente pas des pères qui n'existent pas. Il n'a pas de père. Il a seulement des hommes qui lui apprennent des choses. Vois les plutôt comme des tontons. Ce sera plus juste. Un tonton, ça part, ça vient, mais ça reste dans le cœur. Un père, c'est sensé rester, ou bien c'est pas un père. Mais les hommes ne sont pas insensibles. Torvar n'est pas insensible. Ta peine ne peut pas excuser ces mots trop durs.

    T'as qu'à lui dire, à ton Percy, que la petite étoile qu'est Lexi a rejoint les plus grandes étoiles qu'il voit dans le ciel. Montre-lui en une. Dis-lui qu'elle l'entend, qu'il peut lui parler. Il apprendra à la suivre, cette étoile, à la reconnaître entre mille. Il sera triste, mais si il sait qu'elle veille sur lui, ça ira. Et pour son père, dis-lui la vérité une bonne fois pour toute. C'est un connard, une erreur de passage. Il n'est pas son père. Il n'a pas de père. Il n'a qu'une mère. Arrête de vouloir l'épargner. Il aura de toute manière une enfance plus heureuse que la plupart des marmots du coin, il aura une enfance digne de ce nom, parce que tu t'en soucies. Il faut juste que tu doses ça. Rends le heureux, mais ne lui cache pas la réalité des choses. À quoi bon ? Autant qu'il sache, il en sera que plus fort. Il doit comprendre que son père n'est pas parti parce qu'il n'aime pas son fils, non, il est parti parce que c'est un pauvre type. Dis-lui ça.

    Torvar a raison. Tu ne peux pas sauver tous les bâtards du royaume. Et puis qu'est-ce que tu en ferais ! Occupe-toi du tien. C'est lui qui a besoin de toi. Il a pas besoin d'une famille créée et inventée de toute pièce, il a juste besoin de toi.
    Tant qu'on cause de Torvar, oui il est froid et distant. J'ai l'impression que ça t'étonne encore. Il se protège et s'est fait cœur de pierre face à toi. J'ai essayé de le sonder, de lui remettre au goût du jour les choses qu'il avait ressenti pour toi, sans succès. Il a été clair, il ne sera jamais plus comme avant, il se méfie trop de toi. Il apprend des choses à Percy ? Profites-en. Il lui offre un cheval ? Tant mieux. Mais dans tout ça, je ne perçois rien d'une famille. Juste l'aide de deux personnes liées par quelque chose de fort. Ton erreur, Maryah, avec les hommes, c'est que tu veux leur refourguer ton fils avant même que votre relation parvienne à quelque chose de solide. Les hommes ne sont pas intéressés par ton mioche. Ils te veulent toi. Percy vient après. Aucun homme n'acceptera un rôle de père si tu l'envoies chier ou que ça se passe mal avec. Sois égoïste, cherche-toi un homme pour toi et toi seule. Il sera toujours temps qu'il accepte Percy par la suite. Si tu mets la farine avant les œufs, ça fait toujours des grumeaux. Et t'auras beau touiller, ça prendra pas.

    Plus j'écris et plus je suis en pétard. Parce que ce que ce que j'ai lu de toi m'a énervé, parce que ce que j'écris m'énerve. Tu vois, tu te crois meilleure que moi, mais au fond, tu l'es pas. Tu es aussi abîmée, voire plus, même. Je suis en pétard parce que je peux rien faire pour toi. Pourquoi t'es si loin ? Rejoins-nous en Champagne si tu te sens seule, Maryah. J'aime pas te savoir avec ces pensées de sang. J'aime pas te sentir en colère, désemparée.

    Je t'embrasse.

    Eliance


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Maryah
Bon, bah comme une mauvaise expérience n'arrivait jamais seule, mieux valait les affronter une à une. Et puisque Maryah avait pu venger et faire le deuil de Lexi, il n'y avait plus à repenser à son erreur d'avoir voulu se confier. Autant signifier les choses, et se débarrasser d'un problème.

Elle regardait Percy jouer le dresseur de chevaux, torse nu, avec une fausse balafre sur le torse pour imiter le cosaque, et faire tourner Zéphir autour de lui, tenu à la corde. Elle rigolait à le voir imiter et parler tout doucement, utiliser des mots étrangers qu'il n'avait jamais entendu par ailleurs.

Une lettre pour le Cosaque, et une pour Eliance ... A chaque fin de phrase trop nerveuse, Maryah se ressourçait dans le calme de la scène de Percy et Zéphir devant la maison, et enfin elle eut apposer la dernière ligne, le dernier mot.


Citation:
Bonjour Eliance,

Bon j’ai tardé à écrire parce que j’étais trèèès fâchée. Là j’commence à m’calmer, alors j’peux r’prendre la plume sans en péter l’bout toutes les deux minutes.

P’tain, Eliance, UNE fois j’te confie ma peine, UNE fois j’me montre vulnérable avec toi et BAM t’en profites pour m’en j’ter plein la figure. Un truc comme ça j’aurai pu jamais m’relever ; mais bon, j’ai tellement l’habitude qu’on m’scie les pattes quand j’ploie sous l’chagrin, qu’ça d’vient presque normal. J’te rassure, t’es pas mieux pas pire que les autres. Ça va, tu t’es fait du bien ? T’es soulagée ? T’sais y en a qui m’mettaient aux fers et m’fouettaient pour s’passer les nerfs, alors t’as encore du ch’min à faire si ton idée c’est d’me détruire !

Et d’où tu crois que j’pense être mieux que toi ou les autres ? T’es allée la chercher où celle-là hein ? D’puis quand les râclures comme moi ça s’prend pour des roys ? Là t’as débloqué cocotte. D’où j’me suis vantée d’être la meilleure ? Pis y a un concours d’ouvert, c’quoi l’prix gagnant ? Non, parce que juste au cas où tu t’en sois pas aperçue, j’rame dans la boue d’puis la nuit des temps et j’me suis jamais prise pour un soleil. J’te dis juste que ta vie ne dépend pas de celle d’un homme ; qu’elle dépend d’toi, comme tout un chacun icy bas. Si ça plait pas, j’peux aussi fermer ma gouaille, suffit d’me demander ! Pas b'soin d'm'attaquer pour te sentir plus légère !

Sinon, la phrase qui m’a retourné l’cerveau et pour laquelle j’aurai pu t’égorger, c’est celle où tu dis qu’j’cherche un mec pour lui refourguer mon gamin. C’est ça l’image que t’as de moi ? Une femme qui veut se débarrasser de son marmot ? Ça t’allait bien d’me dire que c’que j’en disais était merveilleux, si c’est pour me casser du sucre sur l’dos maternel la lettre suivante. Qu’tu ne sois pas contente de ce que j’ai dit, j’l’entends. Qu’tu te serves de ce que j’ai de plus cher, pour m’atteindre et m’filer l’coup de grâce, là j’dis non.

Quant à venir en Champagne, tu l’as dit non ? J’suis seule et c’est bien fait pour ma gueule. J’ai choisi d’pas avoir de chaîne, alors j’ai qu’à crever comme un chien errant. Savoures tes chaînes, j’crèverai avec ma solitude. Et ne t’inquiètes pas, je ne te raconterai plus c’qui m’fait mal. Après tout la vie est belle.
Ceci étant dit, comment vas-tu femme forte, courageuse et couillu ? As-tu pu goûter cette boisson étrange venue de Champagne ? Es-tu ou non enceinte ?

Maryah

PS : Peux-tu demander à Diego, de ma part, s’il a des nouvelles de Sarah ?


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Eliance
Un choc. Et puis encore un autre. La nuit a été larmoyante, tremblotante. L'aube n'est guère mieux. Ça aurait pu être une nuit idéale, blottie dans les bras de l'Italien. Ça aurait pu. S'il n'y avait pas eu ce nouvel aveu, ce nouveau coup de poignard qui a terrassé Eliance dans un accès de folie.

À la première lueur du jour, elle s'est extirpée des bras endormis, trop épuisés à veiller et à culpabiliser la nuit durant. Et instinctivement, elle s'est assise devant la table, la dernière lettre de Maryah sous ses yeux rougis.
La papier sera probablement ondulé sous l'eau cristalline qui ruisselle sans interruption depuis la veille, l'encre aura probablement bavé sous ce coup du sort. Eliance n'y prête pas attention. Elle écrit.


Citation:

    Maryah,

    Pardonne-moi. Ce que tu a cru comprendre, j'ai jamais voulu dire tout ça. Pardonne-moi, Maryah, du mal que je te fais.

    Que tu vaux mieux que moi, tu ne l'as jamais dit. C'est Torvar qui l' a écrit. Et il a bien raison. Pardonne-moi.

    Percy, au grand Dieu, je sais que tu ne cherches pas à t'en débarrasser. Mais tu lui cherches un père. C'est seulement ça que je voulais dire. Pardonne-moi.

    Maryah, continue à m'engueuler. Tu as raison. Je sais rien faire. Je sais pas vivre.
    Tu as raison. Pourquoi j'arrive pas à le penser plus, que t'as foutument raison ?

    Je suis en miettes, Maryah. Une tarte aux fruits, c'est plus appétissant qu'un vieux gâteau à l'anis. Tu avais raison. Tu as toujours raison.

    Je veux voir la mer avec toi, Maryah. T'es où ?

    Eliance


    PS : Sarah va mal. Elle déprime. C'est ce qu'écrit Ayla à Diego.


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Maryah
Difficile matin. Pas encore dormi ... si peu, si mal. La douleur de la perte d'un être cher et l'impuissance se sont trouvées dans le cœur de Maryah, et ont donné naissance à une boule de haine. La vengeance la taraude jour et nuit. Elle a bien vu son comportement avec l'Ami, elle en veut à la terre entière. Et quand on sait pas pleurer, et qu'on n'a pas d'ami sincère pour aider à évacuer, bah il ne reste qu'une chose à faire : faut frapper, faut rendre coup pour coup, faut faire payer. Mais quel est le prix qu'elle fera payer pour la vie de Lexi ? Faut que ça sorte, sinon petite boule de nerfs, elle va exploser, elle va démonter tout ceux qui l'approchent. Dom avait raison, faut qu'elle assume ce qu'elle est : une voleuse, une galérienne, une sanguinaire ... La torture, les poisons, les sévices, voilà ce qui remplit ses pensées du moment. C'est juste un bon moment à passer. Le plan est au point, demain elle fait les besaces et elle monte se venger.
ça ... oui ça, ça va lui faire du bien !

De bon matin, on lui porte un message. Elle attend que l'gamin aux pigeons s'éloigne, prend une grande inspiration, jette un regard noir au courrier ... comme si ça pouvait lui faire quelque chose à lui ..., et décachette tout en se disant que Non, elle ne regrettera pas ce qu'elle a dit. Elle est juste et droite, et tant pis si elle est froide et sèche ... parce que justement, elle est froide et sèche !

A la lecture du courrier, l'expression change. Des "pardonne moi" semés partout ... ça alors, c'est certainement la première fois qu'on demande pardon à Maryah. Du coup, elle s'assoit sur le petit muret, prête à tomber à la renverse.
Torvar a dit ça ? Comment ça Torvar et Eliance s'écrivent ? Froncement de sourcils. Alors qu'elle même en ce moment n'a aucune nouvelle du Cosaque. Humpf ...
Bon revenons au sujet. Elle lui dit qu'elle a raison, et là Maryah se dit : " putentraille ! elle perd la tête ... ". Pour sûr ça doit pas aller bien fort.
Et elle lit la dernière phrase pâtissière ... p'tain Diego ... tous des salops !!!


Mer-deuhhhhhh ! Mer-deuhhhhhhh ! Et RE MER-DEUHHHHHHHh !
Quoi ??? qu'est c't'as toi ? t'veux mon portrait ??? ! Non mais !
Non mais ça fait chierrrrrrr ! Pffffffff !


Elle fulmine, elle fait déjà demi tour avec le courrier en main pour répondre à Eliance. Franchement un jour elle se prendra le délire de tuer plusieurs hommes et de les pendre par les tripes et les faire sécher en plein soleil. Quand ils seront bien secs, elle les pilonnera, et ça amorcera son coin de pêche tient !

Et puis le PS ... Sarah ... Plus fort qu'elle, elle éclate de rire, se met à courir vers la bicoque près du lac et gueule à qui veut l'entendre :


Elle est en viiiiiiiiiieeeeeeeeeeeeee !!!
SARAH est en VIE !!!


Bon, bon, reprenons dans l'ordre.
Déjà Eliance, c'est fondamental. Ensuite Sean, parce que ça va déjà mieux. Et enfin, elle écrira à Ayla ...
Ses amis ne couleront pas. Elle s'en fait la promesse. Foie de Maryah !

Quelques heures plus tard, les courriers sont prêts. Le tout est envoyé précipitamment, elle a mis le prix pour que tout arrive au plus vite.




Citation:
Eliance,

T'es pas un vieux gâteaux, mais tu t'émiettes. C'est lui qu'y b'soin d'tremper son biscuit partout, p't'êt' qu'il a pas de bonnes dents.
T'es jolie, t'es compréhensive, t'écris bien, t'as plein d'talents, crois moi.
Et non j'vais pas t'engueuler, m'est avis que tu le fais assez toute seule.

J'ai pas toujours raison et j'fais plein d'conneries, mais j'suis comme ça.
Et crois-moi, dans c'cas là, j'préfererai avoir tord, et re tord.

Ma porte te sera toujours ouverte. J'me suis installée dans la jolie bourgade de Sarlat ... en fait, non c'est tout petit tout pourri, mais faut bien que je me fasse oublier de l'Empire pour revenir plus fort. On complote toujours mieux dans un coin désert.
Avec Percy, on vit dans une p'tite bicoque, face au lac. On vit de beaux moments, et ce s'rait avec plaisir qu'on les partagerait avec toi. Sois tranquille, y a pas d'hommes dans ma vie, j'ai fait des essais d'amants ... faudra que je te raconte, ça te ramènera le sourire aux lèvres, j'suis une vraie catastrophe. J'pense qu'y a eu un Couac dans les plans de Deos. J'aurai du être un homme, il a merdé lui aussi.

Oui tu l'auras compris c'est une invitation. On pourra aller voir l'Océan, du côté de Bordeaux. Tu verras tout ira bien, on finit toujours par s'en sortir. On devient juste un peu plus étrange, dixit l'Etrangère !

Rappelle-toi :
Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ... et plus fou.

Si je peux faire quelque chose pour toi, dans les jours qui viennent,
N'hésites pas.

Les vrais amis ça sert à ça ...

Je t'embrasse jolie Rousse,


Maryah


PS : un conseil ... sèche tes larmes, parce que c'était vach'ment difficile de comprendre tous les mots.
Prends un bain, met ta plus jolie robe, parfume toi, poudre toi ... aujourd'hui est un jour magnifique, te voilà libérée de ta chaîne Diegoesque. Libertad !

_________________
Eliance

Elle a lu, encore et encore, ces mots qui soulagent, ces mots qui soutiennent. Et puis elle a mis sa plus belle robe. La seule, en fait, n'en ayant pas cinquante, et elle est sortie, sur les bons conseils de Maryah. Un peu aussi pour fuir Diego qui roupillait encore. Elle a retrouvé Atro dans une taverne et autour d'une choppe, elle a essayé de lui expliquer ses tourments, de se confier un peu. Allez savoir comment, Atro, comme Maryah, a compris. C'est sans doute ça, les amis. Ça détecte les peines, même camouflées sous des métaphores de gâteaux, même noyées dans une voix entrecoupée de sanglots, même sous un air de chien battu qui refoulerait le plus pieux des curés. Et puis Diego est arrivé, lui aussi, peu après.

Et ils ont causés gâteaux, tous ensemble. Parce qu'Eliance n'a trouvé que ça pour pouvoir évoquer cette satanée femme en restant relativement équilibrée dans sa cervelle. Alors toutes les femmes se sont transformées en gâteau. Pas toutes, en fait, uniquement celles en trop dans la vie de Diego. Dae, la première, cause de l'effondrement de leur joie retrouvée, a été rebaptisée la tarte aux fruits, trop sucrée, trop belle, trop appétissante. Eliance s'est autodésignée vulgaire gâteau à l'anis, malgré l'opposition essayant de la convaincre qu'elle est plus à la cannelle ou à la fleur d'oranger. Aphrodite a bénéficié du doux titre de clafoutis aux mirabelles, tandis que Erilys décrochait le prix tant recherché de la quiche à la prune.

C'est dans une discussion pâtissière où Diego et Atro ont eu bien du mal à suivre les discours d'Eliance que la chose s'est révélée. Malgré son écart de conduite au mariage de la tarte aux fruits, le salami – oui, Diego ayant échoué au rang de salami – s'est fait presque suppliant, expliquant en long en large et en travers que rien ne remplacerait sa femme dans son cœur, que la tarte aux fruits n'était qu'une addition non prévue et qu'il ne comptait pas se barrer avec.

Soyons franc, les mots n'ont pas eu de suite le succès escompté. Non. Il aura fallu une bonne nuit de sommeil à notre Ménudière pâtissièrement tordue pour pouvoir se remettre les idées d'aplomb, réellement sécher ses larmes et confronter l'Italien dans un face-à-face tendu, le lendemain. Face-à-face nécessaire, parce que les propositions d'Atro, avec toute sa bonne volonté, notamment de faire ménage à trois, n'étaient pas du tout une aide à la réconciliation. Et c'est donc froidement, loin l'un de l'autre, qu'Eliance a posé les choses à plat, calmement, pour finir par échouer dans les bras de l'Italien quelques dizaine de minutes plus tard, submergée par trop de mots tendres.

Le soucis, c'est qu'aussi fort que Maryah l'a encouragée à prendre sa liberté maritale en main, Atro l'a poussé à écouter Diego. Et elle l'a écouté. Écouté, pour se rendre compte qu'il regrette, qu'il ne veut qu'elle, même si la tarte aux fruits ne lui est pas indifférente. Elle s'est laissé avoir. C'est ce que va penser Maryah. L'idée de la décevoir a coincé Eliance, a retardé la réponse à sa lettre. Aussi parce qu'elle n'irait pas voir l'Épicée. Le départ pour l'Italie a été sonné. Maryah va lui en vouloir. Elle s'en veut. Elle ne sait pas quoi faire. Alors elle noie le poisson...


Citation:

    Maryah,

    Je vais pas pouvoir venir à Sarlat. On a pris la route pour l'Italie, hier. Première fois que je monte à cheval. Une vraie catastrophe. Tu te souviens quand j'ai été raconter au Cosaque que j'avais un canasson qui boîtait pour attirer son attention ? Tu te souviens ? C'était drôle, dit. Une des premières fois où j'ai menti, je sais pas si tu te rends compte !
    J'y pense, souvent. J'ai aimé ces quelques jours.

    Je sais pas si je suis plus forte, Maryah. Mais je vis encore. C'est bon signe, je crois.
    Faut que je te remercie, pour ta lettre. Pour ce que t'y as écrit. Merci, d'être là, alors que t'es si loin.
    Je voudrais pouvoir faire comme toi. Être aussi forte que toi. Je voudrais que tu puisses compter sur moi, aussi. Je sais que je déçois beaucoup. Tout le temps. Je voudrais ne pas te décevoir, toi. Excuse-moi. Encore.

    Je connais pas, Sarlat. J'y suis jamais allé. C'est si pourri que ça ? Faudra que je vienne voir ça moi-même, un de ces jours. Peut-être en revenant du sud. Je sais pas encore. Je sais jamais, tu sais, je sais jamais ce que je veux.
    Tu vas faire quoi, de retour en Franche-Comté ? Leur faire payer ?
    Et Percy ? Il va bien ? Raconte-moi ! Son cheval, il est comment ? Tu t'en sors ?
    Comment tu vas, toi ? Tu as réussi à dire à Percy, pour Lexi ?

    Prends soin de toi, Maryah. Et dis moi, si je peux faire quelque chose, un jour. J'en serais heureuse.

    Eliance

_________________
Maryah
La nuit, c'est long et c'est chiant quand on dort pas. ça l'est encore plus quand on doit diriger un cheval qui vous écoute à moitié, en résumé seulement quand tout autour y a rien à manger, et avec le poids d'un enfant mort contre soi ... mort de sommeil, j'entends.

L'heure d'arriver au village suivant est enfin là. L'aube avec. Les insomnies toujours. Elle descend, tant bien que mal, la sensation de la selle collée au c*l, bref ... et les jambes engourdies. Elle confie Zéphir au palefrenier du coin, et se paie une petite chambre d'auberge sans prétention, mais avec de quoi se remplir le gosier. Elle couche le petit Percy, avant de tourner en rond.

Que faire ? ... Ecrire, oui écrire. Rassurer les quelques personnes qui s'inquiètent. La fatigue accentue sa maladresse, et les lettres s'échappent du petit coffre, se répandant au sol. Eliance ... Flûte elle n'a pas répondu. Ouais mais bon ... vu la réponse de la cocue ... Han elle doit pas dire des trucs comme ça, ça va pas l'aider à paraître humaine.

Le matériel d'écriture est sorti fébrilement. Elle va parler, elle va lui dire la vérité. Succinctement. Sans plainte. Sinon elle se fera encore moquer ou écraser. Mais comme ça, elle saura la rousse ... Peut être même qu'elle comprendra.



Citation:
Eliance,

Non tu ne vas pas pouvoir venir à Sarlat. Je n'y suis pas. Je suis partie. Fini.
Et je compatis pour le cheval, je suis également sur les routes, à dos de Zéphir le cheval offert par Torvar à Percy. Par Deos, c'que ça fait mal au cul ! Et j'ai les cuisses toutes endolories ... j'rêve que d'un bain chaud là. Mais Percy dort encore, faut que j'attende pour aller me prélasser aux étuves.

Tu sais Eliance, j'suis pas plus forte que toi. J'suis juste traumatisée par les hommes j'crois. Les premiers hommes que j'ai aimés, à bien y réfléchir, mon père et mon frère ont été assassinés sous mes yeux, par d'autres hommes. Ensuite y a eu un galérien, qui a fini par mourir en mer, perclu de coups et de fatigue. Y a eu le capitaine qui a fait de moi sa chose, alors que j'étais encore innocente et que je n'avais pas encore saigné. Y a eu mes maitres, qui ont fouetté la mauvaise esclave que j'étais. Y a eu Tord Fer, tantôt gentil, tantôt maltraitrant. Y a eu l'Duc qui m'a sorti d'prison pour faire de moi une catin. Y a eu Niallan qui a appris de moi pour manipuler les femmes à bon escient ... et rappelons le, qui m'a engrossé ! Quel niouk.
Pis y a eu mon premier mari, qui m'a trompé et a mystérieusement disparu après que je l'ai su. Y a eu Dolgar qui m'a tout promis, entrainé à Sarlat, et m'a abandonné comme un rat. C'pour me marier avec lui que je m'étais installée là bas. En fait, il a été enlevé, il a disparu pendant des lustres, et je l'ai revu la gueule enfarinée à m'taquiner. Gueule de borgne précisons, la torture ça laisse des traces. J'crois que je l'aurais tué, j'suis partie. Et y a eu le cosaque, qui aime à souffler le froid le chaud, et doit se venger sur moi de toutes ses infortunes familiales.

T'vois pourquoi j'coince sur la relation homme/femme ? J'ai pas rencontré d'bien-traitant, et je te passe le violeur qui supporte pas les femmes de tête, et les deux piètres amants qui voulaient me soumettre à leur fantasme. Soit ils sont mauvais, soit j'suis pas une vraie femme et j'les rends mauvais.
J'voudrais m'en aligner une douzaine, et les torturer les uns après les autres. Je donnerai à chacun le nom d'un défaut, d'un vice, et j'adapterai le châtiment. J'aurais pu devenir une meurtrière d'homme en puissance, j'aurai pu devenir une amazone, une vraie menace pour tous ces Mâles qui sèment le Mal ... J'aurais pu devenir folle, enragée.
Mais le Destin m'a donné un fils. J'essaie modestement de changer les choses, ou d'accepter leur nature.

Quand tu dis, "on a pris la route pour l'Italie", je suppose qu'il y a Diego dans le "on" ? Bah tu vois je dirai rien. Au moins, tu n'es le souffre douleur que d'un seul homme. Tu as su limiter la casse, et tu gardes espoir dans le genre humain. Ce qui n'est plus mon cas.

Sinon ...
J'ai annoncé la mort de Lexi à Percy. Il le vit très mal comme tu peux t'en douter. Je nous cherche des compagnons de route pour changer tout ça. Je lui ai demandé ce qu'il voulait pour lui changer les idées, il a répondu qu'il voulait voir Torvar. Nous allons donc voir Torvar en Bourgogne, même si je me doute que je vais encore m'en prendre plein la trogne. Je ne sais rien refuser à mon fils. Ce petit causera ma perte.
La route sera longue et certainement semée d'embûches, mais je pense à moi. J'ai bien envie d'aller me défouler après en Franche Comté, ou en Empire. Que veux tu ? voir des traitres, ça m'redore le blason ! J'me dis qu'y a toujours pire râclure que moi !

Prends soin de toi Eliance,
Et donne moi de tes nouvelles.

Tu me diras si les Italiens sont plus gentils que les hommes d'icy.


Maryah
L'écorchée, que tu ne décevras pas.

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